vendredi 30 novembre 2012

Françoise Hardy


L’Amour fou
EMI


Dire qu’en 1988, à la sortie de son album Décalages, Françoise Hardy avait annoncé qu’elle arrêtait la chanson. Elle n’avait que 44 ans… Je me souviens avoir signé un article attisté que j’avais titré : « Les Décalages de la retraite » ! Heureusement pour nous, il n’en fut rien et Françoise a, depuis ce funeste mouvement d’humeur, enregistré six nouveaux albums dont celui qui vient de sortir, L’Amour fou.


L’Amour fou
Cette chanson qui donne son titre à l’album est un vrai petit film. En tout cas, on n’a aucun mal à y mettre des images. Un carrosse attend une belle comtesse pour la mener au chevet de son amant mourant… C’est le petit matin, on voit Françoise dans le rôle de la dame de confiance qui exhorte sa maîtresse à se hâter ; on imagine de belles robes, un cocher en livrée, des chevaux qui piaffent… Et beaucoup d’émotion… Thierry Stremler a su mettre les notes adéquates pour restituer ce climat à la Barry Lyndon. Et puis il y a la voix de Françoise, son murmure pressant, ses injonctions, sa tendresse complice… Ce titre est magistral.

Les fous de Bassan
Chanson sombre et languissante. Je lui trouve un petit côté Barbara.

Mal au cœur
Jolie petite chansonnette pour une drôle de consultation. Remarquable pour ses rimes en « eur » et son ton faussement détaché.

Vous n’avez rien à me dire
Chanson pleine de doute, de fragilité et d’espoirs contenus. Françoise est allée dénicher un petit poème de Victor Hugo qui décrit merveilleusement la confusion des sentiments d’une jeune femme.

Normandia
Julien Doré s’est totalement en-Hardy tant ce texte aurait pu être d’elle. « Pleure mon cœur imbécile » est une phrase qu’elle ne pourrait renier. Accompagnée d’un piano mélancolique, Françoise démontre une fois de plus combien la nostalgie lui sied.

Piano bar
Une ambiance feutrée et classieuse d’un piano bar de palace. On se plaît à se projeter l’image d’un Serge Gainsbourg au bar du Ritz ou du Raphaël… Alain Lanty a composé une mélodie délicate et ouatée que l’on écoute les yeux mi-clos en savourant un cocktail aux tons pastel.

Pourquoi vous ?
On vient d’évoquer Gainsbourg… On sent de nouveau sa présence tutélaire dans ces rimes en « ou » qu’il a sublimées dans La Javanaise. L’écriture ciselée de Françoise, jouant brillamment avec les allitérations, soulignée par les notes de Calogero, apporte à cette chanson un climat mystérico-romantique. Climat qu’accentue encore la petite ritournelle annonçant « The End ».

Soie et fourrures
Chanson éminemment féminine (qui ne plaira sans doute pas aux féministes), sur une mélodie très élégante de Thierry Stremler… Pouvoir utiliser toutes les affèteries d’une coquette pour Le séduire même si c’est « contre nature », vouloir Lui plaire de façon obsessionnelle mais désincarnée, savoir se contenter des « miettes qu’Il lui laisse »… On pense à L’esclave de Serge Lama… Vous avez dit masochiste ?

L’enfer et le paradis
Chanson dans laquelle le temps s’étire à l’infini pour résumer « toute une vie à nous attendre ». Alternance de moments doux et de moments durs, de printemps et d’hivers, de feu et de froid… On la sent très, très personnelle cette évocation qui synthétise « toute une vie dans le silence » plombée par ses propres « dilemmes » et contrariées par ses « absences » à lui.

Rendez-vous dans une autre vie
Ma deuxième chanson préférée après L’Amour fou. Peut-être parce qu’elle est (presque) entraînante et légère. Manière élégante (le vouvoiement entre autres) de signifier la fin d’une longue union, sorte de désamour courtois avec, à en point d’orgue, remerciements sincères pour les « beaux rêves, folies et fièvres » qui l’auront émaillée.

