vendredi 18 mars 2016

Jean-Paul II - Antoine Vitez "Rencontre à Gandolfo"

Théâtre La Bruyère
5, rue La Bruyère
75009 Paris
Tel : 01 48 74 76 99
Métro : Saint-Georges / Pigalle

Comédie dramatique de Jean-Philippe Mestre
Adaptation de Bernard Lanneau
Mise en scène par Pascal Vitiello
Lumière de Jean-Michel Bianchi
Avec Bernard Lanneau (Jean-Paul II) et Michel Bompoil (Antoine Vitez)

Présentation : Le 28 juillet 1988, la Comédie Française donnait une représentation privée du Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc, de Charles Péguy, devant le pape Jean-Paul II, dans les jardins du Palais Apostolique de Castel Gandolfo. Antoine Vitez, qui venait juste d’être nommé administrateur général du premier théâtre national de France, avait tenu à être du voyage.
A l’issue de la représentation, chaque participant fut présenté au pape et, contrairement au protocole qui prévoyait un rapide départ, Jean-Paul II s’attarda au milieu d’eux, entamant de multiples conversations, générales et particulières, sur le spectacle lui-même, la théologie de Péguy et l’art dramatique. Ces nombreuses réflexions furent enregistrées par Jean-Philippe Mestre, romancier et grand reporter au Progrès de Lyon. Lui vient alors l’idée, à propos de l’échange spécifique entre le pape et Antoine Vitez, de se replonger dans l’œuvre écrite de chacun et d’imaginer un dialogue.

Mon avis : Ici, le mot « rencontre » peut être pris dans son sens sportif. Nous assistons en effet à une sorte de match de tennis entre deux athlètes de très haut niveau, mais aux styles très différents. L’un, Antoine Vitez, est plutôt un attaquant, qui cherche incessamment la faille et tente de placer des smashes dévastateurs. Le second, Jean-Paul II s’avère être un joueur de fond de court capable de renvoyer la balle inlassablement jusqu’à épuisement de son « adversaire ». Il se permet toutefois lui aussi une montée au filet inattendue en extrayant de sa soutane une belle neuve appelée « communisme »… Le match est superbe, âpre, très technique, riche en échanges soutenus entre deux hommes qui, avant tout, sont très respectueux l’un de l’autre. Ce qui ne les empêche pas, l’un comme l’autre, de vouloir arracher une victoire au tie-break.


Oublions un instant la métaphore sportive. Rencontre à Gandolfo est un débat d’une très haute tenue. Sur le plan des arguments, les deux hommes sont sacrément outillés. S’ils ont en commun l’amour du théâtre, ils n’en ont pas du tout la même approche. Le pape est dans l’idéologie alors que Vitez s’attache plus à l’acteur, un acteur que l’Eglise a longtemps excommunié en raison de son assimilation avec ses rôles et d’un mode de vie qui heurtait ses principes. Ça, Vitez l’a en travers de la gorge.
Puis, la conversation prend encore plus de hauteur, oscille entre l’histoire de l’Eglise, la philosophie, la politique. Vitez a beau jeu en sortant des arguments qui tuent comme l’inquisition, les crimes au nom de la religion, les turpitudes de Michel-Ange ; il ironise surtout sur les fastes et les pompes de l’appareil pontifical, il stigmatise les signes extérieurs richesses du Vatican et de la résidence de Castel Gandolfo… Touché mais pas coulé devant des faits irréfutables, Jean-Paul II a recours aux pirouettes. Il se dédouane en affirmant ne pas être responsables des erreurs de ses prédécesseurs. Mieux encore, il assure que c’est justement en corrigeant ces erreurs du passé que l’Eglise tend à devenir « infaillible ». Il faut l’oser cette justification ! On n’ira pas jusqu’à prétendre que là, le Saint Père est de mauvaise foi…


De son côté, Antoine Vitez admet être totalement imperméable à la notion de foi. Le pape s’engouffre alors dans la faille en lui rappelant son adhésion au parti communiste. A son tour, l’administrateur de la Comédie Française essaie tant bien que mal de présenter sa défense. Il persiste dans sa défense du communisme en dépit des crimes commis en son nom. Mais, magnanime, le pape ne pousse pas plus loin son avantage. Il en vient même à confesser : « Je doute de moi souvent, mais jamais de ma tâche »… Puis il accorde son absolution à Vitez en lui assénant sur un ton empreint de sympathie : « Finalement, vous êtes un croyant de l’incroyance »… Si ça ne n’est pas de la miséricorde…

