samedi 31 mars 2007

Rutabaga Swing


Comédie des Champs-Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau

Une pièce de Didier Schwartz
Mise en scène de Philippe Ogouz
Avec : Bruno Abraham-Kremer ou Philippe Ogouz (Bernard), Emmanuel Curtil (Philippe), François Feroleto (Hans), Jacques Haurogné (Claude), Jacques Herlin (Durieux), Amala Landré (Marie), Marion Posta (Suzy). Et Ezéquiel Spucches au piano.

L'histoire : 1942. En dépit de la guerre et de l'Occupation, la vie continue tant bien que mal. Chez madame Barray, le café du village, une petite troupe d'artistes amateurs se réunit même régulièrement pour répéter un spectacle... Il y a là Philippe, le petit-fils de la patronne, qui tient l'estaminet à la place de sa grand-mère alitée à l'étage ; Marie, la jeune serveuse fraîchement engagée ; Claude, le facteur gentiment idéaliste qui ne jure que par De Gaulle et qui rêve d'entrer dans la Résistance ; Bernard, le bibliothécaire fidèle aux idées du Maréchal Pétain ; et mademoiselle Suzy, la frivole coiffeuse au franc-parler décoiffant... Tout ce petit monde danse, chante et vit, s'aime et se chamaille dans une franche camaraderie.
Quand l'histoire commence, un jeune lieutenant de la Wehrmacht, vient prendre possession d'une chambre réquisitionnée par l'armée allemande. Il est traducteur, il aime la culture française, et tient à ce qu'on ne le considère pas comme un Nazi. L'ex-pensionnaire de la chambre qui lui est réservée vient d'être arrêté avec d'autres otages en représailles d'un attentat. Il va être fusillé le soir-même. Or, ayant réussi à s'échapper du camion qui l'emmenait vers le lieu de son exécution, il rentre subrepticement pour réintégrer sa chambre...

Mon avis : Petit problème avec le titre car cette pièce contient beaucoup plus de rutabaga que de swing ! Hormis la toute première chanson, tonique et enlevée, et une autre gentiment jazzy, ce sont surtout de jolies romances qui nous sont proposées. C'est un peu dommage car cette troupe possède de l'allant et de l'entrain.
Après cette simple réticence qui n'enlève rien à la qualité su spectacle présenté, Rutabaga Swing est une pièce qui, en marge de son parti-pris de nous distraire, nous donne beaucoup à réfléchir. On y traite en effet de sujets graves, très graves, et on y rit énormément. Ponctuée de documents radio de l'époque, elle nous distille quelques vérités historiques dérangeantes. Cette pièce est un concentré de ce que la nature humaine peut engendrer de beau et de laid. Entre bassesses, trahisons, frilosité et grandeur d'âme, courage et solidarité, c'est toute la palette de ce qu'ont été la plupart des comportements en temps de guerre. Il faut l'avoir vécu pour juger. Et encore...
Le casting est parfait. Les personnages féminins sont attachants. Marie, la serveuse, est touchante de discrétion, de gentillesse et de dignité. Suzy, la coiffeuse qui ne s'embarrasse pas de principes, est pétulante et sympathique. Claude, le facteur, candide et attendrissant, fait un numéro qui nous rappelle son collègue du Jour de fête de Tati. Hans, l'officier allemand qui-n'a-pas-le-beau-rôle, nous fait vite partager les affres que représente pour lui le fait d'être l'occupant et d'avoir pouvoir de vie et de mort sur des gens auxquels il s'est attaché. A travers son regard lucide, il met le souvent le doigt là où c'est sensible. Et il y a monsieur Bernard. Quelle présence ! La séquence où il est travesti en madame Barray est un fantastique morceau de bravoure.
En conclusion, même si on peut déplorer quelques longueurs (particulièrement deux scènes avec Hans et dans le choix de chansons lentes), Rutabaga Swing est une pièce fine et intelligente. Sans vouloir nous donner de leçon, elle nous met face à un miroir qui reflète un vrai condensé du genre humain. La troupe quant à elle est irréprochable. Les personnages nous ressemblent tant qu'on ne peut que se remémorer la célèbre réflexion de Jacques Prévert : "Quelle connerie la guerre !"

dimanche 25 mars 2007

Au Revoir Simone


The Bird Of Music
(V2)

Je dois bien reconnaître que mes goûts ne me portent guère vers la musique électronique. Mais là, je me suis bien fait avoir. Doublement attiré et par le nom du groupe, Au revoir Simone, et par la pochette nous révélant trois jolies jeunes femmes dans un décor bucolique digne d'une photo de David Hamilton, je me suis hâté de découvrir de quoi il retournait.

