samedi 30 mai 2015

Les Insolents aux Variétés

Théâtre des Variétés
7, boulevard Montmartre
75002 Paris
Tel : 01 42 33 09 92
Métro : Grands Boulevards

Ce soir, samedi 30 mai, à 20 h 30

Plateau d’humoristes
Mis en scène par Papy
Présenté par Bruno Hausler
Avec Pierre-Emmanuel Barré, Nicole Ferroni, Cécile Groussard, Aymeric Lompret, Antoine Schoumsky
Et, ce soir : Blanche et Dédo

Présentation : Une bande de délinquants scéniques et humoristiques réunis pour deux soirs sur la scène du théâtre des Variétés. Du trash à l’absurde, du stand-up aux personnages bien taillés, du décalage corrosif à l’humour noir. Histoire de bien mettre les points sur les « i » de l’incorrection, de l’insolence, de l’impertinence et de l’irrévérence. Un plateau varié aux Variétés avec huit représentants de l’humour d’aujourd’hui pour déranger intelligemment et provoquer… un rire salvateur.

Mon avis : En fait, tout est dit dans la présentation. Il n’y a strictement rien à ajouter car ce propos liminaire n’a rien de la publicité mensongère. On retrouve en effet tout ce qui y est annoncé au niveau de la thématique. Finalement, le fond étant largement traité, voire maltraité, il ne reste plus qu’à parler de la forme, c'est-à-dire des artistes et de leurs personnalités.

Personnellement, je tiens Antoine Schoumsky pour une des tout meilleurs et des plus originaux humoristes actuels. Son personnage de taulard, inquiétant et dérangeant à souhait, est à hurler de rire. Super comédien et doté d’un corps en caoutchouc, il nous livre une description de l’univers carcéral particulièrement haute en couleurs. Il est cash (comme cachot) et trashy-comique. Son texte, à l’image de son jeu et de sa gestuelle, est affûté comme un scalpel. Bref, il assume totalement son surnom de « Schoumsky-zophrène »…


Pierre-Emmanuel Barré lui, n’a pas besoin de surnom car, « barré », il l’est complètement. On a l’impression d’avoir devant nous un type incontrôlable, y compris pas lui-même. Son texte ressemble à de l’impro, ses fulgurances et ses réflexions à haute voix semblent jaillir de lui comme de brefs geysers très chargés en acidité corrosive. Il se fout complètement de sa belle gueule et de son physique plus qu’avantageux. Ce qui compte pour lui, c’est d’asséner des vérités qui sont, uniquement pour lui seul, bonnes à médire. C’est drôle, intelligent, et terriblement dévastateur…

On ne présente plus Nicole Ferroni. Elle est une des cheftaines de file d’une jolie brochette de filles totalement déjantées et désinhibées. Les personnages qu’elle crée semblent tout droit sortis d’une espèce de galerie des horreurs où la bêtise et la naïveté fleurissent. Elle ne s’accorde aucune limite, aucun tabou. Son débit et son énergie sont hallucinants. C’est un personnage de Tex Avery revu et corrigé par Hara Kiri. Cette fille m’éclate.

Aymeric Lompret, je l’avais repéré et apprécié dans « On n’ demande qu’à en rire ». Sa façon d’être, sa diction, l’intelligence de ses propos, sa philosophie, son réalisme sombre et même ses silences m’enchantaient. Il possède un univers qui n’appartient qu’à lui. On devine qu’il en a encore beaucoup sur la semelle, car on le subodore tenaillé par des doutes. Il est encore un peu vert, mais son potentiel est énorme. C’est un garçon à suivre.

Quant à Céline Groussard, ovni virevoltant et babillant, je n’ai absolument rien compris de sa prestation. Mais ses gestes désaccordés, ses propos incohérents et son personnage improbable, m’ont vraiment amusé. Elle existe. Elle a un look, un physique, une vraie liberté d’action. On sent qu’il y a quelque chose à exploiter de cette petite jeune femme hilare et décomplexée.


Ce soir, en lieu et place de Nicole Ferroni et Céline Groussard, ce sont Blanche et Dédo qui s’y collent.

lundi 18 mai 2015

Phil Barney "Au fil de l'eau"

Keeba Music Productions / Fiver Productions


 J’ai toujours aimé la voix de Phil Barney, ce léger voile et cette douceur qui lui sont propres et qui permettent de l’identifier immédiatement. Et puis, j’apprécie également l’homme… Sa culture musicale, ses premières influences, elles viennent de la musique funk, du rhythm’n’blues puis du rap. Musicien autodidacte, touche-à-tout (programmateur radio, DJ, animateur à la télé, et même acteur), il a connu de multiples collaborations avant de se lancer dans une carrière solo. Il a déjà 30 ans quand il connaît son premier grand succès, et quel succès ! Il s’agit en effet de Un enfant de toi, dont il vendra 1,5 millions d’exemplaires en quinze ans.

Phil Barney n’est pas un artiste très prolifique. En une trentaine d’années, il n’a sorti que sept albums. C’est donc avec beaucoup de curiosité que je me suis penché sur son septième opus, Au fil de l’eau (Au Phil de l’eau ?)…
Phil est un artisan, un confectionneur de chansons. Il aborde et évoque des thèmes simples et universels. Ses sujets de prédilection sont l’amour (sous toutes ses formes, les rêves et le voyage. Il se dégage toujours de lui une profonde humanité avec, assez souvent, une touche de mélancolie.
Cet album est remarquablement réalisé. Il offre une palette infiniment riche en couleurs rythmiques avec une utilisation subtile d’instruments additionnels qui apportent à chaque titre son empreinte musicale… Sur le plan de l’écriture, il utilise des mots de tous les jours, des mots qui sonnent bien à l’oreille, tout en jouant avec les allitérations et en l’agrémentant de jolies images.


Arrangements soignés, voix veloutée et textes travaillés, cela donne un album efficace et varié.
Ma chanson préférée, c’est celle qui a donné son titre à l’album, Au fil de l’eau. D’abord parce que c’est un reggae (superbes chœurs), puis pour ce qu’elle raconte et le message qu’elle contient. C’est l’histoire de l’enfant qui grandit, qui va prendre son envol et sa destinée en main. C’est le moment propice pour transmettre, pour essayer de l’aider en s’appuyant sur sa propre expérience. Belle leçon de vie…
Ensuite, toujours aussi subjectivement, j’aime beaucoup Vivre avec elle, une émouvante et convaincante déclaration d’amour à la musique… J’ai été très sensible à Prenez ma vie, la chanson qui clôt cet album. C’est douloureux, sombrement réaliste, carrément sacrificiel. Le piano est magnifique, solidaire de ce climat poignant. Aux trois-quarts, ce titre devient quasiment symphonique avec des cordes qui viennent discrètement rejoindre le piano. Quelle ambiance et quelle interprétation véritablement habitée.


