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lundi 3 octobre 2011

Guy Carlier "Ici et maintenant"


Studio des Champs-Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau

Textes de Guy Carlier et François Rollin
Mise en scène de François Rollin

Le propos de François Rollin : « Si on me demande de définir Guy Carlier en un mot… je commence par me débattre en arguant que ce genre d’exercice est toujours réducteur… et puis, si on insiste, je lâche le mot « charismatique ». Le charisme, nous dit le dictionnaire, c’est la « qualité d’une personne qui séduit, influence, voire fascine les autres par ses discours ». Exactement ce que fait Guy sur les planches, comme il le faisait à la radio ou à la télévision…

Mon avis : Si j’étais flémmard, je me contenterais d’acquiescer au propos de François Rollin car sa parole professorale fait autorité. En matière de one-man show, il sait de quoi il parle… En même temps, je me dis que le mot « charismatique », pour adéquat et justifié qu’il soit, s’avère quelque peu réducteur lorsqu’on assiste au soliloque de Guy Carlier.
Personnellement, j’y ajouterais « tendre », « nostalgique » et « enfantin ». Attention, pas dans le sens de puéril, mais dans le sens noble du terme car Guy a toujours gardé intactes ses facultés d’admiration et d’émerveillement. L’homme que l’on voit sur scène n’est que le fidèle prolongement du gamin d’Argenteuil. Comme un petit garçon, il rêve, il exagère, il se moque, il est cruel, il est fragile, il agace, il émeut…
Son one-man show, je l’aurais appelé « Ici, hier et maintenant »… En raison justement de cette grande part de douce nostalgie qui l’habite. Ne vous attendez surtout pas à vous retrouver au Studio Méchant Déguisé. Si vous êtes attiré uniquement par le côté acéré et vipérin de la langue de Guy Carlier, vous risquez d’être déçu.

Quand on connaît Guy Carlier, on sait qu’il est avant tout une montagne d’amour et de tendresse. Ce qu’on ne peut voir à la radio, c’est la gentillesse de son regard. Bien sûr, on est allé le chercher et on l’a payé pour qu’il profère sur les ondes son lot de vacheries, mais ce n’est qu’un jeu de sa part. Guy a la langue et la plume bien plus agiles que le corps. Comme le gosse cité plus haut, il adore dire des gros mots, balancer des vannes, se moquer de son prochain, se payer quelques têtes de Turc… Il est comme tout le monde, le talent d’écriture en plus. Et il se révèle être un sacré conteur.

Après un prologue sarcastique de François Rollin, Guy effectue son entrée, ou plutôt sa « cascade » pour venir sur le devant de la scène. Dès ses premiers propos, on devine quel va être le ton de son spectacle. Guy ne joue pas les faux modestes. Il l’est réellement. Même s’il est très fier des cadeaux que le destin lui a faits il s’en émerveille sans s’en rengorger… Il ne hausse pas le ton. Avec sa voix douce et modulée, il s’adresse à chacun de nous comme si nous étions son confident. Car c’est sa vie qu’il nous raconte le Guy. Son spectacle est totalement autobiographique. Après s’être débarrassé avec beaucoup d’autodérision des inévitables réflexions que suscite son physique, il se lance dans son stand-up. Et il se raconte : ses premiers émois amoureux, les boums, la colo, le bal… puis ses premières expériences radiophoniques, son séjour en clinique diététique, son passage à la télévision. Dans tout ce qu’il narre, il passe habilement d’une plage joliment poétique à une digression scato. Quand il parle cul, il parle cul. Mais, dans sa bouche, ce n’est jamais cru ou vulgaire. Il a le cul sain.
Pour la partie proprement vannes, il s’amuse à nous faire un peu languir. Il en distille ça et là quelques unes pour nous exciter l’appétit. Il ne commence ses attaques a nominem que lorsqu’il aborde le chapitre TF1 et, plus particulièrement, celui qu’il appelle « la bétaillère ». Via ses fiches actualisées, il évoque le cheptel politique, passe des veaux de la Une aux vaches sacrées, aux soi-disant intouchables, et rend hommage à quelques personnages qu’il admire tout particulièrement.

En fait, il est comme nous Guy Carlier. Il a ses têtes. Il caresse et il donne un coup de gueule…
De toute façon, il y a belle lurette que je suis devenu un « carlieriste ». Je suis convaincu que cet homme préfère de loin le rêve à la réalité. Ses rêves, il les a pratiquement tous accomplis. Sa réalité, elle ne lui convient pas parfaitement. Alors son cerveau se met en position de fœtus et il se retrouve en culotte courte en compagnie de ses idoles, les footballeurs, les rockeurs et les musiciens. Zidane, Johnny et Miles Davis. Avec eux il se sent bien.

Guy Carlier nous offre un grand moment de partage. Son spectacle est une sorte de sacrifice humain dans lequel il se donne tout entier avec une honnêteté sans faille. Après, à nous de faire ce que l’on en veut. Nietzsche a écrit : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». Et Johnny l’a chanté par la grâce de la plume de Guy. Or, il peut sans vergogne le prendre à son propre compte cet adage car, aujourd’hui, après avoir cherché inconsciemment à se tuer lui-même, il est devenu vachement fort…

samedi 1 octobre 2011

François-Xavier demaison s'évade


Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Edgar Quinet / Gaîté

Spectacle écrit par François-Xavier Demaison, Samuel Le Bihan, Mickaël Quiroga, Eric Théobald
Mis en scène par Eric Théobald

Le pitch : Après Demaison s’envole, retrouvez François-Xavier Demaison dans son nouveau spectacle Demaison s’évade. Il se promène de personnage en personnages en posant un regard acerbe et insolent sur le monde d’aujourd’hui. Il nous embarque pour un voyage initiatique entre le passé et le présent. Entre les bulles de champagne et les bulles spéculatives, trouvera-t-il des bulles d’oxygène ? Mais, surtout, Bitou le castor échappera-t-il au fameux serial killer québécois Arthur Hache ?...

Mon avis : En quatre années, François-Xavier Demaison a beaucoup changé. On peut dire qu’il s’est construit. Il s’est d’abord construit une solide filmographie avec une quinzaine de longs métrages plutôt estimables dont une prestation tout-à-fait ahurissante dans le personnage de Coluche. Ensuite, il s’est construit un personnage. Après s’être « envolé » en 2007, il a pris de la hauteur, de l’assurance et donc de l’envergure. Son nouveau one-man show, Demaison s’évade, en est la résultante.

Bien dans sa tête et bien dans son corps, il nous propose un spectacle varié, rythmé, dynamique, qui repose sur une galerie de portraits… Et il attaque fort en campant la propriétaire française d’une maison d’hôtes dans une palmeraie marocaine. Avec un naturel teinté de snobisme, elle profère quelques abominations dont elle ne se rend même pas compte de ce qu’elles contiennent comme propos racistes, comme mépris vis-à-vis des autochtones. Et ce n’est pas son pauvre mari handicapé qui pourra la contredire. Ce sketch à l’humour grinçant lui permet en outre de se livrer à une suave chorégraphie berbère. Le ton est donné, François-Xavier a choisi pour armes le cynisme, la sournoiserie, la mauvaise foi et l’humour noir… Il enchaîne aussitôt avec un tout autre propos en abordant la vie de couple où il développe entre autres les méfaits du portable… Le troisième sketch, avec la crise pour thème central, démontre l’étendue de ses progrès. Il se révèle excellent mime… Très à l’aise avec son corps, il occupe la scène avec maestria, joue avec nous.
Les sketches se succèdent à toute allure. Avec une grande virtuosité et un visage très expressif, il aligne les personnages, passant d’un sexe à l’autre, d’une génération à l’autre (ah le papy qui parle djeun !), il maîtrise tous les accents, italien québécois. Son sens très aigu de l’observation l’entraîne à dénoncer différents comportements, le plus souvent nos turpitudes, nos travers ou nos tics. Il est très juste lorsqu’il se mue en maître d’hôtel compassé et onctueux dans un restaurant étoilé. C’est tellement vrai.

Demaison s’évade… C’est encore plus évident quand, après nous avoir servi un chapitre sur la prison, il s’écrie : « Je suis libre » ! Il nous met dans sa poche et nous emmène avec lui dans son échappée belle. Finalement, l’évasion vaut autant pour nous que pour lui… J’avais aimé moyen son tout premier spectacle. Je l’avais jugé trop inégal. Ici, il atteint un très bon niveau avec une réelle constance. Et puis, il est tellement sympathique et généreux.

lundi 19 septembre 2011

Didier Bénureau "Indigne"


Le Splendid
48, rue du Faubourg Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 21 93
Métro : Strasbourg Saint-Denis

One-man show imaginé par Didier Bénureau
Textes de Didier Bénureau, Eric Bidaud, Dominique Champetier, Anne Gavard
Mise en scène de Dominique Champetier

Avant-propos : « J’étais énervé… C’est le spectacle d’un type énervé. Par tout : moi, l’actualité, la vie, les gens, tout ! Donc, quand on est énervé, on dit des choses qu’il ne faut pas dire. Quand on est énervé, on ne réfléchit pas. D’ailleurs, quand je réfléchis, il n’en sort jamais rien de bon. Il vaut mieux que je dise n’importe quoi ; bizarrement, c’est mieux.
Je me demande s’il n’y aurait pas en moi un petit homme colérique, plus malin que moi, plus méchant, plus grossier, plus tordu que moi, qui dirait des choses indignes et qui me forcerait à jouer ces choses indignes… Voilà. En fait, c’est ça. Moi je n’y suis pour rien. C’est pas moi, c’est lui. Ça ne peut pas être moi qui ai écrit des trucs pareils… »

Mon avis : Attention, cet homme est fou. Complètement barge. Irrémédiablement barré. Il nous entraîne dans son monde à lui, un univers peuplé de personnages lamentables, affligés de toutes sortes de vices et de turpitudes. Inutile n’énoncer toute une litanie de tares et de défauts car ils sont tous réunis dans ce spectacle réellement « indigne ». Pour ça, il porte bien son titre. Affreux, sales et méchants, les personnages que Bénureau incarne on les dirait tout droit sortis d’une BD de Reiser ou de Vuillemin. C’est dire s’il va loin. Très loin même. Il nous entraîne au-delà des limites de la bienséance ; il piétine et bafoue le politiquement correct avec une jubilation perverse. Il est fielleux, teigneux, ignoble, sadique, cynique, vicieux, et j’en passe. Ce type est carrément immonde. Et pourtant…
Pourtant, avec sa bonne bouille lunaire, son physique de moinillon jovial, il peut tout se permettre… On est effarouché, parfois révolté, on s’offusque… Et on aime ça. On a tous en nous un sale gosse qui raffole des horreurs. Et Bénureau nous en offre tout un florilège.
Bénureau ? Et si ce n'était pas lui ? On a l'impression que le Bénureau qui surgit sur la scène est un autre. On dirait le grand frère de la gamine de L'Exorciste. Cet homme-là est habité par le Malin. Sa voix change, prend des intonations inquiétantes, part dans les aigus, se fait vomissante... Et son corps aussi semble échapper à tout contrôle. Il se contorsionne, bondit, chaloupe... Ce dédoublement de la personnalité est véritablement impressionnant.

