dimanche 28 mars 2010

Sur la plage abandonnée...


Théâtre le Temple
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 08 92 35 00 15
Métro : République

Une comédie écrite et mise en scène par Joseph Gallet et François Navarro
Avec Joseph Gallet (Daniel), Samy Berry (Frédéric), Hélène Azéma N’Diaye (Liliane), Florian Diday (Serge), François Navarro (Mussly)

Ma note : 6/10

L’argument : Quand, à la suite d’un naufrage, une jeune femme un peu nympho, un G.O. raté, un employé des Pompes Funèbres et un cuisinier de seconde zone se trouvent perdus sur une île déserte, la situation tourne rapidement au cauchemar. Il faut dire qu’ils sont échoués au beau milieu du Triangle des Bermudes… Très accueillant en apparence, cet ilot va leur réserver quelques surprises déroutantes.

Mon avis : Honnêtement, cette comédie annoncée comme étant d’« un humour décalé » m’a laissé quelque peu circonspect. D’abord, qu’est-ce que j’y ai trouvé de positif ? On ne peut reprocher aux cinq comédiens leur formidable débauche d’énergie. Ça, ils ne ménagent pas leur peine. Ils sont à fond dans leurs personnages et leur folle générosité est tout-à-fait louable. Ensuite, l’idée, même s’il s’en dégage une impression de déjà vu (avec « Tout le monde aime Juliette », Josiane Balasko en a écrit récemment une sur le même thème), est imparable : regrouper dans un endroit clos une brochette de zigotos de tempéraments différents et les forcer à cohabiter, c’est toujours générateur de situations drolatiques et exacerbées. Enfin, les auteurs possèdent un évident amour de la chanson française en en distillant ça et là quelques extraits ou allusions ; quand ce n’est pas une chanson entière (Sale bonhomme de Claude François, en l’occurrence) ce qui leur permet de se livrer à une chorégraphie volontairement improbable…
Les situations farfelues abondent, les personnages sont tous bien déjantés, il y a de jolis rebondissements, mais le jeu est parfois trop outré et nos naufragés ont tendance à crier un peu trop fort.
Maintenant, il reste l’écriture. Le texte repose essentiellement sur des blagues potaches un peu faciles, un humour assez simpliste pour ne pas dire primaire, rehaussé toutefois de temps à autre par quelques fulgurances de bon aloi. Une chose est sûre cependant, dans la salle les gens rient, certain(e)s hurlent même de rire. Ce qui tend à prouver qu’il y a un public pour ce genre de comédie bon enfant, énergique et débridée.

Bonjour ivresse !


Théâtre Le Méry
7, place Clichy
75017 Paris
Tel : 01 45 22 03 06
Métro : Place Clichy

Une comédie de Franck Le Hen
Mise en scène par Franck Le Hen et Christine Giua
Avec Franck Le Hen (Benoît), Frank Delay (Raphaël), Agnès Miguras (Marie), Caroline Gaget (Wanda)

Ma note : 7/10

L’argument : Benoît retrouve dans son coffre à jouets une liste de choses qu’il s’était promis de réaliser avant ses 30 ans. Problème : il a 30 ans demain ! Entre sa sœur coincée, sa meilleure amie alcoolique mondaine assumée, et un invité surprise, il va passer une soirée d’anniversaire explosive et pleine d’ivresse au milieu de ses secrets et souvenirs d’adolescent. Juste une mise au point pour pouvoir enfin grandir ?

