samedi 29 septembre 2012

Dérec : "Gérard Bouchard, le retour !"


Théâtre BO Saint-Martin
19, boulevard Saint-Martin
75003 Paris
Tel : 01 42 71 50 00
Métro : République

One man show écrit et interprété par Jean-François Dérec
Mis en scène par Roger Louret

Le pitch : Si, comme Dérec,
-          Tu n’utilises que 10% de ton cerveau
-          Si tu as 3000 amis sur Facebook, mais que tu passes tes week-ends tout seul comme un con
-          Si tu essaie toujours de jouer du Bob Marley à la guitare, alors que ton fils milite à la droite libérale
-          Si toi aussi tu préférerais être riche dans un pays pauvre que pauvre dans un pays riche
-          Si tu es une femme et que tu te demandes pourquoi les mecs bien sont toujours pris
-          Et si, comme Dérec, tu t’es fait avoir en achetant une machine à pain
CE SPECTACLE EST POUR TOI !

Mon avis : Alors que, depuis quelques années, on nous balance du stand-up à tout-va et à tous vents, qu’est-ce que ça fait du bien de retrouver un bon spectacle à sketchs ! Lorsqu’un artiste pratiquant le stand-up a terminé son show, il ne nous reste que des impressions fugaces et quelques fulgurances textuelles. On sait qu’on a passé un bon moment ; ou pas. Mais au final on n’en retient pas grand-chose. Alors que lorsqu’un humoriste interprète une dizaine de sketchs on en retient toujours quelques chose car on a rencontré des personnages.

Or donc, Jean-François Dérec, alias Gérard Bouchard, est de retour. Et il en a des choses à nous raconter. Pour cela, il a choisi de jouer la proximité et l’intimité en se produisant la jolie petite salle du BO Saint-Martin (66 places, sièges confortables)… C’est bon de retrouver ce visage unique, taillé à coups de serpe, surmonté de son sempiternel bob rouge. Il nous offre d’abord une sorte de prologue, manière habile d’amener tout ce qui va suivre, c’est-à-dire une douzaine de sketchs dont onze sont totalement inédits.
Dès le premier, il ré-endosse son t-shirt de loser sympathique qui se livre à des analyses maladroites des nombreux aléas de son existence. Sa femme vient de le larguer suite à trop de communication. D’habitude, c’est le manque de dialogue qui plombe le climat d’un couple. Là, non. On se dit les choses chez les Bouchard. Mais Gérard est bien trop naïf et désarmé pour savoir se confronter à la logique féminine… Dérec n’a pas son pareil pour mettre la loupe sur ce que la vie peut nous proposer de plus absurde.
En toute franchise, j’ai jugé ce sketch comme une sorte de tour de chauffe. Il y a certes déjà le ton Dérec, mais je l’ai trouvé en demi-teinte… Heureusement, dès le deuxième, il change de régime et trouve sa vitesse de croisière. Et tout ce qui suit est véritablement excellent.

Ce deuxième sketch, justement, est peut-être le meilleur. Devenu célibataire, Gérard noue une relation amoureuse avec une véritable intégriste de l’écologie. Ce qui provoque des situations irrésistibles de drôlerie et d’incompréhension. Mais quand on veut séduire, on n’est pas trop regardant sur les concessions. Dérec dresse malicieusement une satire de ce nouveau mode de vie qui repose sur l’obsession de la protection de la nature, de l’économie d’énergie et du recyclage à tout crin. Le cœur et la raison sans cesse en équilibre instable, il nous propose un grand moment de funambulisme.
Et, pour notre plus grande joie, la suite va être du même tonneau… Interdit de vous en dévoiler le contenu par le menu pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte. Chaque sketch est pratiquement relié au précédent par une subtile passerelle. Au passage, il faut souligner la qualité des chutes. Les chutes sont ce qu’il y a de plus difficile à trouver dans cette discipline du sketch.

Gérard Bouchard va donc vivre de multiples aventures ou expériences. Il va être ainsi amené à accomplir une expédition en banlieue et y découvrir un monde dont il ignore tout des pratiques et des codes… Puis il va connaître des soucis avec sa banque… Comme il se retrouve systématiquement à découvert, il va rechercher un emploi rémunérateur. Pour cela, il souscrit d’abord à une simulation d’entretien d’embauche, ce qui débouche sur un apprentissage absolument hilarant… Après les travaux pratiques, fort de ce qu’il vient d’apprendre, il passe à l’entretien lui-même, et notre amusement monte encore d’un cran… Suite à des fuites malencontreuses sur Facebook, il est amené à consulter un médecin. Mais comme il est dramatiquement hypocondriaque, il en sait plus que le praticien !... Volte-face à 360°, il devient à son tour médecin… A la suite de quoi, Gérard Bouchard reçoit les confidences d’un vieil ami qui fait son coming out. Il s’en suit une conversation truffée de maladresses et de réflexions savoureuses… Et il termine en campant un mec un peu mytho vivant une passion qui dégénère…
En guise de rappel, il nous offre son tube, le fameux Téléphone rose, toujours aussi trépidant ; et enfin, il nous fait le cadeau d’un sketch tout nouveau tout chaud sur les méfaits de l’écriture automatique avec les portables…
Car le téléphone portable tient un rôle essentiel dans son spectacle. Gérard Bouchard est un homme de son temps, entièrement dépendant de son smartphone. Il est inscrit sur Facebook, il envoie des textos, consulte sans cesse sa messagerie…

Je me suis vraiment beaucoup amusé devant les tribulations de Gérard Bouchard. Non seulement, avec son visage mobile et sa gestuelle cartoonesque, Dérec est un formidable comédien, mais il se double également d’un remarquable auteur. Ses sketchs sont particulièrement ciselés, peaufinés. Cela induit un sacré travail d’écriture en amont. J’en ronronnais parfois de plaisir devant certaines de ses formulations. C’est réellement un très bon one man show qu’il nous livre là.
Ainsi qu’il nous le déclare en préambule, il est là pour nous faire oublier nos soucis l’espace d’une heure et quart. Mais à la condition qu’on les récupère à la fin et qu’on reparte avec. Il a assez des siens pour ne pas s’encombrer de nôtres…

vendredi 28 septembre 2012

A la française !


Théâtre Marigny
Carré Marigny
75008 Paris
Tel : 01 53 96 70 00
Métro : Champs-Elysées Clémenceau

Un spectacle écrit et mis en scène par Edouard Baer
Costumes de Nathalie Saulnier
Lumières d’Alain Poisson et Nicolas Gilli
Musique de Julien Baer
Avec (par ordre d’entrée en scène) : Leila Bekhti ou Léa Drucker (Sofia), Lionel Abelanski ou Jean-Michel Lahmi (Le type du ministère), Christophe Meynet (Chris), Patrick Boshart (Pat), Edouard Baer (Edouard), Atmen Kelif (Arouet), Alka Balbir (Marianne), Guilaine Londez (Suzanne), Philippe Duquesne ou Vincent Lacoste (Fils de), Jean-Philippe Heurteaut (Le pianiste)

L’histoire : Edouard Baer est chargé par le Ministère des Affaires Etrangères de redorer l’image de notre cher pays en perte d’influence… Une occasion unique : la soirée d’ouverture du G20 à Paris… Un léger contretemps : c’est demain et, étonnamment, Edouard n’a rien préparé.
Une nuit. Une nuit durant laquelle Edouard, sa troupe, ses amis, anciens, nouveaux ou de hasard, doivent faire surgir la solution de leur imagination. Une France moderne, enthousiasmante, une France qui ré-enchanterait le monde, c’est quoi ? C’est où ? C’est comment ?...

Mon avis : C’est le cinquième spectacle écrit et mis en scène par Edouard Baer et c’est, sans conteste, le meilleur. Les trois précédents, pour débordants de fantaisie et de délire qu’ils aient été, s’étaient révélés quelque peu disparates. Ils s’apparentaient plus à une auberge espagnole où chacun amenait son manger et les plats n’avaient pas tous la même saveur, même si on y faisait souvent Miam Miam... A la française ! est un divertissement parfaitement abouti, tout en donnant perpétuellement l’impression de ne pas être maîtrisé. Mine-de-rien, malgré la folie douce qui y règne, on sent qu’il y a une vraie rigueur. Cette fois, ça ne part pas dans tous les sens. Le talent d’Edouard Baer est de jouer de son apparente incapacité à gérer un grand bazar, alors que tout est cohérent. Chaque pièce de ce puzzle foutraque s’emboîte malicieusement.

Ça commence bien sûr comme un joyeux foutoir. Chacun ne sait pas vraiment pourquoi il ou elle est là, et ce n’est pas Edouard Baer, le prétendu déus ex machina, qui ne va pas les aider à y voir plus clair car lui-même ne sait fichtrement pas comment il va honorer la mission qui lui a été assignée par un représentant du Ministère des Affaires Etrangères : monter devant les représentants du G20 réunis à Paris un spectacle vantant les beautés et le mérite de la France… Vaste programme dont Edouard n’a pas écrit la moindre ligne. Et nous sommes à la veille de l’évènement… Heureusement, il est doté d’un optimisme à tout épreuve et, surtout, il peut compter sur sa troupe de comédiens pour l’aider dans cette folle entreprise.