Dès les premières notes du tout premier titre, The Lucky One, toutes simples, égrénées par un piano lancinant, je me suis senti intrigué. Puis une petite ritournelle tout aussi entêtante s'est invitée. Je me suis senti bien. C'était joli, agréablement feutré. Et quand les voix, douces et mélodieuses des donzelles se sont mêlées à la musique, j'étais aux anges. Et, à la fin, une sorte d'hymne gentillet a cappella juste accompagné de grelots, je me suis retrouvé transporté en pleine époque du Flower Power...
Ce titre est la parfaite introduction à l'univers si personnel d'Annie, Erika et Heather, trois jeunes new-yorkaises. Synthés, boîtes à rythme et voix qui s'entremêlent fort harmonieusement, voici le secret de leur ambiance musicale. L'ensemble est plutôt doux, mélancolique, voire délicieusement romantique. Il se dégage de cet album beaucoup d'élégance et de féminité. Il suinte également d'une sensualité d'autant plus troublante qu'elle s'exprime dans la retenue, la suggestion. Ces jeunes femmes possèdent une séduction naturelle. Aux antipodes de la provoc', elles jouent simplement la carte de l'authenticité. Ce qui les rend cent fois plus désirables...

Outre The Lucky One, voici les titres que j'ai préférés sur cet album réellement agréable à écouter :
1/ Lark. Magnifiquement aérien et éthéré, c'est pour moi le titre le plus réussi.
2/ Fallen Snow. Pour le mariage particulièrement accmpli entre les voix et les notes du synthé.
3/ Don't See The Sorrow. Minimaliste et mélancolique. joli comme tout !
4/ Dark Halls et Night Majestic. A égalité parce qu'ils sont les deux seuls titres sautillants, guillerets, joyeux.

Un album à écouter devant un feu de cheminée, étendu sur une peau de bête au côté de l'être aimé.

mercredi 21 mars 2007

Christophe Maé


Mon paradis
(Warner)

Avec son sens du rythme et sa façon si particulière de chanter, Christophe Maé rend original le titre le plus banal et anodin. En France, on le sait, on aime coller des étiquettes et dresser des comparaisons. Avec Christophe, ce petit jeu est impossible. Il est non seulement un musicien multi-instrumentiste hyper doué, mais il est doté en outre un feeling incomparable. Quand il chante, il vit, il s'amuse. On le sent heureux, léger, généreux.
Dans cet album de douze titres, il a écrit ou co-écrit six textes, composé ou co-composé huit mélodies. C'est dire son implication ; c'est vraiment SON album. Il y a apporté un soin très particulier aux sonorités. Avec un phrasé qui n'appartient qu'à lui, il fait sonner et danser les mots. On ne peut imaginer interprétation plus personnelle. Il serait formidable dans le blues (ce sera, j'espère, pour une prochaine fois), il est parfaitement à l'aise dans le rytm'n'blues (il suffit d'écouer Mon paradis), mais la principale couleur de cet album est le reggae. C'est une musique de liberté qui lui convient tout-à-fait.

