lundi 28 juillet 2008

Arno "Covers Cocktail"


Ma note : 8/10

Arno a décidé de célébrer ses 20 ans de carrière solo (en fait, ça fait déjà 38 ans qu'il sévit dans le milieu de la chanson) en nous offrant une compilation d'une vingtaine de reprises qui ont figuré sur ses albums successifs.
Arno, c'est le seul authentique bluesman belge. Son grain de voix, graillonnant à souhait, est reconaissable entre tous. C'est un artiste habité, unique, hors normes, un marginal absolu, une sorte de poète maudit, un animal à sang chaud égaré dans le monde d'un show business totalement formaté et déshumanisé par l'obsession des enjeux économiques. Passons sur ces considérations bassement triviales pour ne nous concentrer que sur l'aspect émotionnel de Covers Cocktail, album ô combien admirable.

Il a ratissé large, l'Arno. Le mot de "Cocktail" est on ne peut plus adéquat. Il y en a pour tous les goûts : de l'alcool fort à la liqueur douce. Quand un titre est revisité par Arno, il n'en sort pas indemne. Il en est un peu comme de ces jeans que l'on rince à grande eau au milieu de galets. Ils en ressortent différents, délavés. Et régurgitées par lui, certaines chansons nous donnent la sensation qu'elles ont été écrites sur mesure pour lui ; l'exemple le plus évident est sa version de Je suis sous, créée par Claude Nougaro. Mais, excusez de peu, on trouve tout de même au générique de cet album les monstres de la variété rock anglosaxonne (beatles, Stones, Queen...) et francophone (Brel, Gainsbourg, Reggiani, Nougaro, Dutronc...)

Inventaire :
1/ Ils ont changé ma chanson : C'est l'introduction idéale à cet album. De ce titre un peu sirupeux d'une gentille chanteuse hippie oubliée, Mélanie, Arno et son complice d'un jour, Stéphane Eicher, font une complainte virile et véhémente à l'arrangement subtil, redoutablement efficace. C'est d'ailleurs une des constantes de cet opus : les arrangements, variés, fouillés, originaux, ciselés, sont remarquables...
2/ Ubu : la chanson-farce de Dick Annegarn prend tout son sel dans cette version malicieuse et primesautière.
3/ Mother's Little Helper : Ce bijou aux éclats sombres, emprunté aux Stones, présenté sur l'écrin d'un arrangement hyper dépouillé, met en avant l'interprétation pleine de sensibilité.
4/ Knowing Me, Knowing You : Alors là, c'est carrément du détournement, de l'absolue appropriation d'une bluette d'Abba. Sur un arrangement ethéré, aérien, Arno nous propose une autre chanson, une pure merveille de douceur, un bonbon acidulé, plein de finesse et de grâce. Etonnant et tellement agréable à écouter !
5/ Trouble in Mind : Arrangement un tantinet baroque et tout à fait mélodieux, Arno nous livre une sorte de ballade bluesy mélancolique qui monte lentement en puissance pour finir en mélopée plaintive, en cri de souffrance. Superbe !
6/ I Want to Break Free : Gonflée cette reprise de Queen qui frise le gospel. Très éloignée de l'esprit de l'original, elle en devient tourmentée, quasi mystique. Et Arno en chef de choeur n'est pas la moindre des surprises.
7/ Walkin' the Dog : Intro électro inattendue et déconcertante, puis vraies guitares rock'n'roll font de cette reprise de Rufus Thomas énergique et particulièrement bien enlevée LE rock de l'album.
8/ Voir un ami pleurer : Difficile d'ajouter un commentaire quand on se trouve confronté à un tel monument. On ne peut pas comparer à Brel, c'est autre chose du même très très haut niveau. Là où Brel avait choisi la véhémence, la rébellion, Arno préfère l'option du désespoir partagé.
9/ Elisa : Arno a invité la plus légitime des interprètes pour cet hommage à Gainsbourg en la personne de Jane Birkin. Ensemble, ils nous distillent une version délicate et indolente comme s'ils voulaient en goûter chaque mot avec gourmandise et profiter d'un tendre instant de communion artistique.
10/ Gimme That Hart Boy : Emmenée par un harmonica frénétique, cette reprise de Captain Beefhart n'est pas le titre que je préfère...
11/ Rollin' and Tumblin' : Dès l'introduction, on se laisse emporter la gratte et les percus de ce blues créé par Muddy Waters, un blues qui va à Arno comme un gant maculé et lacéré. Un instant magique.
12/ Mirza : Une version que cet iconoclaste magnifique qu'était Nino Ferrer n'aurait certes pas désavouée. Arno a l'art d'y mettre exactement les mêmes intentions. Seulement, il le traite de façon moins énervée, carrément en blues, ce qui convient parfaitement. Et là encore, quel arrngement somptueux !
13/ All the Young Dudes : Arno s'accapare avec élégance cette chanson écrite par David Bowie et créée par Mott the Hoople. Il se fond langoureusement dans les choeurs et, à un moment, il s'amuse même à y friser le rap. C'est très réussi.
14/ See-Line Woman : Version bluesy envoûtante de ce titre de Nina Simone. On se laisse emporter comme dans un vaudou, la tête se met à hocher d'avant en arrière et on n'est pas très loin de l'état de transes. Un des titres les plus originaux de cet album.
15/ Drive My Car : Sur un superbe travail aux percussions, bientôt complété par une grosse basse, Arno nous livre une chanson aux antipodes avec la création des Beatles. Là où les quatre de Liverpool conduisaient une jolie décapotable légère et colorée, notre Belge déjanté nous a concocté un véhicule tous terrains qui, au lieu de filer cheveux au vent sur un asphalte impeccablement goudronné, emprunte des chemins forestiers boueux, tortueux et dévastés. C'est un choix, il est d'autant plus respectable que c'est réussi.
16/ Sarah : Là, Arno nous prend directement aux tripes avec cette déclaration d'amour pleine de pudeur. On n'en sort pas indemne. Et puis, quelle partie de piano ! Quel climat ! La tendresse est palpable.
17/ Jean Baltazaarrr : C'est peut-être la chanson la plus "arnotesque" de cet album. Sa propension chronique au second degré y fait merveille. Mais là où cette chanson atteint des sommets c'est quand intervient la plus inattendue des partenaires : Beverly jo Scott. C'est tout simplement fantastique. Ils sont tous les deux à fond dans la dérision, mais dans le cadre hyper rigide d'un arrangement hyper méticuleux. LE grand moment de cet album pourtant riche en rencontres et en étonnements. Dutronc a dû jubiler de plaisir avec cette version.
18/ Hot Head : Guitares électriques et harmonica habillent ce rock signé Don Van Vliet (Captain Beefhart). J'ose la comparaison : il y a du Mick Jagger dans cette composition d'Arno. Si, si, écoutez bien.
19/ Je suis sous : Qu'ajouter à cette chanson écrite sur mesure par un Claude Nougaro qui aurait trouvé plus imbibé que lui... L'interprétation véritablement pathétique, est terriblement émouvante. Le poète n'était pas un imbécile qui a dit que "les chants désespérés..."
20/ Death of a Clown : Cette superbe interprétation tourmentée de ce titre de Ray Davies termine noblement cet album magistral. Soulignée par des guitares déchirées la souffrance, tangible, suinte dans chaque note et dans chaque mot.

Un seul regret, l'absence de la reprise des Filles du bord de mer, de Salvatore Adamo. Mais ne boudons pas notre plaisir, Covers Cocktail est un album à posséder, à écouter, et à réécouter...

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