jeudi 29 novembre 2007

L'Auberge Rouge


Une comédie de Gérard Krawczyk
D'après le film réalisé par Claude Autant-Lara
Scénario, adaptation et dialogues de Christian Clavier et Michel Delgado
Avec Josiane Balasko (Rose), Christian Clavier (Martin), Gérard Jugnot (le Père Carnus), Fred Epaud (Violet), Jean-Baptiste Maunier (Octave), Juliette Lamboley (Mathilde), Sylvie Joly (la Comtesse de Marcillac), Anne Girouard (Marie-Odile de Marcillac), Urbain Cancelier (Philippe de Marcillac), François-Xavier Demaison (Simon Barbeuf), Laurent Gamelon (le bûcheron), Olivier Saladin (le cocher)...
Sortie le 5 décembre 2007

Ma note : 7,5/10

Synopsis : A la fin du 19è siècle, la sinistre auberge du Croûteux se dresse au milieu des sauvages et inquiétatntes montagnes du massif des Pyrénées.
L'établissement est tenu par Martin et Rose, un couple d'aubergiste qui a pris l'habitude de faire régulièrement assassiner par Violet, leur fils adoptif sourd muet, les voyageurs solitaires pour les détrousser.
Par un soir d'orage, une diligence en difficulté trouve refuge dans l'auberge. Parmi eux, le bon père Carnus a sous sa responsabilité un adolescent qu'il doit conduire à un monastère... Martin vient d'apprendre que le tracé d'une nouvelle route va détourner les voyageurs de sa gargote. Redoutant d'être ruiné, il décide de supprimer tous ces fortunés clients...

Mon avis : Il est vraisemblable - voire inévitable - que certains pisse-froid affichent un mépris condescendant vis-à-vis de ce film. c'est typiquement français de dénigrer systématiquement les comédies dites "populaires". Le paradoxe, c'est que ce film est on ne peut plus "typiquement français" lui aussi. C'est en effet une bonne grosse farce qui n'a pour seule ambition que de nous distraire. Et, dans ce domaine, c'est absolument réussi. Dans ces temps moroses où l'on nous encourage à travailler plus pour gagner plus parce que les caisses de l'Etat sont vides, nous avons à l'écran une brillante application de ce postulat présidentiel. En effet, notre couple d'aubergistes, Rose et Martin, ne font rien d'autre que de devoir augmenter leur cadence de travail histoire de se remplir efficacement le bas de laine. Bon, on pourra ergoter en prétextant que ce dit boulot est une entreprise d'assassinats en série, mais si une décision n'avait pas été prise en haut lieu de détourner les voyageurs sur une autre route que celle qui menait à leur relais, sans doute n'en seraient-ils jamais venu à une telle extrêmité ; jusque là ils se contentaient sagement du rythme d'un petit meurtre par ci par là en fonction de leurs besoins immédiats.

Ce film va marcher, c'est sûr. Il possède tous les ingrédients de la comédie à succès avec, en premier lieu une brochette d'acteurs qui s'amusent comme des petits fous. C'est simple, il y a longtemps que l'on n'avait pas vu une telle brochette de "gueules". Tous, de Clavier à Jugnot en passant par Balasko, Epaud, Girouard, Joly, Cancelier, Demaison, Gamelon, Saladin, sont à fond dans la caricature, dans l'outrance. Ils s'en donnent à coeur joie, se contrefoutant totalement de leur image.
Christian Clavier en fait des tonnes. Mais son personnage, cupide, méchant, sadique, le réclame et c'est ce que l'on attend de lui. On va encore une fois évoquer de Funès (il y a il est vrai un petit parallèle entre le commissaire Juve de Fantômas lorsqu'il a des boules quiès dans les oreilles et qu'il ne s'exprime que par gestes et le Martin qui s'essaie au langage des sourds-muets avec son fils adoptif), mais ce serait un peu facile. Clavier fait du Clavier ; point ! Il forme d'ailleurs avec Josiane Balasko une sorte de couple de Thénardier ansolument abominables et dénués de tous scrupules. Mais des Thénardier sans Cosette puisque eux, au moins, ils l'aiment leur fille. De même qu'ils nourrissent une vraie affection pour leur fils adoptif si indispensable pour l'accomplissement des basses besognes. Et puis la Rose a ce trait de caractère en plus d'être un tantinet bigote, une faiblesse qui va s'avérer être le grain de sable qui va enrayer les rouages de leur belle mécanique d'éliminations physiques en tous genres.
Gérard Jugnot trouve là un rôle plus complexe qu'il y paraît de prime abord. Au début du film, il se comporte en parfait faux-cul, en méprisable tartufe, profiteur, gourmand, mesquin avant de se révéler en noble sauveur de son prochain. Une fois de plus, il est excellent dans les deux registres.
Il a été également très habile de réunir jugnot et Jean-Baptiste Maunier, les deux figures de proue des Choristes. Si Jugnot y joue toujours les protecteurs, Jean-Baptiste en revanche s'affranchit considérablement. On est loin de Morhange ! D'abord il fait deux mètres, il a un physique de jeune premier et, surtout, il y affirme un don certain pour le second degré. Octave (joli prénom pour un ancien choriste !) passe sans transition du mysticisme le plus absolu à la découverte autrement plus agréable des plaisirs de la chair. Il est impeccable.
Enfin, il y a cette fameuse brochette de "gueules" dont je parlais plus haut. Fred Epaud (Violet) se permet une composition plutôt émouvante en exécuteur patenté. Anne Girouard et Urbain Cancelier campent deux andouilles inénarrables, faisant preuve d'un mépris total pour les petites gens. Sylvie Joly s'autorise des pitreries d'une franche gaminerie. François-Xavier Demaison, quasi méconnaissable, est grotesque à souhait. Je crois qu'il va falloir désormais compter avec lui tant son potentiel est intéressant. Et il y a Laurent Gamelon. Il est impayable ! Il est le running gag du film...
On s'amuse donc énormément avec cette Auberge Rouge revisitée. On n'a pas à se prendre la tête, on n'a qu'à se laisser aller, rire et détentes garantis. La musique est digne des ambiances de maison hantée à Disneyland, les décors naturels sont grandioses. Et ce film, délicieusement amoral, est émaillé tout du long d'une kyrielle de scènes qui sont autant de grands moments de comédie pure. Que demander de plus ?

