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mercredi 24 avril 2019

Anne Roumanoff "Tout va bien !"


L’Olympia
28, boulevard des Capucines
75009 Paris
Tel : 08 92 68 33 68
Métro : Madeleine / Opéra / Auber

En tournée jusqu’au 18 juin 2020

Seule en scène écrit et interprété par Anne Roumanoff

Présentation : Anne Roumanoff revient avec un tout nouveau spectacle : « Tout va bien ! »
Tout va vraiment bien ? Au menu, les réseaux sociaux, Emmanuel Macron, le politiquement correct, les femmes divorcées, la start-up nation, les sites de rencontres, le culte de l’apparence…

Mon avis : A chaque fois que j’assiste à un spectacle d’Anne Roumanoff – et je pense les avoir pratiquement tous vus -, il me vient, pour en parler, l’irrésistible réflexe de paraphraser Paul Verlaine : « Une femme qui n’est chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre »… En effet, à chacun de ses seule en scène, Anne Roumanoff réussit à se renouveler intégralement sans pour autant changer de style et de ton. Bien sûr, elle a évolué, elle évolue et elle évoluera toujours car elle est un témoin curieux et avisé de son temps. Cette stakhanoviste d’Internet et des réseaux sociaux passe une grande partie de ses nuits sur la Toile à fureter, à s’informer. C’est dans cette actualité effervescente qu’elle puise une grande partie des nouveaux thèmes qu’elle va aborder.



 Alors qu’en est-il de ce millésime 2019 qu’elle a intitulé « Tout va bien ! » ? La présence d’un point d’exclamation n’est pas anodine. Personne n’est dupe, et surtout pas elle. Elle pratique bien sûr effrontément la Méthode Coué. Chez elle, la malice est une seconde nature. Elle possède cet incomparable talent de traiter des sujets qui, lorsqu’elle les évoque, nous sautent aux yeux comme des évidences mais qui, une fois passés au prisme de son regard satirique et impertinent, se métamorphosent en une succession de traits d’esprit et de situations hilarantes.

Premier choc lors de son apparition, « La Dame en Rouge » n’a gardé de sa panoplie scénique que les chaussures ! Ce changement de tenue est tout un symbole, un véritable tournant même dans sa carrière. Il signifie en réalité plusieurs choses : d’abord Anne n’a plus besoin de se cacher derrière l’artifice d’un costume écarlate pour être elle-même ; sa notoriété, validée depuis nombre d’années par la reconnaissance du public, se suffit à elle-même. Ensuite, elle a changé de statut social. Elle l’annonce d’ailleurs fièrement dès son entrée en scène : elle a divorcé ! Elle est donc redevenue une femme libre et se trouve, comme elle le formule de façon volontairement triviale, de nouveau « sur le marché »… Evidemment, cette situation est génératrice de nouvelles expériences et, partant, de nouvelles sources de sketchs.


Tout va bien ! est un spectacle remarquablement structuré. Il se divise en neuf thèmes. Neuf thèmes qui comportent chacun une introduction, un développement et, systématiquement, une chute. C’est très efficace car chaque chute étant ponctuée d’un noir (c’est à dire que la scène s’éteint), on sait qu’on va passer à un sujet différent… Pas question de déflorer le contenu de ce spectacle. Pendant près de deux heures, sans aucun temps mort, Anne dévide le fil rouge des neuf pelotes humoristiques qui constituent la trame de son spectacle. Elle parle ainsi successivement des réseaux sociaux et décrypte les nouveaux mots qui en découlent, des Gilets jaunes, d’Emmanuel Macron, du « politiquement correct », du féminisme, de la vie de couple, des sites de rencontres, des nouvelles technologies adaptées à la boucherie de Liliane et Jean-Claude, des relations ados-parents…

Pour éviter la moindre redondance, elle créée habilement quelques ruptures. Elle interprète un rap, se livre à une consultation de voyance avec un spectateur qu’elle fait monter sur scène, récite une fable et, évidemment, épisode très attendu, elle consacre un bon moment à sa fameuse « Radio Bistro ». L’actualité actuellement complètement folle, lui fournit de quoi nous offrir un véritable feu d’artifice.

Personnellement, tout m’a plu dans ce nouveau spectacle. Néanmoins, l’amoureux des mots que je suis, a été particulièrement enthousiasmé par sa fable qu’on pourrait intituler « Les poulettes et le cochon ». J’ai de même beaucoup goûté sa jolie métaphore jardinière dans le troisième sketch, apprécié la leçon de vulgarisation de Liliane sur les nouvelles technologies et savouré sa virtuosité de chansonnière dans la séquence « Radio Bistro ». J’ai trouvé par exemple sa comparaison entre le prix du litre d’encre d’une cartouche d’imprimante et celui d’un parfum Chanel particulièrement brillante et édifiante.


Bref, Anne Roumanoff a atteint désormais un niveau qualitatif indiscutable. Très exigeante, elle peaufine tellement ses textes qu’il ne reste aucune scorie, aucune fioriture. Elle ne garde que l’essentiel. Assistée de Jean-Claude, Liliane enlève tout le gras superflu et gratte ses sujets jusqu’à l’os pour ne mettre à l’étalage que des morceaux de choix… Elle possède un sens infaillible de la formule, a l’art de faire jaillir ça et là de superbes fulgurances et, surtout, elle est d’une logique et d’un bon sens imparables, ce qui rend ses propos d’autant plus réjouissants pour le plus grand nombre.

Je suis sincèrement très admiratif à la fois de son écriture et de son jeu de scène. Elle serait musicienne, on dirait qu’elle est une remarquable ACI, auteure-compositrice-interprète. Cela fait déjà plusieurs spectacles qu’elle est à l’acmé de son talent. Mais pour obtenir un tel niveau et s’y maintenir, il ne faut jamais occulter ce que cela induit de rigueur et de travail…

Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 25 février 2019

Elodie Arnould "Future grande ?"


