jeudi 6 décembre 2018

Francis Renaud "La rage au coeur"


Hugo : Doc
340 pages. 18,50 €

Quel livre ! En fait, tout est annoncé dans le titre. De toute évidence, Francis Renaud est un affectif doublé d’un écorché vif. Son autobiographie est une autopsie à cœur ouvert et sans anesthésie. Lorsque le scalpel ouvre son organe, on y découvre qu’il contient, partagés à parts égales, deux sentiments forts et profonds : l’amour et la rage. Tout au long de cet ouvrage, son cœur palpite et saigne ; mais il continue à battre.

Dans « Francis » - même s’il porte un prénom qu’il déteste - il y a « franc ». Cette franchise est viscéralement intrinsèque au personnage. Olivier Marchal, son ami, son « frère », qui signe la préface du livre, souligne, en s’adressant directement à lui, cette façon d’être à plusieurs reprises : « Toi, tu ne sais ni ne peux faire semblant ». Et il résume le bonhomme avec une formule aussi lapidaire qu’imparable : « Trop de bruit, trop de gueule, trop de fureur, trop de talent »… Avec une telle introduction, on sait à quoi s’attendre lorsqu’on se plonge dans la lecture de La rage au cœur.


Eh bien, ce que l’on découvre tout au long de ces 340 pages va bien au-delà. Ce livre n’est pas un coup de poing, c’est un enchaînement éprouvant de crochets, de directs, d’uppercuts. Ça arrive de partout ! Les mots sont durs, les chapitres courts, les phrases brèves. Francis ne va qu’à l’essentiel, sans fioritures ni concessions… Le moins qu’on puisse dire, c’est que le destin ne s’est pas montré très tendre à son égard. Le 27 septembre 1967, il a pris un rendez-vous manqué avec la vie. Son « bonheur » aura duré quatre ans ! Passé cette parenthèse, son existence n’aura été jalonnée que de coups, de morts violentes, d’injustices. Quand il connaît une accalmie, quand il découvre que l’on peut recevoir aussi de l’amour (auprès de ses grands-parents), on lui arrache ce bien-être pour le plonger dans un monde de violence et d’indifférence. Du coup, il va grandir comme une mauvaise herbe. Pas le choix. Quand on n’a pas d’autre alternative que la survie, on s’accroche à tout et à n’importe quoi. Et, surtout, on devient tout naturellement un rebelle.
Emporté comme il l’était sur des eaux saumâtres et tumultueuses, il aurait pu se laisser couler à tout moment. Or, il a surnagé. Il s’est appuyé plus ou moins consciemment sur deux bouées salvatrices : le rêve et le cinéma. « Je n’ai fait que rêver pour m’empêcher de voir le pire », annonce-t-il en préambule… Quelle enfance, quelle adolescence !

J’ai été d’autant plus passionné par ce livre que je me suis senti concerné à plusieurs reprises.
D’abord, Francis a grandi dans la même région que moi. Je connais les bourgades vosgiennes dont il parle, Remiremont, Le Thillot, Le Val d’Ajol… Ensuite, il évoque son amitié pour Samy Naceri. Or, il s’avère que j’ai écrit l’autobiographie du héros de Taxi Normal qu’ils aient été attirés l’un vers l’autre. Ce sont deux êtres en recherche chronique d’un père, en quête permanente d’amour et d’un minimum de reconnaissance et qui nourrissent une même aversion pour l’injustice. En plus, ni l’un ni l’autre ne possédait « la carte » pour pénétrer dans ce milieu si particulier qu’est le cinéma. Pourtant, Samy a beaucoup moins de raisons légitimes d’avoir « la rage ». Il est très loin d’avoir connu une enfance aussi cruelle et douloureuse que celle de Francis.