Billie Holiday


Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgar Quinet / Gaîté / Montparnasse

Un spectacle musical de Viktor Lazlo
Mis en scène par Eric-Emmanuel Schmitt
D’après une idée originale de Francis Lombrail
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Son de Baptiste Chevalier Duflot
Costumes de Sylvie Pensa
Direction musicale et piano : Michel Bisceglia
Avec Rémy Decormeille (Piano), Werner Lauscher (Contrebasse), Mark Lehan (Batterie), Nicolas Kummert (Saxophone)

L’idée : Un spectacle musical autour des vingt plus belles chansons de Billie Holiday. Viktor Lazlo nous entraîne au cœur de sa passion pour l’immense chanteuse. Celle à qui Duke Ellington et Artie Shaw ont fait chanter le blues et l’amour, celle qui a lutté contre la ségrégation et l’alcool, mais aussi celle qui a su laisser une trace aussi éblouissante qu’émouvante…

Mon avis : En ce moment, avec le spectacle Billie Holiday, le Théâtre Rive Gauche porte on ne peut plus opportunément son nom car, en effet, la rive gauche de la Seine (Saint-Germain des Prés, Quartier latin) a été le haut lieu du jazz de l’après-guerre… Et Billie Holiday (1915-1959) fut une des plus grandes chanteuses que le jazz ait connue.
Viktor Lazlo, née un an après sa disparition, lui rend un vibrant hommage au cours d’un récital de vingt chansons. Or, comme nous sommes dans un théâtre, elle n’enfile pas les titres comme les perles d’un collier (bien que toutes ces chansons soient de véritables bijoux et que Viktor a su, par le passé, faire pleurer des « rivières »), ce récital est scénarisé. Chaque chanson est amenée par une anecdote puisée dans la biographie de Billie. Il ne faut pas oublier que, si Viktor Lazlo s’est fait connaître d’abord comme chanteuse, elle a tourné ensuite dans une vingtaine de films et de téléfilms et joué dans deux pièces. Le fait qu’elle soit donc aussi une comédienne confirmée apporte une formidable plus-value à son expression.

A l’image de son interprète, ce spectacle est d’une rare élégance. Les quatre musiciens qui l’accompagnent sont très classe : costume croisé trois pièces, cravate, borsalino et chaussures bicolores. Quant à Viktor, elle porte au milieu et à la fin, deux robes noires absolument superbes qui soulignent une plastique à faire pâmer all the Saints qui go marching in Rive Gauche… Bon, ça c’est le côté esthétique. Pour ce qui est du domaine artistique, on frise le sublime. Il suffit d’entendre les bravos et les applaudissements nourris qui ponctuent la fin de chaque chanson pour comprendre l’enthousiasme que la prestation de Viktor et de ses musiciens est vraiment du haut de gamme. En fait, on ne sait plus si on entend Bille Lazlo ou Viktor Holiday tant le mimétisme est confondant. L’exemple le plus troublant est lorsque elles chantent toutes les deux Georgia On My Mind, d’abord en alternance, puis en duo. On ne sait plus qui est qui.

Pour donner encore plus de véracité au spectacle, de magnifiques images d’époque en noir et blanc sont projetées permettant parfois des copiés-collés entre la scène et les écrans. C’est un travail d’une finesse remarquable. Sur la chanson Me, Myself And I, nous avons même droit à un judicieux triptyque qui en explicite parfaitement le sens.
Tout au long du spectacle, Viktor Lazlo se livre à une impressionnante prouesse technique et vocale. Elle nous fait vivre en outre à plusieurs reprises de grands moments quand elle se met à dialoguer en scat avec le saxophone. C’est magique.
Bref, nous avons droit à une heure et quart de bonheur acoustique et visuel, tout entier dévolu à cet incomparable artiste que fut Billie Holiday, une femme qui faisait tout de même rimer « money » avec « honey » et « brain » avec « champagne »… Si ce n’est pas subliminal…
Billie Holiday est un spectacle simple et efficace où l’on ne va qu’à l’essentiel. Mais qu’est-ce qu’elle chante bien Viktor Lazlo !... Pourquoi est-elle si rare ?

