vendredi 25 juin 2010

Shirley Souagnon "Sketch Up"


Théâtre de Dix Heures
36, boulevard de Clichy
75018. Paris
Tel : 01 46 06 10 17
Métro : Pigalle

Textes de Shirley Souagnon
Mise en scène de Marine Baousson

Ma note : 5/10

Mon avis : Gagnante de La Route du Rire 2009, Prix Jeunes talents 2010, Shirley Souagnon est pleine de promesses. Elle possède indéniablement un très gros potentiel. Sympathique, pétillante, expressive, elle s’empare de la scène avec un dynamisme communicatif. Elle bouge bien (son entrée en scène le prouve), chante bien, fait ce qu’elle veut de sa voix, elle a un petit côté cartoonesque très réjouissant… Elle possède donc tous les ingrédients pour que son Sketch-up nous excite les papilles gustatives. Mais la sauce ne prend pas comme elle le devrait. Si la chanson de gestes est parfaite, les paroles ne sont pas assez relevées.
Passé le préambule du sempiternel couplet communautaire que l’on a déjà entendu mille fois du côté de la bande à Jamel (quand on est marrant, on est marrant. Point. Ce n’est pas une question de couleur de peau. L’humour n’a pas de couleur, y compris l’humour « noir »), et une petite parenthèse d’autodérision où elle joue de son aspect androgyne, elle nous livre le fruit de quelques observations plutôt bien trouvées. Or, et c’est là que le bât blesse, s’il y a plein de bonnes idées, elle se contente de les ébaucher et ne va pas jusqu’au bout. Elle allume des mèches, et elle les laisse se consumer avant qu’elles ne s’embrasent. Et nous avec. Pourtant son spectacle regorge de jolies trouvailles mais maladroitement exploitées. Bonnes idées en effet que ces sketches sur les produits discount, sur son écartèlement entre les magazines culturels et les magazines people, sur la gamine qui s’offre des sensations fortes en tirant des sonnettes inconnues, sur son personnage de Jiminy Cricket à mauvaise conscience, sur la naissance du blues, sur le comparatif entre les comportements français et américains… C’est judicieux, c’est malin, c’est bien trouvé, mais ce n’est pas assez fouillé, et ça manque singulièrement de matière. Ça pêche uniquement au niveau de l’écriture. Reste une présence incontestable qui devrait attirer les producteurs de cinéma et de télévision car Shirley Souagnon est naturellement drôle. Pour le one-woman show, il suffit qu’elle se trouve des auteurs et son Sketch-up sera alors véritablement épicé. Elle a la forme, c’est le moins qu’on puisse dire, mais il lui manque le fond. Après tout, elle n’a que 22 ans…

mardi 15 juin 2010

Alpenstock


Théâtre Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
Tel : 01 45 44 57 34
Métro : Vavin /Notre-Dame des Champs

Une comédie de Rémi De Vos
Mise en scène par David Lejard-Ruffet
Avec Charlotte Petitat (Grete), Antoine Rosenfeld (Fritz), Pierer-Etienne Royer (Yosip)

Ma note : 7,5/10

L’histoire
: Grete est seule ; elle nettoie. Fritz, son fonctionnaire de mari, entre. Tous deux forment un couple solide et heureux vivant dans un chalet immaculé. Alors qu’elle était à court, Grete est allée chercher du détergent au marché cosmopolite. Chose que Fritz ne comprend absolument pas. Il en est tout perturbé…

