jeudi 30 juin 2016

Festival d'Avignon

Du 6 au 24 juillet, le Festival d’Avignon va réunir pour la soixante-dixième fois tous les passionnés de théâtre. Côté Cour (d’honneur), ou côtés jardins, mais aussi dans des lieux comme des cloîtres ou des chapelles, le plus grand comme le plus petit espace est réquisitionné pour servir cet art ô combien vivant. Les grands « papes » de la comédie y côtoient les jeunes séminaristes de cette religion plus œcuménique qu’aucune autre.

Histoire d’apporter ma petite pierre à l’édifice de l’édition 2016, je me permets de recommander trois spectacles, très différents, que j’ai vus et aimés :


Théâtre du Chêne Noir
Du 6 au 30 juillet
Tous les jours à 17 h 15
(Relâche les lundis 11, 18 et 25 juillet)
Tel : 04 90 86 74 87

Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran
De Eric-Emmanuel Schmitt
Mise en scène d’Anne Bourgeois
Interprété par Eric-Emmanuel Schmitt

L’histoire : Paris, années 60, un garçon juif de 12 ans, devient l’ami du vieil épicier arabe de la rue Bleue pour échapper à une famille sans amour.
Mon avis : Un véritable conte moderne empli de tendresse, de tolérance et de drôlerie… J’avais vu cette pièce interprétée par Francis Lalanne. C’est un texte fort, très fort, universel, qui nous émeut autant qu’il nous fait sourire et nous tient en haleine de bout en bout.



Théâtre Actuel
A partir du 7 juillet
Tous les jours à 19 h 05
Tel : 04 90 82 04 02

Le dernier baiser de Mozart
De
Mise en scène de Raphaëlle Cambray
Avec Delphine Depardieu (Constance Mozart) et Guillaume Marquet (Franz-Xaver Süssmayr)
L’histoire : Wofgang Amadeus Mozart vient de mourir… Constance, sa veuve, doit faire front. Seule et désargentée, il lui faut trouver le disciple capable de terminer le fameux Requiem. Franz-Xaver Süssmayr, qui ne la laisse pas indifférente, sera-t-il à la hauteur du maître ?
Mon avis : J’ai vu une avant-première de cette pièce le 16 juin dernier au Petit Montparnasse où il sera joué à partir du 7 septembre, et je ne peux que la recommander vivement. Des dialogues remarquables et un texte riche en anecdotes sont superbement servis par deux comédiens habités. Cet âpre duel dans lequel tous les coups sont permis, y compris le double jeu, nous captive et nous passionne. Un vrai grand moment de théâtre.



Théâtre Le Paris
Du 7 au 17 juillet
Tous les jours à 18 h 00
Tel : 08 99 70 60 51

Les Chevaliers du Fiel dans « Otaké »
Ecrit par Eric Carrière
L’histoire : Le plus formidable télé-crochet que vous n’avez jamais osé imaginer. Un show à l’américaine pour sauver la culture française avec les artistes les plus « ouf » de l’année… De La Simca 1000 au chanteur exhibitionniste, une galerie de personnages tous aussi cinglés les uns que les autres.

Mon avis : 13 représentations au Palais des Sports à guichets fermés ! La seule ambition des Chevaliers du Fiel est de nous faire rire avec leurs personnages grandiloquents, improbables, lamentables, grotesques, mais qui ont l’air d’y croire. Ils raclent la bêtise et la fatuité humaines jusqu’à l’os. Chez eux, le ridicule ne les tue pas, il les rend plus forts… et plus drôles encore.

lundi 27 juin 2016

Camping 3

Un film de Fabien Onteniente
Scénario, adaptation et dialogues de Franck Dubosc et Fabien Onteniente
Musique originale de Jean-Yves d’Angelo
Chanson originale de Maître Gims

Avec Franck Dubosc (Patrick Chirac), Claude Brasseur (Jacky Pic), Mylène Demongeot (Laurette Pic), Antoine Duléry (Paulo Gatineau), Gérard Jugnot (Charmillard), Michèle Laroque (Anne-So), Leslie Medina (Morgane), Louka Méliava (Benji), Jules Ritmanic (José), Cyril Mendy (Robert), Philippe Lellouche (Carello), Laurent Olmedo (le 37), Cristiana Réali, Michel Crémadès, Sophie Mounicot, Bernard Montiel…

Synopsis : Comme chaque été, au camping des Flots Bleus, se retrouvent se retrouvent pour les vacances nos amis, les Pic, Jacky et Laurette, Gatineau, tout juste divorcé de Sophie, le 37, et Patrick Chirac, fidèle à ses habitudes. Cette année, Patrick a décidé de tester le covoiturage… Pensant traverser la France avec Vanessa, il se retrouve avec trois jeunes Dijonnais : Robert le charmeur, Benji le beau gosse et José la grande gueule. Bien évidemment, après le covoiturage, Patrick se voit contraint de tester le co-couchage…

Mon avis : « Alors, on n’attend pas Patrick ? »… Et bien, si, il faut l’attendre le Patrick, du moins jusqu’au 29 juin. A compter de cette date, il n’y aura que du plaisir à prendre en découvrant ses nouvelles vacances au Camping des Flots Bleus.
Pourtant, Patrick n’est pas toujours où l’on l’attend. Si Camping 3 est une comédie totalement réussie, Franck Dubosc et Fabien Onteniente, ses auteurs, se sont aventurés cette fois dans des zones qu’ils n’avaient pas explorées dans les deux précédents volets. Je m’explique : si on rit énormément, nous ne sommes pas que dans la gaudriole à tout prix. Franck et Fabien ont saupoudré leur scénario de petites touches qui le rendent plus sensible, plus humain. Cette fois, il faut savoir lire entre les lignes. Les personnages sont moins linéaires.

Photo Alain Guizard
Au camping, Patrick Chirac EXISTE. On fait attention à lui, il fait partie d’une communauté, il a ses repères. Mais on comprend aussi que, pendant les onze autres mois de l’année, c’est pour lui la galère. Il est au chômage, il a des relations quasi inexistantes avec sa fille et, sentimentalement, c’est le désert. Raison pour laquelle il a une besoin viscéral de se replonger dans l’ambiance du camping pour essayer d’y recharger ses accus. S’il souffre, il ne le montre pas. Il a une forme d’élégance à ne jamais se plaindre. Au contraire, il se tourne vers les autres. Il veut aider et partager. A défaut d’amour, il refait le plein d’amitié. Patrick est aussi drôle qu’il est touchant. C’est un tendre. Sa forfanterie n’est qu’un jeu qui lui permet de créer un personnage qu’il n’est pas dans la réalité. Ce qui lui fait le plus peur, c’est la solitude. Alors il en fait des caisses pour se muer en chef de bande, pour être pris en considération. Il le fait sans calcul.
Patrick Chirac est quelqu’un de fondamentalement naïf et bienveillant. C’est pour ça qu’on l’aime. Sa fragilité nous rassure. C’est un antihéros.


Maintenant, parlons du film lui-même. Du positif d’abord. Les dialogues sont réussis, riches qu’ils sont en saillies, formules et répliques percutantes. Franck Dubosc et, à un degré moindre, Antoine Duléry, n’ont aucun problème avec le ridicule. Il faut oser les porter encore aujourd’hui ces slips de bain tout en affichant une certaine bedaine et arborer des t-shirts improbables. Ces accoutrements donnent de la couleur au film et situent nos personnages. Je dois avouer que j’ai été bien bluffé par la partition de Claude Brasseur. Pendant la moitié du film, j’ai été agacé par le peu de crédibilité qu’il dégageait. En fait, son comportement, que je trouvais outré, est bien plus tordu et malin qu’il le laissait accroire. Et puis, je défie quiconque de ne pas avoir de nœuds dans la gorge lors de la scène que Jacky Pic nous offre au bal en s’adressant à sa Laurette. Trente secondes d’émotion pure !
Dans ce même registre émotionnel, j’ai également été très touché par le personnage de Cristiana Réali et le joli moment que sa rencontre avec Antoine Duléry nous offre. Et ému aussi par la composition humoristico-pathétique de Sophie Mounicot.