Mon avis : Décor minimaliste, mais suffisant : un bar (important), un canapé (tout aussi important), un petit meuble de rangement et, sur le mur, un immense portrait en noir en blanc de… Jackie Quartz. Nous sommes dans la garçonnière de Benoît. Quand la pièce commence, il est en train de danser sur une chanson de Marc Lavoine en compagnie de sa grande copine Wanda. Benoît fait part à sa copine des affres de l’âge. Il va avoir 30 ans demain et il se sent déjà « périmé ». Benoît est gay, il l’assume sans problème, mais il est fragile et a toujours refusé de grandir. Wanda, elle, c’est tout le contraire. Parfaitement extravertie, délurée, la langue facile, la cuisse légère, le coude agile à se lever, bref elle est aussi haute en couleurs que complètement délurée. Elle est tout le contraire de Marie, la sœur de Benoît, jeune fille sérieuse et naïve, coincée avec les garçons depuis un amour de jeunesse qui s’est bizarrement terminé, elle s’est réfugiée à corps et cœur perdus dans le travail. Evidemment, Marie est la cible préférée de Wanda-la-moqueuse, qui adore balancer à tout-vat et ne fait de cadeau à personne. Pas même à elle-même….
Marie rend visite à son frère pour lui parler de son anniversaire et lui offrir en avance le coffre à jouets de son enfance. Parmi quelques souvenirs puérils, il découvre une liste. La liste des choses qu’il s’était promis de réaliser avant ses 30 ans. Et comme il n’a pratiquement rien accompli de ce qu’il rêvait de faire, il en ressent un gros coup de blues. Or, la résolution la plus importante qu’il n’a pas encore pu mettre à exécution, c’est l’annonce de son homosexualité à sa sœur. Wanda prend alors les choses en main et lui fait jurer de tout révéler à Marie avant la funeste échéance… Mais la liste a réveillé d’autres souvenirs. Particulièrement celui d’un certain Raphaël qui n’était autre que le premier amour de sa sœur et qui, en réalité, courtisait Marie pour mieux approcher Benoît dont il s’était entiché. Pas simple.
Mais ne voilà t-il pas que le cadeau d’anniversaire de Wanda est un gogo dancer. Et devinez qui va débouler dans la soirée, tous muscles et tablettes de chocolat dehors ? Eh oui, vous avez trouvé… Raphaël !!! Alors, comment vont se comporter Benoît et Marie face à leur amour de jeunesse retrouvé. Et lui, Raphaël, dans quel état d’esprit se trouve-t-il vis-à-vis d’eux quelques années plus tard ?
Les atouts de cette pièce sont nombreux. Les dialogues en tête. Vifs, percutants, actuels, ils ont l’art de réjouir la salle. Deux-trois excellentes trouvailles de mise en scène ensuite : un flash-back dont les répliques sont presque exclusivement composées d’extraits de chansons, et la scène où les deux garçons sont couchés de telle manière dans le canapé qu’on dirait qu’ils ne forment qu’un seul corps. C’est vraiment réussi. Seuls petits bémols, quelques passages un peu farce (la scène du gâteau avec Marie) ou un peu maladroits (certaines postures prises par Raphaël).
Enfin, il y a les comédiens. Franck Le Hen campe un Benoît drôle et touchant. Il fait l’homo sans tomber dans la caricature et fait preuve d’un éventail très large en matière de comédie… Agnès Miguras est épatante tant quand elle joue à la nunuche coincée que quand elle se met à faire la fofolle sous l’emprise de l’alcool. Elle est à hurler de rire… Caroline Gaget, elle, est toute entière dans son personnage. Extravagante, délirante et sympathique, elle réussit aussi à faire passer par moment quelques fêlures… Quant à Frank Delay, même s’il n’a pas encore le métier de ses partenaires, il fait très bien ce pourquoi il est là, c’est-à-dire un objet de désir. Il a en tout cas un bel avenir car des jeunes premiers aussi bien foutus et avec une aussi belle gueule, ça ne court pas les plateaux de théâtre.