mardi 27 novembre 2012

Julien Clerc


Symphonique
Album Live
A l’Opéra National de Paris – Palais Garnier
(Livre-disque 2 CD + DVD)
EMI

Les qualificatifs pour présenter ce disque ne peuvent être que des superlatifs tant le résultat est grandiose. Il est à l’image à la fois de l’immense artiste qu’est Julien Clerc et de la majesté du cadre dans lequel il a été enregistré. Dans un tel écrin, la voix de Julien, sa puissance, ses modulations si caractéristiques, sont mises en valeur et en évidence comme jamais. Et la présence d’un orchestre symphonique de 40 musiciens souligne et transcende encore plus, si besoin était, son talent de mélodiste. On a l’impression de redécouvrir ses plus grands classiques dans une autre dimension ; comme un film en 3D. C’est absolument superbe à tout point de vue… et d’oreille. C'est Julienpérial !!!

Au programme, 23 chansons. Que des tubes ! Des tubes ponctuant plus de quarante ans de carrière, de Jivaro Song (1968) à Fou peut-être (2011). Ces titres sont tellement gravés dans la mémoire collective que Julien est parfois obligé de s’effacer pour laisser le public chanter à sa place. C’est une grand-messe à Garnier ! Si on ne devait posséder qu’un album de lui, c’est celui-ci qu’il vous faut. D’autant qu’il est accompagné d’un DVD de près de deux heures contenant le concert mais également un documentaire de 18 minutes et des images des coulisses qui nous font pénétrer dans l’intimité de l’artiste. Il faut également souligner la beauté du livret intérieur avec sa douzaine de doubles photos et ses portraits. C’est véritablement un objet collector destiné autant aux inconditionnels de Julien Clerc qu’aux éventuels néophytes.

Salvatore Adamo


La Grande Roue
Polydor/Universal

Cinquante de carrière et toujours la même fraîcheur, la même envie, la même créativité. Seule l’écriture n’est plus la même car, au fil du temps, elle n’a jamais cessé de s’améliorer encore, de devenir à la fois plus réaliste et plus poétique. Normal. En prenant de l’âge, le regard, s’attardant moins sur le nombril, prend plus d’acuité. Tout doucement, Salvatore Adamo s’est érigé en témoin de son temps. En prenant de l’âge, il a pu dire des choses plus engagées. En prenant de l’âge, on est plus écouté.

Prendre de l’âge… C’est La Grande Roue de la Vie qui a tourné. On y est monté plein de rêves et d’insouciance, avec l’envie de bouffer le monde, et si possible de le refaire. ET La Grande Roue a continué de tourner, emplissant ses nacelles de tout ce qu’une existence récolte : joies, bonheur, amours, amitiés, rencontres, chagrins, révoltes, résignation, peurs… Tout s’y mélange. Et, à un moment, justement quand on a pris de l’âge, il est temps de faire le tri et de dresser son bilan…
Salvatore en est là. Quand La Grande Roue était dans son ellipse ascendante, il était plein d’espoir et d’amour, quand il arrivait à son point culminant, il en profitait pour explorer l’horizon et voir ce qui se passait un peu partout dans le monde, quand elle entamait sa descente, il croisait le chagrin, l’injustice, les déceptions… Et puis ça repartait pour un tour. Et plus le nombre de tours grandissait, plus il s’enrichissait, plus il s’intéressait à l’humanité, plus il devenait altruiste et tolérant, mais aussi indigné et dénonciateur.

La Grande Roue, le 23è album studio de Salvatore Adamo, résume en douze titres ce que sa nacelle a ramassé après soixante-neuf révolutions.

1/ La Grande Roue
Chanson pleine d’esprit, dans une ambiance de fête foraine avec fanfare et flonflons. Le message qu’elle contient est fort ; l’homme, qui a tout reçu pour construire son bonheur, gâche systématiquement tout pour des raisons égocentriques, religieuses, économiques. Une terrible gabegie.