Philippe Lellouche, dans le rôle du nouveau directeur des Flots Bleux, américanisé à outrance, nous offre une prestation réellement pittoresque… J’ai apprécié aussi que ce film traite aussi, à sa façon, du conflit des générations, des différences sociales (quand la banlieue représentée par Benji, José et Robert déboule chez les nantis personnalisés par Gérard Jugnot et Michèle Laroque), des préférences sexuelles (les doutes qui assaillent Paulo Gatineau sont traités avec beaucoup de finesse et de tolérance).


En revanche, j’ai trouvé la scène avec Kevin, le pseudo copain des trois lascars, vraiment trop caricaturale ; en tout cas, exagérée, trop agressive, pas naturelle du tout. Et puis je n’ai pas été emballé par les séquences qui se passent chez Charmillard/Jugnot. Trop dans le cliché, trop prévisibles, ce qui leur donnait un aspect de déjà vu.

En conclusion, Camping 3 est un excellent millésime. Il Franck Dubosc y est « aimable » dans le sens premier du terme. Moins tourné vers lui-même, on le voit heureux du bonheur des autres. Je crois que ce qui résume le mieux ce troisième volet, tout autant que sa grande drôlerie, c’est la profonde humanité qui s’en dégage.


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 23 juin 2016

Superbus "Sixtape"

Warner Music France


Après quatre ans d’absence, Superbus sort enfin son sixième album. D’où son titre en forme de double clin d’œil : Sixtape. « Sixtape » pour sixième album studio et aussi en référence sans doute à cette fameuse sextape qui, pour son côté « x », a provoqué la débandade au sein de notre équipe de foot nationale.
Je vais même aller plus loin dans le subliminal… Sixtape commence par « si », or Jennifer Ayache, qui en a composé toutes les mélodies et écrit tous les textes, utilise énormément cette conjonction. « si tu m’appelles » (Strong & Beautiful), « si tu me parles », « si tu me dragues » (Soul Sister), « si tu le souhaites » (On The River), « si tu voyais ma tête » (Impensablement), « si tu t’éclipses », « si je n’ai pas su faire », « si tu te casses », « si tu me laisses » (4 Tourments), « Si c’est le bon » (Jusqu’à la mer), « viens avec moi si tu veux » (Toyboy), « si tu veux un duel » (The Lighter)… Soit dans huit chansons sur treize. Plus de la moitié ! Tous ces « si » sont révélateurs. Ils nous font part des doutes qui habitent la jeune femme dans de nombreux domaines. Et c’est ce qui nous la rend attachante car contraire à l’image d’assurance et de détermination qu’elle s’évertue à donner.


En réalité, Jenn est une femme-enfant. Elle peut tout autant se montrer libre, rebelle et provocante, jouer de sa sensualité, qu’avouer sa fragilité, chanter ses inquiétudes et évoquer complexes. Conquérante et mélancolique. Chez elle, le regard de l’autre, quel qu’il soit, est important (« pense à me trouver belle », « regarde-moi »…). On sent même parfois poindre en elle une forme de repli sur soi (Run). En fait, elle est comme la majorité des filles d’aujourd’hui ; raison pour laquelle elle leur plaît tant car elles se reconnaissent en elle.

J’aime beaucoup cet album. Sa musique est festive, joyeuse, entraînante, communicative ; en deux mots ; redoutablement efficace. Elle dégage une pêche positive avec son mélange habile d’électro-pop, de ska, d’influences 80’s. Tous les refrains, particulièrement travaillés, sont forts, comme dans Next Summer par exemple. J’aime aussi ce mix judicieux d’anglais et de français.
Jennifer Ayache est également une bonne auteure. Elle a l’art de synthétiser les mots, d’aller à l’essentiel, d’utiliser des images qui illustrent ses intentions. Elle est aussi habile avec l’ellipse que le réalisme.

Ma chanson préférée, peut-être, est 4 Tourments. Mais elle est suivie de très près de Strong & Beautiful, On The River, Jusqu’à la mer, Toyboy
Cet album est très homogène. Hormis la jolie ballade intimiste et nécessaire Pour mon père, tous les titres s’inscrivent dans une belle énergie. Tout est pensé pour la scène et pour le show.

L’an prochain, Superbus deviendra un groupe… majeur, puisqu’il va célébrer le 18ème anniversaire de sa création. Une rare et belle longévité.

mardi 21 juin 2016

Exposition "Jacques Chirac ou le dialogue des cultures"

Musée du Quai Branly
37, Quai Branly
75007 Paris
Tel : 01 56 61 70 00
Métro : Iéna

Exposition Jacques Chirac ou le dialogue des cultures

Du 21 juin au 9 octobre

Hier soir, lundi, avait lieu dans le cadre du 10ème anniversaire de l’ouverture du Musée du Quai Branly l’inauguration de l’exposition « Jacques Chirac ou Le dialogue des cultures ». Pour m’y être rendu à plusieurs occasions, je tiens ce Musée pour une formidable réussite à tout point de vue.
Cet établissement est atypique. Conçu par l’architecte Jean Nouvel, il ne ressemble à aucun autre. Tout a été pensé pour en faire un véritable lieu de vie. On y entre en suivant un parcours sinueux à travers un superbe jardin paysager, varié et luxuriant, agrémenté de bassins et de clairières et éclairé la nuit de lueurs fluos du plus bel effet. On se trouve déjà transporté dans un autre monde, loin de la ville qui, pourtant, bruisse et circule à deux pas. Ce sas de décompression bucolique a pour résultat de débarrasser notre esprit de toute pollution, de tout stress, de toute l’agressivité citadine. Ainsi, lorsqu’on pénètre dans le musée proprement dit, on se sent serein et ouvert, curieux et gourmand. On a envie de se laisser surprendre et emporter dans un ailleurs totalement dépaysant.

L'Océanie
Quel privilège que de pouvoir découvrir cette exposition dans des conditions aussi confortables, quasiment seul, à mon rythme. Le parcours, parfaitement balisé et ingénieusement aménagé, nous permet de contempler des œuvres venues du monde entier. Elles sont réparties entre les cinq continents en cinq départements : l’Afrique, l’Afrique du Nord et le Proche-Orient, les Amériques, l’Asie et l’Océanie. Des sculptures, des peintures, des photos et plus de deux-cents documents


Jacques Chirac lors de l'inauguration du Musée en 2006
Sincèrement, j’en ai pris plein la vue. Cette collection est époustouflante et qualitativement et quantitativement. Chaque objet symbolise une civilisation et en exprime sa culture. Jacques Chirac s’est investi dans la création de ce musée, qui porte désormais son nom, parce qu’il s’est toujours passionné pour les autres peuples et leurs « arts lointains ». 150 pièces (sculptures, peintures, photos, films, statuettes) proviennent de collections publiques et privées internationales. Et plus de 200 documents appartiennent aux archives privées de l’ex-Président.