Il est impossible que ces deux hommes puissent tomber d’accord sur le fonds de leurs engagements respectifs, mais un seul point les rassemble cependant : un sincère et profond amour de l’humanité (et là, je ne parle pas du journal !)
Pour moi, la Rencontre à Gandolfo se termine par un match nul entre deux hommes dont l’honnêteté des convictions ne peut être mise en doute un seul instant.
En tout cas, je suis convaincu d’une chose : si l’on est croyant en entrant dans la salle, on en ressort toujours croyant ; et si l’on est athée, on en ressort tout aussi athée…


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 17 mars 2016

Laura Domenge "En Personne(s)"

Point Virgule
7, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie
75004 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Hôtel de Ville / Saint-Paul

Seule en scène écrit pas Laura Domenge et Christian Lucas
Mis en scène par Christian Lucas

Présentation : Laura est une fille ? Une femme ? Quel tourment !
Qui suis-je ?... Cette quête existentielle est l’occasion pour l’humoriste de se glisser avec un grain de folie dans la peau d’innombrables personnages : psychanalyste, professeur de yoga, vieille dame « momophobe », gamine qui confond télé et réalité en passant par une racaille baby-sitter…
Rien ni personne ne lui échappe. A travers l’ensemble des personnages qu’elle interprète, avec humour et audace, la comédienne se joue des codes et d’elle-même et nous fait découvrir une Laura Domenge, en personne(s).

Mon avis : D’emblée très mutine avec son public, Laura Domenge nous dévoile immédiatement le contenu de son spectacle. Elle va tout autant nous parler d’elle et incarner des personnages. Tout cela avec, en fil rouge, sa difficulté à se situer : est-elle encore une fille, ou est-elle déjà une femme ? Très vite, on comprend que nous serons incapables de l’aider à lui fournir une réponse car elle va osciller sans cesse entre les deux âges. Sa tenue de scène elle-même est hybride. Je vous laisse la découvrir car il faut oser ce type d’association vestimentaire.


Tout repose donc sur cette dualité. Et elle en joue à la perfection. Y compris dans sa galerie de personnages qui va de la gamine de 7 ans à la mémé en passant par Gigi la femme mûre. Laura Domenge est cash, elle ne souffre visiblement d’aucune inhibition. Comme elle joue énormément de l’autodérision, en se moquant d’abord d’elle-même, elle peut sans vergogne titiller les spectateurs. Et, avec un sens de l’observation très incisif, elle ne s’en prive pas. Pour le plus grand plaisir de celles et ceux qui ne sont pas concernés…


Quand on est une « Sale gosse » (nom de la troupe dans laquelle elle a fait ses débuts) entre 10 et 13 ans, on en garde toujours un peu lorsqu’on aborde le one woman show quelques années plus tard. Ce qui m’a le plus impressionné chez Laura Domenge, c’est son métier, sa maîtrise de l’espace, son aisance sur scène, sa faculté à prendre différents accents, ses mimiques expressives, sa gestuelle pittoresque avec des postures très étudiées. Lorsqu’elle joue de sa féminité, elle le fait à la garçonne, pour ne pas dire à la hussarde. Elle s’en amuse. La minauderie, ce n’est pas son truc. Elle n’a peur ni des grimaces qui enlaidissent, ni du ridicule. Elle se donne à fond avec une gourmandise qui lui attire sans problème l’adhésion et la sympathie du public.


Son spectacle est très personnel. Elle y met beaucoup d’elle-même. Il est également bien écrit et bien construit. D’autant qu’elle a l’intelligence de le terminer en apothéose en interprétant le personnage de Gigi. Avec son accent parigot, façon Arletty, son langage argotique et imagé, ses attitudes théâtrales, elle nous offre en bouquet final un condensé de tout ce qu’elle sait faire. C’est très malin car ça nous laisse sur la plus joyeuse des impressions.