Pagny chante Brel


Ma note : 8/10

Enorme ! Quelle réalisation ! J'ai d'abord écouté cet album dans des conditions normales, puis je me le suis offert au casque afin de mieux m'imprégner encore de toute sa richesse instrumentale, de sa densité, de son émotion, de ses ponctuations magistrales. On sent que sur chaque titre il y a eu un gros travail de fond, une transposition intelligente des textes pour les napper d'un climat personnalisé. Du grand art. Et là il faut encenser le trio de réalisateurs qui ont bossé comme des artisans à qui on aurait donné d'énormes moyens et un confort total pour exprimer leur sensibilité. Yvan Cassar - encore lui, ils doivent être plusieurs - en a arrangé sept à lui seul. Les quatre autres ayant été habillés par un tandem de couturiers habités, Daran et Erik Fostinelli. Chaque chanson a donc sa couleur, son ambiance, son traitement de faveur. C'est un véritable travail d'orfèvres. Un travail qu'aurait assurément approuvé et apprécié François Rauber, grand arrangeur aujord'hui devant l'Eternel.
Ce préambule peut peut-être sembler par trop emphatique et pourtant, il n'est pas facile de traduire en mots les sensations que l'on éprouve à l'écoute de ce pari gonflé qu'est Pagny chante Brel. Il est fou le Bourguignon-Patagon ! Depuis qu'il a renoué avec le succès il y a dix ans (1997) avec l'album Savoir aimer, Florent Pagny est (re)devenu un homme libre. Un homme et un artiste libres. Alors il s'amuse. Il adore surprendre, apparaître là où on ne l'attend pas. Il se fait plaisir. Il s'offre un album de reprises (RéCréation), un autre de duos (2), s'autorise un détour du côté de l'opéra (Baryton). Il se permet même de se planter avec un opus médiocre (Abracadabra), un album sauvé toutefois par un seul et unique titre tubesque, Là où je t'emménerai. C'est son luxe. Et maintenant, il s'éclate en reprenant une onzaine des plus grandes chansons de maître Jacques Brel. Gonflé le mec ! Mais c'est tout lui. Il n'a pas de complexes ; et il a bien raison puisque le résultat est là. Et quel résultat !
Cette fois, je ne m'amuse même pas à établir mon petit hit parade personnel. Chaque titre m'a enchanté pour des raisons propres. Si on insiste, je reconnais avoir peut-être pris un peu plus de plaisir encore à l'écoute de Au suivant et des Bourgeois.
La chanson de Jacky est toute en énergie avec une formation pléthorique (banjo, accordéon, cuivres, cordes...). Orly joue plus sur l'émotion avec des cordes somptueuses et le London Session Orchestra, le tout flirtant avec le symphonique sans jamais y basculer. Ne me quitte pas, une chanson à laquelle peu ont eu l'outrecuidance de se frotter, jouit d'une interprétation toute en retenue et sensibilité, Yvan Cassar avec un piano fin, léger, discret, se contentant de souligner la supplique. Mathilde - il fallait oser - est quasiment métamorphosée en rock qui avance tout le temps avec une guitare monstrueuse et une interprétation graillonneuse. La Fanette repose totalement sur une atmosphère ample et majestueuse avec une dominante de piano et de cordes qui respectent tout à fait le climat lourd et dramatique de la chanson. La chanson des vieux amants se distingue par un jeu de réponses entre les percussions et un bandonéon qui lui donnent l'aspect d'un tango argentin. En s'appuyant sur d'omniprésents piano, contrebasse et percussions, Au suivant s'offre des allures de rumba. Dans Le dernier repas, la magnifique trouvaille est la présence d'un sifflet qui se glisse entre les cordes et qui apporte une sonorité vraiment originale qui fait un peu penser à la fameuse flûte de Il est cinq heures, Paris s'éveille de Dutronc. Les Bourgeois, eux, défilent en fanfare, on dirait une musique de film, c'est épatant. Sans surprise, Vesoul est débitée en valse à un train d'enfer ; il faut noter le clin d'oeil à la version originale avec la présence à l'accordéon de Marcel Azzola, immortalisé par le célèbre "Chauffe, Marcel !". Quant à Ces gens-là, c'est un morceau de bravoure au niveau de l'interprétation, un grand numéro de comédien.

En conclusion, Florent Pagny a parfaitement respecté l'atmosphère des chansons de Brel. Il ne les a pas dénaturées vocalement. En revanche, les arrangements les ont réellement magnifiées. De la bien belle ouvrage.
Et maintenant, on va se demander ce que ce diable de Florent va nous sortir de son sac à malices la prochaine fois. Il a tellement de cordes (vocales) à son arc ! Mais il n'y a pas urgence. On va d'abord se régaler avec cet album-ci avant de penser "au suivant"...

Dernière minute : Samedi soir, à l'Olympia, j'ai eu la chance et le privilège d'assister à l'enregistrement pour France 2 du concert "Florent Pagny chante Brel". Il était 23 h 10 (!) et la salle était pleine, quand Florent s'est présenté, fort élégamment vêtu (pantalon gris anthracite, veste sombre col officier) devant un grand orchestre dirigé par Yvan Cassar. En apparence décontracté, il va enchaîner dans l'ordre les onze titres de l'album. Il plie La chanson de Jacky avec une formidable énergie. Encore essouflé par le rythme infernal imprimé par l'arrangement, Florent avoue son appréhension en confiant qu'il n'a eu que très peu de temps pour répéter et qu'il se prépare à un grand numéro de voltige sans filet. La salle, totalement acquise, l'encourage en lui criant son admiration et son soutien.
Florent est un artiste d'une énorme générosité. Il s'est coltiné ce tour de chant à haut risque avec la fougue d'un petit coq de combat et l'humilité d'un sherpa au pied de l'Himalaya. C'est ce en quoi il est si attachant. Bien sûr nous eûmes des orages (retard à l'allumage sur une chanson, oubli des paroles dans une autre) mais nous vécûmes un amour fort. A chaque fois, Yavan Cassar, l'indulgense souriante, remettait en marche le puissant moteur de l'orchestre symphonique et, à chaque fois, Florent nous resservait la magie et l'émotion... A la fin, l'enregistrement de quatre chansons n'ayant pas paru tout à fait convenable, il a fallu les réinterpréter ; pour le plus grand bonheur du public, invité ainsi à un bonus inattendu. Mais que la communion était belle.
Dans une loge du balcon surplombant le côté jardin de la scène, Pascal Nègre et Santi se régalaient visiblement. A leurs côté, Marc Lavoine vibrait, vivant chaque titre comme s'il était branché avec Florent. Nikos Aliagas, subjugué, préférait suivre tout le concert debout. Philippe Douste-Blazy ne tarissait pas d'éloges auprès de Pascal Nègre sur la performance à laquelle il venait d'assister. Chacun, de la star à l'anonyme, était convaincu d'avoir vécu un grand moment de music-hall. Ce grand moment, vous pourrez à votre tour y assister puisque ce concert sera diffusé vers la mi-décembre sur l'antenne de France 2 (Patrick de Carolis, le patron de la chaîne, était d'ailleurs lui aussi présent dans la salle).