On n’est plus personne, qui commence par une agréable guitare espagnolisante, évoque l’érosion du temps au sein du couple. C’est bien analysé, bien écrit, bien traduit… Dans nos bras est également parfaitement réussi. C’est un titre qui balance bien, au refrain efficace. C’est une autre déclaration d’amour (peut-être pas partagé), mais à une femme cette fois, qui se distingue par son gros travail sur les sonorités…
Le reggae doux de Tous mes regards, habille joliment cette histoire d’amour exclusif. C’est très agréable à écouter…
Sinon, j’ai bien aimé aussi la voix de tête, la qualité du texte et le côté aérien de Comme un ange ; le message de tolérance de Fleur du désert ; l’ambiance festive, tonique et dansante de Oyé Salsa ; la douce nostalgie des Jours heureux ; la profession de foi humble et sincère de Rien qu’un homme (quelle partie de basse !) ; la tendresse de Princess Jade avec son clin d’œil subtil à Un enfant de toi alors qu’il s’agit là d’adoption.


Au fil de l’eau est un album qui doit s’écouter plusieurs fois pour en saisir la variété et le raffinement des arrangements. Et puis, tout ce que raconte Phil Barney nous va droit au cœur car il ne parle que de thèmes et de situations que nous connaissons, que nous vivons ou que nous pourrions tous être amenés à vivre. C’est de la belle et bonne chanson française.

vendredi 15 mai 2015

Les Faux British

Théâtre Tristan Bernard
64, rue du Rocher
75008 Paris
Tel : 01 45 22 08 40
Métro : Villiers / Saint-Lazare

Une comédie de Henry Lewis, Jonathan Sayer et Henry Shields
Titre original : The play that goes wrong
Adaptation de Gwen Aduh et Miren Pradier
Mise en scène de Gwen Aduh
Décor de Michel Mugnier
Costumes d’Aurélie de Cazanove
Lumières de Claude Couffin
Musique de Gabriel Levasseur
Avec Aurélie de Cazanove (l’accessoiriste), Jean-Marie Lecoq (L’inspecteur Carter), Miren Pradier (Florence Colleymore), Nikko Dogz (Perkins, le majordome), Yann de Monterno (Thomas Colleymore), Michel Scotto di Carlo ou Henri Costa (Elmer Haversham), Gwen Aduh (Charles Haversham)

Présentation : Imaginez sept amateurs de roman noir anglais qui décident de créer un spectacle alors qu’ils ne sont jamais montés sur scène ! Ils ont choisi une pièce inédite, un véritable chef d’œuvre écrit par Conan Doyle lui-même, enfin c’est ce qu’ils prétendent !... L’action se situe à la fin du 19ème siècle, dans un superbe manoir, lors d’une soirée de fiançailles, en plein cœur de l’Angleterre. Les festivités vont enfin commencer quand un meurtre est commis. Chacun des invités présents dans le château devient alors un dangereux suspect.

Mon avis : « Faux British », peut-être, mais beaux fortiches et vrais barjots ! En effet, les sept comédiens qui participent à cette pièce démontée réalisent sous nos yeux effarés un authentique tour de force.
Personnellement, et c’est là ma seule réserve, je trouve que le titre français est trop évasif. Il eût sans doute été préférable et plus explicite de s’inspirer au plus près du titre original, « The play that goes wrong » (« La pièce qui barre en sucette »)… Mais c’est là l’unique point légèrement négatif que je soulève. Car pour ce qui est du reste, c'est-à-dire de ce qui nous est donné à voir, je ne puis que me montrer dithyrambique et enthousiaste. Et à tout point de vue.


Imaginez une troupe de théâtre composée d’amateurs (dans le sens péjoratif du terme) qui se lance le défi de créer devant nous un thriller qu’on croirait sorti tout droit d’un roman d’Agatha Christie. Ils se lancent dans leur mission avec un sérieux inaltérable, un aplomb déconcertant, et une volonté inébranlable. Leur envie et leur désir de bien faire sont absolument respectables, à part qu’ils sont tous de vrais bras cassés. Peu à peu la machine brinquebalante qu’ils ont réussie à monter à peu près, va se dérégler puis s’emballer, jusqu’à échapper inexorablement à tout contrôle.
Pourtant, au départ, ils peuvent s’appuyer sur quelques atouts : un joli décor de manoir anglais, des beaux costumes et une enquête mystérieuse et complexe à souhait. Hélas, leur manque de rigueur et leur maladresse vont faire que tout va se retourner contre eux, y compris les objets ! Les effets spéciaux et les trucages qui se voulaient ambitieux foirent lamentablement, les situations qui en découlent sont affligeantes, les « cascades » sont ridicules… Et plus ça se dégrade, plus c’est nul, plus on rit.


Sincèrement, pour réussir à incarner d’aussi piètres comédiens, il faut un sacré talent. Et pour parvenir à donner l’impression de ne plus rien maîtriser alors que tout est réglé comme du papier à musique, là aussi ça tient de la performance. On imagine la somme de travail et les heures de répétitions qu’il a fallu pour atteindre un tel degré de perfection dans un tel numéro de funambulisme. Branquignols mâtinés de Monty Python, ce septuor nous emmène au septième ciel de la drôlerie la plus farfelue. Et ce, avec une efficacité rare.

Dire de cette pièce que c’est une catastrophe est un doux euphémisme. C’est un séisme héroï-comique doublé d’un tsunami de folie. On en sort groggy, soûlé de fous rires, les Faux British ont gagné par chaos.


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 14 mai 2015

Mustapha El Atrassi "Second degré"

Disponible en VOD sur le site :
Mustaphaelatrassi.com
4,99 € via Payplug

Rentré de Las Vegas tout auréolé d’une troisième place au premier championnat du monde de stand-up en anglais, Mustapha El Atrasssi a voulu profiter de cette énergie accumulée pour présenter un tout nouveau spectacle. Mais il n’a pas souhaité le faire dans des conditions conditionnelles en se produisant dans une salle classique du genre de celles qui l’avaient précédemment hébergé comme Le Temple, le théâtre Trévise ou même l’Olympia. Non, cette fois, il a voulu tout gérer en jetant son dévolu sur une toute petite salle, de s’y produire une seule fois devant un public restreint et de réaliser une captation de ce one shot. Puis il a mis en vente la vidéo de ce spectacle sur un site dédié pour la somme dérisoire de 4,99 € (« moins cher qu’un Mc Do » argument-t-il…
C’est un peu comme s’il repartait à zéro, mais fort de ce bagage tout-terrain qu’est l’expérience. Il s’est voulu débarrassé de toute contrainte. Il a tout préparé, tout maîtrisé et… il s’est lâché. Dans ce show baptisé Second degré, il s’est offert un espace qui n’a pas de prix : la liberté. C’est lui cent pour cent naturel, sans filtre, sans tabous et sans contraintes de quelque sorte. C’est du El Atrassi pur suc…

Après avoir découvert Second degré, j’ai eu immédiatement envie de le rebaptiser en « Mustapha El Atrashy ». En matière de stand-up, il est sans doute ce qui se fait de mieux actuellement. Il ne s’interdit aucun sujet. Son truc à lui, c’est le cash express. Avec son débit-mitraillette et son redoutable appétit pour ce qu’il appelle « les bonnes grosses vannes », il joue et tire à bout portant devant un public qui n’est qu’à un mètre de lui. Mustapha a le cynisme jovial, la transgression jubilatoire. Riant lui-même de ses blagues, il peut sortir la pire énormité car son large sourire craquant efface tout.