Cette exposition est une passerelle indispensable entre l’Europe et les civilisations non occidentales. Le « dialogue » est donc ouvert…

samedi 18 juin 2016

Bigre

Théâtre Tristan Bernard
64, rue du Rocher
75008 Paris
Tel : 01 45 22 08 40
Métro : Villiers / Saint-Lazare

Un mélo burlesque de Pierre Guillois
Co-écrit avec Agathe L’Huillier et Olivier Martin-Salvan
Mis en scène par Pierre Guillois
Décor de Laura Léonard
Lumières de Marie-Hélène Pinon
Costumes d’Axel Aust

Avec Pierre Guillois, Agathe L’Huillier, Jonathan Pinto-Rocha

Présentation : Il était une fois, aujourd’hui, trois petites chambres de bonnes haut perchées sous les toits qui dominent Paris. Un gros homme, un grand maigre et une blonde pulpeuse sont voisins de couloir. L’histoire serait joliment romantique si ces trois hurluberlus n’avaient comme particularité de tout rater. Absolument tout. Les catastrophes s’enchaînent, les gags pleuvent, tandis que ces trois fantoches s’accrochent à tout ce qui ressemble à l’amour, à la vie ou à l’espoir.

Mon avis : Sur l’échelle de Richter du rire, j’accorde à Bigre une magnitude « forte » ; c’est-à-dire de 6 à 6,9 (sur 9) : « peut provoquer des dommages sérieux, seuls les édifices adaptés résistent près du centre »… Evidemment, les « dommages sérieux » concernent principalement notre rate qui, sous l’effet de secousses de rires brusques et répétés,  peut se dilater, ainsi que nos zygomatiques si souvent sollicités.
Bigre est bigrement difficile à analyser. Tout est dans son sous-titre puisque cette pièce est définie comme étant un « mélo burlesque ». Il est vrai que, si on y pense après, à tête reposée, cette pièce est un mélange de comédie réaliste à l’italienne façon Les Monstres et de nonsense britannique digne des Monty Python genre Le Sens de la vie. En effet, si on se montre très attentif, ici le tragique côtoie en permanence le comique. Mais ce dernier l’emporte largement parce que son auteur a tout fait pour ne pas noircir le trait et pour que ses trois antihéros nous soient plus attachants que pathétiques.
Leur quotidien n’est pas drôle en soi, leur vie est plutôt tristounette mais ce sont leurs maladresses qui, en déclenchant des situations invraisemblables, vont provoquer nos fous-rires. Et pas qu’un peu…


Pour moi, le décor est le quatrième personnage de cette pièce. Les trois minuscules chambrettes contiguës en coupe, le couloir qui les réunit et le toit qui les abrite vont servir non seulement de cadre mais également d’acteurs tant on dirait qu’ils sont animés d’une vie propre. Tout autant que la maîtrise drolatique des trois comédiens, c’est l’ingéniosité des gags, des effets spéciaux et d’une bande-son insensée qui vont nous faire parfois atteindre des sommets dans le registre du burlesque.
Le début est plutôt plan-plan. Il nous permet de faire connaissance avec nos trois hurluberlus et leurs intérieurs respectifs. La première chambre (côté jardin) est occupée par celui qui est présenté comme étant « le gros ». Elle est d’une propreté éclatante, truffée de gadgets modernes, ce qui indique un propriétaire méticuleux, maniaque et un tantinet coincé… Au milieu réside « le maigre ». Sa turne est un foutoir invraisemblable. Tout y est en désordre mais tout est conçu pour être pratique. Ce bordel organisé lui permet astucieusement un minimum de gestes dans un minimum d’espace… Le côté cour est occupé par « la blonde pulpeuse ». C’est un intérieur très féminin, plus coloré, avec télévision et vasistas qui donne accès sur le toit… Et puis, sur tout le devant de la scène, c’est le couloir, sorte de no man’s land où ils peuvent se croiser ou se retrouver.


Soudain, passées ces premières dix minutes de présentation, les choses se délitent brutalement. Les catastrophes s’enchaînent, tout devient cataclysmique. Les gags-gigogne se succèdent dans un maelstrom incontrôlable. Tout leur échappe. Tels des pantins dépassés, ils subissent les agressions d’objets alors doués d’une âme maléfique. La météo elle-même y va de sa contribution. Les éléments se déchaînent contre eux ajoutant encore à leur précarité.
Face à cette avalanche de désastres, ils vont réagir chacun à leur manière. Parfois égoïstement, voire méchamment, mais parfois aussi en s’entraidant et en jouant la carte de la solidarité. Si bien que des sentiments vont naître : hostilité, jalousie, mesquineries, mais également altruisme, amitié, amour. Ces chassés-croisés apportent une note de profonde humanité à une pièce qui aurait pu ne se vouloir que farce. C’est sa valeur ajoutée.

La difficulté lorsqu’on ambitionne de surprendre tout le temps à grand renfort de gags nécessitant des astuces techniques et une grosse machinerie, c’est qu’il est pratiquement impossible d’être dans le top pendant une heure et demie. Si les quatre-cinquièmes de Bigre sont souvent à hurler de rire, il y a quelques moments qui ne m’ont pas vraiment amusé. Je pense plus particulièrement à la séquence des jeux vidéos ou à celle du karaoké sur « J’ai encore rêvé d’elle ». Mis à part ces deux petits bémols personnels, on peut dire que, à l’instar de tout le public, j’ai applaudi de bon cœur à cette performance ahurissante pleine de folie, de créativité et aussi… de tendresse. Car Bigre, c’est aussi une belle histoire d’amitié.


Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 17 juin 2016

Addition

Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une comédie de Clément Michel
Mise en scène par David Roussel
Scénographie de Sarah Bazennerye
Lumières de Denis Koransky

Avec Sébastien Castro (Antoine), Stéphan Guérin-Tillie (Axel), Clément Michel (Jules)

L’histoire : Hier soir, Axel a invité ses deux amis Jules et Antoine à dîner au restaurant. Ce matin, il regrette d’avoir payé l’addition et leur demande de le rembourser. Antoine sort son chéquier. Jules sort de ses gonds.
Addition, c’est une comédie qui raconte un week-end pendant lequel trois amis, en pleine crise de la quarantaine, vont tout compter : leurs défauts, leurs manques, leurs jalousies, leurs coups bas…

Mon avis : Addition est le genre de pièce sans surprise mais que l’on aime voir parce qu’il s’y passe et il s’y dit des choses. Et puis aussi en raison de son effet miroir car on y rit de nous. Axel, Antoine et Jules sont de vieux copains, ils se connaissent par cœur, ou du moins pensent se connaître par cœur. Or, un litige tout banal autour d’une note de restaurant et le désaccord qui en naît vont créer au sein de leur trio une sorte d’effet papillon qui va progressivement se muer en séisme. Jusqu’à remettre leur amitié en question.



Trois quadras, trois caractères bien affirmés, qui ont en commun un goût assez masculin pour le mensonge, la dissimulation, la mauvaise foi, la vanne facile et une certaine vanité. Bien sûr, chacun d’entre eux possède son propre profil psychologique. En gros, Axel est hâbleur, volage, inconséquent… Antoine est conciliant, il a du bon sens et il déteste les conflits… Jules est pinailleur, psychorigide et mesquin. Seul célibataire, il est comptable de tout et, en étant celui qui dit « non » au partage de l’addition, il va provoquer le premier battement d’aile du papillon de la discorde.


Ce qui ne devrait être qu’une simple chamaillerie va se métamorphoser en une succession de disputes de plus en plus violentes à partir du moment où leurs vies privées respectives vont interférer. Dès lors que leurs petites cachotteries, leurs secrets et leurs turpitudes sont mises au jour, tous les coups deviennent permis. Mis à mal, leurs égos de coqs vont les entraîner dans un mode permanent d’attaque-défense. Le problème de l’addition passe au second plan car il y a désormais d’autres comptes à régler.
Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, mais on va se les balancer en pleine face. Sous les coups des révélations, les rapports de force permutent. Le moins irréprochable va jouer au père-la-morale, le plus intolérant va soudain devenir indulgent, et le plus inoffensif va étonnamment s’affirmer en séducteur impénitent.