mardi 27 novembre 2007

Johnny Hallyday


Le coeur d'un homme

Ma note 7/10

Depuis le temps qu'il en rêvait, depuis le temps qu'il en parlait... Johnny Hallyday a enfin enregistré son album de blues. Du blues ? Il y en a certes, mais on pourrait plus justement qualifier cet album de variété-blues. Les puristes n'y trouveront certainement pas suffisamment leur compte. Alors, vrai retour aux sources ou habile compromis ? Il y a des deux. La maison de disques a dû craindre qu'un opus intégralement voué au blues ait un retentissement commercial moindre. Personnellement, je pense que c'est une erreur et qu'il fallait aller au bout du truc, mordre les roots à pleines dents.
Pour sauver la face, on a eu recours à un habile camouflage en faisant appel à des musiciens rompus à ce style de musique (Taj Mahal, Keb' Mo', Tony Joe White) et à des instruments typiques du country-blues (Guitares dobro, slide, pedal steel, harmonica). A ce niveau, on ne s'est pas moqué du monde du côté des Ocean Studios californiens. Il y avait du lourd ! Et, en toute sincérité, musicalement cet album tient vraiment la route. Il y a des sonorités qui fleurent bon le Deep South ou le bayou.
Et puis il y a Johnny... On sent qu'il s'est régalé. Il chante avec l'aisance chaloupée et l'assurance tranquille d'un vieux cow boy. Comme il sait qu'il peut tout demander à sa voix, il s'amuse et prend des risques. Il reste un phénomène unique. Estimable et respectable.
Pourtant, cet album tant attendu m'a laissé un peu sur ma faim. Par rapport à l'état d'esprit avec lequel il l'envisageait (nous en avions parlé en tête à tête), il a dû subir quelques influences qui l'ont fait bifurquer parfois de la ligne pure et dure qu'il s'était fixée.
Sur les treize titres qui composent Le coeur d'un homme, j'en ai retenu huit qui m'ont toutefois vraiment plu. Après tout, c'est une bonne proportion. Mais on attend toujours tellement de notre "Jojo"...
Mes deux préférées sont T'aimer si mal et Ce que j'ai fait de ma vie. La première, parce qu'elle contient tous les archétypes du blues. C'est la plus authentique. La guitare de Taj Mahal (le frère de Carol Fredericks), un harmonica bien dirty et le piano boogie lui donnent une facture classique dans le genre. Et le texte de l'écrivain Marc Lévy est un vrai texte de blues qui raconte les amours malheureuses, la rupture, la souffrance d'aimer et de ne pas l'être en retour... Quant à la seconde, son climat plaintif et douloureux la rend chargée d'émotion jusqu'à la superbe montée en puissance qui la métamorphose en une sorte d'hymne (préparez vos briquets !). A souligner également la qualité de l'adaptation de Lionel Florence qui a eu le talent de s'effacer derrière Johnny à tel point qu'on pourrait croire que c'est lui qui a écrit ce texte empli d'honnêteté et d'humilité. D'où le réalisme de l'interprétation...
Après ces deux chansons, j'en distingue quatre qui sont particulièrement solides à différents titres :
- Always. La mélodie est imparable. C'est dans ce type d'ambiance que Johnny est le meilleur. Il peut y exprimer toutes les nuances de son extrême sensibilité. Le texte est simple, c'est une jolie chanson d'amour qui va droit au coeur.
- Chavirer les foules. Il est malin comme un singe ce Mallory. Très habilement, il nous fait une resucée "Canada Dry" de Toute la musique que j'aime. Johnny y est comme un poisson dans l'eau. C'est peut-être là sa meilleure interprétation de tout l'album car il joue sur les intonations, retient les syllabes, balance naturellement, suinte le swing. Et bien sûr il y est entraîné par un subtil harmonica et une excellente guitare dobro.
- Que restera-t-il ?. Là, on nage en pleine ambiance country, un genre qui va à Johnny comme un stetson ou une paire de santiags. Qu'est-ce qu'il est bon dans la douceur et la mélancolie ! Mais quant à imaginer ce qui restera de lui, la question ne se pose même pas : il restera. Point. Et pour longtemps dans nos coeurs et nos mémoires.
- Laquelle de toi. Voici une très jolie chanson, au texte original et intelligent, et à la mélodie entraînante et vivifiante. Sacrées guitares qui sentent le bivouac à la belle étoile devant un feu de bois.
Et enfin, dans le troisième wagon du train de l'excellence, je placerai deux titres :
- Je reviendrai dans tes bras. C'est un presque vrai blues, torturé par la guitare magique de l'ami Tony Joe White. Une chanson lancinante, efficace, virile, musclée. Sur scène, elle devrait dépoter.
- Ma vie. C'est la chanson-partage type. Le public va être debout et balancer en communion extatique et complice avec LE chanteur. C'est un bon rock énergique, tonique, tout entier destiné à chauffer l'ambiance dans la salle.

Thomas Fersen


Gratte-moi la puce
(Best Of de poche)