Il est à l’opposé de ce qui pourrait être son clone malfaisant, un certain Mustapha El Harakiri car, lui, il n’est jamais « bête et méchant ». Au contraire, son écriture est vraiment intelligente et il n’y a chez lui aucune malveillance. Même s’il débite une légion d’horreurs, ses observations sont toutes frappées au sceau du bon sens. Virtuose de la pirouette, il possède l’art de la formule qui fait mouche. Et c’est encore mieux quand la mouche trempe dans le vinaigre ou s’il lui fait subir en se marrant les derniers outrages.
Mustapha ratisse large. Témoin futé et affûté de son temps, il parle de tout ce qui remplit notre quotidien : le portable, la province, les conseillers d’orientation, l’école, les rappeurs, la prostitution, Paris, les réseaux sociaux, les transports, la drogue, l’alcool, les minorités, les communautés, le Jihad, le célibat et la vie de couple… Rien ne rebute le rebeu et on s’en réjouit avec lui.

J’en suis aujourd’hui à me demander si les habitants de son village natal, Saint-Doulchard, dans le Cher, ne s’appelleraient pas « Les Charrieurs ». Ceci expliquerait cela.

En tout cas, vous ne prenez aucun risque à vous séparer d’un billet de 5 euros car si un rire vaut un steak, avec Second degré, vous pouvez vous pouvez vous procurer une vache entière… avec toutes les savoureuses vacheries qui vont avec…

mercredi 13 mai 2015

Les Stars font leur Cinéma

Warner Music France

J’ai lu quelques critiques dévastatrices à propose ce cet album (entre autre sur le site de L’OBS), et je ne comprends pas bien. Ou bien j’ai les trompes d’Eustache complètement anesthésiées mais, personnellement, je l’ai trouvé, à une ou deux exceptions près, parfaitement respectable. J’ai même pris un réel plaisir à l’écouter.

Passés les deux premiers titres que j’ai trouvés fades, les treize chansons qui suivent m’ont plutôt séduit. Y compris ceux qui sont interprétés par des artistes qui ne sont pas a priori ma came.
Ce qu’il faut avant tout mettre en exergue, c’est la grande qualité des arrangements et le travail très abouti des réalisateurs, David Gategno et Thiéry F (pour Loïs & Clark). Je trouve qu’ils ont vraiment bien dirigé les chanteurs en leur faisant éviter ou l’écueil du clonage karaoké ou, surtout, de tomber dans la démonstration vocale.


M. Pokora est impressionnant de douceur dans (Everything I Do) I Do It For YouLes Magic System ont apporté leur enthousiasme, leur joie de vivre dans une interprétation chaleureuse et festive de Toi et le soleil (I Can See Clearly Now)… Tout en feeling et en intensité, Corneille nous livre une version hyper veloutée et toute en retenue de I Will Always Love You
Dans We Don’t Need Another Hero, Amandine Bourgeois rivalise aisément avec Tina Turner, sachant mettre le volume juste où il faut et quand il faut sans tomber dans l’excès… Lara Fabian nous gâte avec la justesse d’une appropriation particulièrement mélodieuse et maîtrisée de Unchained Melody… Vita & Maude sont joliment complémentaires pour nous proposer une version très agréable qui tourne toute seule de Danse ta vie (Flashdance… What A Feeling)


Vincent Niclo ne s’est pas caricaturé en évitant de mettre toute la puissance dont on le sait capable dans She’s Like The Wind… Inna Modja se montre très à l’aise, façon diva de la soul, dans son exécution à la fois souple et tonique de Son Of A Preacher Man… J’ai été très agréablement surpris par le duo formé de David Carrera & Camille Lou dans (I’ve Had) The Time Of My Life.
Natasha St-Pier s’en sort remarquablement dans Don’t Cry For Me Argentina ; elle y met juste ce qu’il faut de souffle et d’intensité pour nous en restituer toute la nostalgie qui entoure ce titre… Je ne connaissais pas Corentin Grevost et j’ai réellement apprécié ce qu’il a su faire avec Oh Pretty Woman. Anggun, que j’attendais au tournant de Calling You, est une autre des jolies surprises que réserve ce CD en nous concoctant une version pleine d’émotion et de douce mélancolie… Et l’album se termine en beauté avec la voix si joliment écorchée d’Inaya (peut-être ma chanson préférée), simplement accompagnée d’une guitare, elle met beaucoup de conviction et de simplicité dans U-Turn (Lili) du groupe AaRON.

Bref, n'en déplaise à certains détracteurs, cette quinzaine d’unchained melodies est très agréable à écouter. Toutes ces musiques de films nous parlent, elles évoquent des souvenirs, des images, des acteurs et des actrices et, quitte à me répéter, elles sont remarquablement arrangées et réalisées.
Les Stars font leur cinéma, mais elles n’ont pas fait DE cinéma. On sent qu’elles se sont vraiment mises au service de chansons qui sont autant de grands standards gravés dans notre mémoire.


Olivia Moore "Mère indigne"

Théâtre Trévise
14, rue de Trévise
75009 Paris
Tel : 01 45 23 35 45
Métro : Cadet / Grands Boulevards

Ecrit par Olivia Moore
Mis en scène par Marine Baousson

Présentation : Une vie qui déborde comme un panier de linge sale, des enfants qui se roulent par terre chez Carrefour, des ados moulés dans le canapé et un mari qui plane. Ou l’inverse… Olivia Moore est une Desperate Housewife en vrai ! Elle gère tout : sa famille recomposée, son job et l’ex de son mari. Elle a toutes les qualités pour faire une mère parfaite : elle est cash, caustique, égoïste et décomplexée…

Mon avis : Et bien, voici une « Mère indigne » tout à fait digne d’intérêt… Olivia Moore réussit le tour de force de nous captiver et de nous faire rire avec un sujet on ne peut plus banalement universel : la maternité et la gestion des enfants.
La scène du Trévise est vide. Seule une chaise haute trône en son milieu, et pis c’est tout. Ça signifie qu’il va falloir l’occuper cet espace… Dès son apparition, j’ai d’abord été charmé par son timbre de voix chaud et velouté et ensuite par son joli minois souriant et ses yeux pleins de malice. Olivia Moore nous la joue nature. Elle attaque, étriers en tête, par là où tout commence : l’accouchement. Après quoi, elle n’a plus qu’à dérouler le fil de l’histoire dans l’ordre chronologique.


