mardi 4 décembre 2012

Johnny Hallyday


L’Attente
Warner Music

Ce n’est par le meilleur album de Johnny, mais c’est un bon album. En tout cas, au moins, il est « hallydéen » ; conventionnel, conforme à ce que l’on attend de lui. Et, surtout, il porte parfaitement son nom : L’Attente.
En effet, on peut dire que Johnny n’avais pas enregistré de très, très bon album depuis 1999 avec Sang pour sang. Entre temps, il avait sorti cinq disques qui n’étaient pas vraiment à la hauteur de son talent. C’est simple, son dernier vrai tube est Marie, et il date déjà de 2002 ! C’est donc rien de dire que chez ses inconditionnels, l’attente commençait sérieusement à se faire sentir.
Avec cet album, qui reçoit un excellent accueil, il renoue avec ce qu’il sait le mieux faire et le mieux interpréter, les chansons d’amour un tantinet tristounettes. C'est-à-dire celles qui nécessitent cette ambiance bluesy dans laquelle il excelle.

Sur les onze titres qui composent L’Attente, j’en ai retenu sept intéressants. Les voici dans l’ordre d’apparition « en scène » :
1/ L’Attente
Jolie ballade pleine de mélancolie superbement interprétée. Johnny s’y montre aussi sobre que convaincant. La musique, d’abord discrète, va crescendo au fur et à mesure que monte l’intensité émotionnelle avec une belle présence des cordes.
2/ Refaire l’histoire
Un vrai rock. Une supplique véhémente dynamisée par de superbes parties de guitares. La découpe, avec ses couplets saccadés, est du meilleur effet. Une bonne chanson de scène.
4/ Un tableau de Hopper
Chanson très agréable à entendre. Il y a plein de tendresse dans la voix. Le texte, descriptif et réaliste, est particulièrement réussi. Un beau portrait de femme « cabossée » par la vie.
5/ Rester debout
« Rester debout » est un des leitmotive de Johnny. Ça a toujours été sa philosophie de vie et nombreuses sont les chansons qui l’ont évoquée. Ici, le message, plein d’humanité, est chargé de sentiments positifs comme la tolérance, bien que l’on note un certain penchant pour le fatalisme. En tout cas, c’est très bien écrit.
9/ L’amour peut prendre froid
Pas grand-chose à dire. Un duo Céline-Johnny ne peut que fonctionner. C’est de la belle ouvrage.
10/ Devant toi
Ça, c’est du solide. Un titre qui avance tout le temps, porté par une mélodie redoutablement efficace, faite de ruptures judicieuses. L’arrangement est bien travaillé. Il se dégage une belle énergie. C’est une jolie chanson d’amour autour du don et de l’abandon. Bon texte, là aussi.
11/ A l’abri du monde
Ambiance cool. Joli refrain. La mélodie, agréable, sauve le texte un peu convenu et gentillet.

Enfin, un petit constat personnel : pour Un nouveau jour, je trouve que la mélodie n’est pas à la hauteur de la qualité du texte…

Il manque toutefois un tube dans cet opus homogène et très respectable. Les deux meilleures chansons, à mon goût, sont L’Attente et Devant toi. Mais cet album, tout en marquant un appréciable retour aux fondamentaux, manque un peu d’audace et d’innovation. Ses auteurs n’ont pas pris de risques. Ils lui ont confectionné du sur-mesure alors qu’un interprète de l’envergure de Johnny Hallyday ne mérite que de la haute couture. Ce sera peut-être pour le prochain ?...

lundi 3 décembre 2012

Mais qui a re-tué Pamela Rose ?


Un film réalisé par Kad Merad et Olivier Baroux
Scénario de Kad Merad, Olivier Baroux et Julien Rappeneau
Avec Kad Merad (Richard Bullit), Olivier Baroux (Douglas Riper), Audrey Fleurot (La Présidente), Laurent Lafitte (Perkins), Omar Sy (Mosby), Guy Lecluyse (Kowachek), Philippe Lefèbvre (le Commandant de bord), Laurence Arné (Linda), Xavier Letourneur (Donuts), François Morel, Patrick Bosso, Alain Doutey…
Durée : 1 h 30.
Sortie le 5 décembre 2012

Synopsis : Quand il reçoit un appel du shérif de Bornsville lui annonçant que le cercueil de Pamela Rose a été volé, l’agent Douglas Riper voit là une occasion de renouer les liens avec son ancien coéquipier Richard Bullit, un ex-ami avec lequel il est brouillé depuis des années suite à une fâcheuse histoire de femme et de Fuego… Les deux anciennes gloires du FBI, devenus des purs has been, se retrouvent donc pour enquêter sur cette profanation, sans savoir qu’ils sont en réalité attirés dans un piège par un homme qui leur en veut beaucoup. Sans se douter non plus qu’ils seront bientôt les seuls à être au courant que la présidente des Etats-Unis of America est sur le point d’être assassinée. Rien que ça…