2/ Tous mes âges
D’abord piano-voix, cette chanson reçoit le renfort d’un violoncelle pour en souligner l’aspect temporalo-nostalgique. C’est encore la fameuse Grande Roue qui tourne. Le ton est très positif. L’âge n’a finalement que peu d’importance quand on nourrit toujours en soi une même fringale de vie, quand on ne sait toujours pas « quel chemin prendre », quand on a encore le goût des « bêtises » et la faculté de s’émerveiller.

3/ Cher amour
Un superbe poème magnifié par la présence majestueuse des cordes. C’est plein de tendresse et d’abandon. La façon quasi religieuse de chanter « ô cher amour » au début du refrain exprime l’immense élévation spirituelle que provoque le plus noble et le plus fort des sentiments. Magnifique cantique païen.

4/ La fête
Jolie ritournelle légère et entraînante, pleine de vie et d’insouciance qui, en quelque sorte, développe et complète Cher amour en l’amenant de l’abstrait aux choses concrètes.

5/ Je vous parle d’un ami
Admirable ode à l’amitié. Elle résume tout ce que l’on peut attendre et recevoir d’un Ami.

6/ L’homme triste
La musique, très mélodieuse, habille avec finesse le climat nostalgique de cette chanson qui nous fait traverser une partie de l’histoire de l’Humanité. Salvatore y souligne l’importance du rêve comme carburant pour faire tourner le moteur même s’il est coupé avec pas mal d’utopie avec, en toile de fond, notre éternelle quête du bonheur.

7/ De belles personnes
Petites chroniques du quotidien. Le texte fourmille d’images et de descriptions. Le ton est volontairement badin et teinté d’ironie pour dénoncer l’intrusion de la machine au détriment de l’humain. Il n’y a en tout cas là-dedans aucun angélisme. Ce sont Les temps modernes de Chaplin remis au goût du jour.

8/ Ricordi
Salvatore chante ses racines en italien. Un retour aux sources siciliennes joliment empreint d’une douce et tendre nostalgie.

9/ Ton infini
Quel poème ! Cette chanson est un hommage à la moitié d’orange à laquelle on rêve tous. C’est la quête amoureuse, la recherche d’« infini » et d’« absolu », mais aussi de plaisirs plus physiques que métaphysiques, d’où l’évocation subtile de la « naissance du monde », clin d’œil malicieux au célèbre tableau de Gustave Courbet. L’éternel féminin est traité d’une écriture élégante et sublimé par des cordes altières et éthérées. Finalement, c’est une histoire de belles âmes : celles des femmes et celles des violons.

10/ Le souvenir du bonheur
Une fois encore la plume de Salvatore est à son meilleur. Le liquide de son encrier est composé d’un cocktail d’attention portée à l’autre, de bienveillance, de générosité, d’admiration… D’amour quoi ! Il garde au cœur un soleil intérieur qui lui tient chaud en dépit de quelques brûlures inévitables.

11/ Alan et la pomme
Comme dans De belles personnes, Salvatore se fait chroniqueur pour, en s’inspirant d’une histoire vraie, évoquer la difficulté à vivre son homosexualité. Comme pour Eve, le geste de croquer la pomme va être fatal. Sauf que, dans le cas d’Alan, l’abandon du « paradis » terrestre est désiré, voulu, assumé. Les serpents qui sifflaient leur haine autour de lui étaient bien trop nombreux et hostiles… J’ai bien aimé cette idée de la première ligne du refrain en anglais.

12/ Golden Years
Cette chanson m’a fait sourire et m’a rajeuni en raison de son ambiance résolument Années 60 faisant la part belle au piano et à la guitare. Salvatore y dresse en anglais le bilan d’une vie à deux. La conclusion est digne d’un enfant du baby boom : il faut toute une vie pour apprendre à être jeune et, surtout quand on avance en âge, savoir pimenter son quotidien. C’est aussi une chanson sur la transmission. Très agréable à écouter.

