mardi 28 décembre 2010

Padam Padam


Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 90 00
Métro : Madeleine / Havre-Caumartin / Saint-Lazare

Spectacle musical
Avec Isabelle Georges (chant), Frederick Steenbrink (piano et chant), Jérôme Sarfati (contrebasse et piano), Edouard Pennes (guitare)

Ma note : 7/10

Présentation : Ce spectacle musical est un vibrant hommage à Norbert Glanzberg, un des plus grands compositeurs du 20è siècle à qui l’on doit des titres comme Mon manège à moi, Ça c’est de la musique, Les grands boulevards et, bien sûr, Padam Padam… Du jazz de Django Reinhardt à la comédie musicale, de la samba au gospel, autant de bulles d'oxygène et de bouffées de bonheur pour les spectateurs.

Mon avis : Voici un spectacle très intelligemment conçu et vivement mené autour de la vie et de l’œuvre d’un immense compositeur dont le nom est plutôt méconnu, mais dont certaines chansons sont gravées à jamais dans la mémoire collective. Norbert Glanzberg (1910-2001) est ici remis à l’honneur et ce n’est pas un des moindres mérites de ce spectacle car l’homme était d’un éclectisme rare en matière de musique. Classique, jazz, musique de film, musette, musique yiddish, variété… il excellait en tout. Et sa vie a été aussi rythmée et foisonnante que son œuvre…
Avant que le rideau ne se lève, nous sommes déjà alertés par une interprétation originale de Padam, Padam, clin d’œil appuyé au titre du spectacle. Le rideau se lève et on se prend en plein dans les mirettes le flash d’une superbe robe rouge écarlate qui m’a fait immédiatement penser à celle que portait Anny Duperey dans Un éléphant ça trompe énormément. Pétulante, tonique et sensuelle, Isabelle Georges supporte fort bien la comparaison. Ce rouge pétant ressort d’autant mieux que les trois musiciens qui l’accompagnent sont très élégamment vêtus de gris. Humour, émotion, rythme et élégance, voici peut-être les quatre mots qui résument au plus juste ce spectacle.
Après deux chansons, j’étais complètement séduit puis emballé par le trio de musiciens, par leur fraîcheur, par leur jeu, par leurs arrangements fouillés et originaux, et par leur fantaisie. Avec trois accompagnateurs aussi talentueux, Isabelle Georges n’a plus qu’à se laisser porter et se consacrer à la chanson avec un formidable confort.
En outre, nos trois garçons ne se content pas de s’amuser avec leurs instruments et de faire les chœurs, ils participent pleinement à l’histoire. Tour à tour conteurs et comédiens, ils commentent, présentent, illustrent et bruitent le parcours agité de Norbert Glanzberg. Car la grande et la petite histoire ne cessent de s’entrecroiser tout au long de ce spectacle, ce qui le rend encore plus intéressant. Enfin, Frederick Steenbrink, le pianiste, apporte souvent sa voix chaude et joliment teintée d’accent batave, en soutien d’Isabelle, voire même en solo, ce qui ajoute encore à la variété.
Ce spectacle est ponctué de nombreuses trouvailles, soit de mise en scène, avec des tableaux et des gags, soit au niveau des couleurs musicales et des interprétations, comme cet inattendu morceau a cappella façon beat box, ou cet épatant numéro de claquettes auquel se livre la jeune femme.

Ce spectacle est donc tout-à-fait emballant et, sur le plan purement musical j’ai été véritablement comblé. Pourtant, j’ai connu deux ou trois petites chutes de régime. Il y a ainsi au programme quelques chansons qui m’étaient totalement inconnues et qui, face aux nombreux « tubes » composés par le sieur Glanzberg, m’ont paru quelque peu insipides. Trop longues d’abord, je pense en particulier à la chanson de Lys Gauthy, à Sophie, et à la chanson écrite par Francis Blanche. Là, la naphtaline prenait le pas sur la menthe fraîche. Je pense – mais cela n’engage que moi – qu’il eût mieux valu n’en chanter qu’un extrait et faire la part un peu plus belle aux grands standards que l’on nous énumère à la fin. Et puis, si Isabelle Georges est parfaite dans la plupart des chansons, j’ai trouvé que, dans certains registres, sa voix, passant dans l’aigu, devenait linéaire et donc desservait l’interprétation (pas d’âme, pas d’âme). Enfin, mue sans doute par son excès d’enthousiasme et de plaisir, j’ai trouvé qu’elle tombait de temps à autre dans le travers de la pose un peu trop théâtrale.