Olivia est une mère qui n’a pas peur de faire des vagues. Elle possède énormément d’influx (et de reflux) pour ça, son seul but étant de nous faire marée. Avec elle, pas de pathos. Les mater dolorosa, ce n’est pas son genre. Quitte à brosser un tableau, autant qu’il soit le plus réaliste possible. Inutile de pratiquer un angélisme de façade quand on est confrontée à ces (bons ?) petits diables que sont nos bambins, qu’ils soient ceux que l’on a conçus soi-même ou les pièces rapportées, paquet-cadeau-de-noce inhérent aux familles recomposées. Olivia Moore est pragmatique. Devant cette tâche aussi noble que vaine qu’est l’éducation des enfants, elle va s’efforcer de faire de son mieux tout en essayant de se préserver et de ne pas y laisser sa peau. Après tout, elle est femme tout autant que mère !

Elle dissèque les aléas du quotidien avec le recul et la dose de cynisme nécessaires à tout bon chirurgien pour éviter la dérive sacrificielle et/ou compassionnelle. Elle nous entraîne dans une plongée en abîme dans les profondeurs de la maternité, dans ces zones abyssales où il y a beaucoup d’apnée et peu d’élues… Ses ambitions étant très vite revues à la baisse, elle a compris qu’il était inutile de se lancer dans une quête illusoire de la perfection ; mieux valait se placer illico en mode survie. Elle ne va pas jusqu’à prôner la reproduction interdite, mais la prudence étant elle-même mère (de la sûreté), elle préfère prévenir avant que de devoir guérir.


Olivia Moore est très facile sur scène. Elle a vraiment une sacrée présence. A l’aise dans son corps et dans sa tête, elle bouge et elle s’exprime fort bien. Son langage est direct, avec ce qu’il faut de crudité parfois, pour bien enfoncer le clou ; elle possède un grand sens de l’image qui percute, de la métaphore explicite et de la formule qui fait mouche. Expressive, excellente comédienne, elle établit dès le départ une grande complicité avec le public. Avec un tel sujet, c’est facile car tout le monde est concerné. A priori on a tous été enfant et on est parent ou appelé à l’être. Les rires sont donc entendus… J’ai aimé aussi lorsque, à deux ou trois reprises, elle part complètement en vrille. Son grain de folie, parfaitement assumé, est une valeur ajoutée à un spectacle déjà très abouti.

Enfin, j’ai adoré la fin de son show. C’est très astucieux, formidablement intelligent, avec un clin d’œil judicieux que je qualifierais de « nanaphore ». A ce propos, puisqu’il est également question de l’ex du conjoint dans le spectacle, en paraphrasant la délicate Valérie Trierweiler, je ne peux que dire à Olivia Moore pour tout le plaisir qu’elle a eu le talent de nous procurer :
« Merci pour cette maman ! »...


Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 12 mai 2015

Open Space

Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité

Ecrit et mis en scène par Mathilda May
Avec Stéphanie Barreau, Agathe Cemin, Gabriel Dermidjian, Loup-Denis Elion, Gil Galliot, Emmanuel Jeantet, Dédeine Volk-Leonovitch

Présentation : Six employés, trois hommes et trois femmes, de ce qui pourrait être une petite compagnie d’assurance, se supportent et s’insupportent le temps d’une journée…
Tout ce petit monde s’agite dans cet espace de la rentabilité que les patrons nomment « Open Space ». Entre la photocopieuse et les pots à stylos, les ordinateurs et les sièges à roulettes, la vie de bureau de ce concentré d’humanité (presque) ordinaire n’a rien d’un long fleuve tranquille.

Mon avis : Open spasmes !
Quelle idée originale a eu là Mathilda May ! Surtout dans la forme. Evoquer la vie de bureau, c’est plutôt banal ; ça a déjà été fait, ça a déjà été vu. Mais ça n’a jamais été traité de cette façon.
Dans Plus si affinités, le spectacle qu’elle avait coécrit et interprété avec Pascal Légitimus, elle nous avait découvrir une facette de son talent que l’on ignorait : le sens de l’humour. Elle a continué dans cette voie, mais en s’attaquant cette fois à l’univers du burlesque. Avec Open Space, elle s’affirme comme le fruit des amours drolatiques qu’auraient pu avoir Jacques Tati et Mister Bean.


Mathilda May nous fait vivre une journée de bureau. Six employés lambda comme vous et moi, trois femmes et trois hommes, et un patron, vont s’ébattre devant nous dans cet espace intime et confiné. L’astuce de l’auteure et metteur en scène est d’en avoir fait une pièce sans aucun dialogue. Elle ne s’est attachée qu’à la gestuelle et aux sons. Les trouvailles abondent : borborygmes, onomatopées, bruits amplifiés, chorégraphies, et effets spéciaux propres au cinéma comme les arrêts sur image et les ralentis. En plus, en véritable chef d''orchestre, elle a introduit une vraie musicalité dans les échanges. On en prend vraiment plein les yeux et plein les oreilles.

Tout ceci concerne la forme. Mais elle a également énormément soigné le fond en brossant sept portraits d’humanoïdes « buraldiens ». Pour les caricaturer, il y a la hussarde sans-gêne, le fayot souffre-douleur, le loser suicidaire, la working girl alcoolique, le beau gosse consciencieux et la complexée enamourée (qui m’a fait furieusement penser à la mademoiselle Jeanne de Gaston Lagaffe). Et puis il y a le patron : autoritaire et ambigu, paternaliste subjectif, cruel et libidineux, mais qui possède son talon d’Achille et en souffre… Dans ce microcosme, les sentiments sont exacerbés. La nature humaine y apparaît sous tous ses aspects, des plus nobles aux plus médiocres. Nous sommes face à des gens qui nous ressemblent. Leurs attitudes et leurs réactions, tout en nous faisant rire, sont prévisibles et agissent en effet miroir.



Open Space est un spectacle vraiment original. Si l’on gomme quelques petites longueurs et quelques effets parfois opaques, on passe réellement un très, très bon moment. Il faut dire que la pièce est servie par sept énergumènes, Gil Galliot en tête, qui maîtrisent leur sujet à la perfection. Quelle inventivité ! Ils savent tout faire avec une science fascinante du geste juste. Avec eux, le qualificatif de « performance scénique » n’est pas galvaudé. 

Gilbert "Critikator" Jouin

lundi 11 mai 2015

Jean-Pierre Mocky "Le vais encore me faire des amis !"