Mon avis : Neuf ans après sa brutale disparition, Pamela Rose est exhumée par ses deux géniteurs. La profanation de sa tombe est le prétexte d’une nouvelle aventure pour les deux agents fédéraux Bullit et Riper… Mais, presque dix ans plus tard, les deux hommes sont passablement dégradés. Riper, toujours employé au FBI, mais lamentablement placardisé, s’est considérablement empâté. Mais il brûle toujours d’un feu intérieur et rêve de reprendre du service. Quant à Bullit, il s’est réfugié dans la musique country dans une petite bourgade où il est entouré de toute la sollicitude des habitants. La « résurrection » de Pamela va leur permettre, et de se réconcilier, et d’avoir l’opportunité de devenir les sauveurs du monde. Des héros, quoi !

Je n’irai pas par quatre chemins : je suis complètement fan de l’univers cinématographique de Kad et Olivier. J’aime leur humour potache, décalé, loufoque, mélange réussi de gaudriole franchouillarde et de dérision british… Ce qui est bien, c’est qu’ils nous pondent à chaque fois un film avec une vraie histoire. Il y a en effet une colonne vertébrale très écrite sur laquelle viennent se greffer une multitude de petites côtes flottantes uniquement destinées à nous faire marrer.
L-histoire d’abord. Elle tient parfaitement la route. C’est un authentique thriller à l’américaine. D’autant plus à l’américaine qu’il concerne la présidente des Etats-Unis elle-même. Le décorum est en place. Et ça fait cossu. C’est bien filmé, il y a de beaux costumes et de belles coiffures (le plus gros du budget a dû être destiné aux capilliculteurs…). Il n’y a aucun complexe à avoir face aux grosses productions. La dramaturgie, bien construite, va crescendo. C’est du vrai cinéma. C’est truffé de clins d’œil, de références, de détournements…
C’est un blockbuster… Keaton. Difficile d’être plus farfelus que ces deux zigotos. Ils cultivent habilement toutes les formes d’humour. Il y a autant de blagues bien lourdes que de facéties finaudes. Je pense que cette répartition est voulue pour pouvoir toucher le plus large public, les amateurs de premier degré comme les friands de second degré. Et puis je pense aussi que ça les amuse surtout eux d’abord. Il est évident que le plaisir qu’ils prennent à leurs sornettes est communicatif.
Déjà, il ne faut pas arriver en retard à la projection, ni quitter la salle trop tôt ; car il ne faut manquer ni le générique de début ni le bêtiser offert en guise de bonus. Ensuite, il n’y a plus qu’à se laisser porter par nos deux énergumènes. Il ne faut pas chercher à finasser. On rit tout le temps comme des gamins et, franchement, ça fait du bien.

Les acteurs. Kad Merad et Olivier Baroux. Leur tandem est parfaitement rôdé. Chacun possède son cahier des charges et s’y tient scrupuleusement. Kad, c’est l’Auguste, prompt à toutes les bouffonneries, Olivier, c’est le clown blanc qui ne se départ pratiquement jamais de son sérieux. C’est une des raisons pour lesquelles leur duo fonctionne aussi bien. Ils ne se marchent jamais sur les pieds… Et, une fois encore ils ont su s’entourer.
Audrey Fleurot, qui est devenue en quelques films et séries une de nos actrices de tout premier plan, accomplit une fois de plus un sans faute. Elle est tout à fait crédible dans son rôle de présidente qui n’en est pas moins femme… Omar Sy ; de son côté, apparaît quasiment en contre-emploi. Il est digne, grave et professionnel comme sa fonction de garde du corps l’impose. Il ne rit jamais, sourit à peine. On a parfois du mal à croire que l’on a à l’écran le facétieux Omar. Ce qui prouve évidemment qu’il peut décidément tout jouer… Laurent Lafitte est comme un poisson dans l’eau dans ce registre décalé où il fait montre d’une belle autodérision. C’est un grand acteur de comédie… Et puis il y a Guy Lecluyse. Anthony Hopkins et Hannibal Lecter ont du souci à se faire tant le Guy est inquiétant et machiavélique, habité qu’il est par une haine et un esprit de revanche irrépressibles.