En pleine forme physique – il ouvre son show avec une chorégraphie carrément jacksonienne – il va, pendant une heure et demie, nous entraîner dans sa galerie de monstres. Le robinet à insanités est grand ouvert…
Ses trois premiers sketches sont directement inspirés par l’actualité. Il campe d’abord un ambassadeur français en Tunisie plus raciste que lui tu meurs, puis un chanteur lyrique légèrement abîmé par un séjour à Fukushima, avant d’aborder le thème de la Crise avec un mépris pour les pauvres pour lequel le qualificatif « indécent » est un doux euphémisme… Or, on ne peut toutefois s’empêcher d’y noter un fonds de vérité bien inquiétant.
Il enchaîne avec un sketch sur le fantasme particulièrement gonflé et osé. Mais, fraternité masculine oblige, aucun homme dans la salle ne pourrait se permettre de lui lancer la première pierre… Après un vibrant éloge d’une boucherie délicate et romantique, il s’amuse à brosser le portrait de l’homme et de la femme de droite et à analyser ce qui les oppose à la famille de gauche… Ensuite il campe un gamin qui s’exprime formidablement bien, qui a un avis sur le terrorisme et qui prend la défense de Julien Coupat, avant d’enchaîner avec un sordide écrivain cocaïnomane, et de terminer avec une femme de député alcoolique particulièrement croustillante et pathétique…
Entre temps, il s’est adonné à une autre de ses passions, la chanson. Il en interprète deux. Mais il est tout à fait inutile de lui réclamer son tube, Moralès, il restera sourd à vos demandes. Pour lui, la page est tournée (surtout que la majorité des gens dans la salle se trompaient en hurlant « Gonzalès » au lieu de Moralès, ce qui est une grave faute de goût)

Didier Bénureau est avant tout un sacré comédien. Dans ce spectacle entièrement nouveau, il nous impressionne par son incroyable éventail de jeu, par sa gestuelle unique, ses grimaces, ses silences, ses regards entendus. Il est vraiment unique dans ce registre. Bien sûr, il faut aimer l’humour noir, la gaudriole, l’irrévérence… Si tous les personnages de Bénureau sont délicieusement « indignes », sa performance d’acteur est, elle, parfaitement digne de respect.

mardi 30 novembre 2010

Ali au Pays des Merveilles


Le Point-Virgule
7, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie
75004 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Hôtel-de-Ville

One-man show écrit par Didier Landucci et Ali Bougheraba
Mis en scène par Didier Landucci

Ma note : 8/10

Présentation : Dans le pays où Ali a grandi, les cultures et les dialectes se croisent et se mélangent… C’est avec humour, tendresse et poésie qu’il nous fait découvrir son quartier… son pays merveilleux.

Mon avis : Voici un Ali qui m’a laissé baba… Je sais, c’est facile, mais cette formule est peut-être le meilleur sésame pour ouvrir la porte du monde merveilleux d’Ali Bougheraba.
Ali est un être protéiforme doué de multiples talents. C’est avant tout un formidable conteur. Il me fait l’effet du joueur de flûte de Hamelin. De sa voix douce, il nous joue sa petite musique et nous, comme envoûtés, on le suit là où il a envie de nous emmener. Et là où il nous emmène, c’est chez lui, dans le quartier de son enfance, le Panier, à Marseille… Une fois sur place, notre guide se métamorphose en ethnologue. Il se livre alors à une exposition sociétale à travers une galerie de portraits mettant en scène les personnages les plus pittoresques de son environnement… Avec son visage très expressif, sa gestuelle agrémentée de mime, ses divers accents, il endosse toutes les personnalités. Un bonnet, une paire de lunettes, une voix aigüe et il devient Crevette, petit zonard inoffensif, mais agité et fort en gueule… Une robe de chambre enfilée à la hâte et il se mue en monsieur Martinez, le concierge de l’immeuble où Ali habite, xénophobe inconscient, très fier d’avoir à géré « un pays à chaque étage »… Un boa en peau de chat, le visage pincé, et il campe madame Suzanne, ex-chanteuse à l’Alcazar, veuve et heureuse de l’être, un peu égoïste, un peu mesquine et un brin médisante, mais faisant preuve d’une certaine philosophie de la vie… Un serre-tête rouge, des postures précieuses et affectées, et voici Fayçal, le petit Arabe qui rêve de devenir danseur étoile… Il réussit même la performance d’incarner devant nous une chatte horrifiée. On s’y croirait ; on a envie de lui lancer des croquettes !

Ce Panier qu’Ali Bougheraba nous propose est particulièrement garni, riche et varié. Avec finesse, il évite tous les pièges, communautaristes ou autres. Devant ces gens qu’il charrie gentiment, il a gardé un regard d’enfant. Il ne grossit jamais le trait. Il met dans le même « panier » (par ordre alphabétique) les Africains, les Arabes, les Asiatiques, les Français de souche, avec leurs travers comme avec ce qui les rend attachants. Il n’y a pas que son immeuble qui soit mélangé, son jeu l’est aussi, et très richement. Dans son spectacle, au demeurant fort bien écrit, il mêle l’humour, la tendresse, l’émotion, la poésie, le burlesque, l’absurde, la pantomime. Parfaitement œcuménique, il jongle avec les sexes, les religions, les intonations. Ali est une sorte de griot, mais de griot marseillais sans l’accent. Il ne possède pas du moins cet accent propre au Vieux Port. Le sien est doux, légèrement chantant. C’est une musique agréable (d’où la métaphore de la flûte). Et puis le garçon dégage une simplicité et un naturel qui nous le rendent éminemment sympathique.

Excellent comédien, adoubé et cornaqué par son complice en écriture et metteur en scène, Didier Landucci des Bonimenteurs, Ali Bougheraba a composé avec son Pays des Merveilles un spectacle plein dense, sans aucune faiblesse, plein de fantaisie et d’humanité. On éclate rarement de rire mais on a le sourire aux lèvres en permanence tant ses observations et ses analyses sont rapportées avec finesse. Désormais, il peut quitter sans problème son quartier. Il vient de commencer à conquérir Paris. Et ce n’est qu’un début…

samedi 27 novembre 2010

Sébastien Giray "Profils inquiétants"


Les Feux de la Rampe
2, rue Saulnier
75009 Paris
Tel : 01 42 46 26 19
Métro : Grands Boulevards / Cadet

One-man show écrit par Sébastien Giray
Mis en scène par Dominique Le Bé

Ma note : 7,5/10

Présentation : Auteur, comédien de séries télé, humoriste, après avoir parcouru tous les festivals d’humour de France d’où il revient toujours avec un prix, Sébastien Giray est un artiste accompli. Il nous dévoile ses « Profils inquiétants »… Mi-play-boy, mi-démon, cette gueule d’ange nous emmène dans un univers riche en personnages et en cocasseries diverses où chacun de nous risque de se reconnaître. Mais, si tel était le cas, il serait recommandé de consulter !

Mon avis : Ce Sébastien-là est totalement à l’opposé du Saint martyre qui honore son prénom. En effet, alors que ce dernier a acquis l’Eternité suprême en succombant sous une volée de flèches, Sébastien Giray, c’est tout le contraire. Les traits, c’est lui qui les décoche et, en plus, il a bien pris soin de les tremper au préalable dans une décoction de poil à gratter. Sous ses airs angéliques se cache un véritable sadique. Son large et beau sourire ne nous abuse pas longtemps.
Quand il arrive sur scène, il commence par nous embarquer dans une fausse direction (parce qu’il est vicieux aussi). Son premier personnage, qui répond à l’ineffable prénom de Dylan, déboule tout auréolé de son prix de Mister Franche-Comté et de l’écharpe qui va avec. Disons le tout de suite, c’est un crétin doublé d’un narcissique exhibitionniste. Ce qui va souvent de pair. Très limité intellectuellement notre impétrant au titre de Mister France, ne nous épargne rien de son incommensurable bêtise et de son contentement de soi. Associations de mots saugrenues, réflexions improbables, il cause, il cause… Ah, il s’’aime bien le garçon, il se la pète un tantinet, très fier de son physique il est vrai particulièrement avantageux.

Maintenant que je vous ai alléché avec cette entrée en matière, n’espérez pas que je vous décortique par le menu chacun des sketches que cet horrible personnage interprète. Je veux juste m’attarder sur l’esprit – ou plutôt, sur le mauvais esprit – qui se dégage de ce spectacle… Sébastien Giray est une plante carnivore. Une plante attrayante et attirante qui donne envie de la caresser et qui vous mord sans vergogne. Très efficace le contraste entre son apparence hyper charismatique et les vacheries qu’il profère. Il maîtrise à ravir tous les éléments qui appartiennent globalement à l’humour noir : le décalage, le cynisme, la misogynie et son corollaire, le machisme (« T’es belle comme une petite fleur, mais moi je suis allergique au pollen », l’abomination, le sadisme, la scatologie, l’absurde et l’ambiguïté. Difficile de faire pire… Puisqu’en France on a la manie des étiquettes, il m’a rappelé l’Albert Dupontel à ses débuts, quand il faisait du one-man show. Mais la comparaison s’arrête là car Sébastien fait du Giray. Il a ses propres qualités : il bouge et danse remarquablement, il joue beaucoup sur le charme et la séduction (avec une tronçonneuse cachée dans le dos) et c’est un fameux comédien. Rien ne le rebute. Ses personnages, il les emmène très, très loin. Avec certains il dépasse dangereusement les limites jusqu’à presque nous indisposer tant ils sont « inquiétants ». D’où le titre de son spectacle, Profils inquiétants. Ce prof cocaïnomane sacrément allumé qui termine son cours dans un état complètement hystérique en est le plus révélateur… Dans un autre sketch, il joue trois personnages avec accents, dont une femme, dans lequel il fait preuve d’une virtuosité hallucinante…
Sébastien Giray évoque plusieurs fois le Cours Florent. Il nous fait même revivre quelques moments de son parcours au sein de cette docte institution, dont ses tout débuts. Il a, de toute évidence, su mettre à profit l’enseignement qu’il y a reçu, ajouté bien sûr à ses qualités innées, ce qui fait de lui un excellent comédien rompu à toutes les finesses du jeu.
Hormis ce bref intermède au cours duquel il fait monter un spectateur sur scène, chose qui casse le rythme du spectacle et qui ne lui ajoute rien, j’ai trouvé que Sébastien Giray possédait son univers à lui. Il joue une partition grinçante et tonique contenant une majorité de notes noires et de croches. C’est vrai qu’il utilise peu les bémols. Avec lui, on a droit à la chevauchée des mâles qui rient. Quoi que… Pas que des mâles finalement, car Sébastien jouit d’un tel physique qu’il décroche, rien que sur son minois et son corps d’Adonis – qu’il n’hésite pas à dévoiler -, l’adhésion immédiate de deux sexes sur les trois habituellement recensés.