Addition est une « quadramaturgie ». Nos trois héros, volontairement ou pas, se retrouve à cette croisée des chemins que constitue la quarantaine. Les événements extérieurs, exacerbés par leurs âpres affrontements, vont à la fois les révéler à eux-mêmes et mettre leur amitié en perspective. Lorsque l’heure des comptes va sonner, qu’en restera-t-il ?
Forte de dialogues-coups de poing et de répliques saignantes, cette pièce nous fait d’autant plus rire qu’elle nous met également face à nous-mêmes. Il y a forcément de l’Antoine, de l’Axel ou du Jules en nous. Parfois même un peu des trois.

Les trois comédiens, qui se connaissent parfaitement, s’en donnent à cœur joie. Leur complicité passe la rampe. Chacun, dans un registre qui lui est propre et dans lequel il se tient de bout en bout, est crédible. Bien sûr, il y a des moments un peu plus faibles, des bavardages qui tournent un peu en rond, mais l’ensemble tient la route… Cette pièce qui n’a pour but que de nous faire rire, réussit néanmoins à distiller sa part d’émotion. J’ai particulièrement apprécié et été touché par la scène où Axel fait son mea culpa. Cette autocritique est tellement empreinte de sincérité qu’elle constitue un des grands moments de la pièce. Je pense qu’elle va toucher tout le monde, hommes et femmes confondus, et donner à réfléchir.


Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 15 juin 2016

Un été 44

Comédia
4, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 38 22 22
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Du 4 novembre 2016 au 26 février 2017
Puis en tournée dans toute la France

Spectacle musical écrit et composé par Michel Amsellem, Charles Aznavour, Erick Benzi, François Bernheim, Alain Chamfort, Yves Duteil, Jean Fauque, Jean-Jacques Goldman, Joëlle Kopf, Maxime Le Forestier, Guy Lachella, Sylvain Lebel, Florent Lebel, Christian Loigerot, Claude Lemesle, Jean-Pierre Marcellesi, Nérac, Christian Vié
Livret d’Anthony Souchet et Valéry Zeitoun
Mise en scène d’Anthony Souchet
Lumières de Jacques Rouveyrollis

Avec Philippe Krier (Hans Spiegel), Nicolas Laurent (Petit René), Tomislav Matosin (Willy O’Brien), Barbara Pravi (Solange), Alice Raucoules (Yvonne), Sarah-Lane Roberts (Rose-Marie)

Présentation : Six jeunes anonymes civils et militaires vont se croiser lors d’un « road movie » que les mènera de la Normandie à Paris.
Certains vont vivre des histoires d’amour inspirées de faits réels, d’autres vont découvrir les « Rochambelles », le commandant Kieffer ou encore les fameux pianos Victory kaki taillés pour débarquer et faire découvrir le jazz à l’Europe.
La découverte d’histoires méconnues sur cette période si connue et si passionnante.
Un été 44 ne raconte pas la guerre mais comment nous sommes passés de la barbarie à la liberté en l’espace de trois mois…

Mon avis : Hier avait lieu au Comédia le showcase présentant Un été 44, le spectacle musical qui va y débarquer (je sais, le jeu de mot est facile, mais je me dépêche de le faire maintenant avant qu’il ne fleurisse un peu partout) à partir du 4 novembre.
Un vrai coup de cœur !
Tout m’a plu et à tous les niveaux.
Ce qui m’a le plus séduit dans le scénario exposé par Valéry Zeitoun, producteur et co-auteur, c’est que cette histoire met en avant des anonymes, des citoyens lambda qui vont se retrouver confrontés à ce drame planétaire que fut la guerre 39-45, et y prendre part à leur façon. Ils ont entre 17 et 26 ans, ils viennent d’horizons et de milieux différents et ils vont tenter de participer à la hauteur de leurs moyens à la reconquête de la liberté.


Ce qui est bien, c’est que pour incarner ces héros de l’ombre, on a fait appel à des artistes pas encore très connus. Ici, pas de tête d’affiche, pas de nom ronflant. Juste un groupe de sept jeunes gens qui se sont investis dans leurs personnages et se les sont appropriés. Nous, en tant que public, on ne focalise pas sur untel ou unetelle, on se contente de suivre leur parcours souvent chaotique, pris qu’ils étaient dans ce tourbillon infernal qui a suivi le Débarquement… Autre aspect positif : on se sent partie prenante avec eux. Le transfert est inévitable car on ne peut que s’identifier à eux et se projeter 72 ans en arrière. Qu’aurions-nous fait si nous avions été à leur place ? Comment nous serions-nous comportés face à l’horreur et à l’indicible ? Comme nous n’avons pas la réponse, autant s’attacher aux aventures de Solange, Yvonne, Rose-Marie, Willy, Hans, Petit René et Jean.


Autre atout, et non des moindres : la qualité des auteurs et compositeurs qui ont écrit les 24 chansons qui illustrent ce spectacle. Ce n’est pas un générique, c’est un hit-parade ! D’Aznavour à Goldman en passant par Le Forestier, Chamfort, Duteil, Lebel, Lemesle, Benzi… Que du lourd. Que des confectionneurs de tubes. Comme l’éventail est large, on trouve toutes sortes de mélodies et d’ambiances. Ça va du swing à la ballade, de la gaîté à la mélancolie.

Et nos petits jeunes, visiblement pas complexés pour un sou, s’en sortent admirablement avec ces chansons qui sont devenues les leurs, leur histoire. Sincèrement, le casting est parfait. Les trois jeunes femmes son épatantes ; jolies, normales, féminines, naturelles, fragiles et séductrices, inquiètes et conquérantes, matures et primesautières, insouciantes et responsables… Côté garçons, l’éventail est bien choisi. Un GI, un soldat allemand et deux Français. Si j’ai été particulièrement impressionné par la voix rocailleuse de Tomislav Matosin, je suis déjà convaincu que le jeune Nicolas Laurent, 17 ans, dans le rôle de Petit René, va être rapidement la coqueluche de toutes les adolescentes.


Avec ces petites histoires vécues en parallèle de la grande Histoire, tout est réuni pour faire de cet Eté 44 un véritable et mérité succès. Je prends les paris et je vous libère…

mardi 14 juin 2016

Emma Daumas "Vivante"

Abacaba / Musicast


Vivante ! Oui, Emma Daumas aurait pu ajouter un point d’exclamation au titre de son nouvel album EP de six titres car on peut entendre ce mot comme un cri. Cri de bonheur ? Cri de soulagement ? C’est sans doute un peu de tout ça. Je n’irai pas jusqu’à y voir un parallèle avec Le Bulletin de santé de Georges Brassens mais, en revanche, il se rapproche assurément du Toujours debout de Renaud.

Demi-finaliste de la Star Academy en 2002, Emma Daumas a connu un joli succès avec son premier CD, Le Saut de l’ange, en 2004. Un « Saut » victorieux puisqu’il sera auréolé d’un Disque d’or. Démarrée sous les meilleurs auspices, la suite de sa carrière sera hélas moins mirobolante. Pourtant, la qualité de ses deux albums suivants n’est pas à mettre en cause. En dépit d’éminentes collaborations, elle subit les Effets secondaires d’une conjoncture défavorable et se trouve amenée par sa maison de disques, Universal, à reprendre Le chemin de la maison
Nous sommes en 2010. Emma, déçue par Les promesses en l’air qu’on lui a faites, ne se décourage pas pour autant. Elle aime écrire et composer. C’est dans son ADN. Elle participe à de nombreuses aventures musicales, tant personnelles que collectives comme, entre autres deux livres-disques pour enfants.
2016 va être doublement l’année de sa re-naissance. D’abord avec la parution en avril de son premier roman, Supernova et, enfin, avec la sortie fin mai de son EP au titre si explicite : Vivante.