Il ne faut pas se tromper d’objectif. On va voir Mais qui a re-tué Pamela Rose ? avant tout pour se distraire, pour passer un bon moment de détente sans se prendre le chou et rire de bon cœur. Il y a bien sûr quelques imperfections et quelques facilités, mais on ne peut dénier à Kad et Olivier d’avoir fait un sacré bon boulot dans un genre des plus exigeants et les plus rigoureux, la comédie

samedi 1 décembre 2012

Bénureau "Best of"


La Cigale*
120, boulevard de Rochechouart
75018 Paris
Tel : 01 48 65 97 90
Métro : Pigalle / Anvers

Spectacle écrit par Didier Bénureau, Eric Bidaud, Dominique Champetier, Anne Gavard
Mis en scène par Dominique Champetier
Musique de Didier Bénureau
Avec Les Cochons dans l’Espace : Pascal Bétrémieux (guitare), Amaury Blanchard (batterie), Julie Darnal (claviers), Dominique Greffier (basse), Michel Aymé (guitare)

Présentation de Didier Bénureau : « En fait, l’idée de reprendre mes anciens sketchs une dernière fois ne m’excitait pas du tout. C’est lorsque mon producteur (C'est-à-dire moi-même) a proposé au comédien (toujours moi) de jouer ce spectacle avec un groupe de rock, que le désir est monté… La Cigale, des musiciens… et moi ! Au milieu ! Jouant mes sketchs ! Toutes mes chansons idiotes, mes gesticulations dansées ! Jouant de l’ukulélé, chantant Moralès, La maman de ma maman avec un groupe de rock ! Voilà, c’est ça l’idée : un best of en musique ! »

Mon avis : Cet homme est fou, complètement fou ! Et dans son Best of, il parvient encore à dépasser toutes les limites. Il nous fait la totale. Il joue la comédie, il chante, il danse, il grimace, il s’amuse…
A partir du moment où il a décidé de mettre le one man show entre parenthèses pour se consacrer au théâtre en 2013 et de rejouer une ultime fois ses sketchs les plus célèbres, il peut se permettre d’y aller à fond, de lâcher les chiens. Ou plutôt les cochons. En effet pour ces dernières représentations qui verront leur terme le 13 janvier 2013 au théâtre Déjazet, il s’est entouré de la joyeuse bande des Cochons dans l’espace. Deux cochonnes (à la basse et aux claviers), et trois cochons (aux guitares et à la batterie)… Avec l’apport de Didier, on aurait plutôt envie de les rebaptiser Les Cochons dans les spasmes tant nos zygomatiques sont mis à rude épreuve.

Il n’y a pas de round d’observation. Les Cochons, dont on attendrait plutôt qu’ils jouent de musique soue, sont résolument rock’n’roll. Ils permettent ainsi à Bénureau de nous servir une entrée à rendre jaloux Mick Jagger. Jugez plutôt : déhanchements lascifs, déplacements chaloupés, petits sauts de cabri, entrechats à la Bourvil… Il s’en donne à corps joie.
Après cette introduction frénétique, les musicos s’étant retirés, il ouvre dans le volet one man show en interprétant ses anciens sketchs, ses tubes. Le spectacle va être ainsi conçu, quelques sketchs à la suite entrecoupés par une chanson. C’est redoutablement efficace. Didier Bénureau ne s’offre aucun répit. Pas question de s’économiser alors qu’il sait qu’il les campe pour les dernières fois ses personnages odieux, lamentables, pathétiques, vicieux, indignes, parfois même naïfs. Quel bonheur que de retrouver dans un même spectacle le père de famille « heureux », la belle-mère sadique (Allo Patricia), le chanteur lyrique irradié, le militant, le miroir à deux faces, le chevalier anglais, le vieil évêque travesti, l’homo amoureux d’un Allemand pendant la guerre, la cérémonie du mariage… Sans compter l’hommage rendu par une garçonnet de 10 ans et demi à Julien Coupat et, sans doute la séquence la plus attendue de tout le public, l’élégie à Moralès.

Si, par méconnaissance ou négligence, vous n’avez jamais assisté à un spectacle de Didier Bénureau, ne manquez par celui-ci. Il y livre avec une incroyable générosité sa substantifique moelle. Il fait ce qu’il veut avec sa voix et avec son corps. Jamais vous n’aurez été les témoins de chorégraphies aussi improbables. C’est un comédien hors pair, son jeu est d’une précision clinique. Ses mimiques, sa gestuelle sont absolument irrésistibles. Il est unique dans ce registre. Tout au long de son spectacle, je me suis demandé où il allait puiser toute cette énergie digne d’un sportif de haut niveau. En toute sincérité, il FAUT voir Bénureau au moins une fois dans sa vie. Mais de grâce, dépêchez-vous…

  • Prolongations au théâtre Déjazet du 18 décembre au 13 janvier

vendredi 30 novembre 2012

Françoise Hardy


L’Amour fou
EMI


Dire qu’en 1988, à la sortie de son album Décalages, Françoise Hardy avait annoncé qu’elle arrêtait la chanson. Elle n’avait que 44 ans… Je me souviens avoir signé un article attisté que j’avais titré : « Les Décalages de la retraite » ! Heureusement pour nous, il n’en fut rien et Françoise a, depuis ce funeste mouvement d’humeur, enregistré six nouveaux albums dont celui qui vient de sortir, L’Amour fou.