Bref, si ce garçon s’en tient à son registre, s’il ne succombe pas aux sirènes de la popularisation et de la facilité, une belle carrière s’ouvre devant lui. C’est au public de venir à lui, et pas l’inverse. Le bouche à oreille fera le reste…

mercredi 10 novembre 2010

Alex Lutz


Le Temple
18, rue du faubourg-du-Temple
75011 Paris
Tel : 01 43 38 23 26
Métro : République

Ecrit par Alex Lutz
Mis en scène par Sylvie Joly et Tom Dingler

Ma note : 7,5/10

Mon avis
: Fiat Lutz ! Que la lumière brille !...Locution latine qui va à ravir à Axel Lutz tant ce garçon à la chevelure blonde, au large sourire éclatant et au regard joyeux est lumineux…
Je l’avais découvert au Point Virgule il y a environ deux ans et je l’avais déjà fort apprécié. Cette fois, Alex Lutz se produit au Temple, et j’ai pu mesurer combien il avait pris de l’aisance et de l’assurance. Dès qu’il déboule sur scène, on le voit très heureux de s’y trouver et son envie de partager son plaisir est on ne peut plus communicative. Le garçon est généreux. Il est évident que c’est un partageur. Il est là pour s’amuser avec nous. Il s’intéresse vraiment à son public, il veut lui donner le meilleur. C’est un artisan du rire, dans le sens le plus noble du terme.

Il va falloir désormais compter avec lui. Alex Lutz, c’est du haut niveau (« high level » pour les Alsaciens). Il a un sens inné du comique, de la mimique la plus expressive à la gestuelle la plus volontairement improbable. Il est à l’aise dans tous les registres, ce qui lui offre un éventail de jeu les plus subtils et les plus larges. Dès qu’il endosse la personnalité d’un de ses personnages, le mimétisme est effarant… Ce directeur de casting, sorte de Pascal Sevran survolté (c’est dire !) est criant de réalisme loufoque. Surexcité, tyrannique, odieux, il nous sort des formules à l’emporte-pièce qui nous ravissent. En plus, comme il en est la victime, l’effet sur nous est d’autant plus fort. Alex Lutz est un observateur-né de la nature humaine. Il alterne intelligemment les sujets possédant un peu de fond tout en les détournant la plupart du temps de leur fonction première avec une galerie de portraits fascinants. Autant notre casteur est exécrable, autant l’électricien qu’il dépeint est attachant. Enervant, mais attachant. Humain, quoi, avec sa gentillesse un peu niaise, son phrasé au ralenti et ses étonnements de gamin. C’est un très beau personnage.
Un peu plus tard dans le spectacle (devant une salle comble un mardi soir…), il nous incarne deux autres spécimens particulièrement gratinés ; et agités. Un papy tout tremblotant, perclus d’arthrite, à la voix chevrotante, mais débordant d’énergie en dépit des désirs d’indépendance incontrôlables de certains de ses membres… Et une ado elle aussi sur-vitaminée, une rebelle à la petite semaine, qui se fait son cinéma et en profite pour offrir une séance gratuite à se copine qui est sa seule spectatrice. Un moment de choix !
Entre temps donc, Alex Lutz s’amuse à banaliser la fonction d’acteur du X via la gestion de son planning. Absolument savoureux. Il évoque les malentendus de la petite enfance, les questions idiotes, les réflexions métaphysiques (« J’aimerais pas être une femme… ») qu’il illustre à grands renforts d’exemples concrets, il décortique certaines expressions communes au pied de la lettre… C’est à se tordre. C’est confondant de justesse, il joue avec des évidences, et il fait mouche.

Alex Lutz nous propose un spectacle riche et varié, très bien écrit, remarquablement joué. Il se dégage de lui une vraie sympathie, une indéniable chaleur humaine, et beaucoup de charme. Il ne galvaude pas son travail. Il respecte son public. La preuve ? Le soir où je m’y trouvais, il s’est planté dans la formulation de son sketch sur les flashes info. Nous, on ne s’en était même pas rendu compte. Il était déjà bien marrant en l’état. Et bien, il a tenu à nous le restituer dans sa parfaite déclamation juste avant son dernier sketch. C’est quasiment du jamais vu.
En deux ans, il est passé d’artiste prometteur à valeur sûre. On n’a pas fini d’entendre parler de lui car on sent qu’il en a encore beaucoup sous la semelle.

vendredi 5 novembre 2010

Pierre Richard "Franchise postale"


La Pépinière Théâtre
7, rue Louis-le-Grand
75002 Paris
Tel : 01 42 61 44 16

Textes de Christophe Duthuron et Pierre Richard
Mise en scène de Christophe Duthuron
Avec, en alternance, Christophe Defays (contrebasse) ou Olivier Defays (saxophone)

Ma note : 7/10

Le prétexte : La vie d’artiste n’est pas de tout repos. Rien que d’ouvrir la boîte aux lettres le matin, c’est déjà toute une aventure. Des dizaines de lettres venues des quatre coins de l’hexagone, des déclarations, des plus touchantes aux plus farfelues. A partir d’une quinzaine de lettres désopilantes écrites par son ami Christophe Duthuron, Pierre Richard décide de répondre à ces courriers inimitables, à sa façon tout aussi inimitable…

Mon avis : Ce spectacle est une véritable orfèvrerie, une horlogerie délicate qui ronronne doucement et se détraque de temps en temps. Les deux poids qui font tourner cette comtoise sont, d’une part, la qualité du texte et, d’autre part, le jeu de Pierre Richard. Puisqu’il s’agit de répondre à du courrier, sous la plume de Duthuron, Pierre Richard se fait homme de lettres. Il joue avec les mots, cisèle les phrases pour qu’elles soient jolies tout en restant légères. La correspondance danse. Chaque missive lue donne lieu à une réaction. Et Pierre remonte le temps, et il narre…
Avec sa silhouette de grand jeune homme, sa façon de bouger des membres qui semblent jouir d’une totale autonomie, il a parfois des allures d’albatros pataud lorsqu’il est sur le plancher des vaches. Mais quand il s’envole, quand il se met à planer dans son univers de poète rêveur, il devient un elfe engagé dans l’Aéropostale. Toutes les contradictions du bonhomme sont synthétisées dans ce spectacle à haute teneur autobiographique. Il y a le mot « Franchise » dans le titre, ne l’oublions pas. Même s’il a une tendance chronique à enjoliver la réalité avec son regard décalé, Pierre Richard se fend d’anecdotes et de souvenirs très personnels. On a parfois l’impression qu’il raconte les avatars de quelqu’un d’autre, qu’il a été le témoin amusé de ses propres maladresses et mésaventures.
La présence côté cour d’un rideau rouge lui sert même de fil de la même couleur. Ce morceau de tissu lui rappelle des gens qu’il a croisés : Georges Brassens, qu’il admirait profondément, Charles Aznavour, qui a failli « l’écharper », ou Madeleine Renaud… Entre temps, Pierre se remémore son implication involontaire à Mai 1968 où, de curieux qu’il était, il est devenu acteur puis victime co-latérale. Il restitue un cours de comédie avec un professeur tyrannique lui imposant une interprétation intellectuello-alambiquée de La Cigale et la Fourmi (c’est la séquence que j’ai la moins appréciée). Ou bien, grand moment de délire burlesque, il reconstitue un extrait de Jules César, de Shakespeare, avec grands renforts de gestes, de postures et de chuintements…
On est venu voir Pierre Richard, on a du Pierre Richard. Rien à redire sur ce plan. C’est d’ailleurs une des rares fois où je ne suis pas d’accord avec la critique d’Eric Naulleau qui a jugé cette pièce mal écrite et insipide. Pourtant, le texte qu’a pondu sur-mesure Christophe Duthuron, est tout-à-fait acceptable et comporte même quelques fort jolies trouvailles en formes de saillies ou de jeux de mot. J’ai par exemple particulièrement goûté cette « symphonie en do majeur » qui devient, interprétée par Pierre Richard, une « symphonie endommagée »… J’aime bien, ça me fait sourire. Et j’ai souri souvent… En revanche, bien que j’aie beaucoup d’estime pour les musiciens de fils de Pierre Richard, Christophe et Olivier, leur présence sporadique sur scène ne m’a pas paru vraiment indispensable et utile à la dramaturgie. Amour filial sans doute…

mercredi 3 novembre 2010

Stéphane Rousseau "Les Confessions de Rousseau"


Le Palace
8, rue du Faubourg Montmartre
75009 Paris
Tel : 01 40 22 60 00
Métro : Grands Boulevards

One-man show écrit et mis en scène par Stéphane Rousseau

Ma note : 7/10

Le spectacle : Stéphane Rousseau nous invite à entendre ses confessions, sans concession ni censure. Dans un décor de rêve, il nous plonge dans sa réalité et nous confie certains des épisodes les plus émouvants, croustillants et irrésistibles de sa vie. Usant de tous ses charmes et de ses multiples talents, il raconte, chante, danse et même peint !

Mon avis : De mémoire de spectateur, je n’ai jamais vu une scène aussi belle. Stéphane Rousseau, le bijou québécois, évolue dans un chaleureux écrin rouge et or. Pendant tout le spectacle, entre projections et effets spéciaux, ça va être un véritable feu d’artifices, une orgie de couleurs et d’images, le tout accompagné d’une bande-son digne du cinéma. C’est tout simplement prodigieux, c’est Las Vegas au Palace ! Le public en prend plein les mirettes. C’est juste magnifique. Mais cette débauche d’effets n’est pas là rien que pour faire beau, elle est entièrement au service du spectacle. Elle l’accompagne, l’illustre, le souligne. A certains moments, on se retrouve en plein cœur d’une forêt canadienne ou au sommet d’une montagne… Exotisme garanti.
Et Stéphane Rousseau évolue dans ce décor avec l’aisance d’un « ouananiche » (saumon) dans le lac Saint-Jean. Il s’amuse de toutes ces techniques et il joue avec pour notre plus grand plaisir. Stéphane est avant tout un formidable showman, un « performer » à l’américaine. Il sait tout faire, et il le fait bien. Il possède une superbe voix, à la fois puissante et mélodieuse, il fait ce qu’il veut avec son corps, bouge avec souplesse, il maîtrise le mime et les effets cartoonesques, il prend des accents, il dessine… Bref, c’est un artiste complet.