Mais à part ça, le bonheur est entré dans mon cœur (et dans ma tête) sans y penser. Ces quatre-là sont tellement généreux – et talentueux – qu’ils nous procurent une heure et demie de grand plaisir et de joie de vivre. Et encore un immense bravo aux musiciens qui, en plus des airs de variété (dans tous les sens du terme), passent avec une aisance et une virtuosité sidérantes de Bartok à Django Reinhardt, de Chopin à Beethoven.

mercredi 22 décembre 2010

La Lesbienne invisible


Les Feux de la Rampe
2, rue Saulnier
75009 Paris
Tel : 01 42 46 26 19
Métro : Cadet / Grands Boulevards

Ecrit et interprété par Océanorosemarie
Mis en scène par Murielle Magellan

Ma note : 7,5/10

Présentation
: La Lesbienne invisible, c’est le parcours initiatique et humoristique d’une jeune lesbienne dont personne ne croit à l’homosexualité ; à contre-courant des clichés habituels, elle aime les femmes mais aussi le rouge à lèvres et les robes à fleurs.
Du club de foot féminin aux boîtes ultra-branchées parisiennes, de L World à l’inévitable coming-out parental, Océanorosemarie dresse lles portraits de celles et ceux qui croisent sa routes, hétéros et homos confondus, et raconte sa « lesbiennitude » de façon joyeuse et décomplexée.
La Lesbienne invisible nous parle de relations amoureuses, mais aussi de sujets de société, de choix personnels, de situations ubuesques ; et au terme de ce spectacle, vous aurez enfin toutes les réponses aux questions profondes ou frivoles que les hétérosexuel(le)s se posent sur les lesbiennes…

Mon avis : Je le dis tout net : voici un one-woman show remarquablement troussé… J’ai découvert aux Feux de la Rampe une comédienne très ardente, un peu allumée, qui bouge et ondule comme une flamme, et qui se consume pour que SA vérité soit admise et acceptée. Dans une salle emplie à 90% de jeunes femmes, dont beaucoup en couples, je craignais de faire un peu tache avec ma barbe et ma calvitie. Mais que nenni. Il flottait dans la salle une atmosphère douce, joyeuse et, n’ayons pas peur des gros mots, œcuménique. Bref, je me sentais bien.
Océanerosemarie a construit son spectacle comme un livre ; avec un préambule puis une succession de chapitres abordant différents thèmes et situations. Son premier sketch est très habile car il synthétise en quelque sorte tout ce qui va suivre. Une maman psy essaie d’aider son adolescente de fille de 15 ans à envisager une première expérience amoureuse avec son copain Thomas. Or, au fur et à mesure de la conversation, au fil des informations que lui livre la gamine, ses codes se brouillent peu à peu. Charge à elle de décrypter les signaux…
Le ton est donné. On dit les choses, mais on s’ingénie à rester dans le flou. Car tout le problème est là : Oceanerosemarie se réclame lesbienne, mais elle souffre d’un terrible handicap, elle n’en a pas l’air. Du moins d’après les clichés largement répandus dans l’hétérosphère. Alors, à la fois pour s’expliquer et nous convaincre, elle va se livrer à un véritable cours sentimentalo-technique sur son long chemin de croix vers la Vérité. Une vérité qu’elle assume et que les autres refusent le plus souvent d’admettre. Intelligemment, la jeune femme nous propose une véritable étude ethnologique sur les milieux homos et hétéros, en en classifiant les individus selon différentes types bien caractéristiques.

Avec son allure qui nous fait parfois penser à Isabelle Huppert, Océanerosemarie est très agréable à regarder. Et encore plus lorsqu’elle sourit ! Il se dégage de sa personne énormément de charme et de sensualité. Elle le sait mais, à grand coups d’auto-dérision, elle s’efforce de l’atténuer en prenant de temps à autre des postures un peu caricaturales, des attitudes théâtrales… Du coup, elle nous trouble encore plus sur son propre trouble. Elle pourrait aisément nous émouvoir en nous contant par le menu ses efforts pathétiques pour se faire admettre par la diaspora de son cœur. Elle a beau en faire des tonnes, y compris à s’inscrire au club de foot féminin de Rosny-sous-Bois et en adoptant la panoplie et la cosmétologie idoines, mais rien n’y fait, on ne veut pas la croire. Mais, pour notre plus grand plaisir, elle tourne tout en dérision. Son désarroi, son impuissance, elle les laisse en filigranes pour mieux nous amuser avec son analyse savoureuse et truculente de ses tribulations. De toute façon, tout le monde en prend pour son grade. Elle n’épargne personne, et surtout elle ne se fait pas de cadeau à elle-même. Elle s’en tape complètement de commettre un crime de lesbienne majesté.