Apollo Théâtre
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 01 43 38 23 26
Métro : République

Vendredi et samedi à 20 h 00

Seule en scène écrit et interprété par Elodie Arnould


Présentation : C’est en étant confrontée aux rendez-vous administratifs, aux collègues de bureau, à la vie de couple et aux enfants (des autres), qu’Elodie se rend compte que, malgré son âge, elle n’est pas complètement adulte, une femme ; une Grande quoi.
Alors elle vous invite dans son monde où elle rêve… Elle rêve d’avoir la classe ; d’être une artiste, une révolutionnaire, d’être LA FEMME accomplie qui gère tout en restant glamour.

Mon avis : En fait, tout est contenu dans le titre et dans le pitch de présentation. Elodie Arnould se pose la question, Future grande ?, et rêve d’acquérir au plus tôt le statut d’adulte. Pour ce second vœu, elle a évidement conscience d’être freinée par son aspect physique. Elodie est un petit modèle. Elle appartient à la famille pimpante et mignonne des tanagras malgaches (définition de « tanagra » : jeune femme remarquable par sa grâce et sa finesse)… Mais, en plus de la grâce et de la finesse, Elodie déborde d’une énergie explosive.
On voit tout de suite que la scène est son élément. Elle y est très à l’aise, bouge tout le temps, elle possède un visage hyper mobile et expressif et elle a l’art d’établir le contact avec le public.


Future grande ? a les avantages et les inconvénients d’un premier spectacle. C’est plein de fraîcheur, de candeur, de générosité ; il y a quelques jolies formules (« Je fais tellement jeune que mon médecin est un pédiatre »), de bonnes observations sur la vie de bureau, ses codes, ses rituels et les relations entre collègues ; des témoignages plutôt savoureux sur les rapports mère-fille et hommes-femmes ; quelques pensées philosophiques qui donnent à sourire ; des parodies chantées bien troussées... Il y a aussi un numéro de danse particulièrement bien amené et les chorégraphies qui le suivent constituent à chaque fois des ruptures visiblement appréciées par les spectateurs.

Mais, en même temps, c’est encore tendre et léger, voire même parfois très potache. Nombre de blagues, un tantinet éculées, appartiennent au registre des copains-copines qui se vannent à la sortie du lycée. Mais ce que j’ai le moins aimé, c’est sa propension, surtout dans la deuxième partie du spectacle, à s’aventurer dans le domaine de la grivoiserie. Et je n’ai franchement pas goûté la fin, trop sous la ceinture. Ses métaphores « couillonnes » et sa danse si exclusivement féminine ne m’ont pas fait rire.


Elodie Arnould est sympathique et chaleureuse. Elle a un potentiel indéniable. Je pense, mais cela n’engage que moi, que si elle trouve quelqu’un qui l’aide à muscler son propos et à le tirer vers le haut, elle pourra atteindre ce palier qui lui ouvrira la porte de la maturité. Il y a actuellement de nombreuses femmes humoristes. Le niveau est très élevé. Si elle veut rejoindre le peloton des « grandes » - et elle en a la capacité – il lui faut concentrer ses efforts sur le texte. Elle possède déjà trois énormes atouts : elle a une formidable présence, c’est une bonne comédienne et elle est attachante. Il ne lui reste plus qu’à se forger une personnalité qui soit originale.

Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 2 février 2019

Elisabeth Buffet "Obsolescence programmée"


Théâtre du Marais
37, rue Volta
75003 Paris
Tel : 01 71 73 97 83
Métro : Arts et Métiers

Seule en scène écrit et interprété par Elisabeth Buffet
Mis en scène par Nicolas Vital
Direction artistique : Jarry

Présentation : « Les temps changent… Ne pouvant plus capitaliser sur un physique en faillite, je mise sur un charme intellectuel pour vous régaler de mes débauches oratoires, de mes libertinages lexicaux. Je suis heureuse de vous présenter mon nouveau spectacle : Obsolescence programmée » (Elisabeth Buffet)
Avec ce spectacle, Elisabeth Buffet se livre et nous délivre sa vision très personnelle de notre temps. A l’aube de ses 50 ans, elle assume tout, s’affranchit des conventions avec humour, enthousiasme et esprit. C’est une Elisabeth Buffet renouvelée mais fidèle à elle-même qui s’offre à nous. Une bouffée de liberté jouissive qui fait du bien.

Mon avis : Après deux spectacles tonitruants et résolument croustillants, Elisabeth Buffet a voulu dresser son état des lieux. Avec Obsolescence programmée, elle analyse son présent tout en jetant dans son rétroviseur un regard à la fois ironique et nostalgique.
Elisabeth Buffet s’est carrément mise au défi d’écrire la légende de son demi-siècle. Dans ce nouveau spectacle, on retrouve certes le personnage exubérant et haut en couleur qui a fait son succès, et pour lequel on s’est déplacé, mais on découvre aussi une nouvelle facette de son talent : l’écriture. Dans ce seule en scène, l’auteure s’est brillamment hissée au niveau de la comédienne.

Photo : Julien Benhamou

Prise d’une irrépressible envie de poéter, Elisabeth Buffet ouvre son spectacle avec une superbe tirade en alexandrins sur le temps qui passe puis, toujours sur ce même thème, elle enchaîne avec un slam particulièrement réjouissant. Déjà, on est séduit par la qualité de l’écriture de ces deux exercices. Le vocabulaire est riche, imagé, évocateur ; les formules, toujours aussi percutantes, font mouche à chaque fois.

