lundi 12 octobre 2009

Qui est monsieur Schmitt ?


Théâtre de la Madeleine
19, rue de Surène
75008 Paris
Tel : 01 42 65 07 09
Métro : Madeleine

Une comédie de Sébastien Thiéry
Mise en scène par José Paul et Stéphane Cottin
Avec Richard Berry (monsieur Bélier), Raphaëline Goupilleau (madame Bélier), Chick Ortega (le policier), Sébastien Thiéry (le psy), Jean-Luc Joseph (le gardien)

Ma note : 8/10

L’histoire : Monsieur et madame Bélier sont en train de dîner dans leur appartement quand, tout-à-coup, le téléphone sonne. Or, les Bélier ne sont pas abonnés au téléphone. L’interlocuteur, au bout du fil, demande un certain monsieur Schmitt. Les Béliers, ahuris, réalisent alors qu’ils ne se trouvent pas chez eux. Ils en déduisent qu’ils sont enfermés dans l’appartement d’un autre.
Or, petit à petit, tout semble prouver qu’ils sont bien monsieur et madame Schmitt. La panique s’installe. Le cauchemar ne fait que commencer…
Qui est fou ? Qui détient la vérité ? Lui ? Les autres ?... Qui est monsieur Schmitt ?

Mon avis : Cartésiens s’abstenir. Si vous ne prisez pas l’univers de l’absurde et de l’irrationnel, vous ne pourrez pas goûter tout le sel de cette comédie extravagante, écrite et jouée de main de maître. Mais si vous aimez cet univers, les ambiances où tout vous échappe, où, à l’instar du couple Bélier, tout est construit de manière à vous couper de la réalité, vous allez vous régaler.

Sur une musiquette fort guillerette, le rideau s’ouvre sur un appartement bourgeois, sans chichis apparents, tout-à-fait fonctionnel. Un couple est attablé, en train de dîner. Au fil de leur conversation aimable et banale, on apprend qu’ils s’appellent Jean-Claude et Nicole. Soudain, le téléphone sonne. Jean-Claude reste interdit, la fourchette en l’air. Ce qui semble courant chez tout un chacun - un téléphone qui sonne - est pour lui parfaitement incongru : ils n’ont PAS le téléphone !... Il se lève et, guidé par la sonnerie, découvre l’intempestif appareil.et, comme hébété, décroche. A l’autre bout du fil, quelqu’un demande à parler à monsieur Schmitt. Jean-Claude raccroche. En arpentant son salon, il découvre effaré que, sur le mur, le portrait de sa mère a disparu, remplacé par celui d’un chien berger allemand. Commençant à se demander s’ils ne se sont pas trompés d’appartement, il veut sortir ; sa clé n’entre pas dans la serrure…
Dès lors, le mystère commence à s’épaissir. Les questions et les interrogations s’empilent les unes sur les autres. La situation devient un vrai cauchemar pour les deux époux. D’autant qu’un policier, puis un psy, les enfoncent de plus en plus profondément dans l’incompréhension. Et le pire, c’est que cette terrible situation ne va jamais ceser d’empirer jusqu’à la fin.

La pièce, pour irrationnelle qu’elle soit, est construite sur une mécanique implacable. Il n’y a aucune faille. Il faut un esprit particulièrement inventif, tortueux et… sadique pour oser imaginer un imbroglio aussi kafkaïen. Chapeau à Sébastien Thiéry qui va encore plus loin dans cette histoire que dans Cochons d’Inde. Et c’est là qu’il faut parler des deux comédiens principaux, les pauvres Jean-Claude et Nicole Bélier.
Nicole Bélier (Raphaëline Goupillieau) est le complément idéal de Richard Berry. A elle seule sa voix au timbre si particulier a déjà un formidable effet comique. Il faut dire que Sébastien Thiéry lui a concocté un personnage remarquablement construit. Tout au long des deux premières parties, avec un bon sens empreint de naïveté, elle s’ingénie à trouver des explications à tout. Même les plus abracadabrantes. Plus son mari se débat et, inévitablement, s’enfonce dans les sables mouvants du mystère auquel il est confronté, plus elle s’efforce de se montrer calme et pragmatique. Son attitude a longtemps pour effet de l’apaiser. Surtout quand elle se met à jouer le jeu de l’usurpation d’identité pour l’aider. On assiste alors à de grands moments de comédie qui frisent la schizophrénie… Et puis, vers la fin de la deuxième partie et dans la troisième quand, irréversiblement, elle commence à ne plus le soutenir, ne faisant plus office de béquille ou de bouée, il perd carrément pied… Raphaëline Goupilleau nous distille ce type de prestation, à la fois subtile, dense et riche, qui compte dans la carrière d’un comédien.
Quant à Richard Berry, il est tout bonnement sublime. Il se livre à une démonstration qui devrait lui valoir un Molière. Il est stupéfiant d’aisance de bout en bout..Enorme ! La moindre mimique, le moindre geste, le moindre ton sont des modèles de jeu. Il est véritablement au sommet de son art. D’ailleurs, depuis quelques rôles, on le voit prendre de plus en plus de bonheur à tenir des contre-emplois emplis d’autodérision. Dans cette pièce, il est une mouche qui se débat dans une toile d’araignée. Ses gesticulations pour s’en sortir sont d’une drôlerie absolue. Et pourtant on n’est pas très loin du drame absolu. Imaginez un instant que vous soyez à sa place. C’est tout bonnement invivable… Le numéro de voltige que Richard accomplit dans sa quête d’identité justifie à lui seul que vous vous précipitiez au théâtre de la Madeleine. Grand, grand, très grand comédien !
Chick Ortega compose un personnage de flic qui se le dispute entre le suspicieux et le débonnaire. Il apporte sa stature imposante et menaçante et cette façon qui n’appartient qu’à lui de jouer les benêts un peu lourdauds.
Et puis il y a Sébastien Thiéry. Dans le rôle du psy. D’un psy aussi lunaire que tordu. Evidemment, il est formidable dans ce registre qui lui est si personnel. Le regard inquisiteur, le ton monocorde, il n’a pas son pareil pour déstabiliser son interlocuteur. Et le spectateur aussi. On en arrive à se demander si on a affaire à un crétin ou à un praticien retors à la limite du sadisme.
En tout cas, personnellement, étant quelqu’un qui sourit bien plus qu’il ne rit, lors de la scène où Sébastien Thiéry joue à la baballe avec Richard Berry, je me suis retrouvé à pleurer de rire et étant incapable de contrôler les soubresauts de mes épaules. Rarissime !