Mon avis : Moi qui adore venir vierge de toute information et me laisser surprendre, j’ai été vraiment gâté par Alpenstock. Je me suis bien laissé embarquer.
Sur fond de valse de Strauss, Grete, blondinette (évidemment) à macarons et tenue tyrolienne fait le ménage de façon mécanique dans son chalet. Tout en frottant compulsivement sa table en formica, elle égrène une litanie bizarre dans laquelle il est vaguement question de Curd Jürgens et de Romy Schneider. On commence à se sentir à la limite du malaise quand surgit Fritz, le mari. Le « Lapin » et la « Poulette » entament un dialogue un dialogue d’une extrême platitude, qui plus est émis sur un ton affreusement récitatif. Mais remarquablement écrit. Sous la banalité s’énoncent déjà quelques vérités qui dessinent peu à peu les caractères. Surtout celui de Fritz dont la mèche n’est pas sans rappeler un autre célèbre Autrichien. Le Lapin n’a qu’une hâte, revêtir à son tour son joli costume folklorique. Tout en se changeant, il s’enquiert de l’état de propreté du domicile conjugal. Et puisqu’on se retrouve en slip autant en profiter : il s’ensuit un coït machinal et cocasse au cours duquel il apprend que la Poulette est allée acheter le détergent au… Marché cosmopolite. « Cosmopolite » ! Rien que le mot met notre Tyrolien en transes. Alors que cette pauvre ingénue de Grete, femme soumise et satisfaite de son sort, n’entrave que pouic aux reproches de son époux. Un époux dont l’intégrisme et les idées franchement xénophobes sentent à plein nez la propagande du monsieur à la mèche cité plus haut.
Dès lors plus rien ne va aller comme avant dans ce couple jusque là tranquille, gentiment installé dans sa routine inodore et sans saveur (puisque aseptisée à grand renfort de détergent)… Pendant que Fritz, le mari marri et contrarié, s’absente pour aller rejoindre son groupe folklorique, Grete reçoit la visite inopinée (ce n’est peut-être pas le mot le plus idoine compte-tenu de ce qui va suivre) d’un certain Yosip, un personnage brun de poil et génétiquement exotique. Yosip traînait au Marché cosmopolite et il a eu le coup de foudre pour cette accorte Teutonne en train d’y faire ses emplettes. Et, ni une ni deux, tout en devisant et en s’excusant, et sans même lui faire la (basse) cour, il embroche la Poulette. Un petit coup dans l’aile qui la déconcerte certes, mais ne la laisse pas indifférente. Evidemment, c’est le moment que choisit Fritz à la culotte de peau pour rentrer at home. Immédiatement, il comprend son infortune. Et devant la table en formica où il forniqua, il trucide le coq balkanique.

Il faut arrêter de raconter car je vais vous enlever tout le sel et le suc de cette histoire. Alpenstock est un OVNI descendu des contreforts tyroliens. On commence dans une sorte de Hansel et Gretel à la mode baroque, avec chalet, costumes folkloriques et harmonie conjugale légèrement compassée. Insidieusement, on évolue vers un climat délétère distillé par Fritz, sorte d’Autrichien de garde gravement endoctriné. Puis on dérape dans une histoire d’adultère aggravée par le racisme, avant de déboucher sur un spectacle de grand guignol que l’on pourrait baptiser « Les mille et une façons de supprimer un rival ». Et on termine avec une conclusion que n’aurait pas reniée un autre éminent Autrichien, ce cher Sigmund Freud. De là à décréter qu’il faut zigouiller tout le monde autour de vous pour trouver l’harmonie dans votre couple, il n’y a qu’un pas (de l’oie) à franchir dont je laisse l’entière responsabilité à l’auteur, Rémi De Vos.
Un auteur dont il faut précisément souligner la qualité textuelle. Le ton volontairement sentencieux et verbeux employé par les comédiens, ne saurait en gommer la finesse de l’écriture. Sous l’apparente simplicité des mots et le détachement affecté de la diction, il s’en glisse des vérités qui s’introduisent sournoisement dans notre cortex. Attention : second degré ! Rémi De Vos a coupé le lénifiant vin chaud avec du schnaps. Si bien que, parfois, ça nous racle la gorge et l’esprit.
Et puis il y a les comédiens. Tous trois excellents. Et vachement gonflés car il y a quelques scènes particulièrement gratinées à jouer tout en sachant y mettre une distance salutaire. Grete (de coq ?), la Poulette, joue les nunuches à la perfection. Humble, simple et modeste, elle ne se complique pas la vie. Il faut dire qu’elle a toujours un temps de latence avant de réaliser les choses. C’est ainsi qu’elle parvient à déceler chez son mari de fâcheux relents d’extrémisme. Elle joue un peu comme une comédienne de cinéma muet, en outrant ses mimiques et ses réactions. Ce qui ajoute encore de la drôlerie à son personnage. Elle nous est immédiatement sympathique et elle le restera tout au long de la pièce. Une jolie performance en tout cas, aussi audacieuse que maîtrisée.
Frits-le-Lapin possède une rigidité toute teutonne. Ce n’est pas un sentimental. Il est pédant, sentencieux, autoritaire et sectaire. Bref, il est le portrait craché du nazillon. L’exploit d’Antoine Rosenfeld est de ne pas nous le rendre complètement antipathique. Ce qui n’est pas évident. Il n’hésite pas à exacerber la caricature, allant même jusqu’au cartoon quand il se met à jouer à l’Autrichien-chien à sa mémère. Lui aussi domine magistralement son registre.
Quant à Yosip (aux Yosip, même, devrait-on dire) par son jeu robotisé en mouvement perpétuel, il apporte, si besoin en était, un supplément de folie à notre conte.
La mise en scène est inventive, très visuelle et truffée de trouvailles. Même les scènes qui, a priori, pourraient aisément déraper dans le grivois ou le vulgaire, sont tellement bien interprétées qu’elles n’en paraissent que truculentes.
Alpenstock, le chalet de la mort et de l’amour, est un pur régal de drôlerie décalée et déjantée. Il est toujours très agréable de prendre de son plein gré des edelweiss pour des lanternes. Si, si…