Photo : Julien Benhamou

Cinquante ans peut-être, mais toujours sale gosse. Consciente qu’on ne pourra jamais réparer du temps l’irréparable outrage (« J’ai renoncé à faire jeune »), elle accepte de se résigner et d’accepter sa décrépitude physique mais, fidèle à son tempérament viscéralement rebelle, elle se cabre et veut encore essayer de se livrer au doux jeu de la séduction. Et de nous narrer avec force détails ses tentatives pathétiques d’allumer le mâle. Evidemment, ces efforts seront vains et Elisabeth va rester misérablement « seule dans sa culotte ». Telle la chèvre de Monsieur Seguin, elle aura lutté ; mais lorsque le petit jour arrive, elle voit enfin clair et se détermine à remiser sa libido dans le coffre de ses souvenirs. Les chants désespérés étant les chants les plus beaux, elle va traduire son marasme avec lyrisme.

Photo : Julien Benhamou

Elisabeth Buffet assume sa schizophrénie sémantique. Elle aime autant les gros mots que les beaux mots. Du coup, « bite » cohabite avec « cénobite ». Dans son texte surgissent des termes rarement utilisés dans un spectacle d’humour. Le langage est châtié, le ton est délicat. Et puis, son côté provoc’ resurgit. Le fait d’être convaincue d’avoir atteint sa date de péremption, la rend misanthrope et asociale. Etablissant un parallèle avec ses propres 13 ans, elle ironise sur les comportements des ados d’aujourd’hui immergés entre autres dans un monde virtuel. Puis, allez savoir pourquoi, elle s’acharne sur la ville bourguignonne de Montceau-les-Mines ; parenthèse pittoresque émaillée d’exemples savoureux.


Ce spectacle passe comme une obsolète à la poste tant il est complet. Lorsque la qualité textuelle se met au diapason de la puissance du jeu, on frise la perfection. En auteure de sainteté, Elisabeth met tous ses dons d’actrice au service de ses mots. Ses postures, sa démarche extravagante, ses gestes désordonnés, son visage incroyablement expressif, ses mimiques… bref, tout son éventail créatif est utilisé pour notre plus grand bonheur. Aujourd’hui, Elisabeth Buffet est vraiment au sommet de son art. Elle est très loin d’avoir atteint son obsolescence artistique.

Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 27 décembre 2018

Florence Foresti "Epilogue"


Le Zénith Paris-La Villette
211, avenue Jean Jaurès
Parc de la Villette
75019 Paris
Tel : 01 44 52 54 56
Métro : Porte de Pantin / Porte de la Villette

Jusqu’au 31 décembre
Au Paradis Latin du 14 janvier au 16 avril 2019 (lundi et mardi)
Puis en tournée

Mon avis : Le nouveau spectacle de Florence Foresti après trois ans d’absence s’intitule « Epilogue ». Pris dans son sens brut, ce titre alerte. Florence Foresti nous annoncerait-elle « la conclusion » (Petit Larousse) de son histoire d’amour avec son public ? Même en nous proposant elle-même deux définitions, elle s’évertue à nous laisser dans le flou, le flou artistique bien sûr :
Epiloguer : S’ingénier à faire des critiques par le détail, faire des commentaires longs et superflus.
Epilogue : Dernière partie d’une œuvre.
A la fin du spectacle, on est (presque) rassuré. Florence a passé une heure et quart à « épiloguer », c’est-à-dire à « critiquer » et à « commenter », un exercice dans lequel elle excelle… Pourtant, à un moment, elle s’attarde sur ce titre pour le moins inquiétant. En fait, elle l’a choisi en manière d’exorcisme. A plusieurs reprises, elle revient sur son (grand !) âge, 45 ans… C’est quand même loin d’être l’âge de la retraite ! D’autant plus qu’elle se reconnaît « en pleine forme ». En nous faisant craindre une fin, elle se rassure. C’est son côté gentiment parano.


Une chose est certaine : en dépit de son âge "canonique", Florence Foresti est au sommet de son art. Epilogue est d’une efficacité redoutable. Elle occupe la scène avec une formidable maestria. LA Foresti est unique. Que ce soit sur le plan de la gestuelle ou sur celui des expressions, elle n’a pas d’égal(e). La moindre de ses attitudes, la moindre de ses mimiques sont d’une force comique incomparable. Elle est véritablement cartoonesque… Mais Florence, ce n’est pas que cela. Au-delà de la démonstration physique et de sa science de la pantomime, il faut prendre en compte ce qu’elle nous raconte. Sans jamais appuyer le trait, elle aborde des thématiques qui ont du fond, qui nous donnent à réfléchir. Loin de s’ériger en donneuse de leçon, elle se complaît à disséquer et à analyser les petits sujets de société qui ponctuent notre quotidien.

Après avoir effectué une entrée digne des plus grandes divas de la chanson américaine, rien que pour le plaisir de la parodie, elle se lance sans plus de cérémonie dans un stand-up ininterrompu. La boîte à vannes est ouverte. Pas une seconde de répit. Florence est cash. Elle a la franchise impertinente. Elle nous assène en préambule toute une série de vérités sur sa façon d’appréhender sa relation avec son public, son rapport avec l’argent. Une fois cette page tournée, elle attaque les différents thèmes qui l’ont interpellée, nous livrant au gré de sa fantaisie ses états d'âme comme ses états dame.
Sans coup férir, chaque coup fait rire... Elle s’en prend à l’invasion de la « culture » américaine, s’offre une petite parenthèse un tantinet scato, revient malicieusement sur la privation de nos smartphones durant son spectacle, s’attarde sur ses différentes coupes de cheveux, nous narre par le menu sa passion irrépressible pour Ikéa, surtout le dimanche matin… Et puis, elle enfourche un de ses chevaux de bataille favoris : les relations homme-femme et la parité ; ensuite, après avoir abordé les réseaux sociaux, elle se confie sur des sujets bien plus personnels comme la fréquentation de l’Hôpital Américain, l’alcool, la cigarette et… la mort. C’est tout de même gonflé de nous faire rire avec ce thème. Un thème qu’elle développera d’ailleurs en « épilogue » de son spectacle…