Ma note : 7/10

Le titre de cet album intrigue...
"Best Of", on comprend ; mais pourquoi "de poche" ? Si on est un peu curieux, avant même d'écouter, on tourne et retourne l'objet et, au verso, un petit encadré nous livre l'information : "Retrouvez sur ce disque laser une sélection des plus grands succès de Thomas Fersen, interprétée en duo sur des instruments de format réduit". Voici don la clé du mystère... Thomas nous la jouerait-il petit bras ? Et bien que nenni, au contraire. En s'accompagnant avec des modèles réduits, ses chansons en sortent grandies. Avec son complice Pierre Sangra, il envoie l'épurée, le bougre ! Les ukulélés, la flûte et la mandoline, objets peu encombrants parfaits pour voyager léger, apportent une grâce authentique à cet album, tant leurs délicats pizzicati nous charment la trompe d'Eustache. Le mot qui m'est venu immédiatement en l'écoutant a été "délicieux".
Ce minimalisme instrumental, avec ses sonorités originales, permet par sa sobriété de faire ressortir le timbre chaud de la voix du chanteur et surtout, de percevoir ses moindres intonations, qu'elles soient empreintes de poésie eu chargées d'ironie. C'est la chanson dans toute sa pureté. Certaines chansons ont une couleur qui fait parfois furieusement penser cet autre Georges que fut Brassens. Fersen, c'est le dernier des troubadours. Il aurait fait fureur auprès des gentes dames du temps jadis ou à la cour de Diane de Poitiers en interprétant ses chansonnettes au son d'une mandoline. Pendant que les maris étaient partis guerroyer en Terre Sainte, mignon à "croquer" comme il est, sûr qu'il n'aurait pas fait ceinture...
20 titres, 20 éclats d'un bonheur simple et léger. Comme il s'agit d'un Best Of, il n'y a rien à jeter (comme aurait dit Georges). Une grande partie de son fameux bestiaire s'y retrouve en bonne place (normal ,c'est un "Bête Of") : les papillons, la chauve-souris, Pégase le cheval zélé, Le Chat Botté, la chienne Zaza, les oiseaux qui virevoltent au bal, le lion et ses malheurs, la blatte... Belle plume, Fersen est un chanteur très "bêtes", une sorte de La Fontaine sans morales, un peintre animalier tendre et facétieux.
Pour en revenir à ce Bijou d'album, l'apport des ukulélés (baryton et soprano) enveloppe de swing des titres comme Le Bal des oiseaux ou Louise ; ça bouge tout seul. C'est la re-découverte de tout un répertoire. Personnellement, j'ai adoré encore plus particulièrement les ambiances de Croque, de La chauve-souris, de Pégase, de Bella Ciao, de Diane-de-Poitiers et de Bijou.
Si vous ne possédez pas encore de CD de Thomas Fersen, c'est celui-ci qu'il vous faut impérativement. Vous ferez une affaire. Une affaire saine...

mercredi 21 novembre 2007

Cabaret


Folies Bergère
32, rue Richer
75009 Paris
Tel : 08 20 88 87 86
Métro : Cadet/Grands Boulevards

Livret de Joe Masteroff
Musique de John Kander
Paroles de Fred Ebb
Co-mise en scène et chorégraphie originales : Rob Marshall
Mise en scène originale : Sam Mendès
Adaptation française du livret : Jacques Collard
Adaptation française des paroles : Eric Taraud
Scénographie : Alberto Negrin

Avec Claire Pérot (Sally Bowles), Fabian Richard (Emcee), Catherine Arditi (Fraülein Schneider), Pierre Reggiani (Herr Schultz), Geoffroy Guerrier (Cliff Bradshaw), Patrick Mazet (Ernst Ludwig), Delphine Grandsart (Fraülein Fritzie-Kost)...

Ma note : 8/10

Argument : Cliff Bradshaw, un jeune écrivain américain arrive à Berlin par le train. Il voyage à travers l'Europe en quête d'inspiration^pour son prochain roman. A la gare, il fait la connaissance d'Ernst Ludwig, un sympathique Berlinois, qu'il aide malgré lui. En retour, Ernst le conseille pour ses recherches de logement. C'est ainsi que Cliff atterrit dans la pension de Fraülein Schneider.
Le Kit Kat Club est le lieu de rendez-vous de la nuit berlinoise. Cette boîte de nuit est une enclave de liberté et de distraction où Cliff se rend dès le premier soir sur les recommandations de Ernst. Il y découvre Emcee, le maître de cérémonie, cynique, sensuel et provocant, qui présente au public la star du club, la chanteuse anglaise Sally Bowles.
A l'issue de la représentation, Sally repère Cliff dans la salle et, le trouvant à son goût, l'invite dans sa loge. Mais Max, le propriétaire du club, son amant jaloux, ne voit pas cette démarche d'un bon oeil. Il se dispute avec elle et la congédie. Le lendemain, Sally se présente à la pension où loge Cliff. Il accepte qu'elle vienne partager sa modeste chambre...

Mon avis : A chaque fois que j'ai l'opportunité de pénétrer dans le grand hall des Folies Bergère, j'en ressens un émerveillement d'enfant. Pour moi, cette salle de spectacle est la plus belle de Paris. Elle fait rêver et on y vient avec un plaisir accru : on est de sortie ! En prime, pour le spectacle Cabaret, on y a supprimé toutes les rangées de fauteuils pour y disposer des petites tables guéridon agrémentées de fort mignons abat-jour ce qui a pour résultat de nous transplanter d'emblée dans une ambiance caf' conc' si caractéristique des années 1900. Toutes ces attentions - y compris les tenues des serveurs et (surtout) des serveuses - contribue à nous installer dans les meilleures conditions psychologiques.
Inutile de tourner autour du pot : j'ai adoré Cabaret ! Du début à la fin. Et quel début ! Dès l'apparition de Emcee, le maître de cérémonie, on entre dans le vif du sujet ; des sujets, devrait-on plutôt dire. Car elle est haute en couleurs la troupe des danseuses et danseurs du Kit Kat Club que ce Monsieur (dé)Loyal extravagant et ambigu se fait un plaisir de nous présenter les uns après les autres. Ces demoiselles, outrageusement maquillées, se complaisent dans les poses lascives, provocantes, les grimaces aguichantes, les clins d'oeil effrontés. Ah, on sait s'amuser au Kit Kat Club ! Ce n'est pas un endroit pour les demi-sel et les demi-portions. En plus, il y a un vrai orchestre dans cette boîte de tous les vices et de tous les fantasmes. Un qui dépote ; et où même les musiciennes portent des tenues coquines. La totale... C'est un endroit qui suinte le sexe et invite à la débauche.

Il faut saluer le travail effectué par le concepteur des lumières. On est sans cesse surpris par ces habiles ruptures d'éclairage qui soulignent telle ou telle scène et créent des univers différents. Lumières tamisées pour les scènes intimistes, lumières crues pour mettre les corps en évidence, parfois les petits abat-jour susmentionnés s'allument pour nous signaler que nous somlmes DANS le Kit Kat Club ; et puis il y a ce moment magique où une gigantesque boules à facettes nous éclabousse de halos scintillants au rythme d'une valse lente... Quand les gens ne sont pas trop déshabillés, ils portent des costumes, des robes et des tailleurs fort élégants. Le décor n'est pas encombré pour libérer de l'espace aux danseurs. Seules quelques astuces de transferts de mobilier opérés à vue nous permettent de savoir si nous nous trouvons sur un quai de gare, au Kit Kat ou dans la pension de Fraülein Schneider. C'est largement suffisant et tout simplement efficace.