Je pense que Laura Domenge ne va cesser de progresser. Elle peut se reposer sur ses acquis d’excellente comédienne pour désormais affiner son écriture, la rendre encore plus insolente, plus provocatrice, plus corrosive. Elle en a largement le potentiel.


Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 15 mars 2016

Marseille

Un film de Kad Merad
Scénario et dialogues de Kad Merad, Patrick Bosso, Judith El Zein
Avec Kad Merad (Paolo), Patrick Bosso (Joseph), Venantino Venantini (Giovanni), Judith El Zein (Elena), Anne Charrier (Valérie), Julien Boisselier (Pierre), Louis-Do de Lencquesaing (Stéphane), Philippe Lefèbvre (Le directeur du CIC)…

Sortie le 16 mars

Synopsis : Devant l’insistance de son frère Joseph qu’il n’a pas revu depuis 25 ans, Paolo se résout à abandonner pendant quelques jours sa vie calme et harmonieuse au Canada, pour revenir à Marseille au chevet de leur père accidenté. Il part donc, accompagné de son fils, bien décidé à ne pas s’attarder dans cette ville qu’il a fuie, des années plus tôt, à la suite d’un drame.
Il n’imagine pas, alors, que l’affection de sa famille retrouvée, sa rencontre amoureuse avec une jeune femme et la solidarité joyeuse et simple des Marseillais le réconcilieront avec cette ville qu’il n’aurait jamais voulu quitter… Marseille.

Mon avis : Plutôt connu pour sa propension naturelle à la gaudriole et son goût immodéré pour jouer les pyromanes sur les plateaux de télévision, Kad Merad a su parfois nous démontrer qu’il avait aussi du cœur (Je vais bien, ne t’en fais pas, Monsieur Papa…). Avec Marseille, il est à fond dans ce registre.
Marseille est un film sensible, profondément humain. Plus qu’à la ville elle-même, c’est surtout à ses habitants qu’il veut rendre hommage. Certes, le décor, certains paysages soulignent la variété et la beauté de la cité phocéenne. Mais dans ce cadre privilégié vit une population à nulle autre pareille ; cosmopolite, hétéroclite, très haute en couleur(s). Ce sont ces gens là auxquels Kad Merad s’est attaché.

Son amour pour Marseille est dépeint de façon subtile. Au départ, comme il vient de quitter les grands espaces canadiens (les paysages sont superbement filmés), il ressent presque du mépris pour sa ville natale qu’il a quittée vingt-cinq ans plus tôt. Et, surtout, elle lui rappelle un trop mauvais souvenir. Si bien qu’il nourrit à son encontre un profond sentiment de rejet. Ce n’est que progressivement qu’il va (re)tomber sous le charme. Nous assistons à travers l’évolution de ses sentiments et sa prise de conscience à des retrouvailles amoureuses.

Personnellement, j’ai un peu mis de côté les inévitables (mais légitimes) clichés sur Marseille (les calanques, l’OM, les flamands rosespour ne me focaliser sur l’histoire et les gens qui l’illustrent et la font vivre. Ces gens, qui sont de toutes les origines, de toutes les couleurs, sont réunis autour d’une entité commune : l’accent… Sans accent, il n’y a pas de Marseillais. Et Patrick Bosso en est l’archétype… Formidable Bosso ! Sans qu’il s’en rende compte, il porte le film sur ses épaules. Tout simplement en étant lui-même, tel qu’il est au quotidien, humble, naturel, sensible et viscéralement hâbleur. Et puis il y a son fameux rire. Quel rire ! craquant, communicatif en diable. Il ne force jamais le trait. Que ce soit dans la rigolade ou dans l’émotion. Il apporte au personnage de Joseph cette profonde humanité que j’ai évoquée au début.