Pour mon goût, il y a six singles en puissance dans cet opus. Même si j'aime aussi des chansons comme Mon paradis, Ma vie est une larme (au bien joli refrain), Mon père spirituel (malgré son texte volontairement naïf), et Spleen, et si j'ai été moins sensible à Belle demoiselle et à Maman, comme je l'ai dit plus haut, Christophe Maé possède ce supplément de soul qui bonifie n'importe quelle chanson.
Pour moi, deux chansons se dégagent vraiment du lot.
En premier, je place On s'attache. cette chanson est la passerelle idéale avec ses créations dans Le Roi Soleil. Ne serait-ce déjà que par la présence du texte signé Lionel Florence. Il résume la philosophie de vie de notre olibrius, son besoin de liberté et d'espace et son mépris des entraves.
Ensuite, j'ai été très touché par l'émotion qui se dégage de ça fait mal. Cette chanson intime et simplissime, quasiment guitare-voix, est, malgré son sujet (l'abandon de la mère par le père) empreinte d'une grande douceur. Il a une telle façon de prononcer le mot "papa" qu'il vous donne le frisson.

Les autres titres qui méritent d'être "saucissonnés" en singles sont, sans ordre préférentiel :
- Parce qu'on ne sait jamais. Il y a un de ces grains dans la voix ! Et le thème abordé par Lionel Florence, celui de notre attitude face à la mort, nous amène immanquablement à la réflexion.
- L'art et la manière. Encore du Florence pur jus sur l'image que l'on donne, l'être et le paraître. Sur fond de reggae, c'est vraiment imparable.
- C'est ma terre. Encore une fois Lionel Florence a fait simple et efficace. Rien de tel qu'une ambiance africaine pour évoquer les thèmes et les valeurs qui font que l'humanité pourrait être plus "aimable" si on s'en donnait un peu la peine : La fraternité, le respect de la nature et de l'environnement, la tolérance... Une réussite !
- Va voir ailleurs. Un très joli texte de Christophe sur le respect de la liberté de l'autre, "même si sans toi je pleure", une attitude généreuse, chevaleresque, un vrai geste d'amour. Il y dévoile toute sa fragilité. Les femmes et les filles vont adorer...

Cet album de Christophe Maé sort à point nommé. Il fallait en effet profiter de la dynamique du Roi Soleil où, soir après soir, sa composition effervescente de frère du roi est accueillie par des exclamations de plaisir. Par son extravagance, il s'est imposé comme étant le clou du spectacle, ses espaces de fantaisie. L'album est à son image même s'il n'y a pas mis trop en avant son sens de l'humour et de la dérision. Il a fait sérieux. Il ne pouvait pas se permettre de passer à côté de cet album car il est très attendu. D'où une certaine prudence. Si "ça marche" - et je suis convaincu que cela va être le cas - il pourra sans doute enfin donner libre cours à toute sa folie créatrice. En attendant, fort de son originalité, Mon paradis a tous les atouts pour plaire au plus grand nombre. Et il possède un tel éventail de possibilités que, s'il sait rester humble et rigoureux, il a tout pour entrer dans la Cour des grands et devenir un "Monsieur" de la chanson française.

dimanche 18 mars 2007

Pirette "Chaleur charbon"


Théâtre du Gymnase

38, boulevard Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne Nouvelle

Préambule : François Pirette est vraisemblablement l'humoriste le plus populaire actuellement en Belgique. Certains d'entre vous se souviennent sans doute de son passage sur France Inter pendant deux saisons, il y a une décennie, aux côtés de Laurent Ruquier dans Rien à Cirer. Son humour ravageur et un spectacle au théâtre de Dix Heures avaient laissé quelques jolies souvenirs. Bien que résidant en France depuis une douzaine d'années, il sévissait uniquement outre-Quiévrain où il se partageait entre théâtre et télévision. En 2004, son premier numéro du "Pirette Show", diffusé sur la chaîne privée RTL-TVI, décroche la troisième meilleure audience de l'année derrière les films Harry Potter et Astérix. C'est dire l'impact et la cote d'amour de ce garçon.
C'est presque sur la pointe des pieds qu'il revient sur la scène parisienne pour nous présenter son septième one-man show, Chaleur charbon.