Florence Foresti est toujours aussi performante, aussi percutante, aussi audacieuse. Elle traite de lieux communs, de faits banals, mais toutes ses constatations, marquées du sceau du bon sens et de son sens suraigu de l’observation, elle a une façon unique de les raconter. Ses formules sont imparables, incisives, les images qu’elle utilise sont confondantes de drôlerie, elle se moque de tout et de tous, et surtout d’elle-même. Florence est une sacrée performeuse. J’adore comme elle bouge, comme elle occupe l’espace, comme elle joue avec ses deux meilleurs partenaires : son corps et son visage. Bref, ce nouveau seule en scène est un pur régal et je suis convaincu que cet Epilogue aura encore de nombreuses suites…

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 13 avril 2018

Madame Marguerite


Théâtre de Poche Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse
75006 Paris
Tel : 01 45 44 50 21
Métro : Montparnasse-Bienvenüe

Ecrit par Roberto Athayde
Mise en scène par Anne Bouvier
Lumières de Denis Koransky
Costumes d’Elisabeth Tavernier
Décors d’Emmanuel Charles

Avec Stéphanie Bataille

Présentation : Institutrice de CM2 atypique, Madame Marguerite se sent investie d’une mission vitale : vous apprendre l’essentiel de l’existence. Vous prenez place dans la salle de classe de cette femme généreuse, déterminée et parfois un peu folle. Son cours est complètement baroque, tour à tour absurde, tragique, cynique et comique. Vous n’avez pas le temps de vous remettre de vos émotions tant Madame Marguerite vous fait rebondir d’une pensée à l’autre.
Bienvenue dans le monde poétique, vertigineux et drôle de Madame Marguerite.

Mon avis : Pendant une heure, je vous l’assure, j’ai eu 10 ans ! A partir du moment où Madame Marguerite a posé son regard acéré sur moi, je me suis senti comme un petit garçon vivant son premier jour en CM2.
Quels enseignements, si jeune et si influençable, aurais-je tirés de cette heure de cours si intense, si riche et aussi si déstabilisante ? Je pense que c’est une question de caractère(s). Un gamin curieux et suffisamment pragmatique, donc apte à faire le tri, en eût tiré sans aucun doute énormément de connaissances. En revanche, la petite tête blonde un tantinet fragile et impressionnable, en serait ressortie avec un dangereux blocage.


C’est qu’elle est spéciale cette institutrice. C’est une missionnée, une intégriste du savoir. Elle est visiblement avide de transmettre, mais elle s’y prend de façon tellement imprévisible qu’elle fait en permanence souffler le chaud et le froid. Méticuleuse, maniaque, exigeante, tyrannique, elle estime que c’est en choquant et en provocant qu’elle pourra d’une part, faire mieux passer ses messages et, d’autre part, mieux aiguiser les esprits. Sa ligne de conduite est une ligne brisée. En un quart de seconde, en fonction de ses sautes d’humeur, elle passe de l’excellence à la mesquinerie, de l’amabilité à la brutalité, de la poésie à la trivialité. Cette femme est schizophrène. Son désir de bien faire est régulièrement contrebalancé par ses tocs. Elle a en effet quelques obsessions récurrentes comme le sexe ou la religion (Jésus, le Messie, le Saint-Esprit).


Madame Marguerite veut expliquer la vie et ses duretés à ses élèves, y compris en leur annonçant d’abord qu’ils sont mortels. C’est violent. Elle donne la priorité à la biologie, prône l’importance de l’éducation et la nécessité de la lecture. Elle abhorre l’injustice, dénonce les méfaits de la drogue. Tout cela est éminemment positif. Elle veut tout donner quitte à trop donner. Mais sa belle mécanique est en permanence perturbée par son grain de folie. Parfois Madame Marguerite perd les pétales, se détache d’elle-même, se regarde enseigner et se met à parler d’elle à la troisième personne. Cette cyclothymie est impressionnante.


Pour interpréter cette femme paradoxale, pour la rendre crédible, pour la faire exister, il faut une sacrée comédienne. Il faut être soi-même un peu barrée pour parler avec la même sincérité de culture que de cul. Stéphanie Bataille se livre pendant une heure à une prestation d’une rare intensité. Elle est habitée par son personnage. Dès le début, elle dégage une forme d’autorité qu’elle veut souriante mais que son regard inquisiteur contredit. Madame Marguerite n’est pas un personnage cohérent ou linéaire. C’est une rivière qui s’écoule parfois paisiblement et qui se transforme soudain en torrent. Face à elle, on n’est jamais tranquille, jamais longtemps détendu. On reste sur nos gardes. Il en faut du talent pour happer ainsi un public. Même s’il est ramené à son enfance.
Bref, on est au-delà de la performance d’acteur, on est carrément dans l’incarnation.

Gilbert « Critikator » Jouin


vendredi 23 mars 2018

Emmanuelle Bodin "Au bord de la crise de mère"


Les Feux de la Rampe
34, rue Richer
75009 Paris
Tel : 01 42 46 26 19
Métro : Cadet / Grands Boulevards

Ecrit par Emmanuelle Bodin et Vincent Varinier
Mis en scène par Eric Delcourt
Voix off de Romy Mulot

Présentation : Le spectacle féminin et féministe qui ne maltraite pas les hommes ! (enfin… presque pas !)
Emmanuelle vous emmène dans sa quête folle et difficile : devenir une femme.
A travers la rencontre de personnages truculents : son psy misogyne, sa mère sexo-féministe castratrice, son ex gros macho au cœur d’artichaut, sa meilleure copine que l’amour rend non seulement aveugle mais aussi décérébrée, sa fille précoce et éco-responsable, sa coach de préparation à l’accouchement très… directe…
On suit les péripéties d’Emma, trentenaire, célibataire, un enfant, qui essaie d’être une femme moderne avec toutes ses contradictions… Peut-on être féministe, sexy, et aimer les hommes ? Comment gérer la charge mentale d’une maman et rester coquette, intéressante, amie et amante ?