Olivier Marchal, Francis Renaud, Gérard Lanvin
Enfin, j’ai eu l’opportunité de croiser Francis Renaud à plusieurs reprises, le plus souvent en compagnie d’Olivier Marchal. Je l’ai également interviewé en janvier 2002. Il venait de tourner dans La Mentale au côté, justement, de Samy Naceri. J’ai rencontré alors un garçon cordial, sensible, généreux, bref foncièrement attachant… J’ai sélectionné quelques déclarations qu’il m’a faites au cours de cet entretien, déclarations que j’ai retrouvées dans son autobiographie : « J’ai une violence en moi », « J’interprète toujours des personnages en bascule », « J’ai envie de vivre sans rentrer dans le système », « J’ai été un enfant mal aimé. Mon refuge, c’était les cimetières ; je trouvais ça apaisant. Je discutais avec les photos des morts », « J’avais dit à un copain que je voulais faire du cinéma. Il m’a offert une bio de James Dean. J’ai fait une fixation : James Dean est mort à 25 ans et mon père à 26 », « Le monde du cinéma m’a mis tricard pendant huit ans ; c’est un milieu un peu pourri », « J’ai un peu trop parlé. Je dérangeais en disant ce que je pensais », « je ne supporte pas les rumeurs, surtout quand elles sont fausses », « Olivier Marchal est quelqu’un qui me touche énormément. J’aime son mélange de candeur, de générosité et de violence. Il me transperce. Pour moi, c’est le Comte de Monte Cristo ! »…

En relisant ces lignes, en pensant à Francis Renaud, il m’est revenu du fond de ma mémoire une expression que j’avais entendue dans ma jeunesse : « Il n’a pas de porte de derrière ». Cela signifie que la personne dont on parle est directe, franche du collier. Dans l’absolu, c’est une qualité rare ; qui devrait être universelle. Or, il s’avère que c’est une pratique à haut risque. Encore plus dans un microcosme comme celui du cinéma où l’on cultive jalousement son entre-soi. Et c’est encore pire lorsque celui qui dit les choses ne fait pas partie du sérail. Guy Béart l’a très bien chanté : « Celui qui dit la vérité, il doit être exécuté »… Là, la sanction est professionnelle. Au sein des réseaux, le bouche-à-oreille fonctionne à la vitesse de la lumière. Du jour au lendemain, on n’existe plus, on ne travaille plus.


Tout acteur qu’il soit, pas question pour lui de se donner le beau rôle. De la première à la dernière page Francis Renaud est honnête. Il ne se lamente pas sur son sort, il ne se victimise pas. Il ne cache rien de ses forfaits, de ses turpitudes et de ses dérives. Rien non plus de ses emballements, de ses amours et de ses succès. Il aurait pu facilement basculer dans le pathos mais il est trop avide de justice et de justesse pour cela. Il raconte, c’est tout. Il livre des faits. A nous de nous faire notre opinion. Il n’élude rien et, pourtant, je suis quasiment convaincu qu’il n’a pas chargé la mule, qu’il a occulté pas mal de choses.

La rage au cœur est un livre fort, âpre, dérangeant. L’instinct de survie est d’une puissance incroyable. Le petit Francis aurait dû être écrasé, broyé par tout ce qui lui est tombé sur la gueule. Il aurait dû être haineux et revanchard avec son pauvre cœur en manque d’amour. Il a comblé les vides avec la rage. Et il a grandi et avancé comme ça, un coup de cœur, un coup de rage. Il a adapté tous ses handicaps en « fureur de vivre » (coucou James Dean). Malgré tous les obstacles qu’on a dressés sur sa route, à 51 ans, il a tourné dans une trentaine de films et dans une cinquantaine de téléfilms, et il a écrit et réalisé son propre long métrage, Marie, Nonna, la Vierge et moi. Imaginez la carrière qu’il aurait faite s’il avait tenu sa langue et s’était montré un tantinet hypocrite ! Mais il n’aurait sans doute pas été raccord avec ses principes et n’aurait pas apprécié son reflet dans la glace.
La rage au cœur est un livre fort, âpre, dérangeant… Quoi ? Je l’ai déjà dit ? Eh bien tant pis, je le redis !

Gilbert « Critikator » Jouin

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