Biographie
Cherche Midi
17 €

Jean-Pierre Mocky n’occupe pas la place qu’il mérite dans le cinéma français. Si l’on s’attarde un instant sur son impressionnante filmographie (60 longs métrages, 40 téléfilms), on s’aperçoit que, pendant plus d’un demi-siècle, il s’est toujours comporté en observateur de la société française. Il a passé son temps à zoomer sur tous ses dysfonctionnements, sur ses turpitudes, sur ses aberrations, sur ses manquements, sur ses iniquités, sur ses hypocrisies… Jean-Pierre Mocky n’a eu de cesse de mettre le doigt, et même parfois la main ou le bras tout entier, là où ça fait mal. C’est un dénonciateur chronique. Chacun de ses films aborde une thématique poil-à-gratter. Il a fustigé entre autres la bigoterie, le terrorisme, la corruption, le fanatisme sportif, l’abus de pouvoir…
Forcément impolitiquement correct et iconoclaste, il a l’indépendance viscérale, la rébellion systématique et l’indignation chevillée à l’âme. Evidemment, il est loin de plaire à tout le monde. D’autant qu’il possède une grande gueule et qu’il ne se prive pas de dire très haut ce qu’il pense.

Sa biographie, Je vais encore me faire des amis ! rassemble la quintessence de ce caractère indomptable, voire insoumis. Ce livre est savoureux car il lui ressemble en tout point. Jean-Pierre Mocky est sincère et direct, même sa mauvaise foi est honnête parce qu’elle est assumée. Dans tous ses passages télévisés, la plupart de ses interlocuteurs se sont complus à stigmatiser ses inimitiés et ses ressentiments. Or, je trouve qu’il se dégage de cet ouvrage beaucoup plus d’amour et d’amitié que d’aigreur et de méchanceté.


Jean-Pierre Mocky a écrit ce livre comme il parle. Il ne recherche pas la style, il ne s’embarrasse pas de fioritures. Il va à l’essentiel, droit au but, au plus près de l’os. Sa profession de foi est synthétisée dès la page 20 : « Moi, Jean-Pierre Mocky, étranger au monde de l’espionnage, exempt de tout délit et politiquement indépendant !... Comme Coluche, j’appartiens au cercle très restreint des artistes qui mettent les pieds dans le plat. Ennemi juré de la langue de bois, je n’ai jamais craint d’afficher mes révoltes. Ça me coûte de plus en plus cher, mais la liberté a un prix ! ». Tout est dit.

A une époque où la liberté d’expression se réduit de jour en jour telle une peau de chagrin, on a besoin de ce genre de bouffée d’oxygène. N’en déplaise aux zélateurs de tout poil, Jean-Pierre Mocky peut se montrer fier de sa carrière, de son œuvre, et surtout de ce tempérament exempt de toute servilité. Acteur, puis réalisateur, sa vie privée comme professionnelle a été d’une richesse incroyable. Sur le plan de l’amitié, il a été – à juste titre sans doute – très gâté. Il en fait des belles rencontres ! Très respectueux de ses aînés, de ses grandes figures tutélaires que sont les pionniers du cinéma français, il apparaît évident qu’il a moins d’estime pour ses pairs que pour ses grands pairs.


Mocky aime aussi fort qu’il se fâche. Mais, malgré tout, entre certaines lignes, on sent poindre un peu de nostalgie et beaucoup de tendresse. Il doit avoir un cœur qui bat plus vite et plus fort que la moyenne. D’où l’exacerbation des sentiments. Alors qu’il pourrait se contenter de ces formidables amitiés qu’il a partagées, il reste et restera toujours un éternel insatisfait. Il y a encore tant de causes à défendre, da saloperies à dénoncer, d’acteurs à diriger. Jean-Pierre Mocky fait partie de ces rares personnalités dont on voudrait que le « Moteur » ne s’arrête jamais de tourner…

samedi 9 mai 2015

Fraissinet "Live"

Live
Valensole

A ma grande honte, j’avoue que je ne connaissais pas Fraissinet. C’est un ami qui m’en a parlé, qui m’a communiqué un lien pour l’écouter et… j’ai pris une claque.
Vedette consacrée en Suisse, ce garçon de 35 ans, a écrit et composé quatre albums dont un instrumental. Il a écumé les scènes francophones et il a décroché une bardée de prix dont certains très prestigieux (Académie Charles-Cros, Sacem)… Un petit tour sur Wikipédia m’a appris qu’il avait suivi des études supérieures de lettres et fréquenté assidument le monde du cinéma… Lettres et cinéma ! Ces deux mots associés offrent une belle indication pour définir son univers musical et son écriture qui, en toute logique, est aussi léchée qu’imagée.

Nicolas Fraissinet a donné ses premiers concerts assez tardivement, puisqu’il avait déjà 25 ans lorsqu’il s’est lancé sur scène. Faisant corps avec son piano, il fait partie de la grande tradition de la grande chanson française. C’est un excellent auteur doublé d’un compositeur hyper créatif. Les sonorités qu’il tire de son instrument sont aussi riches que variées. Les quelques parties de guitare, à chaque fois judicieuses, magnifient imparablement la chanson, nous rappelant parfois les grands groupes de hard rock hyper mélodieux des années 70/80.
Les chansons ne sont jamais mièvres, jamais gratuites, jamais misérabilistes. On sent chez lui de la fierté, une énergie positive. Sous une apparente fragilité, on sent plutôt un mec solide, bien qu’il ne soit pas vraiment sorti du monde de l’enfance ou, tout du moins, aime-t-il à l’entretenir en en évoquant principalement ses rêves et ses peurs.
Il tire de la souplesse de sa voix puissante, mélodieuse et tout à fait maîtrisée des intonations rares, des inflexions qui lui permettent de jouer certaines de ses chansons à l’instar d’un comédien.


Si, comme moi, vous ne le connaissiez pas, précipitez-vous sur l’album « Live » qu’il vient de sortir. Il contient la quintessence de toute son œuvre. Dix-huit titres dont neuf inédits qui vont vous transporter dans son monde « réalisticonirique ».
Somnambule, la chanson qui ouvre cet opus, le synthétise parfaitement. Tout Fraissinet y est contenu : une voix modulable à souhait, une écriture soignée, une interprétation habitée, un refrain aérien, un climat quasi obsessionnel et un piano partenaire et complice…
Tout ce qui suit est d’un très haut niveau. J’ai aimé la douceur et la musicalité du Sourire de ma mère, l’entrain slave et festif de Fantôme, la sombre réalité de L’amour, l’ambiance apaisante du Silence, la véhémence et les ruptures d’Araignée du soir
En fait, chacun de ses chansons est construite comme un petit film.


Parmi les nouveautés, j’ai particulièrement le vaudouesque et très rythmé Je nous vois grandir, la mousseuse légèreté et les guitares musclées de L’exil du pingouin, la force lancinante et les cordes de Reviens,
Mais avec lui, l’exercice du choix et de la préférence paraît bien vain tant chaque titre possède sa personnalité, ses arrangements et ses couleurs propres.