Emma Daumas vit dans Le présent. Rien ne sert de ressasser le passé. Sa première chanson exprime tout en douceur et romantisme (un romantisme souligné par des cordes majestueuses) son état d’esprit par rapport à l’amour. Cette tendre mise au point est assez ambigüe car son « présent » exhale des effluves de passé tout en exprimant une réelle inquiétude sur l’inconnu que représente l’avenir. Finalement, sa conclusion est empreinte de sagesse : soyons positif et vivons « le présent » avec le plus d’intensité possible.

En dépit de ces bonnes résolutions, l’amour reste fragile et il arrive fréquemment qu’il se « déchiquète » à un moment ou à un autre. Ça peut arriver par exemple à 14 heures du matin. J’aime beaucoup cette chanson. J’en apprécie le ton empreint de fatalisme et dénué de toute animosité… Cette chanson est en fait en trois parties. Après le constat d’échec, elle se réfugie dans la réminiscence des bons moments du passé. C’était tellement bon que la chanson en devient presque joyeuse… Et puis, retour à la réalité avec une ultime phrase qui laisse la porte entrouverte… Très jolie écriture et, surtout, interprétation rendue encore plus sensible par une voix très devant et la présence des cordes.


Jolie mélodie légère et entraînante. Comme son titre laisse à le présupposer, l’atmosphère des Promesses en l’air est aérienne. On a l’impression que chacune des chansons peut s’emboîter avec les autres façon gigogne. Elles sont en effet toutes reliées par le fil rouge de la relation sentimentale. Celle-ci est une tendre analyse comportementale, constatée de façon réaliste mais exprimée et jugée avec bienveillance. Histoire de dire qu’elle n’est dupe de rien mais qu’elle est prête à s’en amuser. Superbe chanson pleine d’humour et d’amour.

Emma Daumas retrouve quelques minutes ses rêves de petite fille pour évoquer Ce que veulent les princesses. Chanson pleine de fraîcheur et de nostalgie. Et puis les petites filles grandissent et les rêves, confrontés à la réalité, se teintent un peu moins de candeur et de naïveté. Tout cela est raconté en fanfare (superbes cuivres), ce qui permet de rester quand même dans la légèreté… et dans l’espoir. Très, très jolie chanson tant dans l’interprétation volontairement détachée que dans son traitement musical.

Le vieux saule est une chanson mélancolico-bucolique qui m’a fait un peu penser à Brassens avec son Au pied de mon arbre. Ode à la nature et au temps qui passe. S’allonger et penser, rêver et « prendre la peine de regarder les arbres ». Chanson contemplative au climat empreint de douceur.

Une guitare sobre puis un accordéon discret soulignent cette tendre déclaration d’amour et d’allégeance envers celui qu’elle appelle tout simplement Mon homme. La voix, très devant, se fait mélodieuse et insistante. Superbe invitation à un échange harmonieux. Quelle interprétation et quelle intensité ! Magnifique…

Vivante est un album délicieusement féminin. Sensible, intimiste, plein de poésie et de lucidité à la fois. La voix d’Emma Daumas, intense et délicate, vous happe et vous touche dans les endroits les plus douillets. La fragilité est dite et même revendiquée. Et puis, il faut également souligner ses grandes qualités d’écriture ; une écriture qui peut parfois s’apparenter à de la peinture. J’ai beaucoup, beaucoup aimé.

Gilbert « Critikator »Jouin


samedi 11 juin 2016

Christophe Maé "L'Attrape-Rêves"

Warner Music


Christophe Maé a acquis aujourd’hui la sagesse d’un vieil indien. Il sait désormais donner du temps au temps. Pour ce nouvel album studio – son quatrième -, il a su se poser ; il a travaillé comme un artisan, dans son studio d’enregistrement. Cette fois, ses voyages, il ne les a pas réalisés physiquement. Il les a accomplis à l’intérieur de lui-même et il a découvert d’autres richesses, plus personnelles, plus intimes. L’Attrape-Rêves est le fruit de cette intense introspection. Il est le résultat d’un travail à quatre mains et à deux têtes : Christophe et Paul Ecole, un auteur ayant déjà collaboré avec Oxmo Puccino et Calogero.
Il est arrivé par le passé que l’on raille un tantinet Christophe Maé pour la simplicité de ses textes. Or, dans L’Attrape-Rêves, la première chose que j’ai remarquée, c’est la qualité des paroles. J’y reviendrai.

Même en restant au cœur de Paris dans le quartier du Marais, Christophe Maé a le roots rock dans les veines. Lui, ses rêves, c’est avec un arc qu’il essaie de les attraper. Il n’y parvient pas toujours, mais il y en a certains qu’il a atteints en plein cœur. De cœur, donc d’amour, il en est d’ailleurs beaucoup question dans cet album. L’amour pour sa compagne explose dans Ballerine, celui qu’il ressent pour ses enfants est évoqué dans L’Attrape-Rêves et dans Marcel, et son affection pour ses potes est affichée dans Les amis.
Dans cet album, Christophe sort de sa réserve pour jouer à l’indien. Sur la pochette du CD, son nom est transpercé d’une flèche ; sa galette est couverte de plumes. Et dans quelques chansons, les allusions abondent (L’Attrape-Rêves, Californie, La Vallée des larmes). La sagesse évoquée plus haut lui est venue avec la quarantaine (40 ans demain). Il est dorénavant plus enclin à fumer le calumet de la paix dans son tipi du Sud de la France que de partir sur le sentier de la guerre. Ou alors, il s’agirait plutôt de la tendre guerre avec Nadège, sa squaw (Ballerine).


L’Attrape-Rêves est donc un album très personnel. Musicalement et vocalement, il est totalement homogène. La voix et l’univers de Christophe Maé n’appartiennent qu’à lui. Il ne ressemble à aucun autre artiste dans la chanson française. C’est là sa grande force et son originalité. Sa grande sincérité lui permet de ne jamais être dans la posture, et encore moins dans l’imposture. Christophe est un homme vrai. Il a suffisamment galéré avant de connaître ce succès phénoménal pour ne pas savoir la valeur des choses, leur essentialité. Cette authenticité transpire tout au long des textes des dix chansons de ce nouvel opus.

1/ L’Attrape-Rêves.
La seule chanson écrite par Boris Bergman. Mais elle préfigure de la suite. Christophe invoque le Grand Manitou pour lui demander surtout de bien protéger ses papooses. De cette incantation scandée avec une certaine véhémence il se dégage une profonde humanité. Elle contient aussi un message important : il faut viser des rêves, essayer de les réaliser et, lorsqu’on les a réalisés, on réalise sa vie en même temps.
2/ La Parisienne.
Sur un ton saccadé et amusé, il ironise sur un certain type de provinciale jouant à la « Parisienne » d’aujourd’hui. Du haut de ses 40 piges, avec sa « ganache d’Apache », il se sent un peu largué et dépassé, tant sur le vocabulaire que sur le mode de vie. Reflet d’une époque, le portrait, volontairement caricatural, est truffé de clins d’œil. Il prête certes à sourire mais il est également empreint de bienveillance.
3/ Californie.
Enorme travail sur les sons sur cette chanson qui est un véritable dépliant touristique, une succession de cartes postales sur une Californie idéalisée. Là aussi le tempo est haché. Parfois j’y ai trouvé des intonations à la Bashung. Le texte est tellement ciselé qu’on a l’impression d’entendre des onomatopées. Quel rythme.
4/ Il est où le bonheur.
Ne serait-ce que pour cette chanson, cet album mérite qu’on l’achète. La première fois que je l’ai entendue à la radio, je l’ai reçue en pleine tête. C’est un tube, un vrai bijou ! D’autant que le texte est loin d’être anodin. D’abord, il est autobiographique. D’où son interprétation extrêmement habitée et convaincante. L’interrogation est permanente, obsédante. Sa recherche, personnelle, devient la nôtre. Il passe de l’intime à l’universel. A cette question existentielle, il apporte une réponse fataliste : « On fait comme on peut »…
5/ Les amis.
Cette chanson est de la même veine que La Parisienne. Regard critique et là aussi chargé d’ironie sur les attitudes, les comportements affectés d’individus qui se la jouent, qui prennent des airs et se construisent des personnages qui ne sont pas eux-mêmes. C’est pittoresque, imagé et… tellement vrai, tellement bien observé. Et, tout comme dans La Parisienne, entre les lignes on perçoit une réelle indulgence car « on les aime quand même ».