Les acteurs... Fabian Richard incarne un Emcee tout en provocation et ambiguïté. Il nous distille ses blagues salaces, prend des poses suggestives, joue les pervers et les cyniques avec une jouissance assumée. Bref, il est parfait. Il est l'âme (damnée) du spectacle. Chacune de ses prestations est un grand moment. Pourtant, il arrive que sous ses attitudes effrontées il laisse entrevoir une vraie fragilité, un certain désarroi devant les événements qui sont en train de germer autour de lui. On se doute que, hors du Kit Kat Club, il n'existe plus. Il n'est plus qu'un être humain désemparé et privé de repères.
Claire Pérot est purement étonnante. Elle affiche une dualité troublante et attachante de petit fille paumée et d'allumeuse intéressée. En fait, ce qu'elle aime avant tout, c'est son métier. Elle chante et danse remarquablement bien. C'est une sorte de Liza Minnelli miniature, un petit bout de femme pêchu et énergique doté d'une voix à la puissance inversement proportionnelle à son physique. Quelle présence !
Catherine Arditi (quelle voix elle aussi !) tient une place prépondérante dans ce spectacle. Avec son pensionnaire Herr Schultz (Pierre Reggiani), ils sont les deux personnes à peu près normales de cette histoire. Catherine est émouvante en vieille fille qui s'est consacrée toute sa vie à la bonne marche de sa pension et qui découvre soudain le grand amour à l'automne de sa vie. Cette belle histoire d'amour "3ème âge" apporte le seul courant d'air frais et sain dans cet univers glauque et décadent. Mais...
Les danseuses ? Excellente distribution. Toutes différentes physiquement les unes des autres, on ne se lasse pas de les regarder. Avec leur façon destructurée de bouger, volontairement plus athlétique que gracieuse, leur audace, leur complicité entre elles, elles assurent grave.
Nombreux sont les tableaux d'une facture remarquable. J'ai particulièrement apprécié celui baptisé "Money money".
Enfin, l'histoire qui se déroule devant nous n'est pas anodine. C'est un filigrane de la grand Histoire qui nous interpelle. En toile de fond, nous assistons à la montée du nazisme. Le trait n'est jamais forcé, toujours habilement suggéré. La phrase qui résume sans doute le mieux ce qu'est ce Berlin des années 30, c'est Cliff Bradshaw, l'écrivain américain qui la prononce : "J'aime cette ville... C'est tellement sordide et effroyable !" Il n'y a rien à ajouter...
Si, tout de même : il faut encenser la qualité de cette adaptation française. Félicitations à Maître Collard... Jacques Collard.

mercredi 14 novembre 2007

Les Deux Mondes


Un film écrit et réalisé par Daniel Cohen
Avec Benoît Poelvoorde (Rémy Bassano), Natacha Lindinger (Lucile), Michel Duchaussoy (Mutr Van Kimé), Daniel Cohen (Rimé Kiel), Pascal Elso (Serge Vitali), Arly Jover (Delphine), Augustin Legrand (Zotan et Kerté)...
Sortie : 21 novembre 2007

Ma note : 6,5/10

Synopsis : Dans un monde parallèle, au village de Bégaméni,une tribu opprimée adresse des incantations au ciel afin qu'un sauveur vienne les libérer du joug de Zotan, le tyran cannibale...
A Paris, dans le monde normal... Rémy Bassano est un petit restaurateur d'oeuvres d'art réservé, discret et sans histoires. Il est marié à Lucile avec laquelle il a deux enfants.
Un jour, Rémy retrouve son atelier inondé. Non seulement il perd son travail, mais sa femme lui annonce brutalement qu'elle le quitte pour un autre. Il court chercher du réconfort chez ses parents et, alors qu'il est en train de préparer le café dans la cuisine, il est aspiré dans le sol, traverse le temps et se retrouve à Bégaméni.
Là, dans leur étrange village, les Begaméniens l'accueillent comme le libérateur espéré.
A compter de ce moment-là, Rémy se retrouve embarqué dans une aventure haletante. Il se met à naviguer de façon incontrôlable entre les deux mondes...

Mon avis : Dès le générique, on est embarqué dans un monde étonnant, celui de Bégaméni. Dépaysement et exotisme garantis. Les décors - en particulier cette gigantesque grotte inquiétante -, les costumes et le dialecte utilisé par ces êtres mi-aborigènes, mi-préhistoriques, nous transportent dans une BD fantastique. C'est à peine si on reconnaît, affublé de peaux de bêtes et décoré de colifichets et de gris-gris, un impayable Michel Duchaussoy. Quel bonheur que de voir des comédiens de cette envergure se contreficher complètement de leur image !
Retour à Paris. En quelques images, la personnalité de Benoît Poelvoorde est dessinée. C'est un bon mari et un gentil papa, aimable et conciliant, très attentionné ; un doux rêveur quoi, totalement dénué d'agressivité et d'ambition, il n'est pas du tout armé pour affronter les simples aléas de la vie quotidienne. Il subit sans se révolter jamais. Pas facile quand on est à ce point discret, limite insignifiant, d'être amoureux d'une lumineuse Natacha Lindinger au comportement plutôt désinvolte à son égard.
Benoît Poelvoorde est de la race des plus grands. Il pourrait être l'enfant contre nature qu'auraient engendré Bourvil et Louis de Funès au cours de leur Grande vadrouille !!! On peut dire tout ce qu'on veut de lui, mais c'est un sacré comédien. Il sait tout faire. Il est aussi convaincant dans le registre de la grosse farce que dans la plus extrême sensibilité. Il a des regards mouillés devant ses enfants ou devant son épouse qui font fondre. Et il possède au plus haut point le sens cartoonesque du burlesque. Dans ce film, il est irréprochable du début à la fin. Après, ce sont les vicissitudes du scénario qui font que l'on entre ou pas dans l'histoire. Toujours est-il que la véracité du jeu de Poelvoorde rend l'histoire (presque) acceptable.
Les deux Mondes est un peu la synthèse de Jumanji (pour les effets spéciaux), de Mad Max (pour le décor de la capitale des Bégaméniens) et de Sa Majesté Minor (pour le message sur le pouvoir entre autres).
Pour ce qui me concerne, ce film eût été un très bon film s'il ne contenait pas quelques dérives à mes yeux regrettables. Autant Rémy Bassano se montre émouvant de tendresse quand il est avec ses enfants, autant il se métamorphose en un tyran impitoyable et sanguinaire lorsqu'il reçoit le pouvoir. C'est tout de même terrible que d'avoir ainsi recours à la force brute. Sa gestion de la ville et de tout un peuple est calamiteuse. Ce n'est pas très logique et cohérent au vu du caractère débonnaire de son personnage. Autant de violence inutile gâche le plaisir enfantin que l'on a à adhérer à cette parabole pendant plus de la moitié d'un film qui se termine en fouillis mal maîtrisé.
Il reste toutefois de remarquables effets spéciaux (ah la scène avec le chat qui saute dans la cuisine !), les superbes décors du monde parallèle de Bégaméni, le charme de Natacha Lindinger (en dépit d'un rôle peu sympathique, mais nécessaire pour les ressorts de l'histoire) et de Arly Jover, et la fraîcheur des deux enfants. Et, bien sûr, la formidable prestation de Monsieur Benoït Poelvoorde. Rien que pour ça, Les Deux Mondes, un spectacle à voir en famille, vaut le déplacement.