Un couple parfait... enfin presque


La Grande Comédie
40, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 01 48 74 03 65
Métro : Trinité d’Estienne d’Orves

Une pièce d’Alil Vardar
Avec Alil Vardar (Alec) et Nathalie Marquay-Pernaut (Lisa)
Mise en scène d’Eric Carrière

Ma note : 6,5/10

L’argument : Alec dit « oui » à Lisa et Lisa dit « oui » à Alec. Le bonheur, quoi !
C’est sûr que sur papier, ils ont tout pour être heureux. Mais combien de temps va durer ce bonheur ? Peut-il être éternel ?
Pourquoi faut-il absolument être en couple, est-ce nous qui voulons ça ? Ou est-ce la société, la bonne morale, qui nous conditionnent pour vivre en couple ?
La durée de vie s’allonge. En 1800, l’espérance de vie moyenne était de 37 ans. Aujourd’hui elle est de 76 ans. On vit plus du double que nos ancêtres.
En 1800, les droits des femmes n’existaient pas. Elles faisaient ce qu’on leur disait, et leur avis… Aujourd’hui, elles sont ministres, PDG, présentatrices du journal télé, avocates, notaires, médecins… Le couple peut-il tenir ce choc ? Le monde a changé et on voudrait que le couple échappe à la règle…
Nous allons pendant 80 minutes devenir des voyeurs et regarder ce couple parfait, en 15 scènes de leur vie et, dans le fond, en y regardant bien, leur vie… c’est un peu la nôtre.

Mon avis : L’idée de suivre un couple à travers les étapes essentielles de sa vie, depuis le jour de sa rencontre jusqu’aux feux de leur couchant, est suffisamment originale pour qu’on lui prête de l’intérêt. Comment la relation entre ces deux personnages va-t-elle évoluer ? D’autant qu’elle ne démarre pas sous les meilleurs auspices entre Elle et Lui ;
Lui, c’est une espèce de balourd, plutôt content de lui, qui ne doute pratiquement pas et qui est assuré de son irrésistible pouvoir de séduction… Elle, débordante de féminité, plastique irréprochable, un peu midinette mais qui ne veut pas le montrer et se protège en jouant la fille à qui on ne la fait pas.
Les deux profils psychologiques étant ainsi établis, on n’a plus qu’à suivre nos deux tourtereaux dans les différents moments-clé de leur vie de couple.
Ce qui est bien, c’est que l’histoire n’est pas linéaire. L’auteur – Alil Vardar – a su saupoudrer l’action avec des éléments déclencheurs, comme par exemple le quiproquo du début avec la confusion dans les textos échangés, ou l’inversion des rôles au restaurant. Si, parfois certaines vannes sont faciles, voire éculées (la différence entre un 69 et un chalet suisse), d’autres en revanche ne manquent vraiment pas de sel (Lisa : « Il faut exciter le taureau sans réveiller le cochon »). On n’évite pas non plus les clichés (Alec : « On n’est pas fait comme vous »), mais il y a un tel débit, une telle quantité de saillies (normales de la part d’un taureau) en cascades qu’on ne peut qu’être indulgent. Tous les domaines sont visités : l’humour vache, l’humour noir, la mauvaise foi (pratiquement également répartie), le comique de situation, les grimaces et les clins d’œil avec le public (surtout de la part d’Alil), les lieux communs (la relation belle-mère/bru), les ressorts attendus (l’adultère, la jalousie), les références à l’actualité et même quelques glissements verts le burlesque (les déplacements d’Alil, la scène de la séduction, le strip-tease) et, utilisation subtile de la private joke avec l’intrusion de la télévision dans la pièce (à découvrir)…
Il y a tellement à boire et à manger qu’il est impossible de rester sur notre faim. Parfois on sourit gentiment, parfois on hoche la tête devant une blague trop facile, et la plupart du temps, on rit de bon cœur. Certes, ce n’est pas comédie du siècle, mais on y prend un certain plaisir. D’abord parce qu’on se sent souvent concerné par certaines scènes que l’on peut soi-même avoir vécues, et ensuite parce que les deux comédiens sont tellement dans leur jeu qu’on les prend vite en sympathie.
On peut parler de révélation à propos de Nathalie Marquay-Pernaut. Elle joue sacrément juste. Certes, on ne lui demande pas non plus des choses extravagantes, mais tout ce qu’elle fait et sa façon de s’exprimer, c’est réellement convaincant. En plus, elle est très agréable à regarder, sensuelle sans en rajouter. Elle peut envisager sans crainte de se lancer dans la carrière. Surtout quand on sait que le plus difficile pour un comédien, c’est tout de même de faire rire. Elle y parvient avec beaucoup de finesse. Et elle a l’air tellement heureuse d’être sur scène !
Quant à Alil Vardar, il en fait des tonnes, c’est un clown-né. Il aborde goulûment tous les registres, ne recule jamais devant le ridicule, prenant même parfois un malin plaisir à s’y vautrer, il a le sens de la mimique expressive et du geste drôle et, surtout, il excelle dans l’usage de la mauvaise foi bien masculine. On dirait une seconde nature. Bien sûr, dans ce maelström, il lui arrive de grossir un peu le trait, mais il reste une comédie plutôt réussie où l’on ne s’ennuie pas une seconde. Cette pièce devrait connaître un joli succès public car on a actuellement trop besoin de se distraire tout simplement sans se prendre le chou.