6/Marcel.
Chanson-hommage au fiston. Christophe se livre. Il raconte sa façon d’être avec lui et s’avoue aussi « gamin » que lui. Dans sa voix, chargée de tendresse, on perçoit une incitation au jeu, à le faire durer le plus longtemps possible le temps de l’innocence. Des conseils tout simples qui font la part belle à la notion de plaisir.
7/ Lampedusa.
Cette chanson est un véritable tour de force en ce sens que, pour évoquer ce drame humanitaire qu’est l’émigration, il s’est mis carrément dans la peau et dans la tête d’un migrant. Façon habile pour marquer son soutien à ces déracinés, à ces victimes involontaires de la folie des hommes. Cette aventure que son héros vit en solitaire est la plus réaliste des formes de « l’attrape-rêves ». Jamais larmoyante, jamais misérabiliste, cette chanson est surtout pleine d’espoir, d’amour, de courage et de dignité. Or, après d’être muée en gospel, elle se termine brutalement en un cri de désespoir. Traitement réussi d’un sujet délicat.
8/ La Vallée des larmes.
Joli exercice de style. Abondance de jeux de mots autour de la culture indienne. Elle m’a fait penser au Cow-boy d’Aubervilliers. Sa « vallée de larmes » à lui se trouve du côté de la Plaine Saint-Denis. Clin d’œil à Johnny et à Eddy. Cette chanson est une de mes préférées car elle est à la fois amusante et réaaliste. C’est toujours bien plus efficace de dire les choses sous le biais de l’humour.
9/ 40 ans demain.
Coup d’œil dans le rétro pour faire le point sur « une vie à moitié pleine ». Analyse d’un parcours, souvenirs, dualité entre l’enfant qu’il a été et l’homme qu’il essaie d’être. Aveu d’incertitude et d’angoisse. Même s’il s’estime globalement satisfait du bilan, il reconnaît ne pas avoir appris grand-chose.
10/ Ballerine.

Superbe déclaration d’amour pleine de pudeur et de sensibilité. Une émouvante invitation au mariage émise avec respect et déférence, saupoudrée de belles images. Cette chanson est la plus belle conclusion de l’album car, si la dame dit « oui » à son troubadour, le plus beau de ses rêves sera « attrapé ».

jeudi 9 juin 2016

Moi, Marie, marquise de Sévigné

Théâtre Maxim’s
3, rue Royale
75008 Paris
Tel : 01 42 65 30 47
Métro : Concorde / Madeleine

Pièce de Pierre-André Hélène
Mise en scène par Théodora Mytakis
Avec Véronique Fourcaud

Jusqu'au 29 juin
Reprise en septembre

L’histoire : A l’hôtel Carnavalet, madame de Sévigné écrit… A sa fille, bien sûr, et pour cela, elle se remémore sa vie, ses bonheurs, ses difficultés, le monde, la cour… Elle est belle, veuve, courtisée mais n’a pas voulu succomber. Et surtout, sa fille la fuit en Provence… Comment survivre à cette séparation ? En écrivant… Ainsi, elle raconte, et nous raconte, une femme de son temps, évoquant le quotidien, les interrogations, les joies et les peines d’une vie au Grand siècle.

Mon avis : La Marquise de Sévigné nous fait le grand honneur de nous recevoir dans son salon de son hôtel Carnavalet, une exquise bonbonnière un peu kitsch, pour nous proposer une sorte de « compilation » de ses nombreuses lettres adressées à Françoise, sa fille adulée. Il faut savoir qu’elle lui écrivait trois fois par semaine (on en a recensé plus de mille !). Le choix de ces missives, qui ne pouvait donc qu’être éclectique, nous offre un parfait éventail de l’atmosphère qui régnait à cette époque. Et quelle époque ! C’est celle du Roi Soleil quand même…

Véronique Fourcaud, qui incarne magistralement la Marquise, nous raconte le contenu de certaines de ces lettres. Elle les rend vivantes, elle les joue en utilisant à toutes les intonations de sa voix. Parlé comme écrit, son style est très riche et sa langue est aussi acérée que sa plume d’oie. La marquise aime à badiner. A la fois en dehors et en dedans de la société, elle porte un regard amusé, souvent même très ironique, sur ses contemporains. Et plus particulièrement sur les pratiques de la cour du Roi… Elle se fait chroniqueuse : mondaine pour nous narrer les mésaventures du cuisinier Vatel, judiciaire pour nous rapporter par le menu la sordide Affaire des Poisons, allant même jusqu’à se métamorphoser devant nous en marquise de Brinvilliers. Elle aime les détails. Son écriture est très imagée… Lorsqu’elle évoque la cour, c’est le who’s’who de la deuxième partie du 17ème siècle qui défile. Elle reconnaît aisément se comporter parfois en courtisane tout en restant lucide sur la vanité (dans les deux sens du mot) de son comportement. L’œil de Véronique Fourcaud est souvent empli de malice.


Elle parle aussi de sujets plus futiles comme la mode, la coiffure, les jeux de salon. Elle chante, elle danse le menuet… Madame de Sévigné est, à sa façon, une ethnologue. Raison pour laquelle, témoin de son époque, sa correspondance contient une véritable valeur historique. Elle a une très haute opinion d’elle-même, ne supporte pas qu’on la brocarde alors qu’elle ne se prive pas d’ironiser sur untel ou unetelle. Elle semble aussi nourrir une profonde aversion pour son « lapin » de gendre, le comte de Grignan, qui la prive douloureusement de sa fille.

Car, sans sa fille, il n’y eût sans doute point eu de correspondance… Ou alors beaucoup moins. La relation de madame de Sévigné avec sa fille est obsessionnelle. Bien qu’elle soit absente – ou plutôt parce que, justement, elle est absente – Françoise est omniprésente dans les pensées de sa mère. D’où, pour compenser, cette navette épistolaire permanente.