Les femmes ont, dans ce film, un rôle essentiel. Généreuses, altruistes, elles ont toujours en filigrane un petit côté mamma italienne. Anne Charrier et Judith El Zein sont réellement épatantes. Les deux gamins également ont un rôle essentiel. Celui de la transmission. Tout à fait naturellement, le petit Marseillais va contaminer le petit Canadien en un joli raccourci subliminal sur l’intégration.
Et puis, il y a Venantino Venantini. Kad Merad lui a confié un rôle pas vraiment facile, un rôle muet, mécanique, qui ne repose que sur d’infimes mimiques. Il est magistral en pépé flingué.
Kad, quant à lui, n’en rajoute jamais. Tout en sobriété, il est en permanence dans l’affectif. Ses silences, ses regards, ses actes, ses réactions, ne font que nous traduire l’état et l’évolution de ses sentiments. La tendresse est omniprésente dans ce film. Pas une tendresse gnangnan, doucereuse et acidulée, non, une tendresse palpable, positive, normale quoi. Cette tendresse qui nous porte vers les autres et nous amène à les aimer. Y compris avec leurs petits mensonges (n’est-ce pas Joseph ?) et leurs petits défauts.

Enfin, Marseille est également un film ancré dans la réalité sociale et humaine. Sans tomber dans le pathos ou l’exagération, on touche du doigt la dureté du travail sur les docks, sa pénibilité, sa dangerosité. Mais aussi la fraternité qui y règne et le recours systématique à la galéjade, même et surtout quand on a mal à son corps et dans son corps.

Bref, Marseille ne sera pas le film de l’année. Trop intimiste pour cela. Mais c’est un film qui fait du bien au cœur et à l’âme. C’était sans doute le but recherché par Kad Merad. Et bien, il l’a largement atteint.

jeudi 10 mars 2016

Joyce Jonathan "Une place pour moi"

Polydor / Universal Music
  
Après avoir d’abord été Sur ses gardes (ce qui est logique lorsqu’on se lance dans la chanson), Joyce Jonathan, rassurée par le succès, a démontré qu’elle avait du Caractère. Et pas qu’un peu ! Aujourd’hui, six ans après ses débuts, elle sort un nouvel opus au titre à deux niveaux de lecture : Une place pour moi
Doit-on l’entendre dans une forme affirmative ? Oui, si elle estime qu’elle s’est désormais à la fois bien installée dans le peloton de têtes de nos meilleures artistes féminines, et parfaitement calée dans une vie personnelle tout à fait acceptée… Ou bien faut-il y ajouter un putatif point d’interrogation ? Oui aussi, surtout si on lit attentivement le texte de cette chanson-titre où elle évoque son manque d’assurance face à certaines situations et ses inquiétudes quant à « la place » qu’elle occupe au sein du couple.

Joyce Jonathan est complètement en phase avec son temps, avec son époque, avec son âge. Tout ce qu’elle écrit fait sens chez les jeunes gens de sa génération, et plus particulièrement chez la gent féminine. En effet, Une place pour moi est un livre ouvert. Joyce y décrit avec sensibilité et acuité (presque) tous ses états d’âme et ses états d’esprit. Ses études de psychologie lui permettent d’analyser avec beaucoup de finesse les méandres de sa vie amoureuse ou sociétale. Niveau introspection, elle est inégalable. Elle possède l’art de trouver les mots, la formule et les images qui traduisent ses sentiments les plus intimes. Des sentiments qui, par le truchement de ses chansons, touchent le plus grand nombre et s’avèrent universels. Ses joies, ses peines, ses souffrances, ses interrogations, ses rêves, ses inquiétudes, sont largement partagés par Les filles d’aujourd’hui
Il est d’ailleurs révélateur que Les filles d’aujourd’hui, duo qu’elle interprète avec Vianney, soit la chanson qui ne soit pas écrite à la première personne. Dans les onze autres, elle emploie systématiquement le « je ». Elle est donc impliquée dans tout ce qu’elle confie et raconte… Il y a dans le livret de cet album, une particularité que j’ai particulièrement appréciée, c’est que chaque titre est daté. La première chanson a été écrite en février 2014, et la toute dernière fin juillet 2015. Ce sont dix-sept mois de sa vie qui nous ainsi livrés, dix-sept mois au cours desquels elle est passée par différentes phases.


Les trois chansons écrites début 2014 tournent autour d’un seul thème : la rupture. Elle évoque ses sensations de mal-être, de « vide » ; même si la raison tente de l’emporter sur la déprime, elle ne peut éviter langueur et mélancolie (Je plonge). Ce déséquilibre affectif, on le retrouve dans Une place pour moi. Puis, la lumière commence à poindre au bout du tunnel. Elle cherche à comprendre les pourquoi de la séparation et commence à l’accepter. Une page vient de se tourner, la suivante, toute blanche, s’appelle solitude et, bien qu’elle soit encore un peu  obsessionnelle, elle assume (Je ne veux pas de toi).

