mardi 14 novembre 2017

Eddy Mitchell "La même tribu"

Polydor / Universal Music France

Je n’ai jamais caché ma grande admiration pour Eddy Mitchell. Les trois premiers 45 tours que j’ai achetés au tout début des années 60 ont été, dans l’ordre « Nouvelle vague » de Richard Anthony, « T’aimer follement » de Johnny Hallyday et « Tu parles trop » des Chaussettes Noires. Lesquelles Chaussettes Noires ont été le seul groupe que j’ai vu sur scène ; c’était à la Mutualité, en 1962 je crois… J’ai vite tourné la page Richard Anthony ; Johnny Hallyday m’aura tenu compagnie plus de cinquante ans avec des hauts et des bas ; mais Eddy Mitchell a toujours été mon préféré.

J’aime l’auteur, j’aime sa voix, j’aime sa posture sur scène avec ses attitudes un tantinet surjouées, j’aime son humour froid et, pour l’avoir interviewé à plusieurs reprises, j’ai su apprécier sa finesse d’analyse et son regard sans concession sur le métier et les gens qui le font. En résumé, j’aime son recul et la distance qu’il met en toutes choses.

Eddy Mitchell sort aujourd’hui son 37ème album studio. Et le moins qu’on puisse en dire, c’est qu’il s’est fait plaisir. C’est désormais son seul moteur. A 75 ans, débarrassé de tout critère commercial, il veut profiter, seulement profiter. Quitte à enregistrer un album de reprises, autant le faire à son idée.

Alors il s’est carrément concocté un « auto-tribute ». Le chef indien qui sommeille en lui a donc fait appel à ceux de sa tribu. Il a réuni dans son wigwam-studio quelques vieux guerriers (« Hugh, salut les copains ! ») qui ont longtemps combattu à ses côtés sur les sentiers de naguère sans y laisser trop de plumes : Johnny Hallyday, Jacques Dutronc, Christophe, Alain Souchon, Arno, Julien Clerc, Renaud… Il a également convoqué quelques frères de chant un peu plus jeunes mais qu’il savait habités par les mêmes esprits : Ibrahim Maalouf, Charles Bradley, Sanseverino. Et, enfin, il a fait appel à quelques squaws pourvues de plus d’une corde (vocale) à leur arc : Keren Ann, Brigitte et Maryline Moine, sa propre fille.

Une partie de la « tribu » mitchellienne était donc réunie, restait donc à enregistrer quelques chants sacrés. Le résultat est imparable. Il a a « tribu »é à chacun et à chacune la chanson qui collait le mieux à son ADN artistique.
Un bon vieux rock avec Johnny (C’est un rocker). Soixante ans d’amitié, ce n’est plus un collègue, c’est un frère. On les entend jubiler d’être ensemble. Ils jouent, ils s’amusent. C’est vraiment pêchu.


Avec Alain Souchon, on perçoit l’humour qu’ils mettent dans leur interprétation de On veut des légendes…Pour Renaud, Eddy a choisi Sur la route de Memphis, une ballade qui lui va comme un vieux perfecto, dans laquelle il est étonnant de constater comment leurs deux voix s’imbriquent… Julien Clerc s’est approprié se aisément J’ai oublié de l’oublier qu’on la croirait extraite de son propre répertoire. Cela nous donne une complainte très mélodieuse, subtilement mélancolique, avec un arrangement qui frise le symphonique.

Lorsqu’on entend Lèche-bottes blues avec Arno, on a l’impression de deux gros matous qui ronronnent et lâchent de temps un coup de griffe en ricanant. Il y a une vraie dynamique dans ce titre… Keren Ann, la voix toute en retenue, se fond admirablement avec les cuivres somptueux de Toujours un coin qui me rappelle… Eddy a offert du sur mesure à son ami Jacques Dutronc avec Au bar du Lutétia. Ambiance feutrée, lumières tamisées, volutes de fumée (le cigare de Jacques ?). Nos deux piliers de bar ne sont peut-être pas éméchés, mais en tout cas ils sont de mèche. Et c’est un véritable régal que de retrouver la diction si particulière du « Jacquot »… La trompette d’Ibrahim Maalouf, ses envolées, et des cordes somptueuses habillent de tendresse et de douceur le très nostalgique M’man

Charles Bradley incarne à merveille Otis dans cet hommage à Redding en nous exécutant un authentique rhythm’n’blues made in America, tonique à souhait, dans un jeu de questions-réponses avec Monsieur Eddy… J’ai littéralement craqué pour La fille du motel. Décidément, Brigitte est sans doute ce qui est arrivé de mieux dans la chanson française de ces dernières années. Quel unisson, quelles harmonies ! Bordé par ces voix délicieusement jumelles, notre crooner se laisse cocooner. Un nectar pour les trompes d’Eustache…


Eddy ne pouvait imaginer meilleur complice que Sanseverino pour apporter son swing naturel et son timbre de voix si particulier sur Nashville ou Belleville. C’est truffé de clins d’œil et de petits bruitages personnels. Y’a d’la joie dans ce titre si festif… Christophe s’est glissé comme chez lui dans Un portrait de Norman Rockwell. Il y apporte ses touches de délicatesse. Ce titre est un enchantement… La bonne surprise, la révélation pour beaucoup, c’est la prestation de Maryline Moine dans Et la voix d’Elvis. Elle nous la fait façon country, très à l’aise, elle est complètement dedans. Décidément, bon chant ne saurait mentir.

Enfin, il y a la chanson d’introduction, le sublime La même tribu. Sur une mélodie « classique » de Pierre Papadiamandis, Claude Moine, la plume préférée d’Eddy Mitchell, a ciselé une petite merveille de texte. Un véritable tour de force car il a astucieusement réussi à y introduire pour chacun des intervenants soit le titre, soit une phrase d’un de leurs plus grands succès. C’est le Grand Manitou qui lui a soufflé tout ça. Ce titre va devenir un hymne. Il le mérite.

J’ajouterai à cela des arrangements absolument superbes, très différents des créations originales tout en en gardant l’esprit. Tout est magnifique ; les parties de piano, les solos de guitare, la pedal steel guitar, l’harmonica, les cuivres, les cordes… C’est une splendeur.

Autre compliment : la volonté de mettre les voix très avant ; On profite ainsi à la perfection des différentes tonalités, des intonations et de la qualité des paroles.


Enfin, comment ne pas parler du contenant lui-même. La pochette et le livret qui se trouve à l’intérieur constituent une véritable œuvre d’art, un objet de collection. Le dessinateur Ralph Meyer mérite d’être cité pour son talent à croquer les artistes et pour reconstituer l’atmosphère d’un saloon. Cette fresque est en totale adéquation avec l’esprit de l’homme de La dernière séance.

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