dimanche 24 novembre 2019

A vrai dire


Gymnase Marie-Bell
38, boulevard de Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne Nouvelle

Une comédie de Sylvain Meyniac et Manuel Gélin
Mise en scène par Catherine Marchal
Décors de Caroline Lowenbach
Costumes de Chloé Boutry
Lumières de Stéphane Baquet

Avec, en alternance Manuel Gélin ou Christian Charmetant (Simon), Enora Malagré (Marie), Cyril Couton (Sam), Jessica Borio (Anne), Xavier Letourneur (Mathieu)

Présentation : Imaginez un monde où le mensonge n’existe pas, un monde dans lequel on ne peut dire que la vérité.
Des discours politiques aux slogans publicitaires en passant par les journaux télévisés, tout est vrai !
Marie, Simon, Anne, Mathieu et son frère Sam vivent dans ce monde, et ils se disent tout, sans réserve, sans filtre et sans complexe… Jusqu’au jour où Sam, terrassé par un chagrin d’amour, prononce le premier mensonge de l’humanité.
Cette découverte, aussi surprenante que miraculeuse, va bouleverser sa vie, celle de son entourage, et peut-être même renverser le destin du monde.

Mon avis : Quand on fait profession de critique, on est déontologiquement tenu de livrer le plus honnêtement possible son ressenti. Alors, lorsqu’il s’agit de donner son avis sur une pièce dont le titre est A vrai dire, on sent moins que jamais le droit de bidonner.

Déjà, petite restriction, je ne suis pas d’accord avec le sous-titre. Il ne devrait pas être « Que serait le monde sans le mensonge ? », mais plutôt « Comment est devenu le monde avec le mensonge ? »
Le monde SANS le mensonge, on le découvre dans la première partie – absolument jubilatoire – de la pièce. J’ai pris un plaisir fou à entendre les cinq protagonistes se parler cash tout à fait naturellement. C’est vraiment jouissif. D’autant que partout, y compris dans le journal télévisé, on ne dit que la vérité. Et on s’aperçoit que le monde serait bien plus facile à vivre. Quasi idyllique. Tout ce qu’on dit, tout ce qu’on entend, ne traduit que la réalité. Quand chacun s’exprime sans aucun filtre et dit tout haut ce qu’il pense, les relations sont d’office installées dans une banale normalité.
Tout est transparent, commode, il n’y a aucune ambiguïté. Même quand on se prend en pleine figure ce que nous, spectateurs, on considère comme des horreurs, on reste impassible. Personne n’est susceptible, rancunier. Puisque tout ce que l’on vous dit est marqué du sceau de la vérité, il n’y a aucune raison à s’insurger ; tout glisse… Quand on voit ce que Mathieu, Anne, Marie et Simon se balancent sur un ton totalement dégagé, l’effet comique est irrésistible. Rien que pour cette première partie, la pièce vaut le déplacement.

Photo : Jean Rauzier
 Et puis soudain, tout bascule. Sam, poussé à bout, désespéré, uniquement pour que les autres ressentent pour lui un peu de considération, en arrive, presque contre son gré, à émettre le tout premier mensonge…
Le postulat de A vrai dire est ingénieux, imparable. Quelle idée magistrale ! Ce sujet, immensément philosophique, voire métaphysique, est une aubaine à traiter sur le plan théâtral tant il est générateur de situations comiques et de dialogues décalés mais qui, par extension, donnent aussi beaucoup à réfléchir.

Or donc, Sam a prononcé ce fameux premier mensonge… Toute son existence va s’en trouver métamorphosée. Le loser chronique, la tête de turc idéale, va d’un seul coup se retrouver starifié. Du jour au lendemain, ce stakhanoviste de l’échec va connaître, grâce à son affabulation, réussite et succès dans tous les domaines… Puis, par un phénomène logique de mimétisme, il va progressivement gagner ses proches à la cause du mensonge.
Cette deuxième partie de la pièce est parfaitement amorale car elle fait l’apologie du mensonge. Grâce à ce subterfuge, tout devient possible. Et la vie s’en retrouve embellie. On en conclut que, plus que la découverte du feu ou celle de l’électricité, l’invention du mensonge a été une révolution pour l’Humanité.

Photo : Jean Rauzier
 Pour être franc, la deuxième partie de cette pièce est un véritable feu d’artifices. « Artifices » dans le sens de tromperie. Sam, déchaîné, s’en donne à cœur joie. Grâce au mensonge, il trouve une solution à tout. Pourtant, je trouve que, dans ce chapitre, les auteurs n’ont pas poussé le bouchon assez loin. Par exemple, les slogans publicitaires que Sam imagine, qui bien sûr ne reflètent plus la réalité vraie, ne sont pas assez percutants. De même, les fausses annonces que Simon le présentateur du journal télévisé doit divulguer sont, hormis la première, un tantinet faiblardes… C’est là ma seule restriction. Elle est sans doute le fruit de mon goût pour la provocation et de mon penchant pour l’iconoclasme. Je devais être un des seuls à ressentir cette petite faiblesse car, côté public, la mécanique fonctionne. Les spectateurs n’arrêtent pas de rire.

Il faut préciser que les cinq acteurs sont absolument épatants. Si, en raison de son rôle, Sam (Cyril Couton), pivot de l’intrigue, nous livre une prestation de haut vol, ses quatre partenaires, chacun dans son registre, sont impeccables. Et la mise en scène vive, inventive et sans aucun temps mort de Catherine Marchal imprime le rythme idéal à cette parabole théâtrale.
J’ai découvert la pièce le premier soir. « En vérité je vous le dis », dès qu’elle sera un peu rodée et que les comédiens auront pris leur vitesse de croisière, je pense qu’elle va être, en raison de son thème et de la performance des acteurs, un des grands succès publics de cette fin d’année.

Gilbert « Critikator » Jouin

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