Mon avis : Emmanuelle Bodin, alias « Emma », est une véritable tornade. Dès son entrée sur scène, elle nous empoigne et, pendant une heure, elle ne nous lâchera plus une seule seconde. Elle est impressionnante d’énergie et de bagout.

Au bord de la crise de mère est un spectacle bien conçu car il nous raconte une tranche de vie dans sa chronologie. Son héroïne, Emma, qui ressemble furieusement à Emmanuelle Bodin, nous confie ce laps de temps qui a entouré sa grossesse, de sa conception à la naissance de sa fille. Tout au long de ce parcours de la combattante (surtout battante), elle incarne les principaux protagonistes qui jalonnent son quotidien. Cela donne lieu à une galerie de portraits plutôt croustillants. Personnellement, je préfère les spectacles à sketchs au stand-up parce que je garde en mémoire certains personnages hauts en couleurs, bien dessinés et définis psychologiquement et physiquement.
Ici, difficile de ne pas quitter la salle en ayant en tête les délires hystérico-nunuches de la copine Audrey, la balourdise sympathique de Gérard, géniteur à son insu, la truculence autoritaire et castratrice de Marie-Jo la maman, ou la virilité digne d’un entraîneur de GI de la coach en accouchement…


Emmanuelle Bodin incarne tout ce petit monde avec une aisance fascinante. Elle prend des attitudes, change de voix, crée des dialogues, joue les situations, prend le public à témoin… Bref, elle n’arrête pas… Il faut admettre qu’elle possède pas mal d’atouts pour se lancer dans la discipline du seule en scène : elle possède un physique sur lequel je ne m’étendrai pas pour ne pas être taxé de « porcitude », c’est une excellente comédienne, elle est athlétique, danse à merveille… Les féées ont été sympa avec elle en se penchant sur son berceau. Tout ce que je viens de dire vaut pour la forme (et les formes).


Bonus à ce spectacle : il y a du fond. Les nombreuses vannes et les (bons) jeux de mots servent en fait à faire passer subtilement une poignée de messages sur la condition de la femme. A l’instar de Monsieur Jourdain, Emma fait du militantisme sans le savoir. Ou, du moins, en feignant la naïveté, alors qu’en réalité, elle n’est pas dupe. Et nous non plus. Son analyse des nombreux avantages que possède la gent masculine est imparable. Aussi, après cet exposé liminaire, telle Sisyphe, elle essaie de remonter la pente pour y hisser le lourd rocher de la féminité. C’est écrit très intelligemment (superbe parodie de la tirade du nez de Cyrano) car, alors que son langage est plutôt cash et cru, elle insinue et suggère plus qu’elle ne condamne. Sa lucidité sur les rapports hommes-femmes la pousse à l’indulgence, ce qui est assez rassurant pour l’avenir ; un avenir incarné par sa fille de fiction, Olympe, dont je suppose que le prénom n’est pas anodin. Suivez mon regard du côté d’une certaine de Gouges…

En conclusion, Emmanuelle Bodin jouit d’un énorme potentiel. Son éventail est très large. Elle ne devrait pas tarder à trouver sa place en tête du peloton de nos femmes humoristes, de plus en plus nombreuses et de plus en plus talentueuses.

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 1 décembre 2017

Noémie de Lattre "Féministe pour homme"

La Nouvelle Seine
Péniche sur berge
Face au 3, Quai Montebello
75005 Paris
Tel : 01 43 54 08 08
Métro : Saint-Michel

Tous les jeudis à 21 h 30

Ecrit et interprété par Noémie de Lattre

Présentation : Noémie de Lattre a des faux seins. Elle danse, change souvent de couleur de cheveux et écrit des lettres d’insultes aux gros cons des rues. Elle parle des hommes et des femmes, aux hommes et aux femmes ; elle parle de sexe, de carrière, de famille, de publicité et de quotidien. Elle porte des robes fourreau, des talons de 12 et des décolletés plongeants. Et pourtant, elle est féministe !
Elle, pour qui ce mot était synonyme de vieilles filles aigries à aisselles velues, va vous raconter comment elle en est arrivée là et comment ça va vous arriver à vous aussi…

Mon avis : Titré « Féministe pour homme », le nouveau seule en scène de Noémie de Lattre est un véritable manifeste (définition : « Déclaration publique par laquelle une personne expose un programme d’action ou une position, le plus souvent politique ou esthétique »). « programme d’action », « position », « politique » (dans le sens sociétal du terme) et « esthétique », ces quatre mots résument parfaitement ce spectacle. Il faut néanmoins préciser qu’il s’agit d’un manifeste festif car on y rit pratiquement tout le temps…

Lorsque nous pénétrons dans la salle située en proue de la péniche sur laquelle elle se produit, Noémie de Lattre est déjà sur scène… et sur Seine, évidemment. Vêtue d’une seule serviette de bain, elle s’apprête. Tout en se maquillant, elle nous accueille et devise avec nous, offre des bonbons et des « graines », papote… Ce n’est qu’après qu’elle ait effectué un très, très sensuel striptease à l’envers que le spectacle commence.


Tout de go, avec le franc-parler qui la caractérise, elle se proclame « féministe ». Et elle entreprend de nous expliquer comment et pourquoi. Tout en prenant garde de bien préciser qu’elle est « féministe, mais pas que »… Pas une seconde elle est dans la caricature. Et, surtout, elle ne se comporte pas comme une féministhérique, bien au contraire, car le moindre de ses propos est argumenté, étayé, illustré… Je crois que c’est ce que j’ai entendu de plus exhaustif sur la question. Noémie ne se ménage pas. Après avoir fait sa lascive, elle balaie large, époussette dans les coins, récure jusqu’à l’os, gratte où ça fait mal, passe et repasse sur les idées reçues et les stéréotypes (et ça ne fait pas un pli). Quelle corvée pour les éventuels machos et/ou misogynes qui se seraient aventurés innocemment dans la salle entraînés par une compagne ô combien maligne, voire perverse !