Voici pour la forme. Abordons le fond. Si ce spectacle a été baptisé Les Confessions de Rousseau, c’est parce qu’il contient une grande part d’autobiographie. D’ailleurs, dès le début, il s’agenouille et fait acte de contrition : « J’ me confesse… ». Et il avoue quelques « pêchés » de jeunesse avec à la fois une jolie honnêteté et une part savoureuse de narcissisme. Que voulez-vous, il plaît, et il le sait. Stéphane est un grand charmeur, un séducteur né… Après quoi, il entre dans le dur du spectacle, les sketches. S’il les interprète tous avec une belle générosité et un convivial sens du partage, ils sont un peu inégaux. Ce qui est sympa avec lui, c’est qu’il est très joueur, y compris à ses dépens. Alors, tout passe. Même – ce que je n’aime guère dans les spectacles - quand il fait monter une jeune femme sur scène pour l’emmener faire un tour à moto. Ceci dit, dans la salle, on rit beaucoup devant les facéties de Stéphane et l’embarras de sa passagère d’un soir. Là encore, il faut saluer l’inventivité et l’esthétisme des jeux de lumières. Que c’est beau, tabernacle !
Les sketches qui succèdent à son imitation de David Bowie se révèlent être tous d’une bonne facture, voire d’une excellente pour certains (l’interview avec un journaliste particulièrement alambiqué, le passage à la douane – pour moi le meilleur –, en effet, il fait un bon douanier... Rousseau, le camp de nudistes avec cette superbe tirade à la Cyrano de Bergerac à propos d’une « pininsule »…). Stéphane réussit même le tour de force de nous faire rire avec le décès de son père, manière pour lui d’exorciser cette douleur. Il nous en fait une sorte de comédie à l’italienne où la bêtise se le dispute au cynisme. C’est une belle parenthèse pleine d’amour, d’humanité et d’auto-dérision…

Et pour terminer, après un éclatant bouquet final pyrotechnique, il revient dans la peau de son personnage hispanique, le bellâtre et sensuel Rico, véritable machine à donner du plaisir. Là encore, il ne fait pas dans la demi-mesure, il se ridiculise avec une jubilation communicative qui achève de nous le rendre définitivement sympathique.
En somme, on passe un très agréable moment de détente avec un spectacle d’une qualité esthétique rare en compagnie d’un garçon drôle, exubérant, simple et tendre, qui sait tout prendre en dérision. Pour ces joyeuses Confessions, il a droit à notre absolution et à notre reconnaissance ; mais pas éternelle, il ne faut tout de même pas exagérer. D’autant qu’il va nous en concocter d’’autres, des spectacles.

samedi 30 octobre 2010

Ben


Théâtre Le Temple
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 08 92 35 00 15
Métro : République

Ma note : 8/10

Le prétexte : « Tout part de quelque chose de vrai… ou que j’ai vraiment rêvé » avertit Ben dès le début du spectacle.
A mi-chemin entre le stand-up et le one-man show traditionnel, et sur un texte largement au-dessus de la moyenne dans cette discipline, Ben interpelle son public avec sincérité, pour l’emmener, l’air de rien, là où plusieurs kilomètres avant, bien des humoristes ont fait demi-tour

Mon avis : S’il y avait un néologisme à inventer pour qualifier Ben, le mot le plus idoine pourrait être : Absurdoué…
Doué, il est indéniable qu’il l’est. Quant à « absurde », c’est l’adjectif qui résume le mieux son univers. Va pour Absurdoué donc…

Ben est un bel et grand garçon très élégamment vêtu de noir. Déjà, pour séduire la gent féminine, il a de l’avance et il n’a pas trop besoin de parler. Surtout que lorsqu’il se met à parler, il commence à nous embrouiller. Enfin, quand je dis « parler », c’est plutôt soliloquer que je devrais dire. Il se met en effet à bredouiller quelques apartés exactement comme s’il était tout seul. En plus, on remarque tout de suite que ses apartés sont totalement saugrenus. Ce n’est pas un cerveau qu’il a, c’est un labyrinthe. Et on n’a aucun fil d’Ariane auquel se raccrocher. De toute façon, à quoi servirait de se raccrocher puisque il nous emmènera quand même là où il voudrait aller sans en être sûr lui-même. Quoi que… Et s’il était conscient ? Si son esprit tortueux était en fait porteur de sa propre rationalité ?
Il admet bien sûr qu’il utilise « des phrases pas cohérentes », mais en fait, il a sa logique à lui. Cartésiens s’abstenir. En revanche, amateurs de rubyk’s cube cérébral, vous allez en voir de toutes les couleurs…

La mine imperturbable, il arpente la scène inlassablement comme s’il se trouvait en pleine réflexion dans son salon. Il pense donc tout haut, ouvre un compartiment de son cerveau-gigogne pour en sortir un truc qui n’aurait pas dû y être rangé, oublie de le refermer, pour se préoccuper aussitôt d’un bidule qui vient d’attirer son attention en sachant qu’à un moment ou à un autre, il ira fermer le tiroir précédent pour nous reparler de ce qu’il aurait dû contenir… Oui, je sais, un tel comportement est quasiment impossible à analyser et à retranscrire.

Ben pourrait être l’enfant qu’aurait pu avoir le professeur Rollin s’il avait fauté avec Daniel Prévost (chose qui n’a encore jamais été ébruitée). Mais Ben est Ben. Il doit être très fort en mécanique des fluides, à part que dans sa mécanique à lui, tous les rouages sont inversés ou déformés. Mais ça reste quand même fluide. De digressions en élucubrations, tel un enfant qui joue à la marelle, il retombe toujours sur ses pieds. Il ne faut rien oublier dans le texte de son spectacle car n’importe quel élément peut resurgir à un moment donné pour faire tenir le château de cartes qu’il a patiemment élaboré tout en parlant d’autre chose.
Le pire, c’est qu’il aborde des sujets on ne peut plus banals. Certains, néanmoins, donnant plus à réfléchir que d’autres. Quoi que… Le mariage mixte, les préjugés, l’achat d’un appartement sont tout de même des cas de figure intéressants. Ou bien problème épineux, comment acheter un téléviseur lorsqu’on est interdit bancaire ?
On est avec Ben comme sur un escalier branlant, il vaut mieux se cramponner à la rampe pour ne pas perdre pied. Surtout qu’il a bien pris soin d’en cirer les marches ! Lui il s’en fout, c’est un équilibriste… Et non seulement il nous emmène exactement là où il veut, une fois qu’on s’y retrouve, il nous donne le coup de grâce en nous narrant les festivités qui ont émaillé son anniversaire. Il part en plein délire. C’est de la folie pure. Quoi que… Et si tout était vrai ?

Je crois que je vais devoir y retourner et, à la façon du Petit Poucet, marquer l’itinéraire qu’il nous fait emprunter pour essayer de retrouver mon chemin…
Vous l’aurez compris, Ben est à part. Il est dans son monde à lui. Il ne faut pas le déranger. Mais qu’est-ce qu’il nous fait rire. En plus, on a l’impression de rire intelligemment. Tout simplement parce qu’il est impossible de rire bêtement à ses remarques. Quoi que…

Lemoine Man Show


La Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18 / 01 43 20 60 56
Métro : Gaîté / Edgar-Quinet

Textes de Jean-Luc Lemoine
Mise en scène d’Etienne de Balasy

Ma note : 7,5/10

Le prétexte : Cette année, Jean-Luc a 40 ans, l’heure des bilans, mais aussi du grand lâchage !
Abandonnant les sketches, le regard plus acéré que jamais, il propose un décryptage surprenant et hilarant de notre société dans un monologue aux allures de montagnes russes. Tout y passe : le business de la nostalgie, la difficulté d’apprécier une œuvre d’art quand on est inculte, les mensonges sur la complémentarité entre les hommes et les femmes, la dictature du buzz, les vedettes qui refusent de vieillir…

Mon avis : Jean-Luc Lemoine distille un humour particulier, un humour bien à lui, un humour très fin basé en grande partie sur l’observation de ses congénères et les dysfonctionnements de la vie de tous les jours. Une bonne fois pour toutes, inutile d’espérer une rémission, il porte en lui, tel un ténia têtu, une mauvaise foi chronique. Lorsqu’elle pointe le bout de son nez – ce qui est assez fréquent – son œil s’allume légèrement et il ne peut empêcher ses lèvres d’esquisser un furtif sourire satisfait. Ce sera là sa plus grande manifestation extérieure de satisfaction intérieure. De toute façon, cette mauvaise foi, il la met à toutes les sauces et il adore en saupoudrer menu-menu les différents sujets qu’il aborde. Et il affecte plus particulièrement – on se demande pourquoi – de jouer les Monsieur Plus en y rajoutant une bonne dose lorsqu’il parle des femmes.

Les thèmes lemoinesques sont tout simples. Il les puise dans notre quotidien et dans le sien. L’approche et l’exposé sont banals, c’est le traitement qui fait toute la différence. Il ne voit pas les choses comme nous, ce garçon. Il doit avoir un prisme déformant qui relie sa rétine à son cortex. Il se glisse par exemple dans la tête d’un gamin de 2 ans qui, au lieu d’avoir des réflexions inhérentes à son âge, se mettrait à réagir et à faire des commentaires sans souci aucun des conventions. Ce qui lui permet de développer sur le thème de la franchise. Doit-on tout dire ? Est-ce qu’on se sent mieux personnellement quand on dit ce qu’on pense profondément quitte à épouvanter son interlocuteur/trice ?
Jean-Luc Lemoine, qui en est avec ce spectacle à son quatrième one-man show, a considérablement évolué. Pas dans le fond, mais dans la forme. Beaucoup plus à l’aise, il établit cette fois une relation très joueuse avec le public. S’appuyant sur cette interactivité complice, il peut d’autant mieux mesurer l’impact de ses déclarations et rebondir dessus le cas échéant.
Il ne fait plus vraiment des sketches, il ne fait pas non plus du stand-up, il fait du Lemoine. Un peu comme s’il se mettait à dire tout haut le fruit de ses réflexions en nous prenant presque systématiquement à témoins. Il faut que ce qui est une évidence pour lui en devienne également une pour nous. Pour cela, il dissèque et il va au bout de sa logique. Car tout est très logique chez lui. Rien n’est saugrenu ou irréaliste : personne n’ose étaler son inculture ; tout le monde a remarqué combien, à peine a-t-on franchi la quarantaine, il nous arrivait plus souvent de nous faire vouvoyer ; chacun d’entre nous a rêvé revoir ses anciens condisciples de lycée ou de collège ; qui n’a jamais ressenti un besoin irrépressible de faire la conversation dans une voiture alors qu’on voyage au côté d’un voisin mutique ?
Grand moment du spectacle, avec paperboard à l’appui s’il vous plaît; que cette brillante démonstration sur une étude comparative entre les avantages et inconvénients d’un GPS par rapport à un conjoint… Imparable !
Avec des humoristes aussi fins que Jean-Luc Lemoine, il porte bien son nom, le théâtre de la Gaîté, à Montparnasse.

samedi 18 septembre 2010

Baptiste Lecaplain se tape l'affiche


Théâtre Trévise
14, rue de Trévise
75009 Paris
Tel : 01 48 65 97 90
Métro : Grand Boulevards / Cadet

Spectacle écrit par Baptiste Lecaplain et Aslem Smida
Mis en scène par Aslem Smida

Ma note : 6,5/10

Mon avis : Puisque Baptiste Lecaplain nous confie à un moment qu’il est Normand, je vais essayer d’analyser son one-man show façon « p’t’êt’ bien qu’oui – p’t’êt’ bien qu’non ».