L’Amour fou
Cette chanson qui donne son titre à l’album est un vrai petit film. En tout cas, on n’a aucun mal à y mettre des images. Un carrosse attend une belle comtesse pour la mener au chevet de son amant mourant… C’est le petit matin, on voit Françoise dans le rôle de la dame de confiance qui exhorte sa maîtresse à se hâter ; on imagine de belles robes, un cocher en livrée, des chevaux qui piaffent… Et beaucoup d’émotion… Thierry Stremler a su mettre les notes adéquates pour restituer ce climat à la Barry Lyndon. Et puis il y a la voix de Françoise, son murmure pressant, ses injonctions, sa tendresse complice… Ce titre est magistral.

Les fous de Bassan
Chanson sombre et languissante. Je lui trouve un petit côté Barbara.

Mal au cœur
Jolie petite chansonnette pour une drôle de consultation. Remarquable pour ses rimes en « eur » et son ton faussement détaché.

Vous n’avez rien à me dire
Chanson pleine de doute, de fragilité et d’espoirs contenus. Françoise est allée dénicher un petit poème de Victor Hugo qui décrit merveilleusement la confusion des sentiments d’une jeune femme.

Normandia
Julien Doré s’est totalement en-Hardy tant ce texte aurait pu être d’elle. « Pleure mon cœur imbécile » est une phrase qu’elle ne pourrait renier. Accompagnée d’un piano mélancolique, Françoise démontre une fois de plus combien la nostalgie lui sied.

Piano bar
Une ambiance feutrée et classieuse d’un piano bar de palace. On se plaît à se projeter l’image d’un Serge Gainsbourg au bar du Ritz ou du Raphaël… Alain Lanty a composé une mélodie délicate et ouatée que l’on écoute les yeux mi-clos en savourant un cocktail aux tons pastel.

Pourquoi vous ?
On vient d’évoquer Gainsbourg… On sent de nouveau sa présence tutélaire dans ces rimes en « ou » qu’il a sublimées dans La Javanaise. L’écriture ciselée de Françoise, jouant brillamment avec les allitérations, soulignée par les notes de Calogero, apporte à cette chanson un climat mystérico-romantique. Climat qu’accentue encore la petite ritournelle annonçant « The End ».

Soie et fourrures
Chanson éminemment féminine (qui ne plaira sans doute pas aux féministes), sur une mélodie très élégante de Thierry Stremler… Pouvoir utiliser toutes les affèteries d’une coquette pour Le séduire même si c’est « contre nature », vouloir Lui plaire de façon obsessionnelle mais désincarnée, savoir se contenter des « miettes qu’Il lui laisse »… On pense à L’esclave de Serge Lama… Vous avez dit masochiste ?

L’enfer et le paradis
Chanson dans laquelle le temps s’étire à l’infini pour résumer « toute une vie à nous attendre ». Alternance de moments doux et de moments durs, de printemps et d’hivers, de feu et de froid… On la sent très, très personnelle cette évocation qui synthétise « toute une vie dans le silence » plombée par ses propres « dilemmes » et contrariées par ses « absences » à lui.

Rendez-vous dans une autre vie
Ma deuxième chanson préférée après L’Amour fou. Peut-être parce qu’elle est (presque) entraînante et légère. Manière élégante (le vouvoiement entre autres) de signifier la fin d’une longue union, sorte de désamour courtois avec, à en point d’orgue, remerciements sincères pour les « beaux rêves, folies et fièvres » qui l’auront émaillée.

Billie Holiday


Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgar Quinet / Gaîté / Montparnasse

Un spectacle musical de Viktor Lazlo
Mis en scène par Eric-Emmanuel Schmitt
D’après une idée originale de Francis Lombrail
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Son de Baptiste Chevalier Duflot
Costumes de Sylvie Pensa
Direction musicale et piano : Michel Bisceglia
Avec Rémy Decormeille (Piano), Werner Lauscher (Contrebasse), Mark Lehan (Batterie), Nicolas Kummert (Saxophone)

L’idée : Un spectacle musical autour des vingt plus belles chansons de Billie Holiday. Viktor Lazlo nous entraîne au cœur de sa passion pour l’immense chanteuse. Celle à qui Duke Ellington et Artie Shaw ont fait chanter le blues et l’amour, celle qui a lutté contre la ségrégation et l’alcool, mais aussi celle qui a su laisser une trace aussi éblouissante qu’émouvante…