Pratiquant à profusion l’autodérision – elle parle beaucoup d’elle-même et ne se fait pas de cadeaux - Noémie de Lattre paie de sa personne avec une débauche d’énergie communicative. Qu’est-ce qu’elle bouge bien ! Elle nous sort des chorégraphies qui sont à la fois gracieuses, langoureuses et burlesques. C’est très agréable à voir. Ces virgules physiques sont là ou pour servir de transition ou pour aider à faire passer des propos qui peuvent heurter la gent masculine. Noémie n’exclut rien : la chirurgie esthétique, les inégalités hommes-femmes, le sexisme ordinaire, la Journée du Droit des Femmes, la femme dans l’univers du rap, l’exploitation de la femme dans la pub, l’ignorance du plaisir féminin avec, pour corollaire, avoir la jouissance de sa jouissance… Elle ne recule devant rien pour faire passer son message. Bref, c’est la quadrature du sexe. Et comme elle y va franco de porc (#), c’est même parfois du cash sexe.
Elle va jusqu’à nous donner, avec exemple concret à l’appui, une leçon d’anatomie et à se servir de plumes pour se mettre à poil. Plutôt gonflée la suffragette !


Noémie de Lattre est une super comédienne, elle occupe la scène avec une incroyable générosité mais c’est aussi une remarquable auteure. Ses mots sont précis, bien formulés, crus quand il le faut, son vocabulaire est riche, imagé, ses assertions sont hyper documentées. Elle se livre à une véritable master class. Son spectacle est intelligent, profond, et donne à réfléchir.

Enfin, si on passe 80% du spectacle à rire, à beaucoup rire, Noémie nous s’offre et nous offre deux parenthèses où le sérieux du sujet ne peut pas se prêter ne serait-ce qu’au sourire ou à la gaudriole : les difficultés d’être une femme au quotidien et une aussi effrayante qu’émouvante litanie de « Il ne faut pas que j’oublie… » que je vous laisse découvrir, écouter et digérer.

En conclusion, si j’ai tout bien compris le spectacle, entre la princesse et la pute, il y a tout de même de quoi trouver sa place. Même si ce n’est pas du goût des « putophages » ; et même si c’est loin d’être gagné. Courage et Respect, mesdames…
En prêchant un convaincu, Noémie de Lattre a fini de me conforter dans mes sentiments. Je ne vais pas me gêner pour claironner, en osant tirer l'affaire au Clerc : "Femmes, je vous aime !"...

Gilbert « Critikator » Jouin



mardi 31 octobre 2017

Mandibules

Théâtre du Marais
37, rue Volta
75003 Paris
Tel : 01 71 73 97 83
Métro : Arts et Métiers

Tous les lundis à 19 heures. Jusqu’au 18 décembre

Seule en scène écrit et mis en scène par Adrien Costello
Costumes d’Anne Valentine
Collaboration artistique : Isabelle Layer

Interprété par Alice Costello (Lucana)

Présentation : Alors qu’un grand cataclysme a détruit la planète, il semble que le dernier survivant soit… « une » scarabée.
Dans son abri, l’insecte se sent terriblement seule et lutte pour sa survie. Pour tromper la folie qui la guette, elle fait revivre des personnages qu’elle a connus avant la fin du monde. On parle du climat, de politique, de racisme, de drogue, du show business… et surtout on rêve, on rit, on est ému aussi.

Mon avis : Jamais je n’avais osé imaginer passer une heure et quart en tête-à-tête avec un insecte. Mais Lucana n’est pas une bestiole comme les autres. D’abord, elle semble être le dernier être vivant de notre planète anéantie par un cataclysme et, ensuite et surtout, elle est douée de la parole. Et pour être douée, elle est douée !
J’ai rencontré hier soir une véritable scarabête de scène !
Alice Costello est un phénomène (tiens, il n’y a pas de féminin à « phénomène » ?...) J’ai rarement vu quelqu’un posséder autant de qualités, une telle variété, une telle puissance et une telle subtilité de jeu. Quelle présence ! Elle est fascinante. Ses silences sont aussi éloquents que ses mots. Dans son regard incroyablement expressif, on peut saisir le moindre des sentiments qui l’habite. Son visage est un livre ouvert. Candeur, étonnement, révolte, mélancolie, enthousiasme… elle sait tout faire passer, tout traduire. Alice est un couteau suisse dans lequel il ne manque aucun élément, y compris celui qui pourrait sembler le plus futile. Sa créature, la Lucana, est tout autant folle que sage, truculente que délicate, trash que poétique.
Le pire est que je ne suis absolument pas excessif dans mes louanges. Alice Costello est dotée d’un potentiel énorme, son éventail de jeu est exceptionnel. Elle est véritablement touchée par la grâce.


Vous l’aurez, je pense, compris : ça vaut la peine d’aller voir Mandibules au Théâtre du Marais rien que pour assister à une remarquable performance de comédienne. Car, en plus de sa finesse de jeu, Alice Costello fait ce qu’elle veut avec son corps et avec sa (ses) voix. Aussi douée pour le hip-hop que pour la danse classique, elle possède toute une gamme d’accents et de timbres (son imitation de Fanny Ardant est bluffante, son aisance dans le langage des jeunes des cités est réjouissante…). J’ai apprécié aussi la dose de burlesque et la pincée d’humour noir dont elle a saupoudré certaines scènes.