On retrouve alors avec le plus grand plaisir l’univers absurde, burlesque et cocasse qui est l’image de marque d’Edouard Baer. Ce qu’il écrit, joue et fait jouer n’appartient qu’à lui. Il a un style inimitable, une écriture aussi racée que pleine de fantaisie, et sa manière de jouer est unique. Il a en plus ce cadeau inné qu’est sa voix au timbre chaud, onctueux, reconnaissable entre toutes… Et puis, autre signe de talent, et non des moindres, il sait s’entourer. Personne n’est là par hasard. Chaque membre de cette troupe hétéroclite est à son image : il se distingue par une façon de jouer la comédie sans en avoir l’air. Ils sont tellement simples et naturels, qu’on n’a pas l’impression qu’ils campent un personnage et qu’ils interprètent un texte.

Pendant près de deux heures, je me suis laissé emporter dans cette folle odyssée avec un bonheur croissant. La mise en scène, très dépouillée, est ingénieuse. Elle n’est pas là pour accaparer notre attention avec des effets superfétatoires, mais pour mettre en valeur les différentes saynètes ou tableaux. Ça fourmille de trouvailles, de gags désopilants… Mais ce qui le plus emballé, c’est la qualité du texte et, partant, des dialogues. Il nous a fait un Edouard d’honneur. Le texte est d’une richesse incroyable. Ça foisonne de partout. J’ai ressenti cette sensation extrêmement rare du rire intelligent. C’est truffé de jeux de mots, de répliques savoureuses, de formules étonnantes de finesse, d’allusions sur l’actualité, de clins d’œil à la politique… L’expression qui me revient systématiquement telle un leitmotiv, c’est « sans en avoir l’air ». Sans en avoir l’air, Edouard Baer instille dans son discours des petits messages pas du tout subliminaux, mais au contraire bien concrets. Il aborde sans en avoir l’air des thèmes aussi forts que la religion, l’intégration, la tolérance, la démocratie. Les choses sont dites, et bien dites, mais enrobées de sucre et de sourires. Ça passe d’autant mieux. Et on se les garde longtemps en bouche.

En même temps, il réussit le tour de force de nous présenter une sorte de kaléidoscope de ce que représente pour lui la France, pays on ne peut plus riche sur tous les plans, culturel, historique, gastronomique… Avec lui, l’habit fait le (patri)moine. Tout est présenté sous forme d’esquisses, ce qui apporte encore plus d’images et de rythme.
Et puis chacun des protagonistes de ce spectacle, à commencer par lui, a été doté d’un profil psychologique fort bien dessiné.
Edouard – le personnage – est un doux rêveur. Il ne supporte pas le conflit, il préfère se retrancher dans une charmante mauvaise foi. Il n’est pas tout à fait sorti de l’enfance. La preuve, en guise d’antistress, il a encore recours à son doudou, Papinou. Ce n’est pas un teddy baer mais un porcelet en peluche qui s’anime et qui parle. Edouard est aussi un poète, décalé certes, mais un poète ; à la Cyrano. Pétri d’humanité, il aime les gens qui l’entourent, or il est trop lunaire pour le leur dire. Mais ça se voit tellement !

Autour de lui, c’est un peu le monde des Bisounours… Sofia, son assistante, fait tout son possible pour l’épauler. Elle se conduit en femme amoureuse, elle est toute à sa dévotion… Le type du Ministère se dévoile peu à peu. Dépassé par les évènements, il fait apparaître une grande fragilité et cherche en permanence du réconfort… Chris est un peu l’homme à tout faire. C’est un brave garçon, très dévoué, d’humeur égale. C’est un artiste, mais il n’est pas encore assez mature pour assumer ses dons et affirmer sa personnalité… Pat, lui, est un doux anar. Il a la subversion chronique, l’anticonformisme systématique et un sens de la fraternité viscéral… Arouel est un personnage à part. Il est en décalage permanent. Lui aussi est un artiste. Il déborde d’imagination, d’inventivité et de drôlerie, mais il a un problème ; il ne pense qu’à chat ; ce qui le rend vulnérable et touchant… Marianne est un « rêve éveillé ». Elle est tellement heureuse de quitter son piédestal pour se confronter à la vraie vie, qu’elle se même à l’aventure avec une grande générosité… Suzanne, elle, est naïve et romantique. Elle est très attachante, altruiste, parfois même émouvante… Et enfin, il y a le « Fils de… ». Au début, il se montre capricieux, détestable et infatué. Puis, gagné par l’atmosphère de gentillesse ambiante, il se glisse progressivement dans le moule…

Je n’ai qu’une petite – minuscule – réserve : je n’ai pas trouvé les paroles des chansons à la hauteur du texte de la pièce. Elles sont trop simplistes, surtout celle qui s’intitule « Les vins ». Sur un sujet aussi riche et varié, les rimes auraient pu être d’un bien meilleur cru. En revanche, rien à dire sur les mélodies, elles sont pimpantes et efficaces.
Ce sera là mon seul hiatus car A la française ! est un spectacle absolument enchanteur à tout point de vue. Pendant deux heures, la salle était secouée des hoquets des spectateurs, au détriment parfois de certaines réparties couvertes par les rires provoqués par la réplique précédente. En tout cas, Edouard Baer nous le confirme : nous avons la chance de vivre dans un bien beau pays. Il est bon de nous le rappeler quelques fois…

mercredi 26 septembre 2012

La faute d'orthographe est ma langue maternelle


Théâtre Tristan Bernard
64, rue du Rocher
75008 Paris
Tel : 01 45 22 08 40
Métro : Villiers / Saint-Lazare

Un texte écrit et interprété par Daniel Picouly
Mise en scène de Marie-Pascale Osterrieth
Décors de Pierre-François Limbosch
Lumières de Laurent Castaingt

Le sujet : Comment devenir Proust ? Pourquoi les filles sont-elles la plus mauvaise raison de lire ?... Qu’est-ce que la « somptueuse médiocrité » de nous ? Faut-il lire les Livres de Poche par ordre de numéros ? Par quel mystère ce qu’on écrit est génial le soir même et nul le lendemain ? Est-ce vrai qu’il n’arrive d’histoires qu’à ceux qui savent les raconter ? Vous gagnez combien ?
Des questions auxquelles un écrivain se prépare à répondre en attendant des élèves… qui n’arrivent pas.
Mais la vraie question est de savoir pourquoi il se retrouve debout sur le bureau, les mains sur la tête, et veut tuer son instituteur !
C’est qu’il revient pour la première fois dans la classe de ses 10 ans ; il en a 60 et revit une humilation qui a contribué de faire de lui un écrivain.
Cet écrivain, c’est Daniel Picouly…

Mon avis : C’est bizarre, j’ai lu à propos de ce spectacle des critiques peu enthousiastes, voire franchement sévères (Le Figaroscope, evene.fr, Fous de théâtre) et d’autres bien plus positives (Pariscope, L’Express, Froggy’s delight)…
Bien sûr que Daniel Picouly n’est pas un comédien ! Il est même bien moins bon que son presque homonyme sous le nom duquel on l'apostrophe régulièrement, Michel Piccoli… Ce n’est même pas à proprement parler une surprise. On ne s’improvise pas comédien à 63 ans. Et alors… Qu’est-ce qu’on est venu voir et, surtout, écouter au Tristan Bernard ? Un type connu et reconnu en tant qu’écrivain, qui nous raconte son enfance et le pourquoi et le comment il s’est lancé dans l’écriture.

Honnêtement, j’ai passé un très bon moment. Daniel Picouly est un diésel. Son moteur commence vraiment à bien tourner au bout d’un quart d’heure. Au début j’ai été un peu gêné par son ton monocorde et j’avais parfois du mal à saisir ce qu’il disait lorsqu’il marmonnait. Mais ce moment d’inquiétude a été progressivement dissipé, et plus il narrait, plus je m’intéressais à ses propos et plus je prenais de plaisir à l’écouter. Le texte – c’est naturel - est à la hauteur de son écriture. Il utilise un langage clair, précis et imagé. Il a en outre un tel art de la formule qu’on a envie d’en retenir certaines pour les resservir ensuite en société (par exemple ce conseil pour peaufiner son style : « On doit écrire en amant et se relire en mari ! »)

Mais revenons au tout début… Le décor nous transporte dans une salle de classe de la fin des années 50. Tout y est : l’estrade, le tableau noir, un planisphère, une planche anatomique, un squelette, les petits pupitres individuels… Daniel Picouly est juché sur un bureau, la tête entre les mains, dans la posture de l’élève puni. Il a 10 ans, il est en CM2. Il a été mis au pilori, avec en guise de pancarte son cahier d’orthographe, par un instituteur remplaçant qui vient de décréter qu’il était « bête à manger du foin ». Une véritable insulte pour le gamin, un traumatisme qui le marquera longtemps…
Et Daniel raconte… Il raconte l’école, la vie de famille. Il porte un regard tendre et souriant sur la société de l’époque. Et puis il raconte son insatiable curiosité, ses jouets, le foot, ses premiers émois amoureux et comment lui est venu le goût pour la lecture. C’est très plaisant, empli de poésie et d’humour. Il rouvre devant nous l’énorme paquet de ses madeleines de Proust : ses soldats Mokarex, son Alfa-Roméo en Dinky Toys, sa grue jaune… Il raconte tout ce qui a contribué à le construire et amené progressivement à l’écriture, sa « fabrique de liberté ». Il s’est donc « fabriqué » un cocktail composé de trois ingrédients principaux : une imagination débordante (il inventait quotidiennement une histoire pour ses deux plus jeunes sœurs), Marcel Proust et… Nous Deux ! Vous secouez le tout, et vous obtenez trente-huit ans plus tard Le Champ de personne.