Qui est monsieur Schmitt ? est une des pièces les plus attractives de cette rentrée automne-hiver 2009. Pendant la première moitié, on ne cesse d’y rire de bon cœur. Puis, subrepticement, on se laisse s’émouvoir et s’inquiéter pour la santé mentale de ce pauvre monsieur Bélier (ou Schmitt ?) C’est d’ailleurs cet éventail de sensations qui fait que cette pièce est complètement aboutie. Elles sont tellement rares ces pièces délibérément absurdes qui réussissent à nous tenir en haleine de bout en bout. Car tout le long de ce labyrinthe, on se demande où l’auteur nous emmène et comment cela va finir. Eh oui, au fait, Qui est monsieur Schmitt ?

1 commentaire:

fof a dit…

Je sort de la représentation de « Qui est monsieur Schmitt ? ». J'avais décidé d'aller voir cette pièce sur un coup de tête, sans en connaitre du tout la teneur, en faisant confiance au grand homme qu'est Richard Berry et pour être tout à fait honnête sans avoir jamais entendu le nom de Sébastien Thiéry, ce qui est apparemment révélateur de mon peu de culture théâtrale. Je viens de parcourir le web dans la foulée car j'avoue que cette pièce m'a laissé plus que dubitatif. J'ai passé un premier acte divin où j'ai du contenir ma nature enjouée et retenir mes rires afin de profiter pleinement de la mise en place d'une situation plus que prometteuse agrémentée d'un jeu d'acteur époustouflant. Je vous rejoint sur le 2ème acte ou j'ai finalement craqué au jeu du ballon mais passé ce moment, je n'ai finalement cessé d'espérer, encore et encore sans jamais être comblé. Je suis certes bâti autours d'un esprit cartésien (je travaille dans l'informatique ;) et vous semblez dire que c'est rédhibitoire pour savourer un telle œuvre mais cela ne m'a pourtant jamais empêché d'apprécier Ionesco ou de dévorer les récits d'Edgart. A. Poe par exemple.
J'ai pu vérifier ce que je supposais au cours de ma navigation, Sébastien Thiéry a effectivement posé une situation et continué d'en écrire la suite sans avoir d'idée en tête et c'est précisément ce qui me dérange. Il tente de justifier la situation en collant à une situation tragique qu'est la personnalité multiple mais rien n'est cohérent. C'est le but me direz vous mais pourquoi alors tenter de raccrocher à la réalité ? Pourquoi ne pas partir dans l'absurde absolue ? J'adore par exemple la tirade téléphonique faite au Schmitt en France où il lui dévoile des anecdotes connues de lui seul pour finalement s'incliner quand il découvre qu'il ne chausse que du 40. Mais pourquoi ce revirement de sa femme sans aucunes explications ? On comprend rapidement bien entendu mais quel dommage de ne pas profiter de cette trame fantastique pour toucher un peu plus les spectateurs ? Même s'il m'a fait rire, pourquoi ce policier s'acharne t'il à vouloir vérifier son identité ? Et pourquoi surtout conclut il au dernier coup de téléphone « non monsieur, vous avez du faire un faux numéro, je ne suis pas Monsieur Schwartz » au lieu d'un « Je m'appelle Schwartz » qui fait que le peu de logique finit par s'évanouir. Je vous imagine peut être sourire en lisant mes dernières lignes, vous disant que c'est précisément ce besoin d'un peu de rationalité qui me gâche la magie de la pièce (d'autant plus que je vous ai épargné beaucoup de pourquoi...) mais décidément je ne peux m'empêcher de penser qu'il a courut pendant deux actes pour justifier son brillant premier. Quel dommage pour moi en tout cas et pour tous les spectateurs que j'ai interrogé autours d'un verre...

Bien à vous,

f.