samedi 27 mars 2010

Cédric Chapuis "Une vie sur mesure"


Théâtre de Dix heures
36, boulevard de Clichy
75018 Paris
Tel : 01 46 06 10 17
Métro : Pigalle

One-man show de et avec Cédric Chapuis
Mis en scène par Stéphane Batle

Ma note : 8/10

L’argument : C’est l’histoire d’amour d’Adrien pour sa batterie. Ni idiot, ni attardé, Adrien est juste différent. S’il a confiance en vous, il vous fera une place dans son univers où la musique est aussi importante que l’air qu’il respire. Ira-t-il jusqu’à vous révéler son effrayant secret ?

Mon avis : Comment pourrait-on titrer ce spectacle tellement original, tellement personnel ? « Rythme et blues » peut-être ? Ou bien « Les cases de l’oncle Tom » ? Et pourquoi pas « Mr Tambourine Man » ? En fait, Cédric Chapuis est tout cela à la fois.
Adrien Lepage (Cédric Chapuis) est un étrange poussin élevé en batterie. Mais pas un poussin banal et traditionnel. Il serait plutôt une sorte de Calimero ; un Calimero blanc… C’est vrai qu’il n’est pas né dans la bonne nichée et qu’il va lui en falloir de l’insouciance et de la persévérance pour arriver à ses fins car le rêve qu’il couve – oui c’est un poussin qui couve – c’est de jouer de la batterie. Rien d’autre ne compte pour lui. C’est aussi vital qu’obsessionnel.
L’histoire d’Adrien commence dans le noir. Avant même qu’il ne se mette à parler, on l’entend se livrer à des mouvements de percussions. Il tape dans ses mains et se frappe les cuisses en rythme. Et dès que la lumière se fait, apparaît un Pierrot blanc qui nous explique que, dès son plus jeune âge, il a toujours été fasciné par les sons et n’a eu de cesse que de les interpréter et de les reproduire. Le moindre bruit passant à sa portée était répercuté, analysé et placé dans sa grille rythmique.
Le gros problème, c’est qu’Adrien ne grandit pas dans le climat idéal pour nourrir et assouvir son irréfragable passion. Ni chez lui où il est confronté à la bêtise et à la brutalité de Bernard, l’homme qui partage la vie de sa mère, un individu fruste et alcoolique, pratiquant les percussions à sa manière sur sa femme et son fils. Ni en classe où, se désintéressant totalement de la chose scolaire, il n’étudie que le son et pas ses leçons. Ce qui lui vaut là aussi d’essuyer quelques revers de main qui ne tombaient que rarement en mesure. Or, notre Calimero ne souffre pas de cette incompréhension et de cette hostilité. Etre naïf et pur, il ne voit le mal nulle part.
Qu’il est heureux quand il raconte son histoire d’amour avec sa batterie ! Littéralement habité, des étoiles plein les yeux, un grand sourire candide, il nous l’offre en partage. Quand il est devant ses tambours, il est transfiguré. Il entretient avec son instrument une véritable relation charnelle. Ils font tellement corps qu’on ne sait lequel des deux mène l’autre à la baguette. Et il nous fait la démonstration de toutes les variations rythmiques qu’il peut en tirer.
Puis il revient à son histoire. A ses querelles avec ses condisciples, à ses démêlés avec l’affreux Bernard. Il constate et subit les agressions comme si elles concernaient un autre que lui. Il en est une sorte de témoin détaché. Ce qui est pratique car il est rarement malheureux. Il est tellement différent des autres. A moins que ce ne sois l’inverse ! Sa singularité n’est pas encombrante puisqu’elle trouve toute sa plénitude quand il s’installe devant son instrument. Lorsque Bernard, pitoyable batteur, frappe sa mère, Adrien le réduit à une ellipse pleine d’innocence : « Bernard colère, maman fontaine »…
Sa relation fusionnelle avec sa batterie, sa virtuosité grandissent en même temps que lui. Il connaît, presque à son corps défendant, ses premiers émois amoureux, découvre les sensations des premiers joints… Quelques scènes empreintes de poésie nous enchantent comme le souvenir de son premier slow mimé avec un pied de batterie, de même que quelques trouvailles scéniques nous transportent comme quand il s’offre une « tournante » avec sa batterie.
Cédric Chapuis nous offre un spectacle à nul autre pareil qui n’est pas vraiment un one-man show puisque sa batterie lui donne régulièrement la réplique. La forme d’humour distancié qu’il a face aux événements rend souriantes des situations qui, parfois, sont franchement dramatiques. A travers le prisme déformant de son regard, le mal n’existe pas. Comédien hyper expressif et sensible, il nous émeut souvent presque « à l’insu de son plein gré ». Sa passion quasi mystique pour son instrument le protège de tout, mais en même temps l’éloigne et le rend inaccessible. Sans qu’il s’en rende compte, sa batterie est à la fois son épanouissement et son enfermement. C’est très finement joué. Il se dégage de lui tant d’amour et de fragilité qu’on n’a qu’une envie, le prendre dans nos bras et le guider jusqu’à ses chers fûts, toms et autres caisses claires pour qu’il connaisse aussitôt le bonheur et nous offre du plaisir en retour.
Allez, Adrien, joue, joue pour nous… Et pour toi !
T’as pas cymbales ?