Personnellement, mes deux chansons préférées – mais je les aime vraiment toutes pour de multiples raisons – celles que je trouve les plus efficaces, tant pour ce qu’elles racontent et pour leur mélodie, sont La Grande Roue et Le souvenir du bonheur.

lundi 26 novembre 2012

Chimène Badi


Gospel & Soul
AZ/Universal Music

Alléluia !!!
Alléluia I love her so…
Quelle belle et bonne surprise nous a réservée Chimène Badi en enregistrant cet album Gospel & Soul.
Chimène ne badine pas avec la soul. She knocks on wood. Elle envoie le bois, quoi !
Elle a grandi bercée par les grands standards de la Motown. Elle s’était plus particulièrement entichée de Stevie Wonder.
200.000 exemplaires du premier CD, sorti en novembre 2011, avaient été vendus en trois mois. Certifié double Platine, il est en passe de bientôt prendre la troisième place des ses albums les plus vendus après Dis-moi que tu m’aimes et Entre nous. D’autant plus que ce cinquième opus est ressorti bonifié par six nouveaux titres carrément énormes :
- Viens, viens, superbe complainte créée par Marie Laforêt
- Son Of A Preacher Man, créé par Dusty Springfield et magnifiée par Aretha Franklin
- Celui qui chante, hommage tonique et émouvant à Michel Berger
- Le jour se lève, reprise judicieuse et habitée de ce qu’elle appelle « une perle » d’’Esther Galil
- Proud Mary d’une des reines du rhythm’n’blues, la très énergique Tina Turner
- Say You Say Me, en duo, s’il vous plaît, avec Lionel Richie
Difficile d’être difficile. Que du tube !

Chimène est parfaitement à l’aise dans ce registre. Elle se l’est totalement approprié. On la sent libérée. Elle joue avec sa voix, va chercher des intonations rauques qui donnent le frisson, dialogue avec les chœurs formés par la chorale Liberty Gospel… Elle est dedans.
Sur vingt chansons, elle en interprète huit en français. Quant aux titres anglo-saxons, elle n’a sélectionné que du lourd. Il faut oser se frotter à des chansons gravées depuis des lustres dans la mémoire collective comme Down By The Riverside, Nobody knows, Try A Little Tenderness et l’incontournable Amazing Grace, hymne christique pour lequal elle est accompagnée par Rhoda Scott à l’orgue.
Côté français, elle a eu le bon feeling en reprenant Parlez-moi de lui, de Nicole Croisille, ou Ma Liberté de Georges Moustaki…
Ce nouveau retirage de Gospel & Soul est un vrai petit bijou réalisé, il faut le signaler, par Régis Ceccarelli.
Quant à Chimène, elle a dû sacrément se faire plaisir… Et, du coup, ce plaisir elle nous le transmet. Que demander de plus ?...


jeudi 22 novembre 2012

Nicolas Bedos


Une année particulière
Journal d’un mythomane, vol. 2
Editions Robert Laffont
19,50 €

L’intention : Dans ce récit littéraire flirtant avec l’autofiction, Nicolas Bedos saisit avec finesse les petits et gros travers de ses contemporains, croque et romance avec une acuité inégalable les différents épisodes du feuilleton d’une année présidentielle riche en rebondissements, jamais dupe de rien, ni de la droite ni de la gauche ni de lui-même…

Mon avis : Nicolas Bedos a repris son stylo à la pointe acérée pour nous consigner en quarante-six chapitres son journal de bord du 23 septembre 2011 au 3 août 2012. Cette grosse dizaine de mois a constitué pour lui « une année particulière »… Particulière en ce sens qu’il a été « particulièrement » concerné par quelques événements qui ont mis certaines de ses relations proches sur le devant de la scène. Parfois contre leur gré, comme Anne Sinclair, d’aucuns volontairement, comme François Hollande, et d’autres récompensés pour leur talent artistique comme Jean Dujardin… Comme il le constate lui-même : « Comment planter sa plume fielleuse dans une matière si familière sans que le délire mythomane ne se transforme doucement en déballage autofictif ? » Effectivement, il n’est pas toujours facile de rester objectivement perfide…