lundi 14 juin 2010

François Morel "Le soir, des lions...


Théâtre du Rond-Point
2bis, avenue Franklin-Roosevelt
75008 Paris
Tel : 01 44 95 98 21
Métro : Franklin-Roosevelt / Champs-Elysées Clémenceau

Tour de chant de François Morel
Textes de François Morel
Mise en scène de Juliette
Musiciens : Lisa Cat-Berro, Muriel Gastebois, Antoine Sahler

Ma note : 8,5/10

Mon avis : Du plaisir, un énorme plaisir… On espérait que de la copulation artistique François Morel-Juliette allait naître un rejeton original et non formaté. Et bien le résultat a été au-delà de mes espérances. Tout a été pensé dans le moindre détail, de l’entrée en scène jusqu’au(x) rappel(s). La scène est un joyeux foutoir mi bric-à-brac, mi-brocante, mi-guinguette (je sais, ça fait trois mi, mais je m’en fous comme du tiers. Trois mi, c’est aussi le début d’une mélodie et comme on est dans un spectacle musical… Et puis cessez de m’interrompre quand je raconte. Où en étais-je ? Ah oui…) un joyeux foutoir dans lequel se côtoient des objets hétéroclites ; objets qui serviront à un moment ou à un autre de décor voire de partenaire… Ce n’est pas François Morel qui apparaît mais une sorte d’Indiana Jones échappé du bocage normand. En fait, il n’en porte que le chapeau. Son torse recouvert d’un marcel ne lui donne pas une allure des plus glamour. Disons que le père François, c’est plutôt l’aventurier de la vache perdue… Pendant qu’il se rase (si, si, vous avez bien lu), il reçoit de la visite. Deux jeunes femmes et un homme très élégamment habillés façon années 30, les deux dames arborant de fort mimis bibis. Morel prend le temps de boire un petit coup de rouge pour se donner de l’allant et c’est parti… Nos trois touristes endimanchés (Les habits du dimanche, on le sait, sont chers à François Morel) sont en fait des musiciens. Chacun se glisse derrière son instrument ou s’en empare. Et c’est parti pour un tour de chant enchanteur.
Dans le « bazar » de Morel, on trouve de tout. Et ce qui n’est pas en vitrine, vous pouvez le demander à l’intérieur, du côté du cœur : humour, satire, tendresse, révolte, poésie (beaucoup de poésie), absurde, humanité, fraternité. Il joue de subtiles saynètes avec ses acolytes, faisant revivre parfois l’ébauche d’un sketch à la Deschiens. Il manie l’alexandrin avec une délectable maestria, il joue de la paupière tombante, sort tout son arsenal de mimiques-qui-n’appartiennent-qu’à-lui… François Morel n’est ni un comédien qui chante, ni un chanteur qui joue la comédie, c’est tout simplement un artiste complet évoluant dans un univers plein de fraîcheur et d’inventivité. Il est à l’aise dans tous les registres, passant de la farce la plus potache à la gravité la plus profonde sans jamais se départir d’une rare authenticité. Aucune de ses chansons ne laisse indifférent. D’abord, elles sont toutes sacrément bien écrites ; ensuite, elles abordent autant des sujets banals de notre quotidien (comme le GPS), des sujets intimes (le bain de pieds), que des sujets qui donnent à réfléchir (Le bon Dieu entre nous, C’était comment déjà ?) ou des faits de société inquiétants (Fatigué fatigué)…
Son spectacle est un grand moment de music-hall, c’est la quintessence du tour de chant. Il est en outre parfaitement secondé par des musiciens qui sont plus des complices que des accompagnateurs et qui font partie intégrante du show. Il faut d’ailleurs aussi souligner la qualité, la variété et l’originalité des arrangements faisant de chaque morceau une petite œuvre à lui tout seul.
Bref, vous l’aurez compris, les yeux comme les oreilles emplis de ravissement, je suis sorti EN-CHAN-TE de ce spectacle. Merci beaucoup m’sieu Morel. Vous êtes quelqu’un de rare, donc de précieux.