mercredi 17 mars 2010

La plus folle histoire de la Chanson


Théâtre des Bouffes Parisiens
4, rue Monsigny
75002 Paris
Tel : 01 42 96 92 42
Métro : Quatre-Septembre

Ecrit et interprété par Xavier Cherrier, Michel Puyau et Sylvain Richardot
Mis en scène par Marinette Maignan

Ma note : 8/10

L’argument : En musicologues irrésistibles et interprètes délirants, les Chanson Plus Bifluorée revisitent le patrimoine de la chanson. Reprises déjantées et détournements désopilants sont de mise !
De la Préhistoire au slam, en passant par le Moyen-âge, le bas-âge, l’âge bête, la révolution française, les années 1900, les années folles, les guerres de 14, de 39, de mai 68, le choc des années 70, le kitch des années 80, la nouvelle scène…
De sa naissance et ses premiers babils jusqu’à son apogée et son âge d’or, vous saurez tout sur cet Art noble qu’est la chanson.

Mon avis : Avec ce spectacle, Chanson Plus Bifluorée fait parfaitement honneur à son nom. « Chanson », on peut ajouter un « s »car elles sont l’âme de ce concept ; « Plus », parce que plus fort, plus loin (dans le temps), plus marrant, et plus écrit ; et « Bifluorée », sachant que le fluor est un élément chimique fortement réactif, la leur, de réactivité, est à son zénith. Mais attention, nos énergumènes chantants ne se produisent pas au Zénith, ne vous trompez pas. Ce sont les fameux Bouffes Parisiens qui servent d’écrin à leur nouveau spectacle intitulé (à juste(s) titre(s) La plus folle histoire de la Chanson.
S’accompagnant au piano, à la guitare, à l’harmonica et s’appuyant sur les effets d’une bande-son particulièrement originale et efficace, les C+B réussissent la gageure de nous faire voyager en chanson à travers le temps. C’est qu’ils remontent loin les bougres puisqu’ils partent de la Préhistoire. Manière subliminale de rappeler qu’ils ont été auréolés d’un prix de l’Académie Charles-Cros… magnon. J’aurais bien aimé voir le bulletin de déclaration à la Sacem de leurs onomatopées, tombées depuis belle lurette dans le domaine public. Et puis, ils se mettent à remonter le temps. D’abord en respectant la chronologie : 11è siècle, Moyen-âge… Avant de s’amuser à bouleverser allégrement les époques.
Ce spectacle est un enchantement. Purement vocal d’abord car leurs trois voix sont idéalement complémentaires. Quand ils chantent en canon, c’est du miel qui nous coule dans les trompes d’Eustache tant c’est harmonieux. Ensuite, c’est au niveau de l’humour qu’ils nous ravissent : jeux de mots, anachronismes, gags, imitations, costumes, numéro de marionnette (celui-là, je vous le recommande !), parodies... Enfin, ils ponctuent ce florilège de la chanson française de quelques réjouissantes rubriques plus ou moins récurrentes, comme « Le shaker à chansons », dans lequel ils pratiquent sans vergogne l’échangisme, ou « les textes à trous ». De vraies et bonnes trouvailles. Ils touchent même au domaine de la performance en réussissant à interpréter huit titres des années 60 en trois minutes. Trois minutes de bonheur pour paraphraser Sylvie Vartan, histoire de rester dans l’époque.
Voilà, je ne me sens pas le droit d’en raconter plus sur ce spectacle à nul autre pareil, spectacle que l’on peut qualifier de loufoque et de (grande) qualité car derrière l’apparente facilité, il y a un sacré boulot !