Daniel Picouly compense largement son manque de métier en matière d’art dramatique par une grande élégance et un charisme indéniable. Il occupe bien la scène, sait donner de la vie à ses souvenirs. Il a la nostalgie souriante, le réalisme ludique. Et il donne aussi à réfléchir sur l’incidence que peut avoir la maladresse d’un pédagogue sur l’avenir d’un enfant d’une dizaine d’années. Lui, il a su faire de son humiliation son moteur. Mais combien, suite à ce genre de condamnation péremptoire, seront découragés et, marginalisés, deviendront des laissés-pour-compte ? C’est tout de même une sacrée responsabilité.

N’en déplaise aux esprits chagrins, La faute d’orthographe est ma langue maternelle est un monologue très plaisant. Il est remarquablement écrit et l’on sourit très souvent à certaines évocations. Franchement, il y a pire comme pensum…

lundi 24 septembre 2012

Un drôle de père


Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce de Bernard Slade
Adaptée par Gérald Sibleyras
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Décor de Charlie Mangel
Costumes de Brigitte Faur-Perdigou
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Avec Michel Leeb (François), Anne Jacquemin (Delphine), Philippe Uchan (Achille), Manoëlle Gaillard (Geneviève Petrelli), Arthur Fenwick (Christophe), Murielle Huet des Aunay (Chloé), Camille Solal (Lucie)

L’histoire : François Garnier est un homme insouciant et fantasque. Pour lui, la vie est une bonne et courte blague. Son fils, Christophe, est tout le contraire : un garçon sérieux, rigide, étudiant en philosophie.
Pour les vacances, ils se retrouvent face à face. La bonne volonté maladroite du père n’arrange rien. Tout les sépare !
Mais un événement imprévisible va finir par les rapprocher…

Mon avis : Après Le Scoop, après L’étudiante et monsieur Henri, voici encore une pièce que je vous recommande vivement.
J’ai passé au théâtre Montparnasse une soirée on ne peut plus réjouissante. A cela, trois raisons essentielles : une pièce remarquablement écrite ; des dialogues vifs, enlevés, drôles, percutants, émaillés de répliques cinglantes ; une prestation époustouflante de Michel Leeb dans le rôle d’un certain François Garnier…

Déjà, l’entrée en matière est surprenante et originale. Avant que le rideau se lève, trois des protagonistes de la pièce viennent chanter les louanges de ce fameux François Garnier à quelques jours de son anniversaire. On sait donc que l’on va avoir affaire à un individu particulièrement aimé et apprécié de ses proches.
Le rideau peut alors s’ouvrir sur un intérieur moderne et spacieux. François joue nonchalamment quelques notes sur un piano. C’est le matin. Une jeune fille passablement débraillée lui tient compagnie. Elle a visiblement passé la nuit chez lui. Elle s’appelle Chloé, c’est une sorte de joli tanagra sexy et déluré. Dès les premiers échanges, on voit que François adore jouer avec les mots et fuir le moindre échange dès qu’il devient sérieux. C’est un champion de la pirouette, du pied de nez, de l’esquive, avec un sens aigu et imagé de la formule. On comprend très vite que nous sommes en présence d’un Peter Pan blagueur et insouciant qui tourne systématiquement tout en dérision. Même lorsqu’il s’agit de choses graves…
Chloé à peine disparue, apparaissent Delphine, son ex-épouse, et leur fils d’une vingtaine d’années, Christophe. Delphine est une jolie femme, douce et compréhensive. Quant à Christophe, il est la parfaite antithèse de son père. Limite psychorigide, il est réfléchi, mature, austère, studieux. Il ne possède pas une once de fantaisie. Pourtant, les deux hommes vont devoir cohabiter pendant quelques semaines…

Le nœud de l’intrigue réside dans cette confrontation. Comment deux personnes aussi diamétralement opposées vont-elles réussir à créer entre elles une passerelle qui leur permette de faire connaissance et d’échanger ? On ne va pas divulguer les différents rebondissements qui vont bouleverser l’ordre établi des choses. Toujours est-il qu’on se régale de voir ce grand enfant de François tenter par tous les moyens de s’attirer l’affection de son adulte de fils. Des moyens toujours « paternellement » incorrects. Il confond de manière chronique humour et amour. La chose la plus importante à ses yeux qu’il aimerait lui léguer, c’est « un peu de joie de vivre ». Car lui-même il ne peut fonctionner et exister autrement que dans la légèreté… Et l’affrontement père-fils ne va en être que plus épique.

Le titre de la pièce, Un drôle de père, qui pouvait sembler banal, prend alors tout son sel. Il faut entendre le mot « drôle » dans ses deux sens : « comique » et « inhabituel ». Car François est effectivement un personnage hors du commun doublé d’un sacré rigolo… Je crois avoir vu pratiquement toutes les pièces dans lesquelles Michel Leeb a joué – et il y en a eu de vraiment excellentes – et j’estime que celle-ci lui offre le plus beau rôle qu’il n’ait jamais eu.
S’il avait forcé le trait – et le personnage pourrait s’y prêter – il serait devenu insupportable. Or, il a su éviter cet écueil. Il joue François Garnier tout en finesse, le rendant ainsi sympathique et attachant. Ce qui va en outre parfaitement avec le jugement que lui portent tous ses proches. Sauf son fils, bien sûr… François est un homme aimable et aimé.

Un drôle de père est une fort jolie pièce. Au-delà de la comédie pure, elle parle de la communication. Pas seulement du dialogue parents-enfants, mais aussi de la communication tous azimuts. Inutile de chercher à parler sérieusement avec François Garnier. Et pourtant, derrière ce parti pris de légèreté, on devine qu’il y a autre chose de plus profond qu’une irrépressible forme de pudeur l’empêche d’exprimer. Dans ce registre du non-dit mais du suggéré, Michel Leeb est étonnant de justesse… Au passage, la pièce égratigne gentiment le monde de la télévision et l’auteur a su saupoudrer subtilement son discours d’un humour noir de bon aloi.

Les moments les plus intenses sont évidemment les affrontements père-fils. On dirait deux boxeurs qui pratiquent deux styles complètement différents. Christophe recherche le corps-à-corps (le cœur-à-cœur ?) à grand coups de directs furieux et désordonnés. François, comme on l’a dit, est le roi de l’esquive. Même quand il est touché, il fait encore le fantoche. Ce qui a nle don d’irriter encore plus son « adversaire »…

Les femmes tiennent une place et un rôle importants dans cette pièce. Toutes les quatre ont plus que de l’affection pour François. Mais elles utilisent chacune leurs propres arguments pour exprimer leurs sentiments. Chacune à sa façon est généreuse et dévouée. Bien sûr, elles n’occupent pas la même place auprès de lui et dans son histoire, mais elles sont toutes les quatre lumineuses et positives… Et puis il y a l’ami de toujours, Achille (Philippe Uchan). Il connaît son François, il sait comment il fonctionne, il le comprend et il l’absout…
C’est simple, il n’y a que des beaux personnages dans cette pièce. Une pièce qui fait du bien au cœur tout en nous titillant l’esprit sur la meilleure façon de communiquer avec les siens…
En tout cas, j’ai passé un merveilleux moment avec de Drôle de père.

vendredi 21 septembre 2012

N° 9 de Bigard


Palais des Glaces
37, rue du Faubourg du Temple
75010 Paris
Tel : 01 42 02 27 17
Métro : République / Goncourt

One-man show écrit par Jean-Marie Bigard
Mis en scène par François Rollin

Le thème : Bigard se livre une fois de plus dans un numéro très personnel où il nous parle de ses anecdotes les plus croustillantes… Un nouveau spectacle sur le thème du temps qui passe : passé, présent, futur ; on ne va pas tous à la même vitesse… C’est vertigineusement drôle quand on y pense !
Un n° 9 qui, comme il le suggère, met en scène un nouveau Bigard. Il est intransigeant et ne laisse rien de côté ; la vie, l’amour, la vieillesse, la mort. Des banalités de la vie, mais toujours hilarantes quand Bigard nous les conte.

Mon avis : Lorsqu’on va voir Jean-Marie Bigard, c’est pour qu’il nous fasse du Bigard, et rien d’autre. C’est comme quand on se rend à un concert de Johnny Hallyday ou à un film de Schwarzenegger… On sait pourquoi on y va.
N° 9, le nouveau spectacle est conforme à notre attente. Comme son nom l’indique, il est à la fois sa neuvième œuvre en 28 ans de carrière et il est tout neuf au niveau de l’écriture.
Dès son entrée en scène, Jean-Marie se montre toujours aussi pétulant et généreux. On voit qu’il a énormément de plaisir à se retrouver dans son élément. Il est heureux sur scène et son bonheur est communicatif. Il en arrive même à se faire rire lui-même !