mardi 8 juin 2010

Les Misérables


Théâtre du Châtelet
Place du Châtelet
75001 Paris
Tel : 01 40 28 28 40
Métro : Châtelet

Spectacle musical d’Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg
D’après le roman de Victor Hugo
Mise en scène de Laurence Connor et James Powell
Direction musicale : Peter White
Costumes d’Andreane Néofitou
Décors de Matt Kinley
Avec John Owen-Jones (Jean Valjean), Earl Carpenter (Javert), Gareth Gates (Marius), Madalena Alberto (Fantine), Katie Hall (Cosette), Ashley Artus (Thénardier), Lynne Wilmot (mme Thénardier), Rosalind James (Eponine), Jon Robyns (Enjolras)…

Ma note : 9/10

L’histoire : Digne, 1815. Après 19 ans de bagne, Jean Valjean retrouve la liberté. Mais son passé de forçat, matérialisé par un passeport jaune qu’il doit faire reconnaître à la mairie de chaque ville qu’il traverse, le poursuit impitoyablement. Rejeté par tous, il doit son salut à la rencontre de Monseigneur Myriel, évêque de Digne, qui lui offre la nourriture et le repos qu’il cherchait jusqu’alors en vain. Mais l’ancien bagnard, aigri par des années de privation, le « remercie » en lui dérobant son argenterie. Arrêté, il voit à son grand étonnement, que l’évêque ment à la police pour le sauver. Il décide alors de commencer une nouvelle vie…

Mon avis : Et bien, quand les Anglais se mettent à nous refaire Cosette, on peut dire qu’ils n’économisent pas leurs effets… Dès le premier tableau, on est scotché à son fauteuil de saisissement. Une galère surgit du fond de scène ; les rames font gicler des gerbes d’eau ; les forçats s’échinent sur leur banc de souffrance ; les soldats aboient leurs ordres et cognent sur ceux qui faiblissent… Le ton est donné d’emblée. On n’est pas au théâtre, on est dans un film en 3D ! Et le mot « tableau » va s’imposer à nous tout au long de ce spectacle incroyable car ils vont s’enchaîner tous plus fascinants et réalistes les uns que les autres. Il en est même qui s’apparentent à de véritables toiles inspirées de l’école flamande. On dirait du Rubens… Sur le plan strictement esthétique, je n’ai pas souvenir d’avoir vu quelque chose d’aussi éblouissant. Les bas-fonds de Montreuil-sur-Mer, la pension des Thénardier, un quartier de Paris, les barricades, l’hôtel particulier de Jean Valjean… autant de plans et de fresques qui nous laissent béat d’admiration. On reste bluffé devant des trouvailles de mise en scène d’une ingéniosité digne des effets spéciaux du cinéma ; la scène des égouts ou la mort de Javert, par exemple… Et puis il y a la troupe des acteurs-chanteurs. Quels comédiens, et quelles voix ! John Owen-Jones (Jean Valjean) possède un registre stupéfiant. Il est aussi capable de susurrer, de moduler, de nuancer, que de donner la puissance. Earl Carpenter (Javert) est un véritable chanteur d’opéra au volume grave. Rosalind James (Eponine), tour à tour exaltée et frémissante nous émeut aux larmes. Et que dire de la prestation d’Ashley Artus en Thénardier ? Il nous offre un impayable numéro de comédie pure. Chacune de ses apparitions fait frémir la salle de plaisir. Et il est remarquable ment secondé par va voluptueuse et vénale épouse interprétée par Lynne Wilmot… Un seul petit, tout petit bémol toutefois : on s’ennuie un peu lors de trois solos (Valjean, Javert, Eponine) que l’on trouve un peu longuets. Ils sont bien sûr indispensables pour la bonne compréhension de l’histoire car ils sont situés à des moments névralgiques, mais le problème, à mon goût, c’est qu’ils souffrent au niveau de la mélodie. On eût aimé des tubes. Ce qui n’enlève rien bien sûr à la performance vocale des interprètes…
Courez vite au Châtelet. Vous allez en prendre plein les mirettes. Mais attention, Les Mis ne s’y produisent que jusqu’au 4 juillet.