Plus je l’écoute, plus je me dis que je prêche dans le vide, que je m’adresse à des convaincus. Il est impossible que Fraissinet soit passé inaperçu par d’autres ignares que moi. Je bats ma coulpe, mais je vais me rattraper.
D’après l’atmosphère qui se dégage de cet album Live, je suis convaincu que Nicolas Fraissinet prend toute sa dimension sur scène. Heureusement, je n’aurais pas trop à attendre pour m’en repaître car il va se produire le 11 juin prochain sur la scène de l’Européen. Un rendez-vous à ne manquer sous aucun prétexte…


vendredi 8 mai 2015

Molière malgré moi

Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Conçu et mis en scène par Francis Perrin
Lumières de Jacques Rouveyrolis
Costumes de Pascale Bordet
Son de Michel Winogradoff

Présentation : Francis Perrin nous fait revivre un Molière insoupçonné : chef d’entreprise avant l’heure, meneur d’hommes à l’énergie sans borne, auteur à l’imagination débordante, amoureux insatiable des femmes, chef de troupe affamé de création, c’est dans la vie quotidienne du « premier farceur de France » et parmi ses œuvres les plus célèbres que Francis Perrin nous rappelle que Molière, avec ses mots et avec ses maux, restera pour toujours le Patron non seulement des comédiens mais celui de tous les spectateurs du monde entier.

Mon avis : S’il y a bien un comédien qui connaît son « Petit Molière illustré » sur le bout du cœur, c’est Francis Perrin. Cette passion quasiment monomaniaque pour la vie et l’œuvre du sieur Jean-Baptiste Poquelin, il la porte en lui et l’entretient depuis plus de quarante ans. Il a joué quinze fois, et mis en scène à onze reprises. En résumé, depuis 1072, Francis Perrin a toujours eu en quelque sorte du Scapin sur la planche… Il a en outre consacré à son maître un ouvrage en 2007, Molière, chef de troupe. Un ouvrage sur lequel il s’est visiblement appuyé pour écrire ce seul en scène qui lui est entièrement dédié, Molière malgré moi.


Dans cette pièce, on s’aperçoit que Molière est un personnage ô combien romanesque. Les quinze dernières années de sa vie que Francis Perrin nous décrit avec force anecdotes, informations, détails chiffrés, sont incroyablement foisonnantes. A la fois narrateur et acteur, il passe de l’un à l’autre sans marquer de césure insufflant ainsi à son histoire un rythme impressionnant. Savoureuse schizophrénie, il raconte Molière tout en l’incarnant. Il est complètement habité, imprégné, sous influence. Virevoltant, bouillonnant, enthousiaste, enflammé, avec lui on ne risque pas de prendre Racine ou de bailler au Corneille. On est tout de suite happé et captivé à la fois par le ton effervescent de l’artiste et par son récit réaliste et imagé. Francis Perrin a la flamme savante…

Francis Perrin nous parle tout autant, sinon plus, de l’homme que de son œuvre. Côté Cour lorsqu’il évoque ses relations avec le Roi des Rois, Louis XIV, côté cœur, avec ses amours trépidantes pour les deux sœurs, Madeleine et Armande Béjart. Mais Francis Perrin va bien au-delà de tout cela. Avec le recul, j’ai l’impression d’avoir au fil de la pièce, tourné les pages d’un magazine people. Rien ne nous est caché de la Cour du Roi Soleil, de ses fastes comme de ses turpitudes. Molière a été encensé et adulé à l’aune des jalousies qu’il a suscitées et des calomnies qu’il a provoquées. Il a été trompé autant qu’il a aimé. Il a été trahi plus que quiconque par des « collaborateurs » en qui il avait accordé confiance et amitié. Bref, il a pris autant de coups que de caresses. Toujours côté « people », Francis Perrin a saupoudré son Molière malgré moi de name dropping : outre les nobles qui gravitent autour du Roi, il cite ses collègues dramaturges, ses acteurs et actrices et ses meilleurs copains comme Boileau, La Fontaine ou Mignard. Excusez du peu, mais ça a de la gueule sur le plan de la notoriété !


Culotte rouge, chemise et bas blancs, souliers rouge et noir à talon et à boucles, Francis Perrin porte la panoplie avec aisance et naturel. Sur le plan de la générosité, il n’est pas « avare ». Débit saccadé avec force gestes à l’appui, il joue avec les ruptures et les silences. Cette arythmie voulue éveille et alimente judicieusement notre intérêt tout au long de la pièce. Il glisse même malicieusement quelques apartés pleins d’autodérision, allant même jusqu’à s’autoriser quelques anachronismes fort réjouissants. Complètement conquis par la charge passionnelle que Francis Perrin met dans son discours, j’ai vécu un grand moment de théâtre. C’était Molière lui-même qui évoluait devant moi. Cet « Impromptu » de la Gaîté Montparnasse est un pur régal. On comprend que, pour l’auteur-acteur, écrire et interpréter cette pièce était une nécessité viscérale. Depuis le temps qu’il portait son Molière en lui, il était grand temps qu’il en accouchât. N’en déplaise aux Fâcheux, le bébé est aussi beau que vigoureux.


Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 5 mai 2015

Le Talent de mes amis

Réalisé par Alex Lutz
Ecrit par Alex Lutz avec la collaboration de Tom Dingler et Bruno Sanches
Musique de Vincent Blanchard et Romain Greffe
Avec Alex Lutz (Alexandre Ludon), Bruno Sanches (Jeff Cortes), Tom Dingler (Thibaut Redinger), Anne Marivin (Carole ), Audrey Lamy (Cécile), Julia Platon (Helen), Sylvie Testud (Stéphane Brunge) et avec la participation de Jeanne Moreau…

Sortie le 6 mai 2015

Synopsis : Alex et Jeff, collègues de bureau dans une multinationale, sont aussi les meilleurs amis du monde depuis le lycée. Avec leurs femmes respectives, ils forment ensemble presque une famille qui se fraye un chemin dans la vie, tranquillement, doucement, sans grande ambition. Pourtant, l’arrivée de Thibaut, conférencier et spécialiste en développement personnel, ne va pas tarder à mettre à mal leur équilibre pépère. Et pour cause, Thibaut est un ami d’enfance d’Alex. A l’époque, ces deux là, super complexées et toujours mis à l’écart dans la cour de l’école, s’étaient promis de réussir leur vie, coûte que coûte. Aujourd’hui, le beau et brillant Thibaut semble avoir tenu sa promesse. Il pousse Alex à réaliser ses rêves au risque de perdre l’amitié de Jeff…

Mon avis : Fan de la première heure d’Alex Lutz, j’étais sincèrement avide de découvrir de quelle manière il allait projeter son univers déjanté sur grand écran, un exercice qui n’a rien à voir avec le seul en scène.
Et bien, je dois avouer qu’il m’a fait très peur l’Alex. Les vingt premières minutes de son film me voyaient m’agiter sur mon siège avec une envie grandissante de quitter la salle. Les regards inquiets que j’échangeais avec ma voisine ne faisaient que confirmer mon malaise… Je comprenais parfaitement que cette introduction avait pour utilité de nous faire faire connaissance avec les sept principaux protagonistes de l’histoire, mais c’était trop gentillet, trop superficiel et, surtout d’un humour trop potache. Nous sommes confrontés à des grands gamins immatures qui subissent avec insouciance toutes les nuisances du quotidien, de la routine et le stress de la vie parisienne. Alex et Jeff sont sympathiques, leurs compagnes sont très complices avec eux, mais tout cela manque de consistance. Nous sommes dans l’écume et les blagounettes peinent à nous étirer un léger sourire. On commence à se dire que le costume de réalisateur est encore un peu trop large pour le sieur Lutz.