Il annonce tout de go que ce one-man show aura pour fil conducteur le temps. Le temps passé, présent et à venir. C’est vrai qu’il y a de quoi dire. Et lui, il a une manière de le dire qui n’appartient qu’à lui. Il revendique en outre dès le début son statut assumé de « comique vulgaire » : « Je suis un humoriste vulgaire, il y aura des grossièretés ! ». Voilà, c’est dit. Pas d’hypocrisie, on ne va pas se cacher derrière son petit doigt. Et il va alterner dès lors les pensées les plus profondes et les allusions ou descriptions les plus salaces. Car c’est l’éternel paradoxe avec lui, sa façon d’être, ses spectacles reposent toujours sur un fonds pédagogique. Souvenez-vous de Des Animaux et des Hommes et de Mon Psy va mieux, spectacles qui nous en avaient beaucoup appris sur la faune et sur le cerveau humain.
Dans ce spectacle, il parle aussi bien d’Albert Einstein en développant avec force exemples le thème de la loi sur la gravité que des moments passés aux ouatères en analysant les différents aspects que peuvent prendre nos déjections. Là aussi avec force exemples…

Bigard est avant tout un conteur hors pair (pas hors paire, attention, car il y fait souvent allusion). Il n’a pas son pareil pour narrer en nous faisant marrer. Il est aussi interactif. Il ne s’adresse pas à un public, mais à des compagnons de ris et de jeux. Il se choisit d’ailleurs d’emblée une victime de sexe féminin au premier rang, et il ne la lâchera plus. Mais pour se faire pardonner, il lui offrira à boire.
Dans ne neuvième spectacle, il ne présente aucun sketch. Il est tout du long dans la péroraison (parfois aussi, quand il évoque le pastis, dans l’apéro-raison). Il fait du stand-up quoi. Il donne l’impression de déverser tout ce qui lui passe par la tête alors que c’est minutieusement écrit. Entre chaque chapitre, il ne quitte plus la scène. Il investit un petit pupitre d’écolier situé côté cour. Ce petit endroit devient un no man’s land dans lequel il va se livrer à un tas de digressions et de réflexions, souvent en prolongement de ce qu’il vient d’aborder précédemment. Ça a pour effet de donner plus de rythme et de consistance.

Tous les sujets qu’il développe sont étayés d’exemples extrêmement imagés. C’est là aussi un domaine où il excelle. Il a l’art de la vulgarisation (attention, dans le sens noble du terme). Par exemple, pour symboliser le rêve dans le chapitre sur le sommeil paradoxal, il a recours a l’absurde. D’ailleurs, quand il raconte le voyage Paris-Quiberon, je lui ai trouvé dans le ton un petit côté Robert Lamoureux… Plus loin, il traite de la force du mental, des effets négatifs produits par l’inquiétude, de l’utilité à savoir suivre ses intuitions… Ce n’est tout de même pas de la gnognote ! Car il argumente, le bougre… Entre parenthèses, il fait admirablement le chien…
Et puis, soudain, volontairement, il balance la rigueur aux orties. Il n’a ni l’envie ni le temps de parler plus longtemps du temps. C’est là qu’il nous invite à le suivre aux toilettes pour nous expliquer un caca d’école. C’est tellement précis et descriptif – et universel (univers selles ?) – qu’on est tous concernés. De toute façon, quel que soit son âge, le pipi-caca amuse beaucoup. Et là, la salle est pliée de rire…
Jean-Marie termine ensuite sur ce que je baptiserais « la saga des spermatozoïdes », une épopée truculente et picaresque que n’auraient pas désavouée Woody Allen dans Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe (sans jamais oser le demander) ou Ricet Barrier dans sa fameuse chanson Les spermatozoïdes.

Voilà. N° 9 c’est du Bigard pur jus. On n’est pas volé sur la marchandise. Il suffit d’être client. Ames sensibles s’abstenir…

Salut les Copains


Folies Bergère

32, rue Richer
75009 Paris
Tel : 01 44 79 98 60
Métro : Cadet / Grands Boulevards

J’ai assisté au show case de présentation de Salut les Copains, la comédie musicale inspirée de la célèbre émission de radio des années 60 qui sera à l’affiche des Folies Bergère à partir du 18 octobre… Au vu de la bonne demi-heure qui nous a été proposée, je crois pouvoir avancer que ce spectacle va rencontrer un grand succès.
Pas besoin d’être un baby boomer et un fringant sexagénaire pour l’apprécier. Au contraire même, Salut les Copains est un spectacle intergénérationnel. Toutes les chansons de cette époque sont gravées dans la mémoire collective, qu’elles soient françaises ou anglo-saxonnes. C’est en effet au cours de cette décennie 60-70 que sont apparues des vedettes qui sont toujours en haut de l’affiche aujourd’hui (Hallyday, Dutronc, Mitchell, Rivers, Vartan, Hardy, Sheila, Aufray, les Stones…) ou dont l’œuvre fait partie du patrimoine universel de la chanson comme les Beatles. Il y a eu tant de tubes que le choix a dû être particulièrement ardu.

Autre élément jouant en faveur de ce spectacle, et non des moindres, c’est son climat. Les années 60 ont été l’époque de tous les possibles. On pouvait tout oser. L’insouciance était reine. Il y avait une réelle joie de vivre. La jeunesse avait pour la première fois accès au pouvoir. Elle pouvait s’exprimer, se montrer, contester, en un mot, exister. Via son argent de poche, elle devenait même un véritable enjeu économique.
Ce climat d’insouciance et de liberté, il est dans le spectacle. Les plus anciens vont littéralement plonger dans un bain de jouvence, et les plus jeunes vont être fascinés et transportés par autant de bonne humeur.

Ce qui est bien, c’est qu’on nous raconte une histoire à travers les aventures de deux teenagers, Catherine et Michel et de leur bande de Copains. Il y a un vrai scénario avec du fond doublé d’un regard ethnographique sur la société d’alors.
Le casting est parfait. J’ai été bluffé par la présence pleine d’humour et de fantaisie du jeune homme qui tient en quelque sorte le rôle du narrateur. Il fait preuve d’une aisance incroyable tant physique que vocale. Le fait, en outre, qu’il s’adresse directement à une adolescente d’aujourd’hui prise dans le public, est une excellente idée… Tous les acteurs du spectacle, les huit personnages principaux et les cinq danseuses, dégagent l’impression d’une véritable troupe tant on les sent soudés. Nous avons également eu droit à de superbes interprétations chorales comme, par exemple, dans T’en vas pas comme ça. Et puis, il faut aussi signaler l’esthétique des costumes garantis d’époque (à part peut-être les chaussures à semelles compensées que porte le personnage d’Annie qui, autant que je m’en souvienne, n’étaient pas portées dans ces années-là mais plutôt dans l’immédiat après-guerre. A vérifier…)

J’ai donc hâte de découvrir ce spectacle dans son intégralité. Il repose sur trois mots : « Insouciance », « Liberté », « Energie »… En ces temps empreints de morosité ambiante et d’inquiétude sur l’avenir, cette parenthèse enchantée et en chansons va nous faire le plus grand bien.

jeudi 20 septembre 2012

Foresti Party Bercy


Palais Omnisport de Paris Bercy
Boulevard de Bercy
75012 Paris
Métro : Bercy


Foresti Party Bercy, le nouveau spectacle de Florence Foresti, est annoncé à tort comme un Best of agrémenté de nouveautés. En fait, il n’y a absolument rien de réchauffé. Lorsqu’elle utilise des restes comme les sketchs « J’aime pas les filles » ou « L’avion de Barbie », elle nous les accommode avec une sauce totalement inédite. Elle ne se moque pas du monde, elle a bossé, réécrit, et énormément innové. Elle nous fait un clin d’œil, nous fixe des repères, puis elle nous embarque ailleurs.

Pour ce que j’ai vu mercredi soir, on peut affirmer que Florence Foresti est en train de révolutionner le spectacle d’humour en France. On devrait d’ailleurs plus employer le terme de « show ». On en prend plein les mirettes et plein des esgourdes. Elle n’a lésiné ni sur les moyens, ni sur son investissement. Pour être crédible en meneuse de revue, elle a dû en passer des heures à travailler ses chorégraphies !
Il y a de tout dans ce show… Des parodies irrésistibles du genre de celles qu’elle nous avait proposées chez Ruquier dans On n’est pas couché ; de la danse, beaucoup de danse ; de la chanson (remarquable Sonia Lacen) ; du lap dance ; un petit film assez Bref et complètement jubilatoire évoquant les aléas de sa vie quotidienne ; une séquence carrément théâtrale sur la vie de deux couples amis ; tout cela entrecoupé d’une forme de stand-up dans lequel elle nous livre ses réflexions sur un ton qui n’appartient qu’à elle (le plus brillamment écrit étant celui où elle avoue « être vieille » et le démonter à force d’exemples…
Il ne faut pas dévoiler ce spectacle riche en surprises et en effets spéciaux.
En tout cas, grâce aux trois écrans géants placés autour de la scène, on a la confirmation que Florence est une sacrée comédienne. Avec les gros plans, on ne peut pas tricher. Ses mimiques, ses expressions, sont d’une effarante force comique ! Et puis elle manie comme personne l’autodérision, ce qui la rend si proche de nous, donc d’autant plus sympathique. Et quelle folle générosité !
Le POPB est un lieu propice et habitué aux exploits en tous genres. Avec une performer de la classe de Florence, La Foresti Party est à classer dans cette catégorie.