Mon avis : En ce moment, avec le spectacle Billie Holiday, le Théâtre Rive Gauche porte on ne peut plus opportunément son nom car, en effet, la rive gauche de la Seine (Saint-Germain des Prés, Quartier latin) a été le haut lieu du jazz de l’après-guerre… Et Billie Holiday (1915-1959) fut une des plus grandes chanteuses que le jazz ait connue.
Viktor Lazlo, née un an après sa disparition, lui rend un vibrant hommage au cours d’un récital de vingt chansons. Or, comme nous sommes dans un théâtre, elle n’enfile pas les titres comme les perles d’un collier (bien que toutes ces chansons soient de véritables bijoux et que Viktor a su, par le passé, faire pleurer des « rivières »), ce récital est scénarisé. Chaque chanson est amenée par une anecdote puisée dans la biographie de Billie. Il ne faut pas oublier que, si Viktor Lazlo s’est fait connaître d’abord comme chanteuse, elle a tourné ensuite dans une vingtaine de films et de téléfilms et joué dans deux pièces. Le fait qu’elle soit donc aussi une comédienne confirmée apporte une formidable plus-value à son expression.

A l’image de son interprète, ce spectacle est d’une rare élégance. Les quatre musiciens qui l’accompagnent sont très classe : costume croisé trois pièces, cravate, borsalino et chaussures bicolores. Quant à Viktor, elle porte au milieu et à la fin, deux robes noires absolument superbes qui soulignent une plastique à faire pâmer all the Saints qui go marching in Rive Gauche… Bon, ça c’est le côté esthétique. Pour ce qui est du domaine artistique, on frise le sublime. Il suffit d’entendre les bravos et les applaudissements nourris qui ponctuent la fin de chaque chanson pour comprendre l’enthousiasme que la prestation de Viktor et de ses musiciens est vraiment du haut de gamme. En fait, on ne sait plus si on entend Bille Lazlo ou Viktor Holiday tant le mimétisme est confondant. L’exemple le plus troublant est lorsque elles chantent toutes les deux Georgia On My Mind, d’abord en alternance, puis en duo. On ne sait plus qui est qui.

Pour donner encore plus de véracité au spectacle, de magnifiques images d’époque en noir et blanc sont projetées permettant parfois des copiés-collés entre la scène et les écrans. C’est un travail d’une finesse remarquable. Sur la chanson Me, Myself And I, nous avons même droit à un judicieux triptyque qui en explicite parfaitement le sens.
Tout au long du spectacle, Viktor Lazlo se livre à une impressionnante prouesse technique et vocale. Elle nous fait vivre en outre à plusieurs reprises de grands moments quand elle se met à dialoguer en scat avec le saxophone. C’est magique.
Bref, nous avons droit à une heure et quart de bonheur acoustique et visuel, tout entier dévolu à cet incomparable artiste que fut Billie Holiday, une femme qui faisait tout de même rimer « money » avec « honey » et « brain » avec « champagne »… Si ce n’est pas subliminal…
Billie Holiday est un spectacle simple et efficace où l’on ne va qu’à l’essentiel. Mais qu’est-ce qu’elle chante bien Viktor Lazlo !... Pourquoi est-elle si rare ?

mardi 27 novembre 2012

Julien Clerc


Symphonique
Album Live
A l’Opéra National de Paris – Palais Garnier
(Livre-disque 2 CD + DVD)
EMI

Les qualificatifs pour présenter ce disque ne peuvent être que des superlatifs tant le résultat est grandiose. Il est à l’image à la fois de l’immense artiste qu’est Julien Clerc et de la majesté du cadre dans lequel il a été enregistré. Dans un tel écrin, la voix de Julien, sa puissance, ses modulations si caractéristiques, sont mises en valeur et en évidence comme jamais. Et la présence d’un orchestre symphonique de 40 musiciens souligne et transcende encore plus, si besoin était, son talent de mélodiste. On a l’impression de redécouvrir ses plus grands classiques dans une autre dimension ; comme un film en 3D. C’est absolument superbe à tout point de vue… et d’oreille. C'est Julienpérial !!!

Au programme, 23 chansons. Que des tubes ! Des tubes ponctuant plus de quarante ans de carrière, de Jivaro Song (1968) à Fou peut-être (2011). Ces titres sont tellement gravés dans la mémoire collective que Julien est parfois obligé de s’effacer pour laisser le public chanter à sa place. C’est une grand-messe à Garnier ! Si on ne devait posséder qu’un album de lui, c’est celui-ci qu’il vous faut. D’autant qu’il est accompagné d’un DVD de près de deux heures contenant le concert mais également un documentaire de 18 minutes et des images des coulisses qui nous font pénétrer dans l’intimité de l’artiste. Il faut également souligner la beauté du livret intérieur avec sa douzaine de doubles photos et ses portraits. C’est véritablement un objet collector destiné autant aux inconditionnels de Julien Clerc qu’aux éventuels néophytes.