Ce n’est que plus de neuf mois plus tard qu’elle est capable de reprendre la plume. Visiblement, le cœur n’est pas complètement cicatrisé. En janvier 2015, elle dresse un constat de son échec amoureux. Encore en pleine tourmente morale, les mots qu’elle emploie sont durs : « solitude, jalousie, aigreur, rancoeurs »… Elle subit encore la torture chinoise de la goutte d’eau. Le même leitmotiv « Tu m’as remplacée » lui vrille toujours la tête (Des fuites d’eau)… Pourtant, à peine deux jours plus tard, changement radical de ton et d’humeur. Même si elle culpabilise bizarrement d’aller mieux et « d’être heureuse », on devine que le temps a commencé son œuvre. L’hiver va faire place au printemps. La fleur de la rédemption ne va pas tarder à bourgeonner (Sans toi)… La fleur de la rédemption s’épanouit. Joyce entre en réaction. Elle pense toujours à lui, mais elle reprend son destin en mains. Le mot « pardon » n’est pas cité, mais on le devine en filigrane. Elle va jusqu’à se déclarer forte pour deux (Je tiens les rênes)…

Avec le mois de mai, le printemps est là. L’amour, l’amour, l’amour brille de nouveau. Le soleil sèche ses « jours de pluie » et réchauffe son « désir », un sourire vient effacer sa « triste mine ». Profession de foi, déclaration d’amour, elle se trouve à cette délicieuse croisée des chemins où l’on cherche à définir sa propre identité à travers l’autre jusqu’à s’engager sur la voie de la révélation. Le chemin qu’elle a emprunté semble être le bon… Le mois de juin 2015 est prolifique. Trois chansons ! Dans Si un jour, le mot « si » est essentiel. Toujours cérébrale, elle étudie sa relation avec pragmatisme, livrant une sorte de texte « le couple, mode d’emploi », basé sur le dialogue et la franchise… Le titre suivant, Je cours, en est le prolongement logique. Là encore, elle s’immerge dans l’analyse comportementale. Cette chanson, qui ressemble fortement à du Françoise Hardy, balance et navigue entre gestion du couple et de la solitude. Pour tolérer ce mouvement perpétuel, elle ne trouve son échappatoire que dans la course, remède pour se vider le cœur et la tête…


Enfin, la fleur de la rédemption fleurit. Forte d’un superbe aphorisme, « Le bonheur, c’est pas le but mais le moyen », Joyce a enfin le droit de se laisser aller à l’optimisme, à plus de légèreté. Elle ouvre seulement les vannes et se détend. Le bonheur est une chanson joyeuse et entraînante. La plus positive de l’album… Maintenant que les vannes sont ouvertes, Joyce peut se lâcher et déclarer en souriant : « Je me jette à l’eau ». Elle va pouvoir s’y laver et se débarrasser enfin de toutes ces scories qui lui ont pollué le cortex. C’est la résurrection, c’est une femme neuve qui « repart à zéro » et qui, pleine de bonnes résolutions, reprend goût à la vie et fait confiance à l’avenir.

Bref, vous l’aurez compris, j’ai beaucoup, beaucoup aimé ce troisième album de Joyce Jonathan. Son écriture est intelligente, efficace et ses mélodies sont au diapason. Une place pour moi est une tranche de vie d’une jeune femme de 25 printemps. A la fois très personnelle et complètement universelle. C’est un album homogène, très féminin, fort d’une analyse très pointue des relations de couple. Joyce est une fine observatrice, elle est en permanence dans la réflexion et dans l’introspection. Ce n’est sans doute pas facile à vivre au jour le jour mais, en tout cas, ça génère de fort jolies chansons. On ne peut qu’aimer sa grande sincérité, son hyper lucidité et apprécier la confiance qu’elle nous fait en partageant avec nous cette parenthèse de vie.
Je suis convaincu que, vu sa façon d’appréhender son quotidien, elle va avoir très vite de la matière pour écrire, composer et nous proposer d’autres pages du roman de sa vie.