Les Menteurs


Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une pièce d’Anthony Neilson
Adaptée par Marianne Groves
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Décors de Charlie Mangel
Lumières de Gaëlle de Malglaive
Costumes de Juliette Chanaud
Avec Philippe Chevallier, Régis Laspalès, Antoinette Moya, Roger Van Hool, Sophie Gourdin, Bruno Chapelle, Nell Darmouni

L’histoire : Chargés d’annoncer une mauvaise nouvelle à deux personnes âgées au cœur fragile, deux braves « bobbies » appuient sur la sonnette d’un petit pavillon le soir de Noël… La maladresse des deux policiers n’égalant que leur absence de jugeote, l’affaire prend rapidement une tournure des plus burlesques… La vieille dame n’a plus toute sa tête, une voisine inquiétante terrorise son monde, un pasteur cache quelque chose, une jeune fille peut en cacher une autre, un chien aboie, puis il n’aboie plus…

Mon avis : Je n’aime pas être déçu et me montrer négatif vis-à-vis d’un spectacle car je sais la somme de travail et d’investissement que cela représente. Surtout quand j’ai une réelle affection pour les personnes concernées. Mais, en même temps, si je veux être crédible dans mes avis, je me dois de dire honnêtement ce que je pense…
Si je voulais être (très) méchant, je débaptiserais cette pièce pour l’appeler « Les Escrocs » plutôt que « Les Menteurs »… Je ne comprends pas pour quelles raisons Philippe Chevallier et Régis Laspalès, qui sortaient du formidable et légitime succès du Dîner de cons, ont accepté de jouer cette pièce absolument lamentable. Ils font preuve d’un manque de discernement condamnable. Le tandem avait été également impeccable dans Monsieur Chasse ! et dans Ma femme s’appelle Maurice. Alors, que sont-ils allés faire dans cette galère ? Et bien, ramer. Car ils rament les pauvres pour essayer d’amuser la galerie. Mais quand on a un texte aussi mauvais à défendre et une intrigue aussi faiblarde, quoi qu’on fasse, on ne peut pas s’en sortir.

Pourtant, l’affiche, avec nos deux énergumènes en bobbies londoniens était alléchante. Pourtant, le décor n’est pas mal. Pourtant… Non, c’est tout. Il n’y a plus rien… La pièce débute comme un sketch entre les deux héros, les constables Blunt et Gobble. Un mauvais sketch que l’on peut qualifier d’humour de façade. Répétitif et trop long. D’ailleurs tout au long, ils useront et abuseront du « comique » de répétition (je mets comique entre guillemets car ça ne l’est pas du tout). Après ce démarrage poussif et décousu, nous entrons dans le logement de monsieur et madame Connor en même temps que dans le vif du sujet. On s’aperçoit très vite que tous les protagonistes de cette histoire ont un sacré grain. Face à ces véritables malades mentaux, nos deux bobbies ont bien du mal à trouver leurs repères. Ça aurait été marrant s’il y avait une vraie histoire, mais les rebondissements sont tellement tirés par les cheveux qu’on pourrait en faire un chignon aussi volumineux qu’emberlificoté. C’est mal écrit, délayé à l’extrême ; les quelques gags sont affligeants. il y a un faux rythme ; rien à quoi se rattraper. En plus, l’auteur n’a pas évité à plusieurs reprises l’écueil d’une vulgarité gratuite et de très mauvais goût. On est accablé dans notre fauteuil… Et que dire de cette fin avec ses faux airs de « Bobbies Night » ? Je vous assure, on ne nous épargne rien !
On a certes droit à quelques fulgurances de Laspalès, mais elles sont si rares qu’elles ne font que raviver notre frustration car il est triste de gâcher un tel talent. Au contraire, il nous ressort sans cesse les mêmes effets.

Je suis sincèrement malheureux pour eux. Ils se sont totalement fourvoyés. Quant à la mise en scène de Jean-Luc Moreau, c’est plus une mise en abîme. Comme il devait s’occuper de trois ou quatre pièces en même temps, on sait laquelle il a négligée. Je n’espère plus qu’une chose : c’est que le producteur des Menteurs, pistonné par Chevallier et Laspalès, soit bien assuré à la Matmut car je doute qu’il rentre dans ses frais. Je ne vois pas comment cette pièce, qui se déroule le soir de Noël, pourrait trouver son public et arriver à passer le réveillon à la Porte Saint-Martin…

lundi 17 septembre 2012

Marc Lavoine


Je descends du singe


Je descends du singe est le onzième album studio de Marc Lavoine. Il en a signé les dix textes et son désormais indispensable alter ego, Christophe Casanave en a composé les mélodies… Déjà dans son précédent opus, Volume 10, Marc Lavoine avait amorcé un virage assez notable en impliquant beaucoup plus son vécu en évoquant, entre autre, le décès de son père. Marc sait bien que les questions qu’il se pose et les drames qui le touchent, pour personnels et intimes qu’ils soient, sont universels. En mettant ainsi son cœur à nu, il partage avec nous, se fait encore plus proche, plus accessible, plus… normal.
Très famille (tant sur le plan personnel que professionnel), de plus en plus pétri d’humanité, il était tout à fait naturel que, la cinquantaine atteinte (le 6 août), il se tourne vers l’anthropologie et, puisqu’il est lui-même en pleine évolution, il se rapproche plus particulièrement du Darwinisme. D’où cette conclusion péremptoire : il descend du singe.

Maintenant, comment se traduit ce constat dans ce onzième album ? Effectuons-en la discotopsie…

1/ Il restera
Chanson empreinte de nostalgie, un climat qui sied parfaitement à la voix chaude de Marc. Quand on a tout fait, tout vu, tout goûté, tout connu, ou presque, que reste-t-il qui compte : « le parfum d’un souvenir de toi… ». La mélodie, légère, s’accorde à la nostalgie ambiante. Mais c’est une nostalgie douce, pas amère du tout, agréable même. Et, assurément, apaisante : « Je suis en vie presque calme ». On ressent une certaine sérénité. C’est déjà tellement bien d’être en vie et riche de tendres souvenirs…

2/Notre histoire
Jolie petite ritournelle au service d’une histoire d’amour à la fois belle et banale. Et même « conne ». Il évoque la simplicité de sentiments communs, propres à chacun, avec les doutes, les certitudes, les émerveillements. Les histoires d’amour, c’est comme les enfants : ce sont les nôtres les plus beaux.

3/ Je descends du singe
Chanson sur la solitude, sur le manque de l’autre, rythmée par une sorte de reggae nonchalant. Jolie mélodie, refrain efficace, arrangement léché… Evoque un réflexe animal face à un profond désarroi. Les reproches que l’on se fait devant les « ruines » de son passé. Alors on marche au hasard, on s’offre au « vent salé, et on boit pour essayer d’oublier.

4/ J’ai vu la lumière
Inventaire sur toutes les formes que peut prendre l’amour. Finalement, l’amour c’est comme l’air, il est omniprésent, on en a besoin, il peut se faire caressant ou décoiffer. Chanson entraînante, légère et positive qui image parfaitement que l’amour est un tourbillon.

5/J’en ai rien à foutre
Le titre en lui-même est évocateur. Il est très rare d’entendre une petite trivialité dans la bouche de Marc. Pour une fois, il fait fi de sa délicatesse et de sa courtoisie coutumières. Quand une relation amoureuse s’effiloche, à quoi sert de s’évertuer à vouloir la rapiécer. Quand c’est fini, c’est fini. Pas de quoi se tirer une balle dans la tête, inutile de souffrir bêtement. Fataliste et pragmatique, il accepte benoîtement son sort puisqu’en échange, il redevient un homme libre.

6/ Auprès de toi mon frère
Incantation descriptive de ce qu’est que grandir en parallèle avec son frangin. Tout ce qu’on vit ensemble, qu’on partage, qu’on rêve, chacun étant tour à tour la béquille de l’autre, son soutien protecteur quand ça va mal. Chanson pleine de tendresse et de reconnaissance et néanmoins empreinte de nostalgie.

7/ Avec toi
Variation amusante sur le thème à peine voilé de « Je te tiens par la barbichette ». Débit saccadé, original sur fond de musique discrète. Duo avec la comédienne Julie Gayet qui propose une voix aussi légère et ténue que celle de Marc est chaude et grave ; ce qui offre un agréable contraste. C’est une chanson très optimiste qui parcourt toute la vie d’amour d’un couple avec ses grands bonheurs et les petits aléas que l’on surmonte.

8/ Faut-il parler ?
C’est, quelque part, l’antithèse de la chanson précédente, puisque Marc y aborde le délitement dans le couple. Cette fois, on ne passera pas toute sa vie ensemble. Le contrat de mariage est déchiré par « le couteau du quotidien », alors à chacun de reprendre sa vie… Malgré tout, le salut est peut-être dans le dialogue. Mais c’est loin d’être garanti. Se dire les choses ou se taire, telle est la question… C’est, pour moi, le plus beau texte de l’album.

9/ Ballade pour Michelle
Pas facile d’écrire une chanson sur la disparition d’un être aussi cher et essentiel que peut l’être sa mère… Sans jamais tomber dans le pathos, Marc procède par petites touches tendres et sensibles pour évoquer son souvenir. Saupoudrant son chagrin de petites images fugitives, il passe sans cesse de la réalité à l’abstrait. Et, maintenant que Michelle est partie, peu de temps après son père, il se retrouve inexorablement seul et, désormais, en première ligne.

10/ Je compte les jours
Ton lancinant et récitatif d’un véritable poème construit sur l’alternance de « Il me manque » et « Il me tarde ». Cette chanson est cousine avec Je descends du singe, elle la complète, sauf que, cette fois, on a le droit d’imaginer une happy end.