Salvatore Adamo


La Grande Roue
Polydor/Universal

Cinquante de carrière et toujours la même fraîcheur, la même envie, la même créativité. Seule l’écriture n’est plus la même car, au fil du temps, elle n’a jamais cessé de s’améliorer encore, de devenir à la fois plus réaliste et plus poétique. Normal. En prenant de l’âge, le regard, s’attardant moins sur le nombril, prend plus d’acuité. Tout doucement, Salvatore Adamo s’est érigé en témoin de son temps. En prenant de l’âge, il a pu dire des choses plus engagées. En prenant de l’âge, on est plus écouté.

Prendre de l’âge… C’est La Grande Roue de la Vie qui a tourné. On y est monté plein de rêves et d’insouciance, avec l’envie de bouffer le monde, et si possible de le refaire. ET La Grande Roue a continué de tourner, emplissant ses nacelles de tout ce qu’une existence récolte : joies, bonheur, amours, amitiés, rencontres, chagrins, révoltes, résignation, peurs… Tout s’y mélange. Et, à un moment, justement quand on a pris de l’âge, il est temps de faire le tri et de dresser son bilan…
Salvatore en est là. Quand La Grande Roue était dans son ellipse ascendante, il était plein d’espoir et d’amour, quand il arrivait à son point culminant, il en profitait pour explorer l’horizon et voir ce qui se passait un peu partout dans le monde, quand elle entamait sa descente, il croisait le chagrin, l’injustice, les déceptions… Et puis ça repartait pour un tour. Et plus le nombre de tours grandissait, plus il s’enrichissait, plus il s’intéressait à l’humanité, plus il devenait altruiste et tolérant, mais aussi indigné et dénonciateur.

La Grande Roue, le 23è album studio de Salvatore Adamo, résume en douze titres ce que sa nacelle a ramassé après soixante-neuf révolutions.

1/ La Grande Roue
Chanson pleine d’esprit, dans une ambiance de fête foraine avec fanfare et flonflons. Le message qu’elle contient est fort ; l’homme, qui a tout reçu pour construire son bonheur, gâche systématiquement tout pour des raisons égocentriques, religieuses, économiques. Une terrible gabegie.

2/ Tous mes âges
D’abord piano-voix, cette chanson reçoit le renfort d’un violoncelle pour en souligner l’aspect temporalo-nostalgique. C’est encore la fameuse Grande Roue qui tourne. Le ton est très positif. L’âge n’a finalement que peu d’importance quand on nourrit toujours en soi une même fringale de vie, quand on ne sait toujours pas « quel chemin prendre », quand on a encore le goût des « bêtises » et la faculté de s’émerveiller.

3/ Cher amour
Un superbe poème magnifié par la présence majestueuse des cordes. C’est plein de tendresse et d’abandon. La façon quasi religieuse de chanter « ô cher amour » au début du refrain exprime l’immense élévation spirituelle que provoque le plus noble et le plus fort des sentiments. Magnifique cantique païen.

4/ La fête
Jolie ritournelle légère et entraînante, pleine de vie et d’insouciance qui, en quelque sorte, développe et complète Cher amour en l’amenant de l’abstrait aux choses concrètes.

5/ Je vous parle d’un ami
Admirable ode à l’amitié. Elle résume tout ce que l’on peut attendre et recevoir d’un Ami.

6/ L’homme triste
La musique, très mélodieuse, habille avec finesse le climat nostalgique de cette chanson qui nous fait traverser une partie de l’histoire de l’Humanité. Salvatore y souligne l’importance du rêve comme carburant pour faire tourner le moteur même s’il est coupé avec pas mal d’utopie avec, en toile de fond, notre éternelle quête du bonheur.

7/ De belles personnes
Petites chroniques du quotidien. Le texte fourmille d’images et de descriptions. Le ton est volontairement badin et teinté d’ironie pour dénoncer l’intrusion de la machine au détriment de l’humain. Il n’y a en tout cas là-dedans aucun angélisme. Ce sont Les temps modernes de Chaplin remis au goût du jour.

8/ Ricordi
Salvatore chante ses racines en italien. Un retour aux sources siciliennes joliment empreint d’une douce et tendre nostalgie.

9/ Ton infini
Quel poème ! Cette chanson est un hommage à la moitié d’orange à laquelle on rêve tous. C’est la quête amoureuse, la recherche d’« infini » et d’« absolu », mais aussi de plaisirs plus physiques que métaphysiques, d’où l’évocation subtile de la « naissance du monde », clin d’œil malicieux au célèbre tableau de Gustave Courbet. L’éternel féminin est traité d’une écriture élégante et sublimé par des cordes altières et éthérées. Finalement, c’est une histoire de belles âmes : celles des femmes et celles des violons.