Ce spectacle est très agréable à suivre. Et pour la qualité des textes de la dame, et pour la prestation de Véronique Fourcaud et, enfin, pour la variété de sa mise en scène. Il a été en effet extrêmement judicieux d’illustrer les lectures avec des bruits extérieurs, des notes de clavecin, des ébauches de dialogues (avec le Roi, avec Bussy-Rabutin…) et même de nous faire entendre Françoise lisant une de ses lettres. Grâce à ces ruptures de bon aloi et au jeu très complet de la comédienne, Moi, Marie, marquise de Sévigné est un spectacle léger, pétillant et plein de finesse qui nous transporte dans un salon du Grand Siècle et se déguste avec plaisir comme la nouvelle boisson très en vogue à cette époque : le chocolat.

mercredi 8 juin 2016

Renaud "Comme un enfant perdu"

XO Editions
312 pages
18,90 €



J’en ai lu des biographies de Renaud ! Y compris et surtout celles que lui a consacré son frère Thierry… Mais cette fois, c’est différent. Comme un enfant perdu est une AUTObiographie. Renaud s’y exprime à la première personne. Elle possède donc une toute autre valeur. Ici, rien n’est gommé, rien n’est éludé, rien n’est enjolivé. Renaud s’y exprime en toute sincérité. Cet ouvrage où, pendant qu’on le lit on a l’impression d’entendre sa voix, est sans concession, sans complaisance. Renaud s’ouvre à nous, dans le sens chirurgical du terme, et il gratte jusqu’à l’os…

Heureusement que, dans le titre du livre, il y a la conjonction « Comme ». Ce mot nous rassure. Renaud n’est donc pas totalement « perdu ». Même s’il lui arrive fréquemment de le ressentir, il reste toujours une lueur d’espoir.
Renaud est un être complexe. Parfois même complexé. A cela, il y a de multiples raisons. Il ne faut jamais oublier que Renaud est de culture protestante. Il possède dans ses gènes une forme d’austérité que lui a transmise son père qu’il décrit en outre comme « pudique, affectueux mais peu enclin à le manifester, même si nous le devinons d’une grande sensibilité ». Renaud est ainsi, il a hérité d’une espèce de mal-être ancestral.

Il me fait penser à cet écolier spartiate qui avait dissimulé un renardeau sous ses vêtements et qui, pour ne pas se faire prendre, s’était laissé déchirer le ventre par les griffes et les crocs de l’animal sans broncher. La différence, c’est que l’enfant en est mort… Renaud, lui, s’est laissé à plusieurs reprises dévorer les entrailles par un Renard particulièrement agressif, mais il a, à chaque fois, réussi à le chasser hors de lui et, petit à petit, à cicatriser. Il lui reste néanmoins une grande fragilité du côté de l’épigastre.
En fait, ce foutu renard qu’il ne parviendra sans doute jamais à domestiquer, possède un petit nom : il s’appelle « Culpabilité ». Son « éternelle culpabilité » (page 158). Ce mot revient une bonne dizaine de fois tout au long de l’ouvrage. C’est un fardeau qu’il se coltine depuis son plus jeune âge et qui va constituer un frein à tout épanouissement, à toute sérénité. Mais ce qui vient encore plus compliquer la chose c’est que, à cette culpabilité, il a trouvé le moyen d’y ajouter d’autres sentiments complètement négatifs et inhibants : « ‘Je suis devenu étrangement grave au fil de l’adolescence, comme si une sourde inquiétude me plombait le cœur » (page 76). Mais ce n’est pas tout. Il évoque également « une peur obscure » qu’il porte en lui (page 141) qui va parfois le conduire jusqu’à la paranoïa.


Essayez de vous construire avec de tels handicaps aussi terriblement destructeurs. En dépit de tout l’amour qu’il a reçu, reçoit et recevra encore, tant de la part de ses parents, de ses femmes, de ses enfants et de son formidable public, il ne parvient pas à faire la part des choses et à être heureux… Chez lui, la Roche Tarpéienne est toujours proche du Capitole. Il a du succès, il gagne énormément d’argent… D’aucuns s’en sentiraient satisfaits ; pas lui. Le succès lui plaît, certes, car il s’agit là d’une reconnaissance envers son travail, mais l’argent qu’il lui rapporte, bien qu’il en soit le corollaire, l’indispose considérablement. Il reconnaît volontiers manquer de « distance » vis-à-vis de la vie. Renaud est un pénitent qui se complaît à s’auto-flageller. Alors que, lorsqu’on lit son livre, les raisons d’être rasséréné par son parcours abondent.

Renaud a accompli une œuvre. Et quelle œuvre ! Il a été et est toujours adulé par par une multitude de fidèles. Tout rebelle qu’il était, il a toujours été aimé. Particulièrement par les femmes ; sa mère, ses sœurs, ses deux épouses. C’est une chance inouïe que d’être autant aimé. Pour les avoir croisées, Dominique et Romane, les mères de ses deux enfants, sont de belles personnes, de belles âmes. Mais elles se sont senties impuissantes face à l’autodestruction systématique que leur bonhomme leur proposait en échange. Et plus il s’en rendait compte, plus il en souffrait et plus il s’enfonçait.
Personnellement, je range Renaud dans une catégorie d’artistes très particulières : les malades de trop de lucidité. Il fit partie de ces écorchés vifs que furent et sont Serge Gainsbourg, Philippe Léotard, Richard Bohringer, Jacques Dutronc…

Comme un enfant perdu est un livre courageux, intime, sincère. Je suis convaincu que son écriture lui aura fait beaucoup de bien. Peut-être a-t-il enfin réalisé combien son mal-être était aussi injustifié que frelaté. C’est un livre utile aussi. Utile aux autres, utile aux siens. Son témoignage permettra à ses proches de mieux le cerner, de mieux le comprendre.
En fait Renaud est resté un adolescent qui a refusé confusément  de devenir un adulte. Il a et aura toujours besoin d’une main dans la sienne pour l’accompagner, celle de sa mère, celles de ses épouses, celles de ses enfants.
Et son autre main, la droite, elle sera ainsi totalement libérée pour faire ce qu’il fait de mieux et ce pour quoi on l’adore : écrire, écrire et écrire encore.


Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 6 juin 2016

Eric Clapton "I Still Do"

Polydor / Universal Music


Tout est dans le titre du 23ème album studio d’Eric Clapton : « I Still Do ». En gros, il persiste et signe ; il est toujours là, toujours là pour sortir de sa guitare ces sons uniques qui n’appartiennent qu’à lui. A 71 ans, « God » est toujours aussi divin et sa fameuse « Slow Hand » toujours aussi magique. Quant à sa voix, elle est toujours en parfaite harmonie avec les titres qu’il choisit d’interpréter.

Si on aime Eric Clapton, on aime I Still Do.
L’album s’ouvre sur Alabama Woman Blues, un titre de Leroy Carr datant de 1930 qui, pour moi, est la plus belle chanson du CD. Simple et efficace, c’est l’archétype du blues, simple et efficace avec, en prime, une superbe présence de l’orgue Hammond.
Dans cet opus, après l’album qu’il lui avait intégralement consacré voici douze ans, Eric Clapton poursuit son hommage à JJ Cale en reprenant deux de ses autres titres, Can’t Let You Do It et Somebody’s Knockin’.
La troisième chanson, I Will Be There, une ballade douce, légère et agréable, pose en plus une énigme car Clapton y est doublé à la guitare et à la voix par un certain Angelo Mysterioso. Ce nom étant le pseudo pris par George Harrison en 1969 sur l’album de Cream Goodbye, il se murmure que ce serait Dhani, le fils du Beatle qui se cacherait derrière…
Deux titres originaux sont signés de Clapton lui-même, Spiral et Catch The Blues. J’ai une préférence pour le second et sa nonchalance chaloupée.


En fait cet album est tout à fait conforme à ce qu’on peut attendre d’Eric Clapton. N’ayant plus rien à prouver, il ne pense plus qu’à se faire plaisir. Et ça s’entend. Et comme il a en plus le talent de savoir très bien s’entourer, il nous offre un grand et beau moment de partage. Chaque chanson est à sa place. Cypress Grove balance suavement, Little Man, You’ve Had A Busy Day est pleine de tendresse, Stones In My Passway, de Robert Johnson (1937) est plus swingant, plus joyeux… J’ai également apprécié le climat de I’ll Be Alright, un chant traditionnel que l’on a l’impression de connaître depuis toujours tant il est identifiable.
Et puis, il y a également dans cet album un clin d’œil amical à Bob Dylan avec la reprise très réussie (harmonica à l’appui) de I Dreamed I Saw St. Augustine.