Mon hit parade personnel :

1/ J’ai vu la lumière
2/ je descends du singe
3/ Il restera
4/ Faut-il parler ?
5/ J’en ai rien à foutre

L'étudiante et monsieur Henri


Petit Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Métro : Trinité / Blanche / Saint-Lazare

Une comédie d’Ivan Calbérac
Mise en scène par José Paul
Décors d’Edouard Laug
Lumières de laurent Béal
Costumes de Brigitte Faur-Perdigou
Avec Roger Dumas (monsieur Henri), Lysiane Meis (Valérie, la bru), Sébastien Castro (Paul, le fils), Claudia Dimier (Constance, l’étudiante)

L’histoire : A 78 ans, monsieur Henri vit seul dans son appartement parisien, ce qui commence à inquiéter son fils Paul. Si le septuagénaire, particulièrement bougon, refuse catégoriquement tout placement en maison de retraite, il finit par accepter de louer une chambre de son appartement à une étudiante. Constance, 21 ans, emménage chez lui…

Mon avis : On se rend parfois à certaines pièces comme à un rendez-vous amoureux. On sait qui l’on va retrouver, on est curieux, tout frétillant, un peu excité. On sait aussi que l’on va passer un bon moment de partage… Et lorsqu’il s’avère que ce rendez-vous dépasse encore les plus gourmandes de vos attentes, et bien on touche au bonheur.

Pour ce qui est de L’étudiante et monsieur Henri, nombreuses étaient les raisons de se réjouir à l’avance. D’abord, le lieu du rendez-vous. J’ai régulièrement été surpris et emballé par la programmation du Petit Théâtre de Paris. Je n’y ai pratiquement découvert que des pièces originales, intelligentes, souvent très drôles mais avec du sens. La dernière en date, Sunderland, a été pour moi LA pièce de l’année 2011. Alors j’étais avide de voir ce qu’on avait pu cette fois nous sortir de derrière les fagots… Ensuite, il y avait la présence à l’affiche de deux comédiens que j’adule particulièrement, Roger Dumas et Sébastien Castro. On ne présente plus le premier, son parcours, tellement riche et éclectique, est sidérant. Quant au second, je le tiens pour un de nos tous meilleurs acteurs dans le registre de la comédie. La présence également de Lysiane Meis, que j’avais remarquée dans Jacques a dit et Le gai mariage, était également un gage de qualité de jeu. Pour ce qui concerne la quatrième personne, Claudia Dimier, ça allait être une découverte puisqu’elle jouait là sa première vraie pièce… Enfin, le seul nom de José Paul à la mise en scène était une garantie à la fois de finesse et de rigueur… Devant tant d’atouts réunis, restait à savoir si L’étudiante et monsieur Henri allait se révéler à la hauteur de ce que proposait l’affiche.

Or donc, ainsi que je l’ai formulé plus haut, mon plaisir est allé au-delà de mes espérances. Cette pièce a une portée universelle car elle touche à ce que l’on a de plus proche, la famille. Chacun, quel que soit son âge, est concerné.
L’action se passe dans un appartement parisien un peu vieillot, au papier peint désuet. Des portes s’ouvrent sur différentes pièces, il y a une cuisine américaine. Et, contre un mur du salon repose un piano. Ce logement appartient à monsieur Henri, un septuagénaire veuf. C’est un vieux bougon, limite misanthrope, qui ronchonne à tout propos. Il concentre une grande partie de son acrimonie sur son fils, Paul, et surtout sur sa bru, Valérie, qu’il déteste au plus haut point… L’irruption, contre son gré, de Constance, une jeune étudiante à laquelle il est tenu de louer une chambre pour éviter la maison de retraite, va lui faire échafauder un plan machiavélique anti-bru…
Mais, comme dans la vraie vie, rien ne se passe vraiment comme on l’avait envisagé.
De franche comédie, la pièce devient progressivement douce amère. Les rires qui partaient en cascade continuent bien sûr de retentir, nombreux, mais ils alternent de plus en plus avec les moments d’émotion et quelques petites pincements au cœur. C’est en cela que cette pièce est complète. Elle est plus que plaisante, mais pas complaisante. Chacun des quatre personnages joue sa propre partition à l’insu des trois autres, sauf peut-être Valérie qui apparaît totalement incapable de duplicité. C’est également dans cette application à parfaitement dessiner les profils psychologiques de chacun que la pièce puise également sa richesse. Il y a là une belle étude de l’âme humaine.

Les dialogues sont ciselés, incisifs, percutants. On remarque aussi l’importance que de petites phrases d’apparence anodine peuvent avoir. A travers elles, certains laissent filtrer leurs regrets, d’autres se réfugient dans des substituts ; comme la religion pour Valérie.
Pour interpréter cette pièce que son auteur, Ivan Calbérac, présente comme « une comédie terriblement familiale », il fallait avoir à disposition un quatuor à cordes sensibles.

Roger Dumas est impeccable en vieillard acariâtre. Il faut dire qu’on lui a mis en bouche un texte particulièrement saignant. Il a un texte d’une formidable méchanceté. Et plus il est acerbe, plus il se vautre dans la mauvais foi, et plus on rit. Et pourtant...
Sébastien Castro, que j’ai pu apprécier si souvent fois dans des rôles comiques voire burlesques, nous offre une composition plus réaliste. C’est la première fois que je le vois jouer la colère, par exemple, et démontrer qu’il peut aussi être très juste dans le registre de l’émotion. C’est un beau rôle, plein de finesse et de nuances, dans lequel nombre d’hommes se retrouveront.
Lysiane Meis nous surprend tout du long dans le personnage de la bru. Monsieur Henri la déteste tant qu’on s’attend à découvrir une sorte de harpie doublée d’une bécasse. Or, c’est une vraie gentille. Elle joue ma ravie de la crèche avec une constante subtilité. Avec sa bigoterie, son tempérament altruiste et son romantisme béat, elle apporte sa part d’humanité dans une pièce qui en contient énormément.
Claudia Dimier s’en sort de manière épatante dans un rôle plutôt complexe à interpréter car il est fluctuant. Au début, dans l’espoir d’obtenir la chambre, elle se montre aussi opiniâtre qu’optimiste. C’est une bonne nature. Et puis, sous la pression du chantage exercé par ce manipulateur de monsieur Henri, elle est amenée à gérer une vilaine dualité. Elle s’en sort avec énormément de tempérament et de générosité. Commencer sa carrière avec un rôle aussi fort, c’est un sacré bonus.

L’étudiante et monsieur Henri est donc une pièce totalement réussie. Les comédies ne sont jamais aussi bonnes que lorsqu’elles savent distiller de jolies notes d’émotion. J’avoue, à la fin, je ressentais un délicieux picotis dans les yeux. Et, en même temps, j’avais beaucoup, beaucoup ri.

vendredi 14 septembre 2012

Le Journal d'Anne Frank


Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgar Quinet / Gaîté

Une pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt
Mise en scène par Steve Suissa
Décors de Stéphanie Jarre
Lumières de Jérôme Almeras
Costumes de Sylvie Pensa
Avec Francis Huster (Otto Frank), Gaïa Weiss (Miep Gies), Roxane Duran (Anne Frank), Odile Cohen (Edith Frank), Katia Miran (Margot Frank), Charlotte Kady (Augusta van Pels), Yann Babilée Keogh (Hermann van Pels), Bertrand Usclat (Peter van Pels), Yann Goven (Frotz)

L’histoire : En 1945, Otto Frank, revenu des camps, attend tous les jours ses deux filles sur la quai de la gare d’Amsterdam. Lorsqu’on lui apprend qu’Anne et Margot ne reviendront pas, il ose ouvrir le journal intime de la cadette, Anne, et découvre avec stupeur qu’il ne connaissait pas vraiment sa fille… Racontée par Anne, l’étrange clandestinité qui enferma neuf personnes, trois familles, si différentes, dans l’annexe de son entreprise devient drôle, piquante, pleine de moments de crainte mais de moments de joie aussi. A la grande surprise de son père, Anne est plus profonde, plus spirituelle, plus sexuée aussi qu’il ne croyait. Et parfois, plus révoltée…

Mon avis : Eric-Emmanuel Schmitt nous propose subtilement une nouvelle lecture du Journal d’Anne Frank, livre qu’il a lu et relu. Il a eu l’idée de nous le faire revivre à travers le regard du seul rescapé des camps d’extermination, Otto Frank, le père : un homme qui essaie de survivre après la dramatique disparition de sa femme, Edith, et de ses deux filles, Margot et Anne. Pour réussir son parti pris, il a traité sa pièce de façon cinématographique. D’abord en s’appuyant sur des projections, puis en appliquant le système du flash-back.
La mise en en scène est d’une fluidité remarquable. On passe d’une époque à l’autre sans à-coup. C’est tout simple : on tourne les pages du Journal intime d’Anne et on en découvre le contenu en même temps que son père. On s’émeut et on sourit à l’unisson de ses réactions et de ses sentiments. Rien ne nous est imposé, il n’y a aucun manichéisme. On n’a qu’à se laisser porter…

Disons-le tout de suite, Francis Huster campe magistralement Otto Frank. Tout en retenue, la sensibilité à fleur de cœur, il donne à son personnage une formidable dignité. Lui-même père de deux filles, lui-même concerné par l’Holocauste, il est évident qu’il opère un douloureux transfert… Je suppose que le vrai Otto Frank possédait cette personnalité. Il est l’image de l’homme idéal. Il est bon, généreux, tolérant, sensible, aimant, tout en sachant se montrer autoritaire quand il le faut avec ses filles et, plus particulièrement, avec sa petite rebelle, Anne. C’est un homme rare. Un Juste.
Au fur et à mesure de sa lecture, il découvre une autre Anne, plus proche d’une jeune femme que d’une adolescente de 14-15 ans. Et aussi, il découvre un vrai talent d’écrivain. A travers les lignes, il revit et revoit différemment les mois passés dans leur cachette. A travers les yeux de sa fille, il porte un autre regard sur les habitants de l’Annexe. Ce Journal lui redonne la force de vivre car il devient le dépositaire d’une œuvre, d’un témoignage qu’il se doit de faire connaître au plus grand nombre. Soudain, il est investi d’une mission sacrée qui implique autant le souvenir de sa fille que le devoir de mémoire. Sa vie a de nouveau un sens.