P’t’êt’ bien qu’non :
Lorsqu’on quitte la salle du Trévise après le spectacle, on sait que l’on a beaucoup ri, mais on a du mal à retenir sur quels sujets. Baptiste possède la formidable faculté de prendre une salle à bout de bras et de s’amuser avec elle. C’est efficace, plaisant, on se laisse faire volontiers car son charisme et son pouvoir de séduction sont irrésistibles. En relativisant bien sûr – car il possède tout de même un talent très, très supérieur à la moyenne -, il nous propose un show un peu à la manière d’une fin de repas de mariage quand le comique de la famille s’installe au milieu de la salle des fêtes et fait son numéro…
Baptiste Lecaplain jouit d’un potentiel comique indéniable. S’il sait ô combien y mettre les formes, il manque encore de fond. La plupart des thèmes qu’il aborde ont été déjà traités par d’autres, il se contente d’y ajouter son tempérament à lui. Dès qu’il arrive sur scène, il ouvre le haut débit et nous noie sous un flot de paroles non stop. De ce côté-là, il s’en sort plutôt bien. Il passe du coq à l’âne, évoque son enfance, ses complexes, ses colocataires, se métamorphose en spermatozoïde, fait ses courses, s’interroge sur le bien fondé des magasins Nature & Découvertes… On rit de ses observations, et on les oublie aussitôt parce qu’il est déjà passé à autre chose ou parce qu’il s’est mis à discuter avec les spectateurs.
Pour résumer ce chapitre négatif, il a tendance à tomber dans la facilité et, du coup, ça manque un peu de matière. Et les trois entrées qu’il nous propose au menu m’ont paru assez indigestes et m’ont fait espérer que les plats principaux s’avéreraient plus roboratifs. Ce qui fut heureusement le cas…

P’t’êt’ bien qu’oui :
Rassurez-vous les critiques positives l’emportent largement. Baptiste Lecaplain est un séducteur-né. En quelques minutes, il nous met dans sa poche (ce doit être une poche kangourou car je n’ai jamais vu un artiste aussi bondissant). Puisque je parle du physique, allons au bout : il fait preuve d’une débauche d’énergie insensée. C’est un véritable personnage de dessin animé, tant des ses expressions que dans sa gestuelle. D’une souplesse étonnante, monté sur ressorts, on a l’impression que ses jambes sont indépendantes de son tronc. Rien à dire, il sait bouger et ce n’est jamais à côté de la plaque… Son charme lui permet d’établir une communication aimable et spontanée avec un public avec lequel il ne cesse de jouer. Très réactif, il saisit les réflexions au bond, interpelle les spectateurs…
Baptise fait preuve à son égard de beaucoup d’autodérision, ce qui a pour effet, si besoin était, de nous le rendre encore plus sympathique. Il ironise sur son prénom, se plaint de son corps ( !), déplore d’être le seul humoriste en France « à transpirer des genoux »… J’ai beaucoup aimé son discours sur les produits hard discount des grands magasins et son sketch sur le spermatozoïde égaré sur le mauvais chemin, très fin et très imagé, est le pic qualitatif de son spectacle. Et j’ai particulièrement apprécié son habileté à utiliser les running gags et les gimmicks. Ça, c’est aussi réussi qu’intelligent car il faut une sacrée présence d’esprit pour placer ces clins d’œil à bon escient.

Conclusion
:
J’ai conscience que ma partie « p’t’êt’ bien qu’non » est un peu dure mais, si j’ai vraiment été emballé par sa présence, par sa tchatche, par la sympathie qu’il dégage, par son dynamisme, il m’a simplement manqué, comme je l’écris plus haut, quelque chose de plus concret à me mettre sous la dent et à ranger dans ma mémoire. Et je suis tout-à-fait d’accord avec les trois avis qui figurent sur son affiche : « Entre espoir et révélation » (L’Express), « A suivre de près » (Le Figaro Magazine), « Un talent d’improvisation hors pair » (Direct Soir). Tout cela est juste. Baptiste Lecaplain est réellement prometteur. Il a toutes les qualités pour réussir. Enfin, à mon avis, le cinéma ne devrait pas tarder à lui faire les yeux doux car il est évident qu’il sait tout faire et des « jeunes premiers » de son acabit, on n’en possède pas des masses… Ce ne sont pas les spectatrices qui ont pour lui les yeux de Chimène qui me contrediront.

jeudi 27 mai 2010

Laurent Baffie est un sale gosse


Théâtre du Palais-Royal
38, rue de Montpensier
75001 Paris
Tel : 01 42 97 40 00
Métro : Bourse / Palais-Royal / Pyramides

Ma note : 7/10

Le pitch : Le roi de l’impertinence est de retour !
Et pour l’occasion, il est seul en scène, avec en prime, pour son premier one-man show, une version interactive. Et il affiche clairement son ambition : « Faire rire, faire réfléchir et, pourquoi pas, faire jouir ! »
Ames sensibles s’abstenir. Deuxième degré recommandé… voire exigé.

Mon avis : C’est sûr, Laurent Baffie ne peut pas plaire à tout le monde, c’est indéniable. Il ne faut pas avoir peur de se faire apostropher, secouer, bousculer, agresser, ridiculiser, injurier… ni avoir les oreilles trop délicates. De toute façon quand on vient à son spectacle, on sait très précisément à quoi s’attendre. Donc, à moins d’être maso ou s’être trompé à la sortie du Palais-Royal en croyant être entré à la Comédie Française, on est prévenu. C’est comme quand on monte dans le Grand Huit, on appréhende toujours un peu mais quand le wagonnet est parti, on s’accroche et on essaie de profiter des sensations. A part que même averti, le Laurent trouve toujours le moyen d’y aller encore plus loin et encore plus fort.
Si on veut bien profiter de ce spectacle qui a l’air entièrement basé sur l’improvisation et la réactivité de l’artiste en fonction de ses proies, il faut juste espérer ne pas faire partie de la bonne douzaine de victimes sur lesquelles il va jeter son dévolu. C’est effectivement bien plus confortable de voir une tierce personne se faire malmener en direct tranquillement installé dans son fauteuil. Si vous ne gagnez jamais au loto, vous avez de grandes chances de vous en sortir. En revanche, n’essayez pas non plus de penser que votre appartenance à une quelconque minorité (je cite en vrac – et ce n’est pas exhaustif - « les gougnasses, les gens de couleur, les personnes âgées, les femmes enceintes… » va vous apporter un soupçon d’immunité. Il ne faut même pas y penser… Laurent Baffie a besoin dès le départ de deux personnes : une chouchoute et une tête de Turc. Ces-deux « privilégiés » vont être accaparés pendant toute la durée du spectacle. Ensuite, il possède un sbire entièrement dévoué à ses turpitudes qui agit un peu comme un rabatteur dans une chasse à courre. Il va traquer le gros gibier et le ramène à son maître qui va se charger sadiquement de l’hallali.

Ceci dit, même si on ne fait pas partie des (mal)heureux élus, on n’en est pas moins sollicités par la pratique de quelques exercices collectifs qui fleurent bon la colo de vacances (parfois même la colo-scopie, pour être plus précis). Baffie n’a pas d’états d’âme, pas de scrupules, aucune échelle des valeurs. Il passe sans transition de l’humour le plus potache et la vanne la plus pitoyable (j’en ai relevé deux qui feraient même honte à l’Almanach Vermot), à la saillie la plus percutante et au délire le plus effervescent. Il est sur scène comme derrière le micro d’Europe 1 : libre et incontrôlable. Mais il n’est pas que ça car il parsème son spectacle d’effets spéciaux, de magie, de montages vidéo, appelés à illustrer certaines époques de son existence. Il ne joue pas qu’au semeur de trouble (pour ne pas dire plus), il nous livre une partie de lui-même ; son enfance, ses premiers pas dans la pub, la figuration, les petits boulots, ses débuts à la télévision, les coulisses de certaines émissions, glissant ça et là quelques révélations et confidences pour le moins réjouissantes… Et le gueux parvient même à nous offrir deux petites parenthèses de tendresse histoire de laisser deviner que le sale gosse fait parfois place à un homme pétri de bons sentiments. Mais ça ne dure pas longtemps, il faut vraiment être à l’affût. Il retombe vite dans ses travers (de porc, parfois) et se déchaîne de plus belle sur autrui (toujours franco de porc)…
Laurent Baffie est un fameux virtuose de l’improvisation et de l’à-propos. Il possède un sens redoutable de la formule et son sourire est là pour gommer les quelques grossièretés ou insanités qu’il profère. La vanne est son principal fonds de commerce à cet épicier ; dans le sens étymologique du terme puisque ses propos le sont fortement, épicés. Et il faut vraiment posséder un palais… royal pour réussir à avaler un menu aussi relevé. Pour en revenir à l’image de vénerie précédemment utilisée, ne laissez surtout pas une biche effarouchée à portée de ce redoutable prédateur, car ce n’est pas l’ouverture de la chaste.

mardi 4 mai 2010

Roland Magdane "Attention c'est show"


Théâtre des Nouveautés
24, boulevard Poissonnière
75009 Paris
Tel : 01 47 70 52 76
Métro : Grands Boulevards

Ma note : 8/10

L’argument : L’homme et la femme sont-ils vraiment faits pour vivre ensemble ? Le couple a-t-il un avenir ? Roland Magdane va nous expliquer pourquoi l’homme et la femme sont si différents… Les enfants sont-ils vraiment une source de bonheur ? Nous retrouvons son fils Benoît qui continue toujours péniblement ses études avec un apprentissage très laborieux de la langue anglaise… Et peut-on parler d’amour sans parler de sexe ? Magdane, qui n’a jamais parlé de sexualité sur scène, va enfin se lâcher !

Mon avis : Roland Magdane nous laisse à peine le temps de nous poser qu’il déboule, l’air bonhomme, l’œil et la moustache sui frisent, le sourire malicieux et, tout de go, il lâche une salve d’aphorismes et de réflexions qui ont le don de nous mettre en joie. C’est qu’elles sont drôlement bien trouvées ces observations. C’est tout à la fois d’une logique imparable et d’un degré d’absurde poussé à son extrême qui nous donnent à réfléchir. Content de son effet, il faut le voir jubiler devant les réactions du public… Et il enchaîne illico presto avec un sujet on ne peut plus universel et, pourtant si personnel, le sexe. Il commence chronologiquement en nous narrant ses premiers émois. Des premiers émois hélas considérablement contrariés par les effets dévastateurs et pernicieux d’un maillot de bain en laine tricoté main avec amour par sa maman. Déjà, au naturel, un slibard de cette matière, c’est croquignolet, alors imaginez quand il est mouillé et alourdi par l’eau de mer. Magdane excelle dans ce genre de comique de situation avec force descriptions et images surréalistes… Ensuite, respectueux de la chronologie, il passe à l’adolescence, ce qui donne lieu à un sketch truffé de détails dans lequel il évoque pêle-mêle les méfaits du « basilic » et ses tentatives de compréhension d’un rejeton pour le moins affligeant. Rire non stop garanti.
Imperturbable, il fait celui que les rires offusquent. Il s’indigne, s’insurge, augmentant évidemment les hoquets incontrôlables… Il en profite pour nous sortir une première lettre. La version 2010 de la bafouille du soldat, qu’il se met à nous lire avec ce ton chantonno-traînant si particulier. L’occasion pour lui de nous faire faire connaissance avec des grands-parents très hauts en couleurs… Après un petit détour sur « Mémé découvre les sex toys », il revient à lui pour nous décrire sa première expérience sexuelle et, de délire en délire, il nous entraîne dans un voyage inter sidérant qui se termine par une cure à Quiberon après un crochet sentimentalo-gastrique via l’Amazonie.
Il entre alors dans le cœur du débat proprement dit : les relations hommes-femmes. « C’est pas évident la vie à deux », annone-t-il comme un refrain. Là, il atteint des sommets de drôlerie. Il énonce les phrases qui tuent, rebondit avec des chutes inattendues, émaille ses propos de références issues du vécu, le tout étant émaillé de sortes de gimmicks qui donnent encore plus de rythme à ce chapitre qui nous concerne tous.
En guise de rappel, il extirpe une nouvelle lettre de sa poche pour nous célébrer les exploits de pépé. Alors que la salle hurle de rire devant les turpitudes de l’ancêtre, il lui adresse des regards accablés, outré que l’on puisse ainsi se gausser de sa famille. Et puis il enchaîne en guise de bouquet final avec une nouvelle salve de petites phrases de la même veine et de la même inventivité que celles du début. Sincèrement, je m’étais rarement trouvé ainsi immergé dans une houle d’épaules en train de se secouer nerveusement comme si le public n’était constitué que d’une armée de Sarkozy…. C’est vraiment impressionnant. Et, même si certains se montrent un peu trop démonstratifs en sautant dans leur siège ou en répétant tout haut la blague qui vient d’être dite, ce doit être très agréable et réconfortant pour un artiste de provoquer une telle hilarité.