Le p'tit trésor


La Grande Comédie
40, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 01 48 74 03 65
Métro : Place de Clichy/Liège/Trinité d'Estienne d'Orves

Une comédie de Jean-Yves Rogale
Mise en scène par Anne Beaumont
Avec Steevy Boulay (Kevin), Princess Erika (Clarisse), Vincent Azé (Chris)

Ma note : 6/10

Synopsis : A la suite d'un hold-up, alors que tous ses complices se sont fait prendre, Chris a réussi à s'enfuir avec le butin. Mais il a la police à ses trousses. Il trouve refuge dans un appartement occupé par un jeune homme un tantinet précieux en plein chagrin d'amour. Il décide de le prendre en otage afin de pouvoir négocier avec le redoutable commissaire Roulin. Hélas, Chris n'est pas un otage conventionnel. Son désespoir est tellement profond, qu'il en était à envisager le suicide. Alors, le gros pétard de Chris ne l'impressionne pas. Il va donc falloir d'abord amadouer l'amoureux transi pour le rendre plus coopèratif. Mais ce n'est pas une mince affaire tant l'énergumène se montre capricieux et versatile. A un tel point qu'à un moment, on se demande lequel est l'otage de l'autre ! Et pour ajouter à la cacophonie ambiante, voici que déboule dans l'appartement Clarisse, l'épouse de Chris, dépêchée par le commissaire Roulin pour essayer de fair fléchir Chris et l'amener à la raison. Pour ce dernier, les choses vont devenir impossibles à contrôler car Clarisse se révèle tout aussi ingérable que Kevin...

Mon avis : De l'aveu même de Jean-Yves Rogale, l'auteur de la pièce, cette comédie a été écrite sur mesure pour Steevy. De fait, on ne peut parler de rôle de composition tant le personnage de Kevin pourrait être Steevy dans la vraie vie. Pour sa deuxième apparition sur les planches après La presse est unanime de Laurent Ruquier, il s'en sort vraiment bien. Il joue juste et avec beaucoup de naturel. On sent qu'il a dû énormément bosser car il a acquis depuis le théâtre des Variétés une diction impeccable et pris du volume dans la voix. Sinon, Steevy fait du Steevy : attitudes outrées, désinvolture lascive, narcissisme éhonté, poses affectées... Il assume. Sur le mur de son appartement de fiction, est affichée une phrase de Rimbaud qu'il a vraisemblablement faite sienne : "Oh la la, que d'amours splendides j'ai rêvées !"...
Face à ce néophyte, il fallait pour lui donner la réplique deux personnalités chevronnées, un comédien accompli, Vincent Azé, et une habituée de la scène, Princess Erika. Et on peut dire que l'alchimie prend parfaitement. Princess Erika fait preuve d'une présence comique étonnante. C'est un vrai tourbillon à la sensualité énergique qui arrive juste à propos pour donner un bon coup de fouet à la pièce. Avec son visage hyper expressif, on n'a aucun mal à comprendre le moindre de ses états d'âme. C'est une excellente trouvaille que de lui avoir proposé le rôle de Clarisse... Vincent Azé, c'est l'antithèse de Steevy. Costaud, brut de décoffrage, primaire, facilement grossier, homophobe par auto-protection, il dissimule cependant très maladroitement une vraie sensibilité. Pire encore, il ne peut parfois cacher son trouble devant ce corps d'éphèbe que Steevy/Kevin se plaît à dévoiler pour le moindre prétexte. C'est un faux macho qui ne rêve que de garder l'argent de la banque pour que sa femme et ses gosses soient heureux. Il ne ferait pas de mal à une mouche alors, pensez, à une libellule !!!
Le p'tit trésor est une pièce gentillette, bien rythmée, vive. Bien sûr, elle ne décrochera pas le pactole aux Molières, mais c'est un divertissement sympathique qui se laisse regarder sans déplaisir.

mardi 13 novembre 2007

Jonathan Lambert : "L'homme qui ne dort jamais"


Comédie de Paris
42, rue Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 42 81 32 22
Métro : Blanche

Ecrit par Jonathan Lambert et Arnaud Lemort
Mis en scène par Arnaud Lemort

Ma note : 5,5/10

Synopsis : Suite à une erreur malencontreuse dans la retranscription d'une formule chimique, le héros incarné par Jonathan Lambert a été viré par le patron du laboratoire de recherches dans lequel il était employé. Devenu insomniaque, il fait partie depuis huit ans de la troupe de "monstres" qui sont exhibés dans la Maison des Mystères. Il est sujet à de nombreuses crises de dédoublement de personnalité et se transforme à vue en une poignée de personnages tous plus déjantés, allumés, bizarroïdes et inquiétants les uns que les autres...