L’Annexe, joliment reconstituée par Stéfanie Jarre, nous transporte dans les années 40, à Amsterdam. La prédominance de tons orangés lui donne une certaine chaleur. C’est sobre, propret et bien rangé. Dans cet univers clos vivent huit personnes, la famille Frank, la famille van Pels et un homme prénommé Frotz. Leur seul lien avec l’extérieur est leur logeuse, la dévouée Miep. Miep qui a un rôle clé dans cette histoire. Car non contente d’avoir été leur protectrice, c’est elle qui a récupéré le Journal abandonné par Anne, qui le remettra après la guerre à Otto Frank et deviendra sa confidente discrète et attentionnée.

Bien sûr - Journal oblige – le pivot de la pièce, c’est Anne. C’est une ado débordante de vitalité, très mature pour son âge et excessivement volontaire. C’est rien de dire que c’est un sacré caractère. Comme mue par un funeste pressentiment, elle aime la vie et va à l’essentiel. Elle voue à son père un amour et une admiration sans bornes. En revanche, elle est en conflit permanent avec sa mère. Et, très observatrice, elle a un jugement très arrêté sur tous les personnages qui partagent le refuge… Remarquable prestation de Roxane Duran dans ce rôle écrasant. Avec son énergie, ses taquineries, ses emportements, ses réflexions, elle monopolise l’attention. Elle nous offre là une impressionnante performance.
Autant Anne est présente, autant sa sœur, Margot est effacée ; comme si Anne dévorait tout l’espace. Mais elles s’entendent néanmoins très bien… Edith, la mère, est relativement réservée. Elle ne s’enflamme que pour se chamailler avec Anne.
Chez les van Pels, le personnage d’Augusta offre à Charlotte Kady un rôle à la hauteur de sa générosité. Elle masque son inquiétude derrière un excès de volubilité, d’exubérance. Et plus elle s’agite plus son mari, Hermann, est calme. Mais quand elle se montre trop fofolle ou inconséquente, il ne se prive pas de lui dire son fait avec une grande fermeté.
Autre beau personnage, celui de Miep Gies. Cette grande et jolie jeune femme est une belle âme.

Au-delà d’être une pièce de théâtre en tout point réussie, le Journal d’Anne Frank est porteur d’un magnifique message de tolérance. Il n’y a jamais de haine, d’agressivité ou d’amertume dans les propos. En dépit des souffrances qu’il endure, Otto Frank est plus enclin au pardon qu’au ressentiment. C’est une pièce à voir en famille dans laquelle, malgré le drame qui se dessine, on rit énormément, surtout avec les personnages d’Anne et d’Augusta. C’est une pièce pleine de vie, bien qu’on n’oublie jamais que la mort plane sur les habitants de l’Annexe… A la fin, après les nombreux rappels, on croisait des regards brillants. Brillants du plaisir que procure une pièce profonde, intelligente et superbement interprétée, et brillants d’une émotion difficilement contenue…

lundi 10 septembre 2012

Superbus


Sunset


Sorti le 27 août dernier, Sunset est le cinquième album studio du groupe Superbus. La grande particularité par rapport aux opus précédents, c’est que le Superbus a dû utiliser un gros porteur pour survoler l’Atlantique et se poser à Los Angeles.
Los Angeles… Des années que Jennifer Ayache rêvait de la Cité des Anges. Elle le chante d’ailleurs dans le premier titre, All Alone : « J’avais des envies d’L.A. ». L’éventail de sa culture musicale, donc de ses influences, est très large. Il s’ouvre sur les années 60 pour se refermer aujourd’hui. Tout autant que la pop, le rock électro, la new wave et le disco-rock, Jenn a baigné dans la surf music et le rock californien. Accompagnée de ses quatre Mousquetaires, elle est arrivée à L.A. avec tout le matos : quatorze maquettes qu’elle avait déjà élaborées « at home ». Ce qu’elle venait chercher auprès du producteur Billy Bush (Garbage), c’est du son. Un bon gros son, pour donner à Sunset sa couleur spécifique. Et le résultat est là. Cet album mérite un super buzz.

Paradoxalement, moi qui suis plutôt du genre intégriste et plus enclin à privilégier les textes en français, j’ai été emballé par la qualité des trois chansons en anglais, Mini, Calling You et Mrs Better. Tous trois dégagent une telle énergie, une telle tonicité et ils sont si originalement arrangés qu’ils vous transportent littéralement.
Sinon, J’ai beaucoup de tendresse pour L’été n’est pas loin. Avec ses guitares aux sonorités Sixties et son interprétation dans le souffle, le dernier titre de l’album est une jolie chanson d’amour, fort bien écrite. Son message est simple : profitons du temps présent, après on verra bien… Où il y a de la Jenn, y’a du plaisir.

En parlant de texte, il y en a un qui est particulièrement intelligent, c’est celui de A la chaîne, coécrit avec Patrice Focone. On y dénonce l’omniprésence et l’omnipotence de la Toile et l’intrusion des réseaux sociaux dans les relations humaines actuelles. On est bien obligé de s’y adapter et de faire avec, mais on y perd un peu du charme de la rencontre ordinaire…
Enfin, j’ai bien aimé Smith’n’Wesson, chanson qui évoque l’abandon et la crainte de la solitude mais qui laisse néanmoins pointer quelques réactions positives : « Aller voir ailleurs, enfin rire de bon cœur »… Whisper, avec la complicité à la batterie du fameux Richie Sambora de Bon Jovi, est une chanson amusante énumérant une kyrielle de films d’épouvante. Jenn ne fait pas la maline, elle a avoue sa trouille de ces monstres qui lui soufflent des horreurs dans les oreilles. Pour elle « Whisper » rime avec « peur »... Et puis il y a Duo dans lequel, comme son nom l’indique, Jennifer reçoit la réplique d’un certain Marco Kamaras. Ecriture impressionniste pour une ambiance vaporeuse et onirique du meilleur effet.

samedi 8 septembre 2012

Le Bonheur


Théâtre Marigny
Carré Marigny
75008 Paris
Tel : 0 892 222 333
Métro : Champs Elysées-Clémenceau

Une pièce d’Eric Assous
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Décor de Jacques Voizot
Lumières de Gaëlle de Malglaive
Costumes de Brigitte Faur-Perdigou
Avec Marie-Anne Chazel (Louise) et Sam Karmann (Alexandre)

L’histoire : Le charme des rencontres fortuites, c’est qu’elles réunissent des êtres qui s’attirent sans être forcément compatibles. Louise est célibataire, Alexandre est en plein divorce ; elle n’a pas d’enfant, il en a trois ; elle est plutôt à gauche, il est plutôt à droite. Tous les deux ont dépassé la cinquantaine. Ils vont confronter leur conception du bonheur et surtout débattre de ses modalités.
La peur de finir seul(e) est-elle bonne conseillère ?
La maturité nous rend-elle plus tolérants ou plus intransigeants ?
Notre passé amoureux est-il une richesse ou un handicap ?
L’amour et la vie à deux : une équation qui se complique avec l’âge…

Mon avis : Lorsqu’on a vu la pièce, le croquis qui figure sur l’affiche du Bonheur prend toute sa saveur : un cœur solidement arrimé sur une plate-forme est tracté par une locomotive à vapeur. Elle en contient des éléments induits cette image ! D’abord, il faut être sur de bons rails. Ensuite, il faut des liens solides pour que l’organe de l’amour ne chute pas lourdement sur la ballast. Enfin, il faut une solide locomotive et énormément de charbon pour que le convoi réussisse à gravir la pente ardue qui mène à la gare du bonheur… Sans compter tous les obstacles en tous genres qui peuvent se dresser sur le chemin.

Vous l’aurez compris, Le Bonheur est une énième digression sur le couple, un domaine dans lequel excelle véritablement Eric Assous. Cet homme a une incroyable disposition à disséquer les relations amoureuses. Cette nouvelle pièce est donc une variation en six tableaux sur deux différents « t’aime »…
Dans le joli décor de l’appartement de Louise, auteure de livres pour enfants, va se jouer devant nous une histoire d’amour depuis son tout premier acte jusqu’à son dénouement. Mais avant d’y parvenir, il va s’en produire des choses dans le quotidien de ce couple durant quelques sept-huit mois.