Tout au long de ce one-man show Roland Magdane nous distille un humour très fin, remarquablement écrit et fort bien joué. Il est véritablement à son meilleur.

jeudi 22 avril 2010

Mathieu Madénian


Le Point-Virgule
7, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie
75004 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Hôtel de Ville

Spectacle mis en scène par Kader Aoun

Ma note : 7,5/10

Pitch : Venez découvrir le seul homme qui a réussi, en une heure de rire, à fédérer contre lui son ex, ses parents, sa grand-mère, Benoît XVI, la Ligue des Droits de l’Homme, le Kop de Boulogne, le Dalaï Lama, l’association des ex de Carla Bruni, le coiffeur-visagiste de Franck Ribéry, le père de Jean Sarkozy, le labrador de Gilbert Montagné, et la moitié de la communauté gay de Kaboul… Mathieu Madénian nous livre sa vision du monde et en profite pour se (et nous) venger des petites et des grandes humiliations de la vie.

Mon avis : A 25 ans, Mathieu Madénian a quitté son métier d’avocat pour ne plus plaider que sa cause. Quand il a jeté sa robe, ce n’était en tout cas pas aux orties. En effet, il a préféré cueillir ces herbacées urticantes pour les mêler au bouquet de réflexions qu’il nous livre sur scène. Parce que pour être piquant, le garçon est piquant.
Après une ébauche d’entrée en scène « à l’Américaines », il établit immédiatement une sorte de dialogue avec le public. Un public dans lequel il choisit quelques interlocuteurs privilégiés en fonction de leur âge, de leur façon de réagir à certains de ses propos, ou parce qu’ils ont une tête qui lui revient. Il ne les lâchera plus de la soirée, créant ainsi une espèce de running gag qui a l’heur de plaire à leurs voisins qui s’en trouvent ainsi épargnés. Mathieu Madénian ne triche pas. Il se raconte. Avec sincérité, avec honnêteté sans craindre de se moquer de lui-même. Remarquez, il y a de quoi quand on porte sur ses épaules le double fardeau d’être d’origine arménienne et Perpignanais. Alors, pour se venger, il n’hésite pas à s’en prendre aux autres minorités : les trisomiques, les nains, les Beurs, les Blacks, les handicapés, les homos, les personnes âgées, les asiatiques et, surtout, les filles. C’est son petit gène acide à lui…
Avec une évidente gourmandise pour un humour noir et grinçant, dans une sorte de stand-up à la sauce catalane, il se livre à un long témoignage dont il est le personnage central. Ses propos sont régulièrement émaillés de remarques, d’allusions et de saillies tout le temps drôles et souvent féroces (exemple, un conseil de son père : « Ne te bats jamais avec quelqu’un de plus moche que toi car, lui, il n’a rien à perdre »). Il possède un art consommé tout personnel de pratiquer l’effet double lame, ou l’effet kiss kool (pour les filles qui, a priori, ne se rasent pas). C’est-à-dire qu’il émet une objection qui nous dresse le poil (première lame), on pense qu’il en a fini quand il balance la deuxième qui, elle, coupe carrément dans le vif, provoquant sursaut de rire et quelques réactions délicieusement outrées. Et comme, vu la toile émeri qui recouvre ses joues, il n’utilise guère ce genre d’outil, ses fameuses lames sont extrêmement affutées. Avec ce champion du double salto, il faut toujours attendre la chute avant de passer à autre chose.
Et puis il reste une raison pour vous inciter à aller assister à son spectacle : jamais au cours de ma longue carrière, je n’ai vu un individu imiter aussi étonnement… la mouette (la mouette du Marais de surcroît, espèce très rare). C’est confondant de mimétisme et de réalisme. Rien que pour découvrir cette performance d’acteur…
Sans jamais s’épargner au passage, il nous narre par le menu son arrivée à Paris, sa découverte du métro et de ses usagers, il décrypte à sa façon certaines émissions télé, ironise sur Ben Laden, le pape et Ribéry, se moque gentiment de sa grand-mère Jeannette… Le dernier quart de son spectacle étant plus consacré à ses relations avec les filles (pisseuses et pleurnicheuses) et plus précisément avec son ex. Après nous avoir avoué « je suis mauvais en plan cul, je suis ceinture blanche », il nous confie son absolue adoration pour les seins. Un sentiment que presque toute la salle parage quel que soit le côté de la poitrine où l’on se trouve.
Mathieu Madénian est un peu comme un bon copain qui aime bien se mettre à délirer et faire le show devant une poignée d’intimes. Cet intarissable tchatcheur dégage une réelle sympathie. Car il a l’art de proférer les pires insanités en les gommant illico d’un sourire mi-sadique, mi-enfantin. Du coup, il peut tout faire passer. Il y a indéniablement un potentiel énorme chez ce garçon. Je pense qu’on ne va pas tarder à le voir gravir quatre à quatre les marches du succès et séduire les gens de télévision toujours à la recherche d’intervenant réactifs, dotés d’un redoutable sens de la répartie. « L’homme le plus drôle du 11è arrondissement » va bientôt dépasser les frontières de son quartier, franchir le périph et partir à la conquête de l’hexagone, voire déborder sur la Suisse, la Belgique et le Québec. Il n’y a vraiment plus de Pyrénées (Orientales)…

jeudi 11 mars 2010

Anthony Joubert


Théâtre de Dix Heures
36, boulevard de Clichy
75018 Paris
Tel : 01 46 06 10 17
Métro : Pigalle

Spectacle écrit par Eric Collado et Anthony Joubert

Ma note : 6,5/10

L’argument : A l’âge de 20 ans, Anthony Joubert est jeté hors du foyer familial par son père qui refuse de le voir embrasser la carrière de comique. Livré à lui-même, il se lance dans le récit de ses déboires et de son parcours initiatique…

Mon avis : Voici un garçon nanti d’un potentiel énorme. Il a une bonne bouille, un sympathique accent légèrement chantant, il est bon comédien, il sait raconter des histoires, et surtout une formidable façon de bouger et d’occuper la scène. Physiquement très à l’aise, il fait ce qu’il veut avec son corps. Son entrée en scène, carrément fracassante, en témoigne. Il vient de se faire virer manu militari du foyer familial par son père qui ne peut se faire à l’idée qu’il ambitionne de devenir comique de métier.
On sent que c’est sans doute très proche de la réalité. D’ailleurs, tout son spectacle va être nourri par son propre vécu. Mais, même s’il connaît des galères, il a l’art de les rendre marrantes grâce au prisme déformant de l’humour et de la dérision. Car il se moque beaucoup de lui-même, allant parfois jusqu’à se dénigrer, ce qui le rend encore plus attachant.
Anthony Joubert fait preuve tout au long de son one-man show d’une invraisemblable débauche d’énergie. Il est vif, généreux, charismatique et possède déjà toute une panoplie de gestes et de mimiques particulièrement efficaces. Il possède également cette faculté assez rare de rebondir en fonction des réactions de certaines personnes de la salle qui, se comportant comme si elles étaient à un repas de famille, se permettent des réflexions à voix haute. Au lieu d’en être déstabilisé, il s’appuie dessus, renvoie la balle et mémorise l’intrus(e) pour lui ressortir une vanne ultérieurement. Ce qui dénote d’une jolie maîtrise mentale.
Son spectacle est un véritable patchwork. Comme il fait de nous les confidents de son expérience, il donne l’impression de passer du coq à l’âne et de ratisser large sur le plan des sujets. Il évoque les séries télés, des plus actuelles aux plus ringardes, il nous emmène à la fête foraine, il parodie les publicités, utilise des extraits de chansons pour construire ses dialogues amoureux, il participe à l’Ile de la tentation, il nous narre son échec sentimental, revient sur ses difficultés scolaires, et s’attarde sur sa vocation de comique et le rapport à la célébrité.
Il n’arrête pas de parler, il bouge sans cesse, se marre quand il se prend les pieds dans le tapis, communique avec la salle… Bref, il est d’une incroyable tonicité. Alors, bien sûr, dans ce déferlement de mots, de situations et d’images, il ne peut pas tout le temps être au top. Il se laisse parfois aller à des blagues de potache et à des calembours un peu faciles. Il mérite toutefois beaucoup d’indulgence car, comme dans le lit d’un torrent, les orpailleurs de l’humour parviennent à retenir quelques pépites, quelques traits d’esprit qui ne font que confirmer que le jeune homme est bien prometteur. Il possède effectivement déjà un sacré bagage qui peut le faire voyager loin.
On ne peut évidemment pas parler de ce spectacle sans évoquer sa créature, le sieur William de Fly, artiste approximatif et sans états d’âme. Le cheveu ébouriffé, la guitare qui se voudrait gitane, il nous livre avec un enthousiasme qu’il veut communicatif quelques chansons totalement inclassables. Cette relation plutôt subie avec ce personnage envahissant et sans gêne, lui permet de nous offrir quelques jolies séquences d’une réjouissante schizophrénie.
Et puis il y a la (presque) fin à laquelle, personnellement, j’ai été très sensible. Tout en restant léger dans le ton, il réussit à teinter ses mots d’émotion dans l’évocation céleste de sa maman disparue et à nous proposer une très jolie tirade sur le bonheur. C’est drôle et touchant à la fois et ça accroît encore son capital sympathie.
Je ne m’attarderai pas sur la chanson finale qui est une gentille resucée et qui a un air de déjà vu. Mais elle lui permet un moment de partage complice et joyeux avec un public qui joue spontanément le jeu.
Comme je le disais en préambule ? Anthony Joubert est un garçon qui possède un très, très gros potentiel. Son père a tort, il est fait pour ce métier et je ne serais pas surpris que le théâtre et le cinéma lui fassent bientôt les yeux doux.

jeudi 4 mars 2010

Gaspard Proust "Enfin sur scène ?"


Studio des Champs Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau

Ecrit par Gaspard Proust
Mis en scène par Aslem Smida

Ma note : 8,5/10

L’argument : « Arthur Rubinstein disait : « Je monte sur scène pour faire l’amour à la salle ». Ce n’est pas du tout mon cas. Au contraire, je pense que ma présence sur scène n’a pas d’autre ambition que celle de transmettre aux hommes l’amour de la chasteté. Vous l’aurez compris, je suis porté par un rêve profondément altruiste : laisser aux générations futures un monde moins densément peuplé. Tendrement.
Gaspard Proust
PS : Si ce pitch vous semble un peu léger, c’est également par pur altruisme. Je ne serai jamais celui qui privera un journaliste à cours d’adjectifs comme « déroutant », « caustique » ou « long en bouche avec des arômes de latex et de fessée fraîche », de la partie créative de son travail ».