Mon avis : Quand je pense que j'avais interviewé le jeune Jonathan Lambert à l'époque où il jouait le rôle du candide auprès de Jean-Pierre Coffe dans une émission culinaire diffusée sur le service public ! Il s'était montré d'une discrétion exemplaire, presque effacé, bien poli et propre sur lui... Treize années ont passé. On ne sait si, à l'instar de Spiderman, il a été piqué par une bestiole du genre répugnant, toujours est-il qu'il a subi une lente métamorphose qui l'a amené aujourd'hui, via la chaîne Comédie (certains d'entre vous se souviennent sans doute de ce grand moment de folie pure où il s'était introduit un poulpe dans le slip), à camper des individus totalement imprévisibles et hallucinants. Ses personnages dans On n'est pas couché, l'émission de Laurent Ruquier, sont, le plus souvent, à hurler de rire.
Je me suis donc rendu à la Comédie de Paris en m'attendant au pire ; en l'espérant même. Effectivement, les premières vingt minutes furent conformes à ce que je subodorais. C'est-à-dire, une vraie folie, complètement irrationnelle, une gestuelle et une logique de l'absurde qui n'appartiennent qu'à lui... Il attaque son spectacle - de même qu'il le terminera d'ailleurs - sur un slam, un slam... slamentable. C'est un esprit dérangé dans un Petit Corps Malade qui est devant nous. Il part ensuite dans ses élucubrations explicatives des (dé)raisons qui ont fait de lui un insomniaque chronique et par quels incidents de parcours il a dû quitter sa fonction de laborantin pour devenir monstre de foire. Mais avant d'être un des hôtes les plus atterrants de la Maison des Mystères, il lui en est arrivé des avatars... Un des plus savoureux à mon goût fut sa fonction d'alarme humaine dans un parking. Là, on entre de plain-pied dans la quatrième dimension. C'est le monde à Lambert ! Il prend le public à partie, l'invective, utilise un spectateur comme cobaye, se mue en obsédé sexuel bavant et halluciné... On y est, pas de problème, c'est du Jonathan Lambert tout... craché. Il est capable en un tournemain d'interpréter un individu complètement taré, agressif et libidineux et, la seconde suivante, de redevenir un jeune homme aimable dont le sourire angélique nous fait aussitôt oublier l'horrible personnage qu'il campait juste avant.
Et puis, petit à petit, le spectacle se met à ronronner. la folie s'amoindrit, le rythme tombe pour faire place à beaucoup de bavardage. C'est toujours amusant, mais il y a, pour moi, un problème de manque de rigueur dans l'écriture. Alors que l'idée de cet "homme qui ne dort jamais" est infaillible, je trouve que Jonathan et son co-auteur ne sont pas allée assez loin dans le délire. Peut-être parce que ce spectacle a été écrit bien avant que Jonathan ne se "ruquiérise" et il n'avait pas alors osé aller titiller les extrêmes de peur de faire peur à un public non averti. Aujourd'hui, il peut tout se permettre. Il a acquis une légitime notoriété. Il est tout seul dans ce registre. Il faut donc qu'il y aille à fond. Sans doute dans le prochain spectacle ???
Il nous offre néanmoins un show totalement atypique, bien barré, avec quelques moments absolument jubilatoires. Il est sur la bonne voie. Il a créé un vrai personnage, il est doué, il n'a aucune inhibition, et puis, avouons-le, il est sympathique le garçon.

vendredi 9 novembre 2007

Le système Ribadier


Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Edgar Quinet/Gaîté/Montparnasse

Une pièce de Georges Feydeau
Mise en scène par Christian Bujeau
Avec Léa Drucker ((Angèle), Bruno Solo (Ribadier), Jean-Noël Brouté (Thommereux), Gérard Darier (Savinet), Fabienne Galula (Sophie), Romain Thunin (Gusman)

Ma note : 7/10

L'histoire : Pour pouvoir tromper en toute quiétude son épouse Angèle, qui est jalouse jusqu'à la paranoïa, Ribadier a inventé un système imparable. Lorsqu'il a envie de courir à un rendez-vous galant, exploitant les facultés hypnotiques dont il est doué, il l'endort en la fixant dans les yeux. A son retour, il réveille la malheureuse en lui soufflant sur le front.
Hélas, les plus belles mécaniques finissent toujours par se détraquer, et il en va de même pour le "système Ribadier", pourtant réputé infaillible. Surtout quand un ancien soupirant de son épouse revient d'un long exil bien déterminé à reconquérir l'élue de son coeur...

Mon avis : Quel auteur que ce Monsieur Georges Feydeau ! Ecrite la même année que Monsieur Chasse ! - il y a tout de même 115 ans - Le système Ribadier se distingue avant tout par ses dialogues ciselés et ses répliques savoureuses. Là, pas de portes qui claquent, pas d'amant dans les armoires, pas de courses folles, mais plutôt des échanges verbaux vifs, quelques saillies de bon aloi et de facétieux apartés avec le public. Mais si Le système Ribadier est d'abord une pièce qui s'écoute, elle n'en demeure pas moins très rythmée et truffée de rebondissements croquignolesques.
Le premier tiers repose sur le jeu du chat et de la souris auquel se livrent le sieur Ribadier et son épouse, malade de jalousie. Il faut dire que la pauvre Angèle (Léa Drucker) a été tellement bafouée par feu son premier mari qu'elle en nourrit une méfiance de tous les instants vis-à-vis de son successeur. Et elle n'a pas vraiment tort de se montrer si soupçonneuse... C'est une opposition de deux caractères. Devant un déferlement quasi hystérique de reproches, de plaintes, de lamentations qui, en une poignée de secondes sont regrettés pour se muer en une tentative de conciliation et d'apaisement, Ribadier (Bruno Solo), qui a certes quelques écarts de conduite à se reprocher, s'efforce de rester stoïque. Dame, il est tellement sûr de son fameux "système"...
Léa Drucker confirme une fois encore qu'elle est parfaitement à l'aise dans tous les registres. Elle nous campe une madame Ribadier à la jalousie et à la souffrance très théâtrales capable de se révéler soudain terriblement romantique et amoureuse. D'agaçante, elle devient touchnate. Elle joue toutes ces situations avec une grande finesse en ayant l'air de s'amuser énormément avec ce personnage haut en couleurs, limite caricatural...
Pour sa première expérience théâtrale, Bruno Solo a fait le bon choix. Il a l'art, en une simple mimique, de faire passer ses sentiments. Il aurait été excellent à l'époque du cinéma muet. Son Ribadier n'est jamais outré. Tout en subtilité. Il le joue avec l'assurance du bon bourgeois, de l'homme arrivé. Il vacille parfois légèrement devant les assauts véhéments de son épouse ou quand il doit trouver une parade aux maladresses de la servante, mais il reprend très vite sa maîtrise.
Or, c'est au moment où l'on commence à craindre que la pièce ne se mette à ronronner que surgit le troisième larron, Thommereux, l'homme par qui la machine va s'emballer. L'astuce de la mise en scène est d'avoir fait de lui l'antithèse de Ribadier. Autant ce dernier est placide, autant Thommereux est survolté, fougueux, excessif... Sans lui, la pièce n'atteindrait pas cette espèce d'équilibre. Jean-Noël Brouté y est épatant. Il a une condition physique irréprochable et un sens aigu de la gestuelle comique. Comme dans tout vaudeville qui se respecte, il fallait que le trio classique, le mari, la femme, le soupirant, se montre d'une égale valeur. Et là, c'est particulièrement bien réussi.
Petite mention également à Fabienne Galula, qui interprète une soubrette très joueuse, facétieuse et coquine. Elle est parfaite.
En conclusion, il y a seule chose qui, à mon goût, soit ratée dans cette nouvelle version du Système Ribadier, c'est son affiche. C'est vrai qu'elle ne donne pas très envie. Mais c'est pratiquement le seul reproche que l'on puisse lui adresser. Et, heureusement, les noms de Léa Drucker et Bruno Solo sont suffisamment attractifs pour que le public ait envie de passer un très bon moment de fantaisie au théâtre Montparnasse.