Mon avis : Finalement, à y regarder de plus près, l'affiche de Chaleur charbon est assez éloquente : François Pirette y apparaît en "gueule noire" avec, sur le casque, la loupiote allumée... Disons-le tout net, le noir est la couleur de son humour. Quant à la loupiote, elle symbolise son regard qui éclaire les endroits les plus sombres des replis de l'âme humaine pour nous les décrire avec une férocité aussi tranquille que gourmande. Quand Pirette va au charbon, c'est au marteau-piqueur qu'il s'attaque aux gisements fossilisés de nos pires turpitudes. Houille, houille, houille... Il est vrai que le filon est inépuisable. Et quand il arrive, dans sa galerie de personnages, que l'on se reconnaisse parfois dans certains comportements lamentables, quel coup de grisou ! On a bonne mine... Mais qu'est-ce qu'on rit !
Je dois avouer posséder une certaine attirance pour l'humour noir. Avec Pirette, j'ai été gâté au-delà de toutes mes espérances. J'ai bu du petit lait parfumé au vitriol... Son spectacle, qui dure tout de même une heure et demie, ne comprend que sept sketches. Mais quels sketches ! C'est un remarquable conteur eu service d'un remarquable auteur (lui-même). Il a joue avec le public avec une malice et une pseudo mauvaise foi qui donne pas mal à réfléchir. Excellant dans un double niveau de lecture, c'est vraiment très très fin. Et tellement cruel aussi.

Il ouvre le spectacle habillé en mémère. Le ton est donné. Avec un fort accent belge, elle raconte sans pudeur aucune sa vie de famille étriquée, se permettant quelques savoureuses digressions qui font frissonner la salle de contentement... Dans son deuxième sketch, il campe un père ignoble, un con intégral équipé de toutes les options : lâcheté, xénophobie, méchanceté, mesquinerie... Dans le troisième, en prof de STT remplaçant, il atteint des sommets de cruauté dignes d'être inscrits au tableau d'horreur. Il est au one-man show ce que Franquin était à la BD avec ses Idées noires... Ensuite, il gravit encore une marche dans l'indicible en se mettant dans la peau de la Faucheuse, de la Mort. Ce qui lui permet de balancer ses vérités sur quelques nuisibles de ce monde qu'il aimerait bien avoir pour clients. C'est beaucoup plus profond quil n'y paraît... Puis, retour sur scène de la Mémé du début qui a, cette fois, quelques démêlés avec sa fille de 18 ans. Quel sens de l'observation et du détail qui tue ! Expressif en diable, il s'autorise à la fin du sketch un joli retournement de sentiment qui nous titille l'émotionnel. C'est très habile... Ensuite, il se métamorphose en vieillard à l'hospice pour nous livrer un sketch tour-à-tour caustique, acide, impitoyable et, pourtant, profondément humain. Avec beaucoup de bon sens et une logique imparable, jouant avec les mots comme avec les sentiments, il ne peut s'empêcher malgré lui de laisser filtrer sa vraie grande tendresse... Et il termine avec une sorte de fable située en 2017, grinçante et réaliste, touchante et inquiétante, avec des saillies dignes de Pierre Dac.

Très honnêtement, on ne peut qu'employer des superlatifs pour évoquer ce spectacle. Que c'est jouissif d'entendre une salle entière frémir et ronronner du plaisir coupable de rire sur de franches horreurs. Parfois quelques petits cris outrés provoquent un fugace sourire de satisfaction sur le visage de celui qui les profère. Quelle récompense ! En matière d'humour noir, c'est en tout état de cause, un des meilleurs spectacles que j'aie vu depuis longtemps.

samedi 17 mars 2007

La mémoire de l'eau


Petit Théâtre de Paris
15, rue Blanche 75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Métro : Trinité

Une pièce de Shelagh Stephenson
Mise en scène de Bernard Murat
Avec Charlotte Valandrey, Florence Pernel, Valérie Benguigui, Eric Viellard, Gilles Cohen, Manoëlle Gaillard

L'histoire : Trois soeurs, Marie (Charlotte Valandrey), Thérésa (Valérie Benguigui) et Catherine (Florence Pernel), se retrouvent réunies dans la maison familiale pour y veiller leur mère qui vient de mourir. Très différentes de caractère, elles reprennent tout naturellement leurs chamailleries de petites filles. Mais le cocktail "chagrin, alcool et fumette, va exacerber leurs rivalités et leurs jalousies. Devant leurs compagnons impuissants et bientôt dépassés, elles vont régler leurs comptes...