Océanerosemarie est une excellente comédienne doublée d’une remarquable caricaturiste. Tour à tour tendre, ironique ou féroce, elle campe une galerie de personnages si bien dessinés qu’on les matérialise sans aucune difficulté tant physiquement que psychologiquement. Certaines des personnes troquées sont réellement attachantes. Et, le plus souvent, ce sont des hommes comme « Papa Ours » ou « L’Homme-Tintin ». Terriblement féminine, n’hésitant pas à prendre des poses provocantes, elle est toujours en mouvement (elle danse admirablement bien) et ne ménage jamais sa peine. Son spectacle, d’une haute tenue générale, contient quelques passages un peu plus pittoresques ou accomplis : sa version « gouinasse » de la Harley-Davidson de Brigitte Bardot, la chorégraphie d’Aurore la danseuse bi, l’hétéro allumeuse, son mime d’un film porno uniquement avec les doigts, sa parodie de Mylène Farmer, la delphinophile… Il ne faut pas oublier que, dans une autre vie, sous le nom d’Oshen, elle est aussi chanteuse. Et une bonne chanteuse (j’avais beaucoup apprécié son dernier album). Si bien que c’est très agréable quand son histoire l’amène à pousser la chansonnette…

Voilà ! Tout ça pour vous dire que j’ai passé une bonne soirée en compagnie d’Océanerosemarie. En dépit du thème abordé, ce n’est jamais vulgaire, jamais équivoque. C’est un spectacle très sain qui, sous le couvert du rire, laisse poindre un soupçon de souffrance. Pas facile d’être « invisible ». Quoi que… Et si elle s’amusait à nous mener par le bout du nez. Car finalement, avec une dose de sadisme raffiné elle efface brusquement tout ce qu’elle venait d’écrire au tableau noir de sa « lesbiennitude » pour laisser planer un doute… Il n’y a qu’une chose à faire : vous rendre aux feux de la Rampe et juger sur pièce.
Lesbien défendue ???

mercredi 15 décembre 2010

Un conseil très municipal


Mélo d’Amélie
4, rue Marie Stuart
75002 Paris
Tel : 01 40 26 11 11
Métro : Etienne-Marcel

Une pièce de Christian Dob
Mise en scène par Xavier Letourneur
Avec Clément Naslin (Rotati, le secrétaire de mairie) et en alternance Xavier Letourneur, Muriel Lemaire, Nicolas Thinot, Patrice Bertrand, Claude Sesé, Hélène Martinez…

Ma note : 6/10

Présentation : Monsieur le Maire et ses « conseillers » vous convient en tant qu’administrés à un conseil municipal très spécial…
Démagogie, coups bas, coups de gueule, mensonges, compromissions et tutti quanti sont les maîtres mots d’un débat très « démocratique »…

Mon avis : J’ai sans doute eu la chance de me retrouver au Mélo d’Amélie, petite salle conviviale s’il en est, avec un groupe d’une bonne trentaine de personnes, venues apparemment en séminaire, qui s’offraient un moment de détente avec ce spectacle. Avant même que le rideau se lève, ils étaient chauds bouillants… Or, comme la pièce est très interactive et que les spectateurs sont considérés par les quatre comédiens comme des administrés, on fait même appel à onze d’entre eux pour poser des questions. Je suppose qu’il y a des soirs où les intervenants sont intimidés ou sont de médiocres lecteurs, mais nous avons eu affaire à des gens parfaitement désinhibés qui s’évertuaient de mettre le bon ton dans leurs prestations. Il y en a même eu un qui a bluffé les comédiens par sa capacité à se métamorphoser en rappeur ! Donc, cette présence grégaire, plutôt désagréable parce que très bruyante au départ, s’est rapidement changée en plus-value. Soyons objectif.
Revenons à nos moutons, à nos moutons noirs de la politique municipale… Christian Dob a écrit cette pièce il y a 25 ans. Si les ressorts et les mentalités des protagonistes sont toujours intacts, il n’en est pas de même avec les mots. En clair, s’il n’y a absolument rien à redire sur le fond et sur le jeu absolument réjouissant des comédiens, il ne faut pas se montrer très exigeant sur un texte qui a pris un petit coup de vieux. Au niveau des jeux de mots, l’auteur a pillé l’Almanach Vermot. Particulièrement pour les réponses adressées aux « intervenants ». Elles sont tellement prévisibles que c’est plus accablant que drôle. C’est très, très potache. Ceci dit, grâce à l’énergie déployée par les quatre comédiens qui ne rechignent pas leur peine, ça arrive à passer.