Et en plus, ils se produisent à 18 h 30, un horaire qui permet ensuite toutes les libertés pour la soirée, y compris de rentrer à temps pour les programmes télévisés. Avec, en prime, grâce à leur transfusion de chant, le plein bonne humeur pour plusieurs heures.

Le temps de la kermesse est terminé


Un film de Frédéric Chignac
Avec Stéphane Guillon (Alex), Aïssa Maïga (Martina), Ali Monzanza (Mamadou), Malik Sall (Dogni), Eriq Ebouaney (Lieutenant Bado), Amara Conde (Le Banni), Thierno N’Diaye Doss (Le chef du village)…
Sortie le 17 mars

Ma note : 5,5/10

Synopsis : Alex ne devait rester que quelques minutes à Koupala, le temps de prendre de l’essence. Mais en panne de voiture, son séjour va être bien plus long que prévu…
Dans ce petit village perdu au milieu du désert africain où personne ne passe pour le secourir, Alex perd progressivement ses repères et ses certitudes de Blanc d’Afrique. Sans le savoir, il devient un enjeu vital pour le village…

Mon avis : En préambule dans le dossier de presse, Jean-François Lepetit, producteur du film, après avoir expliqué sa démarche, avoue sa lucide appréhension face aux difficultés « à faire exister » ce film « aux yeux du public ». Sachant cela, il n’en a donc eu que plus de courage à accepter de le produire. En effet, Le temps de la kermesse est terminé n’est pas un film facile. C’est le moins qu’on puisse dire.
Dès les premières images, le décor est planté : un paysage désespérément désertique composé uniquement de sable, de cailloux et de poussière. Et au milieu, un village ; un village construit de bric et de broc de part et d’autre de l’unique piste qui le traverse. Bonjour l’isolement, bonjour la solitude, bonjour le moral. Et un Blanc… Un Blanc prisonnier de ce village où il était venu faire le plein. Il n’a jamais pu redémarrer. Pendant qu’un quatuor de jeunes gens s’évertue sur ses ordres à pousser le véhicule en haut d’une pente dans l’espoir de le faire repartir quand il aura pris de la vitesse, Alex (Stéphane Guyon) tue le temps en faisant la navette entre son austère maisonnette et la seule épicerie-buvette.
Le visage buriné, le regard bleu un peu las, le ton juste, Stéphane Guyon est impeccable. Il est comme une mouche prise dans une toile d’araignée. Sa liberté de mouvement est très limitée. Il ne peut non plus espérer d’aide – et donc de salut – de la part du lieutenant qui dirige la petite caserne sise en hauteur à quelques encablures du village. Cette caserne est d’ailleurs un vrai paradoxe. Equipée d’une radio, elle constitue le seul lien vers l’extérieur mais, hélas, les civils n’y ont pas accès. A moins qu’en monnayant le service… Et encore. Et puis c’est aussi le seul endroit où l’on peut voir du vert car notre lieutenant d’apparence si rigide sur le règlement, consacre l’essentiel de son temps à entretenir un potager tout-à-fait inattendu dans ce paysage. Avec ce représentant de l’ordre, Alex est confronté aux complications inhérentes à l’administration et aux mentalités africaines.
En fait, ce sont deux cultures qui s’affrontent. Les Noirs ont le pouvoir, le Blanc a de l’argent. Mais la réalité n’est pas aussi simpliste que ça car il y a des choses que l’on ne peut quand même pas acheter.