10/ Le souvenir du bonheur
Une fois encore la plume de Salvatore est à son meilleur. Le liquide de son encrier est composé d’un cocktail d’attention portée à l’autre, de bienveillance, de générosité, d’admiration… D’amour quoi ! Il garde au cœur un soleil intérieur qui lui tient chaud en dépit de quelques brûlures inévitables.

11/ Alan et la pomme
Comme dans De belles personnes, Salvatore se fait chroniqueur pour, en s’inspirant d’une histoire vraie, évoquer la difficulté à vivre son homosexualité. Comme pour Eve, le geste de croquer la pomme va être fatal. Sauf que, dans le cas d’Alan, l’abandon du « paradis » terrestre est désiré, voulu, assumé. Les serpents qui sifflaient leur haine autour de lui étaient bien trop nombreux et hostiles… J’ai bien aimé cette idée de la première ligne du refrain en anglais.

12/ Golden Years
Cette chanson m’a fait sourire et m’a rajeuni en raison de son ambiance résolument Années 60 faisant la part belle au piano et à la guitare. Salvatore y dresse en anglais le bilan d’une vie à deux. La conclusion est digne d’un enfant du baby boom : il faut toute une vie pour apprendre à être jeune et, surtout quand on avance en âge, savoir pimenter son quotidien. C’est aussi une chanson sur la transmission. Très agréable à écouter.

Personnellement, mes deux chansons préférées – mais je les aime vraiment toutes pour de multiples raisons – celles que je trouve les plus efficaces, tant pour ce qu’elles racontent et pour leur mélodie, sont La Grande Roue et Le souvenir du bonheur.

lundi 26 novembre 2012

Chimène Badi


Gospel & Soul
AZ/Universal Music

Alléluia !!!
Alléluia I love her so…
Quelle belle et bonne surprise nous a réservée Chimène Badi en enregistrant cet album Gospel & Soul.
Chimène ne badine pas avec la soul. She knocks on wood. Elle envoie le bois, quoi !
Elle a grandi bercée par les grands standards de la Motown. Elle s’était plus particulièrement entichée de Stevie Wonder.
200.000 exemplaires du premier CD, sorti en novembre 2011, avaient été vendus en trois mois. Certifié double Platine, il est en passe de bientôt prendre la troisième place des ses albums les plus vendus après Dis-moi que tu m’aimes et Entre nous. D’autant plus que ce cinquième opus est ressorti bonifié par six nouveaux titres carrément énormes :
- Viens, viens, superbe complainte créée par Marie Laforêt
- Son Of A Preacher Man, créé par Dusty Springfield et magnifiée par Aretha Franklin
- Celui qui chante, hommage tonique et émouvant à Michel Berger
- Le jour se lève, reprise judicieuse et habitée de ce qu’elle appelle « une perle » d’’Esther Galil
- Proud Mary d’une des reines du rhythm’n’blues, la très énergique Tina Turner
- Say You Say Me, en duo, s’il vous plaît, avec Lionel Richie
Difficile d’être difficile. Que du tube !

Chimène est parfaitement à l’aise dans ce registre. Elle se l’est totalement approprié. On la sent libérée. Elle joue avec sa voix, va chercher des intonations rauques qui donnent le frisson, dialogue avec les chœurs formés par la chorale Liberty Gospel… Elle est dedans.
Sur vingt chansons, elle en interprète huit en français. Quant aux titres anglo-saxons, elle n’a sélectionné que du lourd. Il faut oser se frotter à des chansons gravées depuis des lustres dans la mémoire collective comme Down By The Riverside, Nobody knows, Try A Little Tenderness et l’incontournable Amazing Grace, hymne christique pour lequal elle est accompagnée par Rhoda Scott à l’orgue.
Côté français, elle a eu le bon feeling en reprenant Parlez-moi de lui, de Nicole Croisille, ou Ma Liberté de Georges Moustaki…
Ce nouveau retirage de Gospel & Soul est un vrai petit bijou réalisé, il faut le signaler, par Régis Ceccarelli.
Quant à Chimène, elle a dû sacrément se faire plaisir… Et, du coup, ce plaisir elle nous le transmet. Que demander de plus ?...


jeudi 22 novembre 2012

Nicolas Bedos


Une année particulière
Journal d’un mythomane, vol. 2
Editions Robert Laffont
19,50 €