Mon avis : Décidément, quand on se retrouve dans la salle du Petit Théâtre de Paris on n'est rarement déçu. On tombe à chaque fois sur des pièces modernes, insolentes, dérangeantes, vives ; des pièces qui nous confrontent et nous renvoient le plus souvent à notre propre existence.
En dépit de son titre pour le moins énigmatique, La mémoire de l'eau n'échappe pas à cette excellente habitude car, une fois de plus, nous passons une excellente soirée du côté de la Trinité.
En parlant de "trinité", celle composée de Charlotte Valandrey, Florence Pernel et Valérie Benguigui est franchement épatante. Chacune, dans son rôle, campe un personnage au profil et à la mentalité totalement différentes. L'aînée, Marie (Charlotte), est médecin. Elle est celle qui a professionnellement réussi. Elle est à la fois admirée et jalousée pas ses soeurs qui lui reprochent d'avoir été la préférée de leur mère. Mais en dépit de sa réussite, Marie, marquée par un drame de jeunesse, est terriblement fragile. Charlotte Valandrey apporte à ce personnage tout en intériorité une certaine pudeur, de la lucidité, un sens aigu de la réplique assassine et, malgré tout, pas mal de tolérance.
La deuxième, Thérésa (Valérie), est complètement premier degré. Elle est sérieuse, sans fantaisie aucune. Avec son franc parler, elle n'hésite pas à asséner les vérités (ou les rumeurs) qui blessent. Quand elle est lancée, rien ni personne ne peut l'arrêter. Elle a, aux trois-quarts de la pièce, un morceau de bravoure (un régal pour une comédienne) qui transporte la salle.
Quant à la cadette, Catherine (Florence), elle est la petite fille qui n'a pas grandi. Convaincue d'avoir été la mal aimée, elle témoigne d'une vraie rancoeur vis-à-vis de sa mère. Délicieusement sexy, elle compense son manque d'assurance en absorbant force substances illicites et enivrantes. Elle est capricieuse, futile, frivole, excentrique, hypocondriaque et, comme ses deux frangines, elle est terriblement attachante.
Les deux hommes, Mike (l'amant de Marie) et Franck (le compagnon de Thérésa), servent plus de révélateurs. Mike est sans cesse en porte-à-faux avec sa culpabilité d'homme marié qui ne veut pas abandonner son épouse souffrante. Et Franck, débonnaire, placide, fatigué, il s'efforce d'être la voix de la sagesse dans ce maelström exclusivement féminin.
La mise en scène de Bernard Murat est impeccable avec, à souligner, un habile jeu de lumière dont je vous laisse découvrir l'utilité. La pièce est menée tambour battant. Les dialogues sont incisifs, les répliques fusent, avec une bonne dose d'humour noir (la mort est tout de même sans cesse présente). On passe sans transition de la franche rigolade à l'émotion, de la banalité du quotidien à la réflexion profonde, du drame à la comédie. Et, à travers les personnages de Thérésa et de Catherine, on vit quelques moments de pure folie. Quel casting !
La programmation du Petit Théâtre de Paris a encore frappé. Bonne soirée garantie...

jeudi 15 mars 2007

L'emPIAFée


Comédie République
1, boulevard Saint-Martin
75003 Paris
Tel : 01 40 29 03 02
Métro : République

Ecrit et mis en scène par Rémy Caccia
Avec : Christelle Chollet et Jean-Louis Beydon

Le sujet : Un pianiste ensmokingué, très classe, attaque les premières notes de L'hymne à l'amour. Son envolée est interrompue par l'irruption volcanique d'une sorte de canari botté et casqué qui, façon livreur de pizzas, affirme qu'elle a été envoyée par sa boîte, "SOS Chanteuse", pour pallier le forfait de l'artiste qui devait assurer ce spectacle sur le répertoire d'Edith Piaf...
D'abord interloqué, Jean-Louis, le pianiste, doit se plier aux éxgigences de la "dépanneuse", d'autant que celle-ci doit ensuite honorer un remplacement de Dave au Bal des Pompiers !