Mon avis : Ah, et bien voilà qui fait du bien. J’évoquais dans mon précédent Blog à propos de Dieudonné, combien il était délicieux de se faire sodomiser les trompes d’Eustache par du politiquement incorrect. Et c’est d’autant plus agréable quand c’est fait tout en douceur, pas à la hussarde, par un garçon qui n’élève jamais le ton.
Ainsi, Gaspard Proust est « déroutant » et « caustique »… Et dans son spectacle il ajoute même en parlant de sa forme d’humour, « décalé »… Maintenant que j’en ai fini avec les figures imposées, passons derechef aux figures libres. D’abord, la sienne de figure… C’est une sorte de masque le plus souvent impavide qui ne se fait mobile qu’à bon escient. Un sourcil qui se lève (un seul, les deux serait trop fatiguant), un sourire goguenard qui éclaire fugitivement son visage, un œil interrogateur (celui qui se trouve sous le sourcil immobile). Pour la gestuelle, ce n’est guère plus trépidant. Il marche à l’économie, parcourant le plus petit périmètre possible d’un train de sénateur et s’inspirant de Tino Rossi pour les mouvements de bras. Paradoxalement, c’est cette grande retenue qui fait que l’on est encore plus attentif à ce qu’il dit.
« Déroutant », c’est vrai ; « caustique », encore plus vrai ; et « décalé », totalement. Un crochet par le dictionnaire des synonymes me permet d’ajouter « acéré », « acide », « corrosif », « incisif »… Car si le geste est lent et mesuré et le pas compté (le côté Suisse sans doute), la langue, elle, est vive, très vive même. Et l’esprit itou.

S’il s’exprime ainsi, en caustique, c’est parce que, paradoxalement, il n’en a rien à cirer (suivez mon regard du côté de la production). Et puis ce patronyme… Proust ! Pas facile à assumer. Lui, il faut l’avouer, c’est plutôt « A la recherche du déroutant perdu », « Du côté de chez ça vanne », et ses madeleines, elles sont au poivre, façon dragées.
En fait, Gaspard Proust vient occuper la scène un peu comme un touriste. Il arrive nonchalamment du fond de la salle, monte sur les planches, échange posément son blouson pour son blazer de scène (blasé de scène ?). Ne faisant pas cas de notre présence, il semble entièrement plongé dans ses pensées. Et puis, toujours aussi calmement, il s’empare de son portable pour passer un texto. Certes, il s’en excuse auprès de nous, mais son manque flagrant de courtoisie n’a d’égale que la goujaterie de son message qu’il a l’indélicatesse de nous lire à voix haute. Oh, le mufle ! Mais, au moins, le ton est donné.
Gaspard Proust ne ressemble à personne. Même pas à Desproges chez qui d’aucuns lui trouvent une filiation. C’est vrai qu’il a une propension roborative à l’humour noir, qu’il pose des mines sur tous les terrains et envoie des exocets tous azimuts. On ne peut pas le taxer de parti pris puisqu’il tape sur tout ce qui bouge, ou qui ne bouge plus. Sa misogynie est culturelle, son anticléricalisme systématique, et sa mauvaise foi chronique. Mais il ne cesse de se disculper en se retranchant derrière un « je suis lucide » plein de condescendance… Son spectacle n’a pas l’air écrit. Il donne l’impression de quelqu’un en train de réfléchir tout haut et qui a envie de nous faire partager le fruit de ses observations. Le problème, c’est qu’il ne voit pas les choses comme le clampin lambda. Et sa façon de les dire est elle aussi très spéciale. Son écriture est dense et variée car, non seulement il possède un vocabulaire précis et riche (c’est qu’il a fait des études, le bougre). Avec lui une phrase n’est jamais finie. Un grain peut en cacher un autre. Ou alors, il inverse sardoniquement le sens premier des choses. « Déroutant », on vous dit ! S’il s’autorise une petite glissade du côté d’une blague assez lamentable, c’est pour rebondir aussitôt avec un aphorisme saignant. Il adore également utiliser des images saugrenues et des associations contre nature. Et il n’hésite pas à interpeller le public avec des interventions vraiment déstabilisantes.

Gaspard Proust, c’est le champion de l’humour désabusé. Rien ne trouve grâce à ses yeux, même son érotisme est « low coast », c’est dire l’état désastreux de sa libido.
Trêve de plaisanterie, voici enfin un énergumène avec un vrai univers, un loustic prêt à assurer la relève de l’humour vachard et très politiquement incorrect. Il serait temps que sonne le renouveau dans ce domaine alors que l’on craignait qu’un couvercle fût mis sur cette forme d’expression. Enfin quelqu’un avec qui on peut rire de tout sans crainte d’être censuré ou flagellé. Je vous jure, ça fait du bien, c’est salutaire. Gaspard Proust a créé un personnage qui va faire son trou uniquement en versant de l’acide. Il n’y a rien de plus efficace. Et il a beau tout faire pour se faire détester, on le trouve vachement sympathique.

Dieudonné "Sandrine"


Théâtre de la Main d’Or
15, passage de la Main d’Or
75011 Paris
Tel : 01 43 38 06 99
Métro : Ledru-Rollin

Spectacle écrit, mis en scène et interprété par Dieudonné

Ma note : 7,5/10

L’argument : Un des précédents spectacles de Dieudonné s’intitulait Le divorce de Patrick. Aujourd’hui, six ans plus tard, le divorce est consommé. Mais Patrick n’a pas pu oublier Sandrine, son ex. Et il continue à la harceler et à lui pourrir la vie. Seulement, il est allé un trop loin. Il a frappé madame et elle a porté plainte. Il s’en suit donc un procès pour coups et blessures que nous sommes invités à suivre dans ses moindres détails…

Mon avis : On peut dire tout ce que l’on veut de Dieudonné, mais il reste un de nos plus grands talents en matière de one-man show. Que ce soit dans son écriture, nerveuse et acérée, et dans son jeu, d’une formidable étendue, il fait preuve d’une originalité totale. Il possède une science du comique qui n’appartient qu’à lui.
Son nouveau spectacle, Sandrine, est de la même veine que tous ceux qu’il présente depuis qu’il se produit en solo sur scène. C’est-à-dire qu’il fait une nouvelle fois appel à toute une galerie de personnages hauts en couleur qui apportent chacun son éclairage et son témoignage sur une affaire donnée. Ici il s’agit d’un procès pour coups et blessures qu’intente madame Sandrine à son ex-mari, Patrick.

Personnellement, je me rends au théâtre de la Main d’Or à chaque nouveau spectacle de Dieudonné uniquement dans le but d’y passer un grand moment d’humour fin et caustique. Je n’y vais pas pour assister à une tribune politique – d’ailleurs il n’y en a pas – ou à une quelconque diatribe raciale ou sociale. J’aime l’humoriste Dieudonné et ça fait vingt ans que ça dure. Point !

Bien sûr, son sens exacerbé de la provoc’ n’est pas toujours du meilleur goût, mais tous les humoristes vous le diront, ils sont prêts à se damner pour sortir un bon mot ou pour dénicher la plus cinglante des métaphores. Le préambule du spectacle de Dieudonné, entièrement en voix off, ne déroge pas à cette règle. Il faut bien avouer que l’idée, même choquante, est imparable. Etre choqué, ça fait partie aussi de ces petits plaisirs intimes que l’on garde de l’enfance. Au fond de nous, on aime bien ça. Agissant comme une soupape face à des réalités parfois dures à accepter, l’humour noir fait partie de la culture française. Et il est souvent réconfortant de sourire de certains sujets qui ont trop fait pleurer. Ce n’est parce qu’on rit d’une formule acide ou d’une situation horrible qu’on est insensible et indifférent. Au contraire, même. C’est une manière de l’accepter, de ne pas faire l’autruche. Lorsqu’on possède un certain recul, on peut rire de tout. Il est arrivé que ce soit une question de survie, une manière de se protéger de l’inacceptable. Et tant que ça fait partie de sketches et que ce sont des mots prononcés par des personnages, il faut savoir s’en amuser.
Pour en revenir à Dieudonné, lorsqu’il apparaît sur scène, il ne nous livre pas tout de suite le procès de Patrick. Il s’attarde d’abord un temps sur sa situation de comique interdit, d’artisan de l’humour qui ne peut plus exercer son métier librement. Sur son permis de faire rire, on lui a ôté tous les points. Ne circulez plus, il n’y a rien à voir ! Sans misérabilisme aucun, il raconte ses difficultés à partir en tournée et sa parade mobile (un bus) pour continuer à donner ses spectacles en province.

En ayant terminé avec ces petites digressions liminaires, Dieudonné entre dans le vif du sujet. Il nous emmène au tribunal pour nous y faire vivre l’affaire « Boulard contre Boulard », Sandrine contre Patrick. Et il commence son festival en endossant les voix, les accents, les caractères, les mentalités, les tics de langage des protagonistes de ce procès somme toute banal. Le premier individu qu’il campe est le juge. Un juge fantasque et affreusement subjectif qui dresse le rappel des faits… Patrick Boulard tente alors d’assurer sa défense. C’est un homme fruste, qui fait énormément de fautes de langage et qui, comme beaucoup de personnes limitées, appuie ses dires avec force gestes très explicites. C’est un primaire qui estime que frapper sa femme, ce n’est pas si méchant que ça… L’avocat représentant la plaignante, Sandrine, intervient alors. S’appuyant sur des péripéties réelles, il dépeint Boulard comme un être odieux, infect, dénué de tout scrupule. Il remémore ainsi un accident de la circulation dont Sandrine a été le témoin muet et soumis et dans lequel Patrick a eu une attitude particulièrement sordide… Lequel Patrick n’a pas grand-chose à espérer de la part de son avocat commis d’office, maïtre Akébé, qu’il traite d’ailleurs de « pygmée », et pour lequel Dieudonné adopte évidemment un savoureux accent africain… Un accent qu’il troque avec virtuosité pour prendre celui du Midi afin de faire intervenir un personnage pittoresque qui intervient en tant que représentant du MIF (Mouvement contre l’Impérialisme Féminin)… Ensuite, toujours aussi bon dans l’exercice, Dieudonné prend successivement les accents asiatique, arabe et antillais avant de nous faire assister à l’interview de Sandrine par un journaliste télé et de terminer par un sketch aussi subtil que truculent sur le séjour de Patrick en prison dont je vous laisse découvrir tout le sel.
Enfin, il termine son spectacle par un superbe hommage à Claude Nougaro, suivi d’un sketch qui, tout remarquablement écrit qu’il soit (ou peut-être à cause de ça) crée un certain malaise. J’aurais préféré terminer sur une note un peu plus joviale.
Vous l’aurez compris, tout au long de ce spectacle, Dieudonné se livre à un exercice ébouriffant de comédie pure. Il fait vivre chaque personnage devant nous avec son accent, ses mimiques, ses gestes propres. Et comme d’habitude, cette galerie est particulièrement croquignolette, c’est toujours aussi bien écrit et aussi formidablement interprété. Et puis il a toujours cette façon si personnelle de jouer avec le public, attentif à la moindre réaction intempestive ou décalée pour l’interrompre d’une de ces boutades ou réflexions dont il a le secret. C’est vraiment du grand art.
Et bien il ne me reste plus qu’à attendre son prochain one-man show. Ce qui ne saurait beaucoup tarder vu le rythme auquel il écrit et sort ses spectacles.

dimanche 21 février 2010

Vous avez quel âge ?