La lenteur du temps qui passe est extrêmement bien rendue dans ce film. Elle est encore plus amplifiée par cette parabole du mythe de Sisyphe que représente la remontée de la voiture d’Alex en haut de la côte, sorte de mouvement perpétuel et démoralisant. On n’a aucun mal à se projeter dans la peau et dans la tête d’Alex. On s’y voit. Et on ferait exactement les mêmes choses que lui si l’on était à sa place. Enfin, surtout quand on est un garçon. Car il y a la présence de Martina (Aïssa Maïga). Elle est plutôt belle, involontairement sensuelle, et elle ne peut qu’attirer la convoitise de cet Européen qui s’efforce de meubler comme il peut son oisiveté forcée. Alex est dur, voire humiliant avec elle. Passive et résignée, elle ne voit en lui que l’échappée possible vers la France. Encore faut-il qu’il accepte de l’emmener si la voiture consent à redémarrer un jour…
Alex vit dans ce village une parenthèse immobile totalement kafkaïenne. Comme il n’y a pratiquement pas d’action, tout passe par les gestes, les attitudes et les expressions. Il faut que l’on puisse capter tout ce qui peut lui passer par la tête. Disons-le tout net, Stéphane Guillon réalise dans le rôle d’Alex une formidable performance d’acteur. Pour moi – et cela n’engage que moi – il y a du Jean Yanne chez Guillon. Il possède autant de talent à se faire aimer qu’à se faire détester. C’est l’apanage des plus grands. Guillon est mûr aujourd’hui (il a achevé de mûrir au soleil de l’Afrique). Le cinéma ne peut pas se passer d’un personnage aussi évident.
Le hic, c’est que, toujours à mon avis, trop peu de personnes n’auront l’occasion de le vérifier car ce film est tout sauf grand public. Et il risque de passer inaperçu.
Pourtant ce film contient une quantité de messages et il rend parfaitement les difficultés à intégrer une culture quand on en a reçu une autre. Il n’y a aucune complaisance et aucune concession. On nous raconte une histoire et on nous laisse libre d’en penser ce que l’on veut, d’adhérer ou de se ressentir parfois un certain malaise.
Mais, pour cela, il faut accepter l’aridité du décor, le rythme terriblement lent, l’éprouvante répétition des situations. On ne peut pas rester indifférent à ce film. A condition de vouloir aller le voir…

samedi 13 mars 2010

Allô maman Dolto


Théâtre Mélo d’Amélie
4, rue Marie-Stuart
75002 Paris
Tel : 01 40 26 11 11
Métro : Etienne Marcel / Les Halles

Pièce écrite par Guy Baret
Adaptée par Sophie Duprès
Avec (en alternance) Marie Blanche ou Julie Williamson, Dominique Mérot ou Ludivine de Chastenet

Ma note : 7,5/10

Note de l’auteur : Cette pièce n’est nullement dirigée contre Françoise Dolto, qui a toujours rappelé que « l’enfant est une personne », sans jamais prétendre que c’est une grande personne à laquelle on doit tout dire de sa vie d’adulte. J’ai seulement voulu peindre avec humour ces professionnels de la puériculture ou ces parents « doltomaniaques » qui n’écoutent pas leur enfant mais le décryptent ! Voilà qui devrait dédramatiser l’éducation des enfants et permettre aux parents d’agir avec simplicité et bon sens, sans culpabilité à l’égard de leur progéniture.