jeudi 8 novembre 2007

La chambre des morts


Un film écrit et réalisé par Alfred Lot
D'après le livre de Franck Thilliez
Avec Mélanie Laurent (Lucie), Eric Caravaca (Stéphane Moreno), Gilles Lellouche (Sylvain), Jonathan Zaccaï (Vigo), Céline Sallette (Annabelle), Laurence Côte (Alex), Nathalie Richard (Raphaëlle Valet)...
Sortie : 14 novembre 2007

Ma note : 8/10

Synopsis : Une nuit, dans le Nord de la France, Sylvain et Vigo, deux informaticiens au chômage un peu paumés font les cons en voiture dans une zone portuaire. En tentant d'éviter un train, ils percutent un homme surgi de nulle part et le tuent. A ses côtés, ils découvent un sac rempli de billets. 2 millions d'euros qui leur tombent tragiquement du ciel ! Apparemment, il n'y a eu aucun témoin de l'accident ; plutôt que d'appeler la police, ils décident, malgré les réticences de Sylvain, de se débarrasser du corps et de garder le pactole...
Le lendemain, dans un entrepôt situé à quelques mètres du lieu de l'accident, la police retrouve le corps de Mélodie, une fillette aveugle qui avait été enlevée. Son père, qui devait apporter les 2 millions de la rançon, a mystérieusement disparu...
Une autre enfant, diabétique cette fois, est kidnappée...
A l'hôtel de policde de Dunkerque, la course contre la montre est lancée. Lucie, jeune brigadier de 26 ans, se voit confier sa première enquête. Elle fait équipe avec le lieutenant Stéphane Moreno...

Mon avis : Quel film ! Pendant deux heures, je suis resté scotché à mon fauteuil, totalement captivé par l'histoire - ou plutôt les histoires - qui se déroulaient devant moi. Grand amateur de polars (c'est mon unique lecture dans le métro), je me suis régalé. Franchement, quand on reçoit de plein fouet un tel film, on se dit qu'on n'a vraiment rien à envier aux Américains. C'est Le silence des agneaux dans le Nord-Pas de Calais ! D'ailleurs, le réalisateur, Alfred Lot, dont il faut souligner au passage que c'est son premier long métrage, ne se gêne pas pour adresser un petit clin d'oeil en forme d'hommage référenciel au film de Jonathan Demme... Mais il ne faut surtout pas focaliser là-dessus, La chambre des morts n'a pas besoin d'être comparée à quoi que ce soit. C'est un film tellement français, qui existe par lui-même, une formidable réussite dans tous les domaines : le suspense, l'action, la peinture sociale, l'image, la bande-son, le jeu des comédiens... Respect total ! Grand bonheur de spectateur.
La chambre des morts est un film gigogne comme on a appris à les aimer. Ce sont plusieurs destins qui évoluent d'abord en parallèle, puis qui, sous l'effet d'un engrenage fatal, s'affolent soudain et se mettent à s'entrecroiser. C'est absolument magistral. La tension est permanente. Il n'y a pas de héros dans ce film. Que des gens on ne peut plus banals amenés à vivre des événements extraordinairement dramatiques. Certains les provoquent et les subissent involontairement (Sylvain et Vigo), d'autres tentent de les maîtriser (les flics). Mais ce film dépasse aussi la simple notion de polar. La peinture sociale y est traitée avec beaucoup de vérité, crûment et sans pathos. Les ressorts psychologiques de tous les personnages principaux sont fort bien décortiqués. Pas une fausse note.
Autre aspect passionnant de ce film, on en suit l'évolution de l'enquête au fil des déductions des policiers comme si l'on était au milieu d'eux.
Et puis il y a les décors, les paysages. Cette région de Dunkerque nous apparaît dans toute son âpreté et son austérité. De nombreuses scènes se passent de nuit, il pleut, il fait du vent. Et, soudain, parmi tous ces paysages rudes et tristounets, apparaissent tels des ilôts ou des oasis, des décors d'une incroyable esthétique, à la fois kitsch, luxuriante et baroque (l'atelier du taxidermiste, le loft du prédateur, la boîte de nuit) qui témoignent du rare soin apporté à leur réalisation.
Enfin, il faut évoquer le casting de La chambre des morts. Il y a pour chacun des personnages la bonne personne à sa bonne place. Ils nous sont immédiatement familiers. C'est nous, ce sont nos voisins que l'on voit se démener sur l'écran face à des situations tragiques. Mélanie Laurent (Lucie) est émouvante, fragile et en même temps toutà fait déterminée ; on lit souvent de la mélancolie et de la tristesse dans son regard. Toute en sobriété et dépouillement, elle n'en est que plus efficace. Eric Caravaca est totalement crédible ; son jeu est subtil, tout en nuances avec sa difficulté soudaine à faire cohabiter en lui l'homme et le flic. Jonathan Zaccaï est terrible de normalité. La fatalité fait de lui une ordure banale, un Dupont Lajoie pitoyable. Son comportement est d'une logique implacable, on ne peut l'excuser, mais on comprend sans problème ses réactions. Gilles Lellouche tient sans doute là un de ses rôles les plus forts. Jouet emporté et ballotté par un torrent de violence, il est amené à exprimer la palette de sentiments la plus large qui soit. Il atteint des sommets d'émotion... Alfred Lot a également déniché quelques personnages pittoresques, de vraies gueules, qui enrichissent encore plus sa distribution.
L'introduction du film, toute en noir et blanc, est terrible. Quand on passe à la couleur, les images sont hyper dures, froides, sans concession, très peu léchées ce qui ajoute encore au réalisme. Il y a des scènes d'une tension extrême, pas de temps mort, l'intrigue est super bien ficelée et d'une lisibilité totale.
Bref, La chambre des morts est un des meilleurs polars qu'il m'ait été donné de voir. Au risque de me répéter : les Américains vont être vachement jaloux...