Mon avis : Quel show !!! Si vous voulez passer une excellente soirée, précipitez-vous à la Comédie République. L'emPIAFée est un spectacle total qui réunit tous les ingrédients de la scène, à savoir la comédie, la musique, le chant, la danse (?), l'humour, l'émotion, le rythme. On passe de surprise en surprise, d'émerveillement en émerveillement. On est immédiatement pris à la gorge (déployée) par cette pigiste improvisée qui, sans aucun complexe ni état d'âme assure son boulot de chanteuse-dépanneuse.
On ne peut qu'employer les superlatifs. Christelle Chollet nous offre une composition proprement ahurissante. C'est une véritable pile électrique, bourrée d'énergie. Avec sa bonne bouille, son irrésistible sourire encadré de charmantes fossettes, les yeux sans cesse illuminés d'une kyrielle d'étoiles malicieuses, un sens inné du swing et une gouaille que n'aurait pas reniée son modèle, la Môme Moineau (elle, ce serait plutôt le Môme Canari), elle nous fait témoins de sa vie professionnelle et sentimentale.
Ce qui est très habile dans ce spectacle, c'est d'une part la façon dont les chansons d'Edith Piaf sont amenées (elles s'inscrivent dans le cours du vécu de Christelle) et, d'autre part, l'extraordinaire originalité des arrangements musicaux. On redécouvre les chansons de Piaf, pourtant gravées dans leur version originale dans le disque dur de notre mémoire, sous un angle et des couleurs totalement différents. Et là, il faut saluer l'incomparable talent de Jean-Louis Beydon. Virtuose absolu, ce Ronaldinho du piano est époustouflant d'aisance dans tous les registres musicaux. Aspiré par la folle énergie de sa chanteuse d'un soir, il doit adapter son jeu en fonction des diktats de la donzelle. Non je ne regrette rien devient un blues, Mon manège à moi, une samba, La Foule, un rap (un grand moment !), Milord est relooké façon "Cabaret" dans une ambiance digne de Broadway, avec chorégraphie, et tout, et tout... Mais il ne faut pas trop en dire pour ne pas déflorer tous les rebondissements et toutes les trouvailles de ce spectacle.
Pour terminer, il faut bien en revenir à cette pétulante EmPIAFée. Christelle Chollet est une artiste complète. Elle sait tout faire et tout faire passer. Petite poupée blonde, elle est d'une incroyable facilité vocale. Et encore, on sent qu'elle en garde sous la semelle de ses bottines blanches. Jouant, sans en abuser, de sa féminité, elle a l'art de mettre le public dans sa musette. Elle charme les mâles, se fait complice des femmes. Elle est tellement saine et naturelle qu'on n'a jamais l'impression qu'elle interprète quelque chose d'écrit. Ce spectacle est une absolue réussite ; un superbe hommage à Piaf doublé d'un hymne à l'humour. On peut lui prédire un bel avenir et une vie en rose car les (empia)fées se sont penchées sur son berceau.

jeudi 8 mars 2007

Jean-Luc Lemoine... au naturel


Théâtre Le Temple
18, rue du Faubourg-du-Temple 75011 Paris
Tel : 01 43 38 23 26
Métro : République