L’album se termine en douceur avec l’interprétation intimiste et tamisée de I’ll Be Seeing You dans lequel la main de Clapton se fait presque encore plus « slow » que d’habitude.

vendredi 3 juin 2016

Nuit d'ivresse

Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 35 02
Métro : Madeleine / Havre-Caumartin

Une comédie de Josiane Balasko
Mise en scène par Dominique Guillo
Décor de Dominique Guillo
Costumes de Christine Chauvey

Avec Elisabeth Buffet (Simone), Denis Maréchal (Jacques), Jean-Christophe Barc en alternance avec Philippe Gruz (Henri, le barman)

L’histoire : Tout oppose Simone et Jacques qui se rencontrent par hasard en fin de soirée dans un bar désert de la Gare de l’Est.
Lui est un présentateur vedette un peu ringard, et elle une fille paumée, haute en couleurs et très naïve qui ne reconnaît pas l’animateur. Le serveur, aussi collant que bavard, fan de Jacques, n’éprouvera aucune gêne à s’imposer au cœur de ce couple improbable.
L’alcool aidant, Simone et Jacques vont, sans s’en rendre compte, se rapprocher. Beaucoup… Un peu trop même…
Mais après une telle nuit d’ivresse, le réveil dans l’appartement de Jacques sera forcément difficile, mémorable et explosif !... Il ne se souvient de rien, ni qui est cette fille survoltée et amoureuse installée chez lui, ni même d’avoir donné son adresse au barman qui, évidemment, ne loupe pas l’occasion de débarquer…

Mon avis : Oh la la la quelle nuit ! chantait Sacha Distel… C’est exactement la constatation affligeante qui devait tourner en boucle dans la tête migraineuse de Jacques Belin, présentateur vedette d’un jeu télévisé, lorsqu’il a émergé de la brume, chez lui, en plein milieu d’après-midi… Nous, on ne se pose pas de question car nous avons été les témoins fascinés et amusés de cette fameuse nuit. Et plus il se perd en interrogations, et plus il est affligé en découvrant peu à peu les dégâts causés par ses libations, plus on rit.

Josiane Balasko est une dramaturge hors pair et Nuit d’ivresse est une très, très bonne comédie. Son thème est très simple ; c’est la rencontre improbable entre deux êtres que tout sépare : le milieu social, la culture, l’argent. C’est le Hasard et son goût pervers pour créer des situations abracadabrantesques qui va les pousser l’un vers l’autre l’espace d’une nuit. Le deuxième élément fédérateur va être l’alcool. Consommé sans modération, il va provoquer en eux une forme de complicité. La nuit, tous les chats sont gris, les paumés le deviennent aussi.


J’ai adoré cette nouvelle version de Nuit d’ivresse. Pourtant le challenge de la reprendre était osé. Les duos qui avaient interprété les personnages de Simone et Jacques, tant au théâtre qu’au cinéma, c’était du lourd. Et certaines situations étaient gravées dans nos mémoires. Or, j’ai vu cette pièce avec un regard complètement neuf. Je me suis vraiment laissé embarquer par les compositions particulièrement riches d’Elisabeth Buffet et Denis Maréchal. Je connaissais et avais apprécié leurs seul(e)s en scène respectifs et j’étais très curieux de voir comment leur association allait opérer. En fait, ils ont conservé les personnages qu’ils campent dans leurs one (wo)man shows. Denis Maréchal a toujours tendance à garder une espèce de sérieux et de quant à soi, alors qu’Elisabeth Buffet est systématiquement explosive et picaresque, voire clownesque. C’est un peu comme associer le feu et la glace. Sauf qu’ici, la glace elle va fondre dans les verres de whisky de Denis/Jacques et que le feu, Elisabeth/Simone va le mettre sur scène. Quelle formidable idée que de les avoir réunis pour leur offrir ce bijou de comédie.


Elisabeth Buffet n’est jamais allée aussi loin dans l’extravagance et le délire. Elle ose des accoutrements improbables, des associations de couleurs qui font pleurer nos yeux (de rire). Il faut avoir le talent de se dépersonnaliser totalement pour porter ce qu’elle porte, y compris les chaussures. Elle nous propose une incroyable composition, un mix entre la truculence de la Zézette du Père Noël est une ordure et la l’abattage à la hussarde de la Gisèle des Vamps. Pour paraphraser un autre humoriste, Jean-François Copé, Elisabeth Buffet, c’est la maladroite décomplexée. En effet, pour aller aussi loin dans un personnage, il faut savoir laisser ses inhibitions au vestiaire. Elle est capable de tout, même du pire, sans jamais tomber dans la vulgarité. La moindre de ses postures, de ses gestes, de ses mimiques sont d’une drôlerie rare.

En opposition à ce tourbillon déchaîné, Denis Maréchal adopte un jeu précis, presque impavide. Il campe un véritable mufle. Il est narcissique, méprisant et, contrairement aux liquides forts qu’il ingurgite, franchement imbuvable. Josiane Balasko a mis dans sa bouche des répliques particulièrement saignantes et vachardes. Pourtant, par moment et, surtout en deuxième partie, on devine qu’il a malgré tout un bon fond. Il n’est pas si pourri qu’il veut le laisser paraître. Il est un parfait clown blanc face à son Auguste partenaire.


J’ai vraiment aimé les propositions de ce tandem. Ils se sont approprié les personnages de Simone et de Jacques et ils les ont recréés à leur façon. Sans copier personne. En étant tout simplement eux-mêmes.
Le personnage du barman est également important. C’est monsieur Plus au niveau de la folie ambiante. Intrusif et sans gêne, il n’a aucun scrupule pour se mêler de ce qui ne le regarde pas. C’est un très beau rôle. Le seul reproche que je fais à la mise en scène (vraiment le seul) c’est que son jeu est par moments trop outré et trop criard (il n’a pas besoin par exemple de crier « Jacques Belin » comme il le fait ; ce n’est pas crédible. Il nous ferait, je crois, encore plus rire s’il ne sur-jouait pas. Les situations dans lesquelles il se met et met les autres sont suffisamment drolatiques par elles-mêmes. En dehors de ces quelques exagérations, Jean-Christophe Barc tire parfaitement son épingle du jeu.

En revoyant Nuit d’ivresse, j’ai réalisé combien cette pièce était remarquablement écrite et construite. Il y a un côté Very Bad Trip dans cette histoire née dans le cerveau bouillonnant de Balasko. Les dialogues sont incisifs, percutants, au scalpel. Et son scénario a ceci d’intelligent qu’il a été scindé en deux parties. La première traite de la rencontre dans ce rade crade, une rencontre qui va démontrer combien on sort de soi-même lorsqu’on a de la cuite dans les idées et qui, de ce fait, va se terminer en queue de boisson… Et la deuxième nous transporte dans un autre univers, l’appartement moderne et stylé (superbe décor !) de Jacques. Là, nos personnages vont nous apparaître sous un autre jour, dans leur réalité. Le talent de Josiane Balasko est de savoir séparer le bon grain de l’ivresse. Sa pièce est en effet hybride dans le bon sens du terme : dans la première partie, elle fonctionne à l’éthanol (ou alcool éthylique) alors que dans la seconde, elle utilise les sens en carburant aux sentiments. En clair, la première partie est animale et la deuxième humaine. Les vrais caractères se révèlent et le rire alors se partage avec l’émotion… Cette pièce est une réussite !
Maintenant, il ne reste plus qu’à souhaiter à la salle du théâtre Michel d’être comme les héros de Nuit d’ivresse : complètement bourrée par un public saoulé de plaisir…


Gilbert « Critikator » Jouin