Il reste cependant de fort bonnes choses dans cette parodie de réunion de conseil municipal. Xavier Letourneur campe un premier édile qui, en raison de sa stature, de ses intonations et de sa gestuelle, n’est pas sans rappeler un certain Jacques Chirac. Véritable girouette, habile à prendre le vent, il est excellent en politicien aussi véreux que matois, qui pratique l’abus de pouvoir avec un cynisme total. Il en impose vraiment. Muriel Lemaire (c’était elle qui jouait l’opposante le 14 décembre) joue parfaitement sa partition. Avec son physique à la Elisabeth Guigou, elle tient tête à ses deux adversaires avec une belle opiniâtreté, dénonçant leurs turpitudes et ne se montrant jamais dupes de leurs rares flatteries. Nicolas Thinot, dans le rôle de l’ineffable Claque, est lui aussi impeccable. On en connaît plein des arrivistes comme lui, de ces courtisans aussi incultes que peu scrupuleux, égocentriques et vénaux. Il rend son personnage très crédible… Et enfin, il y a Clément Naslin, le secrétaire de mairie. Il est en quelque sorte de pivot de l’histoire car tout tourne autour de lui. Lui aussi, dans son genre, il est gratiné. Un peu benêt, un peu vicelard, complètement tire-au-cul, il essaie lui aussi d’exister dans ce panier de crabes. Bien qu’intellectuellement limité, il possède suffisamment de bon sens et de malice pour tirer son épingle du jeu. Sorte de Zebulon surexcité, au regard exorbité et au sourire carnassier, il prend un plaisir sadique à maltraiter les administrés qui sont venus assister à cette séance ubuesque. Il a une vraie présence et il ne s’autorise aucune limite.

Or donc, rendons grâces à ce quatuor d’acteurs qui se dépensent sans compter et qui parviennent ainsi à nous faire passer un bon moment de drôlerie loufoque et parfois acide. Certes la loupe grossit un peu trop les dérives, mais c’est le propre de la caricature et de la satire. Il aurait peut-être été judicieux de moderniser les dialogues en évitant cette ribambelle de jeux de mots faciles et éculés. Mais comme les spectateurs n’arrêtent pas de rire, cela prouve que la formule, en l’état, a encore de belles soirées devant elle.

samedi 11 décembre 2010

La Nuit d'Elliot Fall


Vingtième Théâtre
7, rue des Plâtrières
75020 Paris
Tel : 01 43 66 01 13
Métro : Ménilmontant

Une pièce de Vincent Daenen
D’après une idée originale de Jean-Luc Revol
Musique originale de Thierry Boulanger
Scénographie de Sophie Jacob
Costumes d’Aurore Popineau
Chorégraphies d’Armelle Ferron
Avec Denis d’Arcangelo (Préciosa), Sinan Bertrand (Le médecin, Jack-Line, Basile, Hash-Hash, Snif-Snif, un papillon), Christine Bonnard (Mimi, la Marraine, Schnouf-Schnouf, Gabrielle, Une fleur), Olivier Breitman (Le Comte Lovejoy), Flannan Obé (Elliot Fall), Sophie tellier (Mme Von Leska, Scarlett, jeune femme Shoe addict)

Ma note : 8/10

L’histoire : Mais que se passe-t-il à Moon Island en cette monstrueuse nuit d’orage ?
Mimi, la fille adorée de la milliardaire madame Von Leska, se meurt. Ou plutôt, elle se végétalise et se transforme petit à petit en plante fleurie. Une seule solution : suivre les directives d’une vieille légende oubliée et trouver l’élu qui saura lui donner le baiser ultime et salvateur. C’est la mission qui incombe à Préciosa, gouvernante du manoir et fée à l’occasion.
Elle a une nuit pour trouver Elliot Fall, croquemort de son état et sauveur désigné. Mais c’est sans compter sur l’horrible Comte Oswald Lovejoy… Car il faut bien un méchant dans toutes les histoires…