Nicolas a donc réendossé sa panoplie de Super Mytho. Pour se la péter, il se la pète ! Mais il ne faut jamais perdre de vue que cette posture (imposture ?) n’est autre que le postulat de son journal. En fait, s’il nous la joue mytho, c’est sa façon à lui de se protéger. Ou du moins d’essayer. En effet, tout au long de son livre, il laisse filtrer et apparaître une profonde vulnérabilité. Même s’il nourrit une certaine tendresse pour son nombril, il est trop hypersensible pour être un authentique Narcisse. Attention, il roule des mécaniques, mais il y a des ratés dans le moteur. Côté cœur et côté mental, il y a quelques pièces plutôt fragiles. C’est cette dualité, cette contradiction, qui font le charme du bonhomme. Et qui alimentent sa plume. A la manière d’un goret qui se roule dans la boue pour son bien-être, il se vautre et se complaît dans l’esbroufe et dans ma médisance. Il est comme ces humoristes qui se damneraient pour un bon mot, fût-il au détriment d’un ami…

C’est facile de dire du mal de certains de ses contemporains, surtout lorsqu’ils jouissent d’un statut ou d’une célébrité. Tout le monde peut le faire. Mais Nicolas Bedos le fait avec un talent littéraire étourdissant. Plus il se déplume (il en fait parfois le constat amer), plus sa plume est s’enrichit ! Que l’on soit d’accord ou non avec ses positions on ne peut qu’admirer son style et s’en délecter. Est-ce parce qu’il a été élève à l’école Pascal qu’il a de si brillantes Pensées ? On aime à la croire.

C’est incontestablement à l’écrit que Nicolas est le meilleur. A l’oral, quand il se trouve sur un plateau de télévision, il ne peut se retenir de faire un numéro ; celui du je-m’en-foutiste provocateur qui adore les affrontements et dire des gros mots. En revanche, lorsqu’il lit ses chroniques ou ses billets, il est excellent. Car il s’agit de la retransmission d’un exercice littéraire.

Témoin de son temps, observateur de la société, membre éminent et assumé de la confrérie des Bobos germanopratins, Nicolas Bedos nous permet de revivre une année particulièrement riche en événements de toute nature. Son livre, brillant et plaisant, est vraiment de la belle ouvrage. Peut-être pas quand même jusqu’à en devenir « mytho-logique » !...

mercredi 21 novembre 2012

Adieu, je reste !


Théâtre des Variétés
7, boulevard Montmartre
75002 Paris
Tel : 01 42 33 09 92
Métro : Grands Boulevards

Une comédie d’Isabelle Mergault
Mise en scène par Alain Sachs
Décors de Charlie Mangel
Costumes de Pascale Bordet
Avec Chantal Ladesou (Barbara), Isabelle Mergault (Gigi), Jean-Marie Lecoq (Jean-Charles), Jean-Louis Barcelona (Gildas)

L’histoire : Gigi (Isabelle Mergault) est engagée par son amant pour tuer sa femme, Barbara (Chantal Ladesou). Lorsqu’elle arrive dans l’appartement, elle se retrouve nez-à-nez avec une femme en détresse. Elle n’ose plus l’assassiner et préfère lui venir en aide. Les deux femmes découvriront peu à peu bien des choses qu’elles ignoraient de cet homme dont elles croyaient être sincèrement aimées…

Mon avis : Les spectateurs s’étranglent de rire, tapent des mains… Dans la salle du théâtre des Variétés, l’ambiance est à la franche rigolade. Les responsables de cette belle hilarité sont deux femmes, une blonde, Chantal Ladesou, et une brune, Isabelle Mergault. Deux foldingues qui ne reculent devant rien pour nous amuser… Au cinéma, les films reposant sur un tandem improbable (à l’instar de ceux de Gérard Oury ou de Francis Weber) fonctionnent généralement à merveille. Ici aussi, le binôme est d’une rare efficacité.
Isabelle Mergault a écrit le personnage de Barbara en pensant à Chantal Ladesou. Elle lui a concocté un rôle sur mesure, un rôle en or où le burlesque est parfois teinté d’émotion.