Jean-Luc Lemoine, c'est le prince vachard... mant ! Tout de noir vêtu, il ne faut pas se fier à sa façon débonnaire d'arpenter la scène du théâtre du Temple. L'oeil qui frise, il nous entraîne dans son univers à la fois proche et décalé. Sa recette est simple ; mais redoutablement efficace. Il s'appuie sur des exemples concrets, des petits faits banals de la vie quotidienne et, petit à petit, il les déformme, les amplifie, les distord et en arrive à des situations surréalistes qui nous font hurler de rire.
Jean-Luc Lemoine n'est pas niais de la dernière pluie. Il a son style bien a lui, très personnel. Son cocktail - très alcoolisé - est composé de 30 % d'humour noir, 20 % d'impertinence, 20 % de faux-culitude (merci Ségolène de nous avoir ouvert cette brèche sémantique), 15 % de (pseudo) misogynie, et 15 % de grivoiserie. Il est fin, possède un sens aiguisé de l'observation et, surtout, il a l'art de nous faire rire avec des évidences. Il y en a des idées dans son spectacles ! la bonne dizaine de sketches qu'il nous livre est d'un très bon niveau. Et, en prime, ce qui ne gâche rien, il révèle tout au long de son spectacle de formidables dons de comédien.
Après une entrée de rock star digne de Johnny Hallyday au Stade de France, il fait immédiatement retomber le soufflé en invitant une spectatrice sur scène pour la titiller avec un questionnaire très mauvais esprit. D'un ton sûr (signe distinctif d'un Lemoine) il l'accâble de sa curiosité perverse. Ce soir-là, la jeune femme, répondant au prénom de Nina, s'est montrée particulièrement joueuse et dotée d'un joli sens de la répartie. Il est important pour ce prédateur de spectatrices de bien choisir sa proie. Mais le fameux questionnaire est suffisamment tordu pour ne pas être tributaire de la prestation de la victime.
Dès le premier vrai sketch, l'histoire d'un premier rendez-vous galant, on retrouve le Jean-Luc Lemoine que l'on attend : hypocrite, perfide, gaulois. Un régal de duplicité... Dans le deuxième, de son scalpel trempé dans le curare, il dissèque le pire de la chanson française des années 80 dans une savoureuse analyse de textes... Ensuite, il nous explique ce nouveau phénomène de société que sont les métro-sexuels. Il ne nous sort que des évidences, mais elles font toutes mouche. De toute façon, avec lui, chacun des deux-trois sexes existant en prend équitablement pour son grade... Après quoi, il se lance dans une allégorie dévastatrice sur les instituts de beauté d'une part, et "la qualité... presque " des magasins Leader Price d'autre part. Là, ça balance grave... Dans le cinquième sketch, il utilise avec énormément de brio le phénomène classique de la situation inversée, ici un coming out : il annonce son hétérosexualité à ses parents effondrés !... Puis il s'amuse au jeu des "et si". Et si la vie c'était comme au ciné ? Un sketch qui lui permet de parler des arnaques et de se pencher avec une grande autodérision sur son statut de "vedette de la télé". C'est absolument savoureux... L'antépénultième sketch le conduit à se livrer à un grand numéro d'acteur. Son personnage, quasiment normal au départ, se métamorphose peu à peu en un inquiétant psychopathe au fur et à mesure que sa libido le travaille de plus en plus. C'est remarquable... Facile pour lui d'enchaîner dès lors dans le registre de l'humour noir et grinçant : comment supporter son enfant quand il est très moche ; ça fait frémir, c'est dur à entendre, mais c'est tellement vrai. On ne peut pas lui jeter le premier Pierre, surtout s'il est particulièrement hideux... Et il termine en apothéose en nous narrant sa cohabitation avec son chien. Le mot "cohabiter" y prend toute sa saveur quand on apprend que son molosse a le détestable travers de vouloir assister à ses débats amoureux. On vous laisse imaginer les situations que cette présence aussi animale qu'affectueuse peut entraîner... Quant au rappel, c'est un subtil exercice de style sur des questions auxquelles on ne peut pas vraiment répondre. Des pourquoi qui nous laissent coi.
En résumé, Jean-Luc Lemoine commence à prendre une place prépondérante dans le peloton de tête de nos meilleurs humoristes. Excellent dans le one-man show, il ne faut pas oublier qu'il est l'auteur de deux pièces délicieusement hilarantes, Le sens du ludique et Amour et chipolatas. Il n'est jamais gratuitement méchant. Il est aussi à l'aise dans un humour noir, impertinent et parfois absurde qu'on pourrait qualifier de "british" que dans une propension réjouissante à la gaudriole qu'on pourrait estimer "franchouillarde". Un garçon à suivre...