Et puis, soudain, un deuxième film commence à prendre forme. On se recale dans le fauteuil et notre intérêt pour la suite de l’histoire ne fait que croître. En fait, débarrassés de toutes les scories liminaires, les personnages prennent peu à peu de l’épaisseur et le film son essor… Enfin, Fiat Lutz !
Pour faire simple, Alex se révèle bien meilleur lorsqu’il s’agit de faire sourdre l’émotion. Les comédiens dévoilent une toute autre palette de jeu. On prend dès lors part à leurs malheurs, à leurs affres, à leur fragilité. On est vraiment touché car, alors seulement, ils deviennent comme nous. Ils n’ont plus des comportements de sales gosses irresponsables, mais ils sont confrontés à de vrais problèmes existentiels.


J’ai donc vu deux films en un. Heureusement, la meilleure partie dure plus longtemps que la plus inconsistante, si bien que l’on quitte la salle avec un bilan dans l’ensemble positif. Le charme du Talent de mes amis, c’est qu’il concentre toutes les faiblesses d’un  premier film. Il est si plein de naïveté qu’on ne peut que se montrer indulgent.
Et puis, surtout, il est réellement sauvé par la qualité des comédiens. Ils sont tous vraiment bons. J’avais vu plusieurs fois Alex Lutz sur scène, j’avais découvert et apprécié Bruno Sanches au théâtre dans André le Magnifique, Dernier coup de ciseaux et Ladies Night et je suis régulièrement leur ineffable duo de Catherine et Liliane, ils m’ont aisément confirmé tout le bien que je pensais d’eux. En revanche, la belle surprise est venue de Tom Dingler, vraiment épatant dans le rôle complexe de Thibaut. Il est aussi performant en coach gommeux et arriviste qu’en pauvre type redevenu humain lorsque les aléas du sort l’obligent à se débarrasser de son vernis.
Anne Marivin, formidable dans son long monologue, Audrey Lamy excellent de bout en bout et Sylvie Testud qui prouve qu’elle peut se permettre quelques incursions dans la loufoquerie et le second degré, sont toutes trois impeccable. Et puis, il faut souligner l’exquise qualité et la justesse du jeu de Jeanne Moreau dont les deux apparitions sont absolument marquées du sceau de la grande classe. Bonjour l’émotion.


En conclusion, lorsqu’on a franchi le cat des vingt premières minutes, Le Talent de mes amis, est un film qui se laisse regarder sans déplaisir parce qu’il est servi par de délicieux comédiens. Le paradoxe que l’on peut en tirer c’est qu’Alex Lutz s’avère meilleur dans l’émotion que dans l’humour pur. Je suis convaincu que, fort de cette première expérience, lorsqu’il n’aura plus ce désir ardent de tout mettre dans un film, donc trop, il va être bien plus efficace. Je prends le pari…

samedi 2 mai 2015

Marie-Antoinette et le Chevalier de Maison Rouge

Polydor / Universal Music

Passionné d’Histoire, Didier Barbelivien prépare pour la rentrée 2016 un spectacle musical intitulé Marie-Antoinette et le Chevalier de Maison Rouge. A l’instar de Vendée 93, sorti en 1992, dans lequel il s’était inspiré d’un roman de Victor Hugo, il a puisé cette fois dans l’œuvre d’Alexandre Dumas.
Adepte d’une stratégie qui a déjà fait ses preuves à maintes reprises par le passé, le prolifique auteur-compositeur a décidé d’en sortir l’album plus d’un an avant sa réalisation sur scène. Ainsi, les principaux extraits diffusés sur les ondes auront-ils eu pour effet de séduire et de fidéliser le public.
Le Chevalier de Maison Rouge, le roman de Dumas, qui fourmille de péripéties, constitue un formidable terreau pour glaner les éléments essentiels à un scénario on ne peut plus épico-romantique. Deux histoires d’amour qui s’entrecroisent à l’ombre de la guillotine, c’est vraiment inspirant. Didier Barbelivien avait ainsi largement de quoi s’inspirer pour broder à l’envi autour de cette dramatique. Comme il le présente lui-même, il n’a fait que « traduire la légende en chansons ».

Le CD qui vient de sortir donne plus qu’un aperçu du spectacle à venir. Les dix-sept titres qui le composent sont tous amenés par une brève présentation historique. Cette narration a été judicieusement confiée à Stéphane Bern. Avec sa diction et son ton si particuliers, il lui apporte une forme de grandiloquence légèrement surannée, mais qui lui va si bien.
Bien sûr, toutes ces chansons ne produisent pas sur nous le même effet. Certaines, qui peuvent nous paraître un peu fades à l’écoute, risquent d’être magnifiées en étant interprétées sur scène.
En attendant, je me suis contenté de m’en tenir au simple rôle d’auditeur sans essayer de projeter ou de matérialiser quoi que ce soit. Je ne me suis laissé porter que par des chansons… Mon hit parade « marie-antoinettesque », évidemment subjectif mais totalement honnête, se présente ainsi :
-          1/ Tu penses à elle.
-          2/ Marie-Antoinette.
-          3/ Mon fils, mon Roi.
-          4/ L’amour secret.
-          5/ La Terreur citoyen.
-          6/ Trahir par amour.
-          7/ La noblesse.


A priori, tous les interprètes de ces chansons seront les personnages du spectacle. Kareen Anton incarnera Marie-Antoinette, Didier Barbelivien le Chevalier de Maison Rouge, Mickaël Miro Maurice Lindet, Slimane jouera Lorrin, Valentin Marceau Martin, chanteur des rues, et Aurore Delplace Geneviève.