Le rideau s’ouvre sur un superbe appartement bourgeois, moderne et cossu. La première scène, qui réunit Gigi et son amant Jean-Charles, est très importante car elle nous permet d’assister à la répétition du meurtre perpétré à l’encontre de Barbara, la riche épouse de Jean-Charles et, vu comme ça se déroule, devant la candeur et la maladresse de la jeune femme, on se doute que rien ne se passera comme prévu ; et on s’en réjouit d’avance… Moulée dans une (très) courte robe à fleurs sur laquelle elle ne cesse de tirer en vain vers le bas, Isabelle Mergault campe une femme amoureuse, naïve et naturellement gaffeuse. Elle est pleine de bonne volonté, mais elle manque cruellement de concentration et de motivation. Pas facile de zigouiller quelqu’un de sang froid…
Le premier grain de sable à venir gripper le rouage de ces funestes préparatifs n’est autre que l’intéressée elle-même, la cible, Barbara ! Son apparition en déshabillé vaporeux rosâtre digne de Barbara Cartland et la coiffure crêpée en pétard façon crinière de lionne évaporée, déclenche des gloussements de plaisir. LA Ladesou est au mieux de sa forme. Avec son timbre de voix traînant, sa gestuelle aussi désordonnée qu’appuyée, ses poses invraisemblables et ses mimiques inénarrables, elle focalise la jubilation. Certes, on n’est pas au Français, mais on est en plein boulevard. En pleine autoroute même car pendant près de deux heures Gigi et Barbara vont nous entraîner dans leur folie douce pied au plancher.

Isabelle Mergault a retrouvé toute sa verve. Si sa précédente pièce, L’amour sur un plateau, avait pu comporter quelques faiblesses, autant Adieu, je reste est un spectacle total, sans temps morts, avec des situations réellement cocasses et surtout des dialogues parfaitement ciselés. J’ai relevé bon nombre d’excellents jeux de mots, un joli « Kikiproquo », et quelques répliques qui pourraient devenir culte comme la conclusion de Gigi à la phrase « S’aimer, c’est regarder ensemble dans la même direction… » dont je vous laisse le plaisir de découvrir la chute… Il y a aussi cette exclamation qui revient en gimmick dans la bouche de l’écrivaine Barbara lorsqu’elle apprécie une jolie tournure : « C’est bien ça ! Faut que j’le note… »

Isabelle a aussi truffé malicieusement son scénario de clins d’œil cinématographiques. Elle reprend à bon escient quelques répliques cultes de Bardot dans Le Mépris. Lorsqu’elle donne une leçon de séduction à Barbara, on pense immédiatement au cours de maintien que donne Poiret à Serrault dans La cage aux folles. Lorsqu’elle surgit pour accomplir son forfait, elle parodie visiblement Lara Croft. Quant au dénouement, il m’a rappelé la trame du Crime était presque parfait d’Hitchcock… Il y a même des cascades et un combat à mains nues !

Avec sa propension à l’autodérision, Isabelle s’est également ingéniée à choisir pour elle et ses partenaires masculins des prénoms, Gigi, Jean-Charles et Gildas, qui ne peuvent que provoquer son fameux chuintement.

Mais ce qui rend cette comédie totalement aboutie, c’est qu’elle a su la saupoudrer de séquences où perce l’émotion : le désarroi de Barbara qui veut en finir avec la vie, la mélancolie de Gigi lorsqu’elle dresse son bilan sentimental désastreux (« On ne m’a pas aimée »), la jolie relation qui s’installe entre deux femmes trahies par l’homme qu’elle aime…

Emportée par ces deux phénomènes, Adieu, je reste est une pièce très réussie, efficace, qui n’a pour but que de nous faire rire de bon cœur, sans arrières pensées, sans chichis. C’est une pièce populaire dans le sens noble du terme qui devrait aisément tenir la route du succès jusqu’à l’été prochain.