Mon avis : La première chose qui attire l’œil et qui le charme dans cette pièce, c’est son « graphisme ». Sur le plan de l’esthétique pure, c’est totalement réussi. Décors minimalistes mais suffisamment explicites, costumes colorés et originaux, panoplies de toute beauté… Tout au long de l’histoire, on nous distille des clins d’œil et des références aux contes de notre enfance, aux séries télés, aux comédies musicales et au cinéma. C’est suggéré avec une grande finesse sans jamais grossir et alourdir le trait. Le premier tableau par exemple m’a fait irrésistiblement penser à La Famille Addams.
Deuxième plaisir : les voix chantées… Les six artistes sont tous d’excellents interprètes et lorsqu’ils chantent en harmonie, à deux ou plus, c’est très agréable à entendre.
Enfin, il y a l’histoire… Rocambolesque et intrigante à souhait.
« C’est quand on a peur que le rire est le plus sublime » profère le Comte Oswald Lovejoy, et cette phrase résume à elle seule le climat de cette pièce qui réunit tous les codes du roman noir en le saupoudrant sans vergogne d’une bonne dose de burlesque… La trame est simple : la fidèle Préciosa va-t-elle réussir à ramener à temps Elliot Fall pour qu’il sauve d’un baiser fougueux la « belle » endormie au milieu de ses floraisons ? Le problème, c’est que sa route va être semée d’embûches. Rayon mauvaises rencontres, elle va être gâtée entre une louve androgyne assoiffée de sang ou des hommes-cochons qui ne sont pas vraiment des gens bons. Sans compter l’exécrable Comte qui rôde et qui veut faire capoter sa mission dût-il avoir recours à sa grande spécialité, le meurtre.

Cette pièce est construite en une succession de tableaux tous plus réjouissants les uns que les autres, générant à chaque fois de grands moments de comédie et de drôlerie. Mais ce n’est pas que du Grand Guignol avec une galerie de personnages caricaturaux ou outrés. Au contraire, les beaux et grands sentiments ont leur place tout au long de l’intrigue. Tour à tour, la maman, la gouvernante, le croquemort, la strip-teaseuse, les ursidés nous montrent qu’ils ont du cœur. Mais est-ce que le Bien vaincra le Mal ? On ne le saura qu’à la fin.
Bien sûr, il faut aimer l’humour noir et s’amuser de la cruauté gratuite pour goûter tout le sel de ce conte pour adultes-qui-sont-restés-des-enfants. Vous vous souvenez, quand on tremblait de plaisir à avoir peur et quand on était attiré par les ambiances morbides. On attise notre côté sale gosse. Il faut sans doute faire preuve d’une saine perversité pour se délecter du traitement résolument brutal apporté à cette histoire. C’est parfois bestial (et pour cause), toujours truculent, souvent cru et sensuel. Et il y a en permanence cette distance qui fait que l’on passe son temps à rire des tribulations des différents personnages.

Les six artistes sont en tous points remarquables. Ils savent tout faire : jouer la comédie, chanter, danser (ah ce poignant tango de la mort !)… Et ils osent tout. Ils ne reculent devant aucun effet. Si chacun a droit à plusieurs morceaux de bravoure, on ne peut toutefois que mettre en évidence la prestation de Denis d’Arcangelo dans le rôle de Préciosa. Quelle présence. Il/elle a l’art du geste et de la mimique justes. Son personnage est tellement haut en couleurs qu’il emporte d’emblée l’adhésion du public. Il y a des moments où il est tellement confondant de naturel qu’on ne dirait pas qu’il joue.
Mais chacun est vraiment bon. Ce modèle de théâtre musical est avant tout une œuvre chorale. Il faut aussi souligner la présence « live » de trois musiciens qui colorent de rythmes les différents tableaux.
En tout cas, je ne m’attendais pas à un tel spectacle et je me suis vraiment régalé. Il faut que le bouche à oreille lui attire tout le public qu’il mérite. D’autant que la salle du Vingtième Théâtre est conçue de telle façon que l’on voit parfaitement bien de partout, ce qui n’est hélas pas le cas de tous les théâtres, surtout des plus prisés.