Louise et Alexandre, nos tourtereaux quinquas, n’ont vraiment rien en commun. Culturellement, socialement et idéologiquement, ils sont même aux antipodes l’un de l’autre. Et pourtant, il y a entre eux un lien ténu qui les rattache à défaut de les unir. Passées les roucoulades succédant à leur première nuit, le petit déjeuner va être le premier prétexte à l’affrontement. Il est bien sûr provoqué par une Louise pugnace à souhait. Par besoin de se sentir sécurisée au plus vite, elle commence à le harceler de questions. Evidemment, plus il reste évasif, plus elle aiguillonne. Nous avons droit au bras de fer classique entre l’engagement et la détermination féminins et les atermoiements masculins. Ce qui donne lieu à une superbe opposition tendue et haute en couleurs car les fleurets ne restent pas très longtemps mouchetés. Les échanges sont vraiment très drôles. Dans ce premier tableau, les répliques et les réflexions d’Alexandre sont particulièrement savoureuses. Il s’en sort comme il peut, avec un certain bon sens : « Je n’ai pas menti, j’ai simplifié ! ». Eric Assous a réussi à éviter l’écueil caricatural et un peu systématique de la mauvaise foi masculine. En plus, la qualité de la mise en scène permet aux deux comédiens de s’employer dans des registres totalement différents. Surtout dans les deux premiers tableaux. Alexandre (Sam Karmann) a un jeu très physique, sans cesse dans le mouvement. Louise (Marie-Anne Chazel), très rouée, se cantonne plus dans l’espièglerie. Elle est une sorte de matador taquin qui s’amuserait à planter ses piques dans les flancs d’un taureau désemparé… En tout cas, grâce à la grande qualité de jeu des comédiens et à la finesse de l’écriture, on se régale à suivre en souriant ce combat amoureux. On rit vraiment beaucoup, autant pour les dialogues que pour la subtilité du jeu et le comique de certaines situations. On assiste à un grand numéro d’acteurs. On en profite d'autant plus que la salle Popesco du théâtre Marigny, grâce à sa proximité avec la scène, permet de saisir la moindre expression.

Le Bonheur se maintient à un très haut niveau de comédie durant les trois premiers tableaux. En revanche, bien que toujours aussi remarquablement interprétés, je me suis senti un peu moins impliqué dans le quatrième et, surtout, dans le cinquième tableau. Je sais, avec mon foutu esprit cartésien, il faut toujours que je pinaille… Eric Assous a quelque peu grossi le trait. J’ai ressenti moins de cohérence, moins de crédibilité, particulièrement en raison de l’attitude de Louise. Bien sûr qu’il faut une passerelle pour en arriver à l’ultime tableau. Mais celle qui a été construite m’a paru un tantinet brinquebalante. Elle oblige les comédiens (surtout Marie-Anne), jusque là parfaitement justes, à sur-jouer. En même temps, ce tableau permet aux deux protagonistes de l’histoire d’inverser leurs rôles. Plus Louise se montre pénible et irritée, plus Alexandre se révèle conciliant, brave et sympathique. Pour eux, c’est certain, ce doit être très agréable à jouer.

Heureusement, le sixième tableau nous ramène dans le ravissement en y intégrant, pour la première fois, de l'émotion. Quelle formidable scène et quelle composition de Marie-Anne Chazelle, toute en finesse, en nuances !
Si bien que, nonobstant le léger trou d’air précédemment évoqué, Le Bonheur est une fort bonne comédie interprétée par deux excellents comédiens qui nous transporte (dans tous les sens du terme) en très haute altitude. Les duettistes Eric Assous et Jean-Luc Moreau ont encore (bien) frappé !

mardi 4 septembre 2012

Le Scoop


Théâtre Tristan Bernard
64, rue du Rocher
75008 Paris
Tel : 01 45 22 08 40
Métro : Villiers / Saint-Lazare

Une pièce écrite et mise en scène par Marc Fayet
Décors d’Edouard Laug
Costumes de Brigitte Faur-Perdigou
Lumières de Laurent Béal
Avec Philippe Magnan (Pierre), Frédérique Tirmont (Claire), Frédéric Van Den Driessche (Dupire), Guillaume Durieux (Grégory), Aurore Soudieux (Julie)

L’histoire : Qu’y a-t-il de commun entre un Grand Reporter de légende, une star du JT et un jeune journaliste débutant ?
Est-ce l’envie de témoigner ? La recherche du scoop ? Ou seulement l’envie de garder sa place ?
C’est bien souvent les trois à la fois, guidés par un seul principe : « Mieux vaut être le premier à se tromper plutôt qu’être le deuxième à dire la vérité »… Dans cette recherche effrénée de l’exclusivité, trois générations de journalistes s’affrontent dans un combat où admirations, jalousies et règlements de compte personnels composent un véritable scénario à rebondissements.

Mon avis : Et bien je peux dire que, avec Le Scoop, ma rentrée théâtrale 2012/2013 démarre sous les meilleurs auspices. En effet, pendant une heure et demie, j’ai été captivé et tenu en haleine par cette pièce remarquablement écrite et tout aussi remarquablement interprétée.

Déjà, lorsque le nom de Philippe Magnan apparaît au générique d’un spectacle, je suis assuré de découvrir une pièce d’une extrême qualité. J’ai toujours été emballé par chacune de ses prestations. Il n’y avait donc aucune raison pour que cela change. Et, effectivement, une fois encore, ce formidable comédien nous offre une composition de très haute tenue. Il est fait pour ce rôle autant que ce rôle est construit pour lui. Il s’y révèle si naturel, si authentique, qu’on en oublie l’acteur.
Le Scoop est une pièce très complète contenant plusieurs niveaux de lecture, ce qui la rend à la fois dense et riche. C’est d’abord une analyse en profondeur du métier de journaliste et de la façon qu’a chacun de le pratiquer. Ah cette fameuse « déontologie », mise à toutes les sauces ! Bouclier dérisoire, parapluie hypocrite, valeur totalement abstraite que l’on brandit quand on cherche à se dédouaner ou à se hausser du col… Journaliste moi-même, je me suis senti d’autant plus concerné et intéressé. Des types comme Pierre, comme Dupire et comme Grégory, j’en ai rencontrés. Et encore, je n’ai sévi que dans les sphères de l’audiovisuel, du spectacle et du showbiz. J’imagine que ces archétypes sont bien plus exacerbés dans les milieux de la politique, et chez les grands reporters…
Ensuite, il y a une grande finesse dans le traitement psychologique des cinq protagonistes de ce thriller, car c’en est un ; et un bon ! Chacun agit et réagit avec sa mentalité propre, et même pas toujours propre. Chacun d’entre eux est guidé par ses objectifs ou tenu par son sens moral. L’âme humaine est, par essence, complexe. Ici, nous avons cinq profils, cinq caractères, cinq comportements complètement différents et parfaitement dessinés. Donc cinq beaux rôles.

Pierre (Philippe Magnan) campe à merveille un ancien correspondant de guerre qui a bourlingué à travers le monde en y couvrant les principaux conflits de la deuxième moitié du 20è siècle. C’est un vieux lion désabusé et misanthrope, dupe de rien. Il est porteur de lourds secrets qu’il tient à garder précieusement enfouis dans sa mémoire. Il est redoutablement intelligent, se complaît à jouer les bougons. Il semble revenu de tout et, pourtant, ainsi que le lui fait remarquer son épouse, il a toujours en lui cette étincelle qui s’appelle la faculté d’émerveillement ou d’indignation. Pierre est le personnage central de la pièce. Il détient la Vérité que les deux autres hommes croient connaître et qu’ils veulent lui faire dire. Situation qui ouvre à une palpitante partie de poker menteur.
Claire (Frédérique Tirmont) est l’épouse de Pierre. C’est une ex-photoreporter de guerre. Elle aussi elle sait beaucoup de choses. Mais elle est une femme. Moins encombrée par son égo que les deux mâles dominants qui se combattent à distance, elle fait preuve d’une grande sagesse et d’une grande tolérance. Elle a un rôle-clé dans cette histoire.
Le rival de Pierre, Dupire, est tout entier sous l’emprise de sa jalousie. Il est prêt à utiliser tous les moyens pour arriver à ses fins et faire enfin éclater la (sa ?) fameuse vérité. Frédéric Van Den Driessche apporte à ce personnage cynique et sans scrupules son pouvoir de séduction. Il possède le charme et la pugnacité des grands manipulateurs.
Et puis il y a le petit jeune, Grégory. C’est lui qui mène l’enquête avec autant de fougue que de maladresse. Son comportement vis-à-vis de Pierre, tour-à-tour conciliant et vindicatif nous trouble. Quel jeu joue-t-il ? Quelles sont ses intérêts dans cette histoire ?... J’ai été emballé par le jeu simple et naturel et par la formidable présence de Guillaume Durieux. Il est impeccable.
Quant à Julie (Aurore Soudieux), si son rôle est plus ténu, il a son importance car elle est en quelque sorte notre regard à nous. Découvrant l’évolution de l’intrigue et des comportements en même temps qu’elle, on se pose les mêmes questions. Comme Claire, mais en plus jeune, elle est idéaliste et honnête. Les deux femmes, plus humaines, sont bien moins retorses. Et, quelque part, plus courageuses aussi…

Le Scoop est une remarquable pièce à tiroirs, un puzzle qui se reconstruit peu à peu devant nous. On est véritablement tenu en haleine jusqu’à son dénouement… Tous publics, il ne fait nul doute qu’elle sera un des plus gros succès de cette rentrée. Elle le mérite. Il suffit de voir par quel tonnerre d’applaudissements les saluts sont accueillis à la fin pour en être convaincu.