Mon avis : Je m’attendais à sourire et j’ai beaucoup ri. Si le texte de Allô maman Dolto est intelligent, les mots et les situations qui l’illustrent sont excessivement drôles. Il faut reconnaître que les deux jeunes femmes qui en interprètent tous les personnages (le soir où j’y suis allé c’étaient Julie Williamson et Ludivine de Chastenet) y apportent autant de conviction que de folie. Le fond du propos est on ne peut plus sérieux, puisqu’il s’agit de la perception et de l’éducation des enfants, mais les différents tableaux et saynètes qui se succèdent sont désopilantes à souhait. Certes, le parti pris de la pièce est de mettre en scène les « Doltomaniaques », c’est-à-dire des sortes de pasionarias intégristes qui interprètent à leur manière hyper rigide les préceptes de la célèbre pédiatre. Pour elles, tout doit pouvoir s’expliquer. Rien dans le comportement de bébé ne peut être anodin. Elles constatent le fait, elles l’étudient, le décortiquent, l’analysent et, neuf fois sur dix, se mettent à culpabiliser… ou à faire culpabiliser leur interlocutrice moins au fait qu’elles sur les ouvrages de Dame Françoise. La base de tout, pour elles, c’est la communication. Il faut communiquer avec le rejeton quel que soit son âge ; y compris quand il n’est encore qu’à l’état de fœtus.
La pièce démarre sur une sorte de pré-générique, histoire de nous mettre illico presto dans le ton. Une maman décrypte pour nous les agissements de son garçonnet qui répond au doux prénom de Pierre-Sosthène. On comprend tout de suite que l’on a affaire à une redoutable extrémiste. Quoi que fasse le bambin, elle nous assène sa science (et où qu'elle est la communication dans tout ça ?). Elle ne l’écoute même pas puisqu’elle SAIT. Tout doit avoir du sens. Si on ne trouve pas l'explication Dolto-rationnelle, et bien on l'invente. Et, finalement, le pauvre gamin est complètement livré à lui-même.

Passé ce préambule, nous allons assister à cette fameuse succession de tableaux évoquée plus haut. Nos deux duettistes abordent les principaux stades de l évolution enfantine, des stades oral, anal (ou psycacanalyse)et phaliique, jusqu’au complexe d'Oedipe et aux troubles du sommeil. Le partage des rôles entre les deux comédiennes, remarquablement complémentaires, est parfait. Si l’une est plus souvent dans le registre du clown blanc, l’autre est carrément dans celui de l’Auguste avec un sens très affiné du burlesque et de la pantomime. Très joueuses l'une et l'autre, elles ne ménagent pas leur peine et leur fantaisie. D'autant qu'elles ne sont vraiment pas inhibées par la crainte du ridicule.
Tour à tour, elles nous emmènent en consultation, nous livrent les discussions récurrentes de deux copines, Coco et Véro, nous entraînent par deux fois à la halte garderie (véritable terrain d’expérimentation pour les « doltomaniaques avec interprétation vaseuse mais très docte des dessins du chérubin), nous font assister à un pittoresque match de tennis plus bavard que sportif… C’est très varié, très rythmé, très imagé et, je me répète, formidablement interprété (personnellement, j’ai vraiment apprécié la séquence de doublage dans le langage des sourds muets).
Le seul problème, c’est que quand on sort du Mélo d’Amélie, en dehors du fait que l’on y a beaucoup, beaucoup ri, on n’est pas plus avancé sur la façon d’appréhender nos chers rejetons. Dolto ou pas Dolto, il n’y a pas de recette miracle.