Maintenant, il reste le texte. Dans ce domaine, mon foutu esprit par trop cartésien n’a cessé de me faire des croche-pieds pour que je ne puisse pas le prendre intégralement… mon pied. Voici, en gros, ce qu’il m’a insidieusement soufflé : Mandibules est un vaste fourre-tout, un patchwork un tantinet décousu. Son auteur, Adrien Costello, a voulu, par excès de gourmandise, trop mettre de choses dans ce spectacle. Résultat, on a l’impression d’assister à une succession de tableaux sans aucun lien entre eux. On comprend, bien sûr, tous les thèmes qu’il a voulu aborder. Mais cela donne un spectacle disparate, divisé en une demi-douzaine de saynètes. Sa cuisine est presque trop riche car il y a mis trop d’ingrédients qui ne se marient pas forcément les uns aux autres : la cérémonie des Césars, le stand-up façon 9-3, le slam social, les grèves, les revendications syndicales, la satire politique, le racisme, les quartiers sensibles, « Je suis Charlie », la drogue… Il a voulu dresser une sorte d’état des lieux de notre pays à un moment « T » ; depuis cet instant où le monde a été détruit un funeste mois de septembre 2016. C’était donc hier. Il a donc essayé de tout traiter, du léger au grave, avec la même intensité, avec le même esprit d’urgence.

Cette pièce contient des moments de grâce, des moments forts, des moments d’une drôlerie absolue, qui tous sublimés par l’interprétation et l’implication de la comédienne. Ce qui nous permet de ne jamais lâcher prise. Il y a dans Mandibules plusieurs spectacles en un. On ne va quand même pas bouder notre plaisir pour un excès de richesse !
Bref, je n’ai nulle envie de pulvériser de l’insecticide sur cette formidable et attachante Lucana, mais plutôt de vaporiser sur elle le parfum du succès que sa formidable présence scénique mérite.

Gilbert « Critikator » Jouin


vendredi 16 septembre 2016

Laura Laune "Le diable est une gentille petite fille"

Apollo Théâtre
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 01 43 38 23 26
Métro : République

Mardi, mercredi à 20 h

Ecrit par Laura Laune et Jérémy Ferrari
Mis en scène par Jérémy Ferrari

Présentation : Laura, cette jeune et jolie blonde au visage d’ange tellement innocent arrive sur scène… Que réserve-t-elle ?
Laura Laune n’a aucune limite, elle ose tout ! Dans un humour noir décapant et une irrévérence totale, la folie angélique de ses personnages emplis de paradoxe donne le frisson : est-elle innocente ou méchante ? Consciente de ses propos ou simplement folle à lier ? D’une comptine pour enfants qui part en vrille à une galerie d’individus totalement barrés, le spectacle réserve bien des surprises.

Mon avis : 20 heures. La petite salle de l’Apollo est archi bondée lorsque Laura Laune fait son entrée sur une musique symphonique. Petite robe noire, blonde, mignonne comme tout, gracieuse, large sourire craquant… On lui donnerait le bon Dieu sans confession. Sauf que, pour elle, « aller à confesse » se conjugue dans son sens phonétiquement le moins sacré…
Elle commence par nous raconter ses premiers pas dans l’enseignement. Soudain, il me semble avoir perçu un gros mot. Ai-je bien entendu ? Par quel malencontreux sortilège une aussi jolie bouche a-t-elle pu proférer un tel propos ? J’ai dû mal comprendre… Et puis, voici qu’elle sort une nouvelle insanité. Et encore une autre !... Cette fois-ci, j’ai bien entendu ; et je commence à avoir confusément une petite idée. Et si derrière ce charmant sourire candide se cachait un petit démon ?


Bon sang, mais c’est bien sûr. Tout est pourtant annoncé sur l’affiche : « Le diable est une gentille petite fille ». On est prévenu. La dite « petite fille » est là, devant nous, sur la scène, mais elle est envoûtée. Elle n’est qu’un des nombreux avatars qu’utilise Lucifer pour se rendre attrayant. On dirait un ange, or c’est une petite diablesse. Si Colette avait encore été parmi nous, je suis sûr qu’elle aurait choisi Laura pour incarner son « Ingénue libertine » !

Seule en scène (« A Laune on stage » – j’utilise l’anglais en clin d’œil à un exercice de traduction simultanée auquel elle se livre à un moment du spectacle), Laura Laune s’installe dans une case qui n’appartient qu’à elle. S’accompagnant d’une gestuelle du genre de celle qui cherche toujours à s’excuser d’avoir laissé échapper une énormité, elle piétine allègrement les codes de la bienséance. De ses petites tennis argentées, elle foule tous les tabous. Et tant pis si ça laisse des trash.


Laura est en décalage permanent. Œil de biche, dent de louve et langue de vipère, elle campe un personnage qui n’existait pas encore dans notre panorama humoristique. Elle débite une légion d’horreurs, illustre ses propos d’images audacieuses, émet des comparaisons gonflées, balance des petites phrases qui tuent (« Maman, pourquoi ?... »). Elle possède un sens aigu de la vanne à tiroir : on croit qu’elle a fini sa phrase et, vlan, elle nous assène une autre vanne encore plus forte qui s’achève sur une chute mortelle.

Dans la salle, ça pouffe de toute part. On capte ça et là un « Oh » offusqué, on s’amuse d’un murmure choqué, mais on est tous dans un état de grand contentement. Les rires sont brefs, mais continus, car Laura ne nous lâche pas une seconde. C’est coquin, grivois, hardi, osé, croustillant tout en ayant du fond, beaucoup de fond. Il y a chez elle un vrai réalisme. Lorsqu’elle traite du racisme, par exemple, ou de l’éducation des enfants. Il vaut mieux être ouvert au second degré…


La qualité d’écriture de ce spectacle est à mettre en évidence. C’est du haut niveau. Que ce soit dans l’exercice de la parodie (bel hommage rendu à Lesbos en pleine Ecole des fans), que dans celui du conte pour enfants (quel grand moment que cette fable qu’on prendrait pour du La Fontaine revisité par un Marquis de Sade zoophile !).
On comprend d’autant mieux son ton et son univers quand on sait qu’elle a coécrit son spectacle avec Jérémy Ferrari. A l’inverse du sage Jiminy Cricket qui est la bonne conscience de Pinocchio, Jérémy Cricket est le petit démon irrévérencieux qui pousse Laura Laune à dire des choses que l’on n’oserait jamais imaginer sortir de la bouche d’une aussi délicate jeune femme. Bon, c’est vrai, je suppose qu’il ne faut pas la pousser très fort. Aimer choquer, adorer déranger, cela doit faire partie de son ADN. En tout cas, ce qui marche vraiment bien, c’est ce contraste entre son apparence et ce qu’elle dit. C’est le grand écart… de langage.
La Belgique nous envoie une fois de plus une artiste originale, inventive, de grand talent, doublée d’une excellente comédienne. Laura Laune a créé un Personnage. Un personnage diablement drôle et attachant. Elle est vraiment d’enfer !