Arturo Brachetti fait son cinéma


Folies Bergère
31, rue Richer
75009 Paris
Tel : 08 92 68 16 50
Métro : Grands Boulevards / Cadet

Mise en scène de Serge Denoncourt

Ma note : 7/10

Présentation : Quand Arturo Brachetti fait son cinéma, la caméra s’emballe, parcourant les époques, les styles ; de Charlot aux films d’horreur, des comédies musicales aux dessins animés, de la science-fiction aux films d’aventures. Il convoque les personnages mythiques d’hier et d’aujourd’hui, les faisant surgir et s’évanouir en 24 images secondes, ou presque.

Mon avis : Que dire d’Arturo Brachetti qui n’ait encore jamais été dit ou écrit sur ce phénomène absolu du transformisme et de la métamorphose ? Pour qui l’a déjà vu, c’est un plaisir cent fois renouvelé. Et pour ceux qui le découvrent, c’est l’émerveillement le plus total. Derrière moi, j’entendais un spectateur s’étonner à haute voix : « Mais comment fait-il ? ». Comment ? On ne le sait pas et, à vrai dire, on s’en soucie peu. Ce qui compte, c’est le résultat, c’est la performance, c’est cette cascade de prouesses vestimentaires…
Arturo est un Magicien. Il nous emmène dans son monde à lui, peuplé de ces personnages mythiques qui sont gravés dans la mémoire collective, ces héros de BD et, surtout, de films. Car pour son grand retour sur les scènes parisienne et françaises, Arturo Brachetti rend hommage pratiquement pendant tout le spectacle au cinéma. Le cinéma, qu’il a découvert à l’âge de 6 ans à travers un film, Les Damnés de Varsovie, qui lui a flanqué la trouille de sa jeune vie et qui l’a traumatisé un moment. Jusqu’à ce qu’il visite avec son père le Musée du Cinéma à Turin et qu’il se passionne pour une exposition sur… les films d’horreur !

A travers son amour du 7è Art, Arturo nous raconte aussi son enfance et son adolescence. Chaleureux et léger, il fait de nous ses confidents. Et son accent ajoute encore au charme de la narration. Qui mieux que lui peut nous faire revivre le grand Federico Fellini ?
Nous avons bien sûr droit à une succession à un rythme échevelé de costumes tous plus chamarrés les uns que les autres. Mais en marge de ce qui a fait sa popularité, il insère dans son spectacle des petites plages intimistes dans lesquelles il nous révèle certains de ses autres nombreux dons, comme le mime et les ombres chinoises. Dans ces numéros plus minimalistes, il fait preuve d’une inventivité et d’une poésie confondantes. Avec la simple couronne d’un couvre-chef il nous campe une incroyable galerie de personnages. C’est ce qui s’’appelle « en faire baver des ronds de chapeau ». Avec une baguette inexistante, il s’adresse directement à notre imagination pour nous représenter plus de vingt objets célèbres…

Par rapport à son précédent spectacle, Arturo Brachetti a moins scénarisé. Je me souviens par exemple d’une bagarre homérique dans un saloon qui m’avait époustouflé. Cette fois, il se cantonne plus dans la succession de costumes sans spécialement broder autour… Reste que cet homme-là est unique en son genre. Il est beaucoup copié, mais il a tellement d’avance sur ses émules qu’il est à jamais LE Maître du genre. C’est vraiment du grand spectacle. Et puis le garçon est tellement sympathique…

Achille Tonic Cabaret


Le Monfort Théâtre
106, rue Brancion
75015 Paris
Tel : 01 56 08 33 88
Métro : Porte de Vanves

Ma note : 7/10

Présentation : Le Monfort Théâtre s’est transformé en cabaret dans sa plus grande tradition, avec un panel d’artistes d’horizons différents, réunis autour de Shirley et Dino.
Un nouveau rendez-vous renouant avec l’esprit festif des premières années d’Achille Tonic, pour partager avec le public leur amour du music-hall.
Corinne et Gilles Benizio nous présentent des jeunes artistes qu’ils affectionnent : contemporains, traditionnels, atypiques. Acrobates, trapézistes, magiciens, conjuguent leurs talents dans un spectacle magique, poétique et fantasque où l’humour le dispute à la virtuosité.