Ce casting est vraiment d’excellente qualité. Mickaël Miro, Kareen Antonn et, encore plus, Didier Barbelivien, ne sont plus à présenter. Tous les trois assurent remarquablement. En revanche, je connaissais moins les trois autres principaux protagonistes de cette épopée musicale. J’ai été particulièrement emballé par la voix de Slimane. Que ce soit en solo (La terreur citoyen, Marie-Antoinette) ou en duo (Tu penses à elle), il possède une vraie identité vocale. Quant à Valentin Marceau, je l’ai trouvé épatant dans sa façon joliment ironique d’interpréter La noblesse. Il a le ton juste et la distance nécessaire pour savoir mettre l’intention là où il faut. On sent en lui une dimension de comédien… En revanche, j’avoue que j’ai un peu de mal avec la voix trop ténue, trop aigue, d’Aurore Delplace. Heureusement, grâce à son joli minois, son aisance et sa tonicité, je suis convaincu qu’elle sera parfaitement à son affaire sur scène.

vendredi 1 mai 2015

Cats

Théâtre Mogador
25, rue de Mogador
75009 Paris
Métro : Trinité / Havre-Caumartin / Auber

A partir du 1er octobre 2015
Billetterie : 01 53 33 45 30

Musical composé par Andrew Lloyd Weber
Mis en scène par Trevor Nunn
Chorégraphies de Gillian Lynne
Adaptation française de Nicolas Nebot et Ludovic-Alexandre Vidal
Avec, dans le rôle de Grizabella, Prisca Demarez

Auréolé d’awards en tous genres, le spectacle musical Cats, créé à Londres en 1981, a déjà été applaudi par plus de 73 millions de spectateurs à travers le monde.
Après un premier passage à Paris - et en français - en 1989, il sera de nouveau à l’affiche à partir du 1er octobre prochain. Fin avril, un show case nous a permis d’en découvrir les grandes lignes. Ce qui m’a le plus époustouflé c’est l’extraordinaire qualité et variété des costumes et des maquillages. Les minettes sensuelles et les matous athlétiques surgissant dans les travées et s’arrêtant à quelques centimètres de nous m’ont permis de le vérifier de près. C’est véritablement impressionnant.
Ensuite, nous avons eu droit à quelques chorégraphies exécutées par la troupe anglaise venue spécialement de Londres pour nous donner un aperçu particulièrement alléchant du spectacle sous les yeux mêmes de la grande prêtresse de la danse, Gillian Lynne. Cette respectable dame de… 89 ans, habillée et bottée comme une jeune femme, s’est révélée pleine d’allant et dotée d’un humour typically British.
On peut s’attendre avec ce musical à un très haut niveau de performance dans tous les domaines.



Bref, tout ce que l’on nous a donné à voir était réellement marqué du sceau de la perfection. Je n’ai, personnellement, qu’un seul petit bémol à adresser (bémol parce qu’il s’agit de chanson) : j’ai trouvé que l’interprétation du tubesque et standardissime Memory par Prisca Demarez était beaucoup trop dans la démonstration au détriment de l’émotion. On le sait qu’elle a de la voix, pas besoin de chercher la performance à tout cri. L’enchantement escompté a fait place à l’agression. J’en ai encore la trompe d’Eustache toute recroquevillée dans sa cavité… Mais je pense que d’ici le 1er octobre tout cela sera réglé.

Ben "Eco-responsable"

Comédie de Paris
48, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 42 81 00 11
Métro : Blanche
Tous les jeudis à 21 h jusqu’au 4 juin

Ecrit et mis en scène par Ben et Thibault Segouin

Présentation : « Eco-responsable » est un spectacle qui relance l’économie, atténue le réchauffement climatique et vous redonne foi en l’avenir.
Tout ça avec de l’humour, mais pas seulement, de la musique, mais pas tout le temps, et peut-être même de la poésie, mais c’est pas sûr…

Mon avis : Une fois encore, Ben nous propose un seul en scène à nul autre pareil. Un spectacle qui, sans surprise, se montre à la fois décapant, politiquement incorrect, non conformiste, et qui titille délicieusement nos zygomatiques. Mais Eco-responsable n’est pas que cela… Celui que les exégètes de l’humour ont pompeusement qualifié de « Roi de l’Absurde » et qui n’hésite pas à s’en rengorger sans la moindre pudeur, nous gratifie néanmoins d’une prestation particulièrement réjouissante qui, peu ou prou, justifie sa couronne.

Après un début très « ampoulé », Ben, pantalon anthracite, chemise blanche et cravate bariolée, nous entraîne insidieusement dans son univers gentiment lunaire et viscéralement décalé dans lequel le réalisme n’a strictement rien à faire. Quoi que… Comment ce type à la dégaine un peu paresseuse, qui passe son temps à s’interroger à voix haute, réussit-il la performance de saupoudrer son non-sens chronique d’une logique imparable ? Lui seul en possède la réponse. Ben est un pratiquant hors pair des affirmations contradictoires, des digressions gigognes alambiquées, des associations contre nature, des ruptures imprévisibles et des images saugrenues. Ça frise carrément l’intégrisme… Et même ses silences sont drôles !


Ainsi qu’il existe une grande variété de haricots verts – des fins, des très fins et des extra fins -, Ben appartient incontestablement à cette troisième famille. Il se déguste sans faim, mais avec une extrême gourmandise. J’avoue qu’en allant vérifier la description de « haricot vert » dans le dictionnaire, j’ai constaté que je me fourvoyais. Comparaison n’est pas raison car j’y ai découvert que ce légume était… « une gousse immature » ! Ce qui n’est absolument pas le cas de cet individu qui, non seulement affirme son hétérosexualité, mais qui s’avère en outre être de sexe masculin. Gousse lui ? Je me gausse ! Quant à l’immaturité, on peut à la limite la lui accorder car on sent qu’il encore du mal à se débarrasser d’un certains côté sale gosse… Mais fermons cette parenthèse totalement superfétatoire pour étudier plus attentivement ce spectacle.

Ça pourrait ressembler à du grand n’importe quoi alors que c’est parfaitement maîtrisé et remarquablement écrit et interprété. En gros, c’est du décousu main. Un humoriste qui réussit à placer dans son texte des mots comme « métonymie », « synecdoque » et à consacrer un chapitre sur l’existence du « tilapia » mérite le plus profond respect. En voici un, au moins, qui ne se moque pas de son public. Quoi que… Partir de la protection de l’environnement (histoire de justifier le titre de son spectacle) pour finir en narrant son changement d’opérateur téléphonique en passant par la vie en entreprise, les salons de massage, le frelon asiatique et sa vie de débauche quand-il-était-jeune, ça tient du parcours accidenté d’un jeu de l’oie diabolique. Il faut une sacrée dose de virtuosité pour nous passionner avec des histoires qui sont la plupart du temps d’une affligeante banalité. On prend un plaisir incommensurable à se laisser mener par le bout du nez sur des chemins inattendus et riches en surprises en tous genres. Nous sommes un peu comme ces enfants qui se laissèrent charmer par le Joueur de flûte de Hamelin. Sauf que le gouffre dans lequel nous entraîne ce guide facétieux est un gouffre empli de rires.
En effet, grâce à toi, qu’est qu’on rit… Oncle Ben !


Gilbert « Critikator » Jouin