Pour l’anecdote, mes trois chansons préférées sont Je plonge, L’amour, l’amour, l’amour et Je cours

jeudi 3 mars 2016

Pascal Obispo "Billet de Femme"

Atletico/Epic/SCPP/Sony Music


Billet de Femme est un album à part dans la discographie de Pascal Obispo. Il est important pour lui autant sur un plan personnel et sentimental qu’artistique.
Parmi les affaires de son père Max décédé en novembre 2012, Pascal a découvert quelques ouvrages. Après une carrière de footballeur professionnel, son père s’était en effet passionné pour la littérature… Pour quelle raison obscure s’est-il mis plus particulièrement à feuilleter un recueil de poèmes de Marceline Desbordes-Valmore(*) ? Toujours très affecté par la disparition de cet homme qu’il aimait et admirait, Pascal était à ce moment-là dans un état d’extrême sensibilité. Il était encore plus réceptif que d’habitude. Les mots de Marceline lui sont allés droit au cœur. Ces poèmes ont symbolisé pour lui une forme de legs transmis surnaturellement. Il les a matérialisés comme une passerelle subliminale, un passage de témoin le reliant à son géniteur. Pascal, on le sait, a l’art de transformer en musique ses sensations les plus fortes, les plus intimes même. Il s’est soudain senti comme missionné. Il avait alors le cœur débordant d’amour. Or, tous les mots de Marceline ne parlaient que d’amour. La synthèse s’est imposée d’elle-même et sa projection musicale en a été le prolongement artistique.


J’ai reçu Billet de Femme comme un album-concept. On peut utiliser le mot « œuvre » pour le qualifier. Je suis convaincu que ce disque restera à part dans sa carrière. Jamais un CD de Pascal Obispo n’a été aussi homogène.
Je vais être franc. En fait, pour la première fois, je ne me suis pas attaché aux mots. Mais j’ai profondément aimé la sonorité qu’ils dégageaient. Cet album est un tout. Rien n’est indissociable. Sublimées par les arrangements de Jean-Claude Petit, les compositions de Pascal Obispo appartiennent au domaine de la symphonie. Les cordes, omniprésentes, absolument majestueuses, y prennent une part prépondérante. J’insiste, cet album est un tout. On le prend dans sa globalité. La voix de Pascal, très en avant, avec sa diction parfaite, n’a jamais été aussi mélodieuse. Il privilégie le souffle, le murmure. On le sent habité, investi. Il privilégie la sensibilité autant qu’il soigne l’esthétique.
Plus j’écoute Billet de Femme, plus je l’apprécie, plus j’y découvre des merveilles de subtilités comme, par exemple, ces vois doublées dans S’il avait su ou Le serment.
Cet album est celui d’un homme et d’un artiste libres, en état de grâce, en pleine possession de sa formidable créativité.


Même s’il est un tout, je ne peux m’empêcher d’extraire de cet album les pépites qui m’ont le plus touché. Je vous les livre dans mon ordre préférentiel :
1/ Sans l’oublier (rythmé et lancinant. Superbe arrangement)
2/ Qu’en avez-vous fait ? (quelle ballade, quel piano !)
3/ Le dernier rendez-vous (très gainsbourien dans l’esprit)
4/ Je ne sais plus (quel climat !)
5/ Le soir
6/ Un billet de femme
On peut aussi se pencher sur le choix des titres des poèmes retenus. Il y a dans leur énumération un double niveau de lecture avec lequel on peut s’amuser. L’aspect subliminal que j’évoquais plus haut prend alors tout son suc. Il y a un côté alchimiste là-dedans. Jugez plutôt :
C’était sans doute Le soir, Je ne sais plus,  – On me l’a dit -, Pascal Obispo avait avec son père un Dernier rendez-vous. Par poétesse interposée, son père semblait lui murmurer Je vous écris ; il ne faut pas que ce Billet de femme reste un Secret perdu ». S’il avait su comment son fils s’en inspirerait, il n’aurait pas eu à lui demander « Qu’en avez-vous fait ? ». Sans l’oublier, avec cet œuvre, Pascal ne lui dira Jamais adieu, il lui en a fait Le Serment phonographique.

(*) Cette année marque le deux-cent-trentième anniversaire de Marceline Desbordes-Valmore…