Comédie des Champs-Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau

Une pièce de Françoise Dorin
Mise en scène par Stéphane Hillel
Avec Jean Piat

Ma note : 8,5/10

L’argument : Depuis que le monde est monde, les êtres humains ont été confrontés à de vastes problèmes. Beaucoup ont été résolus. Mais il en est un qui leur résiste : celui de l’âge et du temps !
Que répondre d’ailleurs à ces deux questions : « Vieillir, ça vous fait peur ? » ou « Vous avez quel âge ? »… En guise de solution, Françoise Dorin verse au dossier quelques espérances roboratives. Sans langue de bois ; avec humour, santé, gaîté.

Mon avis : Quand je vous parlais de cette foutue loi des séries… Et bien de retour, le lendemain de Colombe, dans la même salle de la Comédie des Champs-Elysées pour assister au spectacle donné par Jean Piat, j’ai de nouveau éprouvé ce bonheur ineffable qu’offrent les grands textes dits par un immense comédien.
Vous avez quel âge ? est une savoureuse pseudo conférence sur l’âge et le temps écrite sur mesure pour de formidable diseur qu’est Jean Piat par une auteure qui le connaît (très) bien. Avant même de s’attarder sur le jeu, parlons du texte tout bonnement admirable qu’a ciselé Françoise Dorin. En quittant la salle, je n’avais qu’une envie : pouvoir lire ce texte tant il est riche et foisonnant. Et tellement vrai. Ici, les méfaits et les ravages de l’âge sont décrits, disséqués, analysés, moqués. Ce long exposé plein d’humour est également enrichi per bon nombre de citations qui sont autant de corollaires à ce qu’énonce Jean Piat (en vrac, Pierre dac, Jean Renard, Beaumarchais, La Bruyère, Balzac, Voltaire, Agatha Christie, madame de Sévigné, Guitry, Hugo, La Rochefoucauld, Tristan Bernard, Fontenelle…)
Quand d’aussi belles phrases, d’aussi fins adages sont livrés par un virtuose du verbe, ils prennent toute leur saveur.

« Je travaille à mon avenir » déclare en préambule à une ministre imaginaire notre docte et primesautier octogénaire. Car, pas une seule fois, Jean Piat ne s’apitoiera sur son âge aujourd’hui respectable. Au contraire, avec son sourire enjôleur et son œil malicieux, il s’en amuse et il en fait même parfois l’apologie. « Tant qu’on a des douleurs, c’est qu’on est toujours vivant ! », c’est peut-être une lapalissade, mais elle est tellement juste… S’il ironise sur « saint Botox et saint Laser », c’est pour pouvoir nous placer cette image comportementale implacable : « rire la bouche en cul de poule pour éviter les pattes d’oie »… ça donne tout de même à penser, non ? Et, un peu plus loin, au cours de cette brillante séquence dans laquelle il nous livre dix conseils pour ne pas « faire son âge » : « Les vieux se répètent, les jeunes n’ont rien à dire ».
Pour évoquer la presbytie, Jean Piat se fait poète. Faire rimer les vers pour parler des verres, c’est du grand art. Parfois, pour mieux interpréter ces variations sur le temps, il prend une voix de petit vieux, se fait narquois : « le vieillissement est un problème vital » affirme-t-il avant de préciser « et un problème social ». Si on rit sans cesse, il n’en reste pas moins que le sujet nous interpelle tous. Et, très souvent, le public émet quelques murmures d’approbation. C’est qu’on est tous terriblement concernés. Et que rajouter à une ellipse aussi percutante que « on vit, on rit, on meurt, on pleure » ?
Toujours est-il que si le sujet du vieillissement ne prête à priori guère à la gaudriole, on passe en compagnie de Jean Piat un délicieux moment plein de charme et d’humour, ponctué de tout un lot de formules brillantes et savoureuses. Que du contentement ! Chapeau Madame Dorin et respect Monsieur Piat !

dimanche 14 février 2010

Stéphane Guillon "Liberté surveillée"


Théâtre Déjazet
41, boulevard du Temple
75003 Paris
Tel : 01 48 87 52 55
Métro : République

Ecrit par Stéphane Guillon
Mis en scène par Muriel Cousin

Ma note : 7,5/10

L’argument : L’agitateur de Canal+ et France Inter Revient avec un nouveau spectacle. Stéphane Guillon ne se démonte jamais et dégaine ses petites phrases assassines avec pour seul objectif de plaire au public. Il raconte l’air du temps avec une féroce justesse.

Mon avis : Stéphane Guillon, je ne l’ai plus jamais perdu de vue – et d’oreille – du jour où je l’ai découvert, revêtu d’un costume rouge, au théâtre de la Main d’Or. C’était en 2003. La petite salle n’était pas pleine, mais il y avait déjà une super ambiance car Stéphane faisait déjà du Guillon. Il n’a pas changé son fonds de commerce, mais aujourd’hui, mis en lumière par les slogans « Vu à la télé » et « Entendu à la radio », la clientèle se presse dans sa petite boutique des horreurs. Quant à lui, il a énormément gagné en assurance. Il a affiné son personnage. Hier, il proposait, maintenant il impose. C’est à prendre ou à laisser.

Paupière lourde sur un regard clair, il se compose une tête à la Droopy. Attention, c’est un masque ! Souvent, son visage s’illumine d’un sourire ou goguenard, ou satisfait. Goguenard quand il sait qu’il est allé très loin et qu’il savoure les réactions du public ; satisfait quand sa composition et sa formule font mouche. Guillon, c’est la goutte de citron qui tombe sur l’huitre, l’huitre étant la cible politique ou médiatique qu’il s’est choisie. Face à son plateau de fruits d’amer, il ne s’attaque pas aux petites crevettes ou aux bigorneaux. Lui, il fait frissonner d’aigreur les belons ou les Gillardeau. Genre un chef d’Etat ou un directeur général du FMI. Ce qui est croquignolet, c’est que le dénominateur commun entre le sniper et ses têtes de turc, c’est la bonne ville de Neuilly. Stéphane Guillon et Dominique Strauss-Kahn y sont nés à quatorze ans d’intervalle et que Sarkozy en est devenu le maire quand « Phanou » avait 20 ans.

Trêve de digressions, venons-en à ce qui nous intéresse, le nouveau spectacle de Stéphane Guillon, baptisé Liberté surveillée.
Décor minimaliste : un fauteuil rouge, un guéridon et un bureau derrière lequel il viendra s’installer lorsque son sketch prendra des allures de tribune… Le fameux costume rouge est rangé dans la naphtaline depuis belle lurette, Guillon, très élégant, a adopté le noir. Noir comme son humour. Au moins, il annonce la couleur. Lorsque les dernières notes d’une superbe valse lente aux accents tziganes s’éteignent, Stéphane Guillon ne s’autorise pas de round d’observation. Il attaque bille en tête avec une imitation de Sarkozy. Ensuite, il se met à deviser, abordant différents sujets. Il rappelle et analyse les réactions suscitées par ses chroniques sur France Inter, s’attarde sur les difficultés à être humoriste aujourd’hui, il en remet une petite couche sur l’handisport, s’amuse à inverser les idées reçues… Et, évidemment, rend une nouvelle fois hommage à son publicitaire préféré, DSK, qui a fait de lui l’humoriste le plus craint et le plus détesté de France le 17 février 2009…
Mais, dans ce one-man show, Stéphane Guillon ne joue pas qu’au polémiste politico-social, il interprète également des sketchs. Ce qui lui permet de monter qu’avant de faire dans l’humour, il a voulu être comédien. Et là, il fait preuve d’un indéniable talent de composition. Ainsi, quand il incarne une sorte de deus ex machina distribuant leur point de chute à des nouveau-nés, il se montre impitoyable, provoquant ça et là dans la salle quelques « Oh » outrés qui doivent le réjouir… Le deuxième sketch appartient au domaine de la science (politique)-fiction. Sarko arrive au terme de sa seconde mandature et il se livre à une étude de ces deux quinquennats. Tel un prof dans un ampli, il arpente la scène, docte et cynique, illustrant ses argumentations avec des projections d’images sur un écran.
Stéphane Guillon sait aussi se montrer intimiste et humble. Après avoir inspecté le public, et l’ayant sans doute jugé digne de confiance, il décide de lui faire quelques confidences très personnelles. Il a 45 ans, un âge charnière et il commence à appréhender les effets négatifs du vieillissement dont le plus généreusement répandu est la presbytie (sauf chez les aveugles… ça va de soi, aurait souligné Brassens). Puis il bifurque vers les signes d’affaiblissement de la libido, épilogue d’un autre sketch dans lequel il interprète un homme plaqué par sa Catherine. Là, il s’en donne à cœur joie en se vautrant avec délectation dans une misogynie que, malgré tout, on devine plus jouée que réelle (il dit trop de bien de son épouse).
Le sketch suivant fait place à ce qu’est le vrai Stéphane Guillon. Flash back sur son enfance et son adolescence, sur l’époque où on l’appelait encore « Phanou ». Comment de cette tendre évocation il rebondit méchamment sur BHL, c’est tout le mystère de son esprit fécond. Stéphane Guillon n’a pas le droit de dévoiler trop longtemps sa sensibilité.
Quant aux deux derniers sketchs ils sont particulièrement réussis. Les idées de départ sont très originales : un directeur de prison présente l’univers carcéral ; un couple réussit à obtenir une audience avec Dieu pour essayer de Lui marchander leur échéance fatale. Je ne tiens pas à en révéler les méandres, les rebonds et les pirouettes pour vous en laisser découvrir tout le sel… et le poivre.

Si Stéphane Guillon a intitulé son spectacle Liberté surveillée, ce n’est pas anodin. Comme il repousse sans cesse les limites de son champ d’action, comme il a décidé de n’en prendre qu’aux plus puissants (le Président de la République, ses patrons à France Inter…), il a conscience d’être en permanence sur la corde raide. Mais sa liberté est à ce prix. Funambule sur le fil du rasoir, nombreux sont ceux qui sont à l’affût de son moindre faux-pas. Mais, en même temps, encore bien plus nombreux sont ceux qui attendent de lui qu’il continue à dézinguer les institutions et à dénoncer les dysfonctionnements de notre société. Il est libre, certes, mais on peut distinguer sur sa chemise noire le point rouge qui signifie qu’un tireur d’élite embusqué le tient dans sa ligne de mire. Stéphane le sait et ça l’excite encore plus. Son meilleur blindage, ce sont finalement ses principaux détracteurs qui le lui ont offert par leurs déclarations vengeresses.
Stéphane Guillon est le dernier maillon (pour le moment ; j’espère qu’il en viendra d’autres) d’une chaîne réunissant Desproges et Bedos. La filiation est prestigieuse. Le temps joue donc pour lui car le Pierre et le Guy sont aujourd’hui des icônes aussi intouchables qu’encensées. Cynique, insolent, provocateur, non-conformiste, excellant dans l’art de la mauvaise foi, Guillon c’est le poil à gratter dans cortex de l’establishment. Il est donc salutaire cet irréductible Gaulois échappé de son petit village de Neuilly…