Mon avis : Après être passés par le prisme grossissant de la télévision sous la houlette bienveillante de Patrick Sébastien, Corinne et Gilles Benizio, alias Shirley & Dino, reviennent à leurs premières amours en recréant l’esprit d’Achille Tonic, créé il y a 25 ans. S’il y en a que « la télé rend fous », c’est loin d’être leur cas. Ils sont restés artisans et amateurs (dans le sens étymologique du terme) dans l’âme. C’est avec un plaisir gourmand de débutants qu’ils reprennent leurs rôles de bateleurs-animateurs dans le cadre beaucoup plus confidentiel mais ô combien chaleureux et convivial du Monfort Théâtre entièrement réaménagé pour l’occasion en cabaret. Ils ne se privent pas d’ailleurs à saluer cette initiative en saluant le manque criant d’endroits à Paris pour que les artistes de cirque et de music-hall puissent pleinement s’exprimer…
Corinne et Gilles ont donc repris leur panoplie traditionnelle et les numéros qui vont avec. Tout au long de la soirée, ils vont à la fois jouer à « monsieur et madame Loyal présentent » et nous livrer les principaux numéros qui ont fait leur succès… On a beau les avoir vus des dizaines de fois, la magie opère toujours. Cette sensation est sans doute due à la formidable sympathie qu’ils dégagent et à la joie de vivre saine et simple qu’ils ont l’art de nous communiquer. C’est sans surprise, mais c’est exactement ce que l’on attend d’eux. Comme leurs numéros, leurs échanges verbaux dans les intermèdes sont parfaitement huilés. Elle essaie d’être sérieuse, il la taquine, ça tourne à la gentille chamaillerie, elle monte dans les aigus, il prend les spectateurs à témoin… Bref, ça fonctionne.

Là où ils ne plaisantent pas, c’est quand ils annoncent les artistes et évoquent leurs numéros. On sent alors pointer tendresse et admiration… Le spectacle est donc ainsi construit avec, en alternance, le show Shirley-Dino et un numéro de cirque ou de music-hall. C’est un peu la version sur le terrain – en un peu plus modeste bien sûr – du Plus Grand Cabaret du monde
Le soir où je m’y suis rendu, j’ai pu apprécier Grand Gilles, un voltigeur-équilibriste qui « joue » avec un trapèze ascensionnel en alliant la souplesse, la force et la grâce… Renaud, un jeune jongleur qui se livre avec son diabolo à des exercices véritablement époustouflants de maîtrise et de virtuosité. Il a d’ailleurs obtenu un joli succès public… Lotta & Stina, deux étonnantes jeunes femmes qui pratiquent le « rola bola » avec humour, force et sensualité, et qui terminent pas une sorte de strip-tease très inattendu… Arno, un magicien stupéfiant qui fait apparaître et disparaître des oiseaux de plus en plus volumineux (de superbes cacatoès et perroquets)… Raymond Raymondson, un magicien burlesque et emprunté qui accumule les numéros foireux avec une constance désopilante, un peu à la Mac Ronay… Stéphan Gruss, un jongleur avec massues hallucinant d’adresse qui pousse les défis de plus en plus loin… Julot, qui pratique le mât aérien avec une facilité agaçante…

Voilà… Si vous aimez les (bons) numéros de cirque et de music-hall et si vous appréciez l’humour bon enfant et les sketches de Shirley et Dino (dont certains sont absolument hilarants – je pense aux marionnettes, un classique-), vous allez passer un excellent moment dans une salle entièrement vouée à cet effet.
Sachez en outre qu’en arrivant au Monfort Théâtre une heure avant le spectacle, vous pouvez y prendre un petit repas à base de salades, ce qui permet d’installer déjà un climat festif en guise d’amuse-gueule avant les facéties des deux cousins.

jeudi 2 décembre 2010

Les 39 Marches


Théâtre La Bruyère
5, rue La Bruyère
75009 Paris
Tel : 01 48 74 76 99
Métro : Saint-Georges

D’après John Buchan et Alfred Hitchcock
Adaptation de Patrick Barlow
Adaptation française de Gérald Sibleyras
Mise en scène par Eric Métayer
Avec Eric Métayer, Jean-Philippe Bêche, Christophe Laubion, Herrade Von Meier