Gilbert « Critikator » Jouin


samedi 7 mai 2016

Maligne

La Pépinière Théâtre
7, rue Louis-le-Grand
75002 Paris
Tel : 01 42 61 44 16
Métro : Opéra

Ecrit et interprété par Noémie Caillault
Mis en scène par Morgan Perez
Avec les voix de Jeanne Arènes, Romane Bohringer, François Morel, Olivier Saladin, Dominique Valladié

Présentation : Noémie a 27 ans. Noémie est débordante. Débordante de tout : d’énergie, d’humour, de gentillesse, d’enthousiasme. Noémie est belle comme un cœur. C’est justement tout près du cœur, en son sein, que Noémie découvre une méchante tumeur. Une tumeur maligne. Mais qui est la plus maligne des deux ? Cette tumeur hors de saison, presque hors de propos, chez une si jeune femme ? Ou Noémie qui rit, qui pleure, et qui rit à nouveau ? Noémie qui se moque de cet envahisseur agressif, de ses médecins, du destin, d’elle-même ? Noémie qui est passionnément vivante…

Mon avis : « Maligne »… Il y a deux sens à ce mot. Le premier est « Qui témoigne d’une intelligence malicieuse, d’astuce, d’ingéniosité, de perspicacité » ; el le second « Se dit d’une maladie de gravité anormale ; se dit d’une tumeur cancéreuse »…
Dans le seule en scène de Noémie Caillault, les deux termes se rejoignent, s’imbriquent, se juxtaposent et se confondent. Tout le problème de cet exercice délicat est là : comment raconter en public un drame aussi personnel, aussi douloureux, aussi grave sans jamais tomber dans le pathos et plomber l’ambiance ? Le mot « cancer » fait peur, il a plutôt tendance à rebuter, à faire fuir… C’est cette simple raison qui m’avait jusque là retenu de me rendre à la Pépinière, en dépit de tout le bien que l’on m’en avait dit et des papiers laudateurs que j’avais lus. Et puis, récemment, à la sortie d’un théâtre à Montparnasse, le hasard a fait que je rencontre Noémie Caillault. Le très bref échange que nous avons eu et, surtout, son regard droit et malicieux, ont su me décider.
Et je ne l’ai pas regretté !


La prestation de cette jeune femme est d’un très, très haut niveau. Chez elle, aucun faux-fuyant. Elle est cash et ne nous cache rien. De sa voix délicieusement éraillée, avec son œil tour à tour candide et espiègle et son sourire absolument craquant, elle nous prend par la main et nous entraîne dans son parcours de la combattante. On l’y suit de A à Z. « A », c’est la révélation du Mal : une tumeur dans le sein gauche. « Z », c’est la rémission. Mais pour se rendre de « A » à « Z », ça lui a pris trois ans. Trois ans de doutes, de soins, d’espoirs, de rechutes, de rencontres. Mais aussi trois ans de vie, une parenthèse au cours de laquelle tout est exacerbé.
Et Noémie raconte… Ce qui la différencie, c’est son regard distancié et amusé. Un peu comme si elle sortait de son corps pour observer, de façon à la fois drôle et clinique, les contraintes directes, les effets secondaires et les comportements co-latéraux. C’est un conte initiatique dans lequel elle convoque les différents praticiens qui jalonnent son parcours, ses parents (Ah, sa relation tumultueuse avec sa mère !), ses amis, ses amoureux. Il nous est d’autant plus facile de les imaginer qu’on les entend s’exprimer par le truchement de comédiens qui se sont prêtés au jeu. Ce sont autant de dialogues qui apportent du rythme et des ruptures au récit.


On se demande parfois si Noémie avait vraiment besoin de ces participations amicales tant, de toute évidence, elle se suffit à elle-même. Quelle comédienne ! Elle est formidablement expressive, elle bouge bien, elle possède un charisme fou. Et, surtout, elle est véritablement lumineuse et… « positive »… Bien sûr qu’on est souvent touché, mais le rire vient aussitôt gommer l’émotion. Un peu comme une brise légère qui viendrait sécher prestement une larme furtive.
Il faut aussi parler de l’écriture de Noémie ; très imagée, descriptive, détaillée tout en restant très légère. Elle a le sens de la formule, elle sait jouer avec les silences, appeler un chat un chat, tourner les épreuves en dérision.

Bref, on est tous concernés par son aventure. Son journal de bord aurait pu s’intituler « le Cancer pour les Nuls » car d’un problème intime elle traite d’un sujet universel. Elle a certes sa propre spécificité, une forme d’insouciance et de refus d’abdiquer que tout le monde ne possède pas. Mais elle nous livre quelques clés qui peuvent s’avérer utiles. En nous donnant une leçon de vie toute simple, elle nous délivre là un sacré message. Elle est drôlement « maligne ». Dans tous les sens du terme, puisqu’il se termine par une happy end, ce seule en scène est sans concession !
Maligne, une comédie très humaine où la performance d’acteur rejoint une performance de vie…

Gilbert « Critikator » Jouin