mercredi 7 mars 2007

Romane Serda


Après la pluie

Après la pluie, le deuxième album de Romane Serda, s'inscrit parfaitement dans le prolongement du précédent. Comme son titre l'indique, il est a priori censé tendre vers le beau temps, vers le positif. Or, il ne faut pourtant pas le considérer uniquement par le gros bout de la lorgnette car cet opus contient quelques chansons-cumulus évocatrices de longues périodes de grisaille (T'étais pas là), ou annonciatrices d'orages (Pleure pas), de petite pluie fine(London, Glasgow, Dublin), de nuages plus légers et vaporeux (T'es où ?) et, hélas, rapporteuses de dévastateur tsunami affectif (Dylan)...
On l'aura compris, le ton général de cet album est le clair-obscur (définition du Petit Larousse : procédé consistant à moduler la lumière sur un fond d'ombre, de manière à suggérer le relief et la profondeur). Les chansons, plutôt lentes, s'incrivent dans un climat feutré. Bref, Romane Serda s'installe délibérément dans la famille des folksingers, façon Joan Baez ou, plus près de nous, Tracy Chapman. Elle est l'antithèse de la chanteuse à voix québécoise et, même si elle vient du Sud, elle ne le braille pas comme Chimène Badi. La jeune femme nous susurre directement dans l'oreille, sa voix délicatement éraillée nous chatouillant fort gréablement la trompe d'Eustache. Je l'avoue franchement : j'adore la voix de Romane. Une voix fragile de femme-enfant avec de délicieux petits décrochages qui n'appartiennent qu'à elle.

Un regard sur les crédits de cet album nous apprend qu'hormis deux apports mélodiques d'Alain Lanty et Peter Glenister, les chansons sont signées de Romane pour les musiques et d'un certain Renaud Séchan pour les textes. Les remerciements qui viennent en fin de livret, peu nombreux, donc immensément qualitatifs, se terminent par un vibrant et malicieux : "Merci enfin à mon Renaud, auteur, producteur, reproducteur et bien plus..."
Après la pluie est donc le résultat d'une collaboration on ne peut plus étroite et familiale. Quand on a sous la main un auteur comme Renaud, la barre est, dès le départ, placée très haut. Mais c'est en même temps une sacrée responsabilité car on vous attend au tournant, toute mignonnette blondinette que vous soyiez.
Venons-en donc à cet ouvrage intime et intimiste de cette "dream team".
On n'épiloguera pas sur l'écriture. Elle est celle d'un poête à la fois réaliste et impressionniste. Un texte comme Après la pluie, est tellement joliment descriptif qu'on dirait une rédaction d'école. Et j'ai beaucoup de tendresse pour celui de Nos différences, petite chronique d'une vie de couple qui témoigne - ce n'est pas nouveau - d'un sens très aigu de l'observation.
Cet album, très guitareux, appartient à la catégorie de ceux que l'on écoute. De préférence dans une ambiance tamisée. En voici mon hit-parade :
1/ T'étais pas là. Titre très personnel. L'abandon du père y est décrit sans amertume aucune, sans agressivité, avec même une forme de tendresse, comme le simple constat d'un vide et d'un inévitable manque.
2/ Tu ne me connais pas. C'est léger, tendre, généreux ; et interprété du bout du coeur.
3/ London, Glasgow, Dublin. Pour son petit côté gainsbourien. Portrait d'un bon nombre de gamines de 17 ans, un peu paumées, un peu révoltées, un peu grunge, un peu provoc', dont le seul refuge et le seul moyen d'expulser leur mal-être est la musique.
4/ Nos différences. Chaque couple qui écoute cette chanson peut l'adapter et la transposer à sa propre vie...

Voilà. Cet album possède le charme indéfinissable d'un bonbon acidulé. C'est doux, tout doux. Trop doux ? Je pense qu'il y a un parti pris d'homogénéité de climat. La voix, très devant, permet de bien profiter des textes ciselés par un orfèvre amoureux de son plus beau bijou. Il s'est appliqué le bougre ! Maintenant, cet album pêche peu ou prou par certaines mélodies un tantinet faiblardes, peut-être parce qu'épurées à l'extrême (Aller au Sud, Nuit blanche, Pleure pas, Balade avec toi). A vous de juger...