Ma note : 9/10

L’histoire : Londres, août 1935. Richard Hann, un dandy canadien oisif, voit sa tranquillité bouleversée par l’irruption d’une certaine Mrs Smith, une jeune femme à l’accent allemand prononcé qui se présente comme agent secret et qui se dit poursuivie par des tueurs. Effectivement, elle se fait assassiner dans le salon de son hôte involontaire. Dans sa main, elle tient un papier sur lequel est notée l’adresse du chef d’un réseau d’espionnage mystérieusement baptisé « Les 39 Marches »… Suspecté du meurtre de Mrs Smith, pris en chasse par la police, Richard Hann décide de se rendre en Ecosse pour essayer de démasquer le sinistre individu…

Mon avis : Alors là, l’ascension de ces 39 Marches m’a emmené directement au nirvana de la drôlerie. Très vite, on se détache d’une intrigue qui ne devient que secondaire pour ne goûter que la mise en scène, les rebondissements et les trouvailles toutes plus extravagantes et inventives les unes que les autres. Les quatre comédiens se livrent à une incroyable performance. Imaginez qu’à trois, ils interprètent plus d’une centaine de personnages en tous genres. C’est aussi jouissif qu’hallucinant. C’est une avalanche de gags ininterrompue et tout cela est joué avec le plus grand sérieux ; ce qui rend le décalage et l’impact encore plus efficaces.

Cette adaptation signée Gérald Sibleyras et cette mise en scène fignolée par Eric Métayer, c’est Alfred Hitchcock qui aurait rencontré les Monty Pythons. Tout y est : le burlesque, le non sens, les gags visuels, les anachronismes, les apartés, les clins d’œil, les cascades… On est fasciné par autant d’ingéniosité. En plus, on n’a pas lésiné sur les moyens. Cette pièce s’est offert tous les ingrédients d’une super production. Bonjour les effets spéciaux ! Imaginez plutôt : on retrouve sur scène un train, un quai de gare en pleine effervescence, deux avions, une voiture, un torrent, une chute d’eau, des marécages, un groupe folklorique écossais, des bourrasques d’air… Et j’en passe. On n’a pas lésiné sur les moyens. Il y a aussi tout un bestiaire remarquablement dressé : une poule, différents volatiles, un chat facétieux, un chien… Et il y a même des scènes tournées en ralenti… C’est énorme ! (comme dirait Luchini).

La prestation des comédiens est proprement époustouflante. Christophe Laubion, qui est le seul à ne jouer qu’un personnage, celui du dandy canadien Richard Hann, nous distille tout au long de la pièce un jeu très british. Il possède l’élégance, la moustache et l’humour distancié d’un David Niven et les comportements loufoques d’un Peter Sellers. Il ne se départ jamais de son flegme… Herrade Von Meier campe quatre personnages de femmes très différents et elle apporte à chaque une réelle identité. Tout en réussissant à toujours rester séduisante et sexy, elle ne recule devant aucune des facéties que lui impose la mise en scène. Elle s’en donne à cœur et à corps joie… Jean-Philippe Bêche et Eric Métayer se partagent à eux deux tous les autres personnages. Ils ne s’emmêlent jamais les crayons et nous savons toujours qui est qui. Rien qu’en changeant de couvre-chef, on sait qu’on a affaire à un bobby (le casque), à un vendeur de journaux (la casquette) ou à un voyageur (le chapeau melon). C’est du dessin animé, tout aussi accéléré, mais à dimension humaine. Une fois de plus, Eric Métayer nous confirme qu’il est un caméléon survolté et blagueur. Son énergie et sa science du geste sont ahurissantes. On dirait qu’il est plusieurs. Et on voit qu’il y prend plaisir. Cet homme est un (gentil) fou de génie et sa mise en scène est un modèle du genre. Il faudrait assister plusieurs fois au spectacle pour en saisir tout le sel, toutes les astuces, toutes les trouvailles. Ça va parfois trop vite. Et quand ils s’y mettre à quatre, alors on ne sait plus où donner de la tête…

Il y avait quelques enfants et jeunes ados dans la salle et entendre jaillir spontanément leurs éclats de rires frais et joyeux ajoutait encore à notre réjouissance à nous. De toute façon, devant un tel feu d’artifices, il n’y a plus d’adultes. Nous avons tous dix ans et nous jouons au film d’espionnage. Sir Alfred Hithcock qui, fidèle à la tradition, fait une brève apparition sur scène comme dans ses films, aurait adoré cette parodie totalement déjantée mais admirablement maîtrisée.