L’intention : Dans ce récit littéraire flirtant avec l’autofiction, Nicolas Bedos saisit avec finesse les petits et gros travers de ses contemporains, croque et romance avec une acuité inégalable les différents épisodes du feuilleton d’une année présidentielle riche en rebondissements, jamais dupe de rien, ni de la droite ni de la gauche ni de lui-même…

Mon avis : Nicolas Bedos a repris son stylo à la pointe acérée pour nous consigner en quarante-six chapitres son journal de bord du 23 septembre 2011 au 3 août 2012. Cette grosse dizaine de mois a constitué pour lui « une année particulière »… Particulière en ce sens qu’il a été « particulièrement » concerné par quelques événements qui ont mis certaines de ses relations proches sur le devant de la scène. Parfois contre leur gré, comme Anne Sinclair, d’aucuns volontairement, comme François Hollande, et d’autres récompensés pour leur talent artistique comme Jean Dujardin… Comme il le constate lui-même : « Comment planter sa plume fielleuse dans une matière si familière sans que le délire mythomane ne se transforme doucement en déballage autofictif ? » Effectivement, il n’est pas toujours facile de rester objectivement perfide…

Nicolas a donc réendossé sa panoplie de Super Mytho. Pour se la péter, il se la pète ! Mais il ne faut jamais perdre de vue que cette posture (imposture ?) n’est autre que le postulat de son journal. En fait, s’il nous la joue mytho, c’est sa façon à lui de se protéger. Ou du moins d’essayer. En effet, tout au long de son livre, il laisse filtrer et apparaître une profonde vulnérabilité. Même s’il nourrit une certaine tendresse pour son nombril, il est trop hypersensible pour être un authentique Narcisse. Attention, il roule des mécaniques, mais il y a des ratés dans le moteur. Côté cœur et côté mental, il y a quelques pièces plutôt fragiles. C’est cette dualité, cette contradiction, qui font le charme du bonhomme. Et qui alimentent sa plume. A la manière d’un goret qui se roule dans la boue pour son bien-être, il se vautre et se complaît dans l’esbroufe et dans ma médisance. Il est comme ces humoristes qui se damneraient pour un bon mot, fût-il au détriment d’un ami…

C’est facile de dire du mal de certains de ses contemporains, surtout lorsqu’ils jouissent d’un statut ou d’une célébrité. Tout le monde peut le faire. Mais Nicolas Bedos le fait avec un talent littéraire étourdissant. Plus il se déplume (il en fait parfois le constat amer), plus sa plume est s’enrichit ! Que l’on soit d’accord ou non avec ses positions on ne peut qu’admirer son style et s’en délecter. Est-ce parce qu’il a été élève à l’école Pascal qu’il a de si brillantes Pensées ? On aime à la croire.

C’est incontestablement à l’écrit que Nicolas est le meilleur. A l’oral, quand il se trouve sur un plateau de télévision, il ne peut se retenir de faire un numéro ; celui du je-m’en-foutiste provocateur qui adore les affrontements et dire des gros mots. En revanche, lorsqu’il lit ses chroniques ou ses billets, il est excellent. Car il s’agit de la retransmission d’un exercice littéraire.

Témoin de son temps, observateur de la société, membre éminent et assumé de la confrérie des Bobos germanopratins, Nicolas Bedos nous permet de revivre une année particulièrement riche en événements de toute nature. Son livre, brillant et plaisant, est vraiment de la belle ouvrage. Peut-être pas quand même jusqu’à en devenir « mytho-logique » !...

mercredi 21 novembre 2012

Adieu, je reste !


Théâtre des Variétés
7, boulevard Montmartre
75002 Paris
Tel : 01 42 33 09 92
Métro : Grands Boulevards

Une comédie d’Isabelle Mergault
Mise en scène par Alain Sachs
Décors de Charlie Mangel
Costumes de Pascale Bordet
Avec Chantal Ladesou (Barbara), Isabelle Mergault (Gigi), Jean-Marie Lecoq (Jean-Charles), Jean-Louis Barcelona (Gildas)

L’histoire : Gigi (Isabelle Mergault) est engagée par son amant pour tuer sa femme, Barbara (Chantal Ladesou). Lorsqu’elle arrive dans l’appartement, elle se retrouve nez-à-nez avec une femme en détresse. Elle n’ose plus l’assassiner et préfère lui venir en aide. Les deux femmes découvriront peu à peu bien des choses qu’elles ignoraient de cet homme dont elles croyaient être sincèrement aimées…

Mon avis : Les spectateurs s’étranglent de rire, tapent des mains… Dans la salle du théâtre des Variétés, l’ambiance est à la franche rigolade. Les responsables de cette belle hilarité sont deux femmes, une blonde, Chantal Ladesou, et une brune, Isabelle Mergault. Deux foldingues qui ne reculent devant rien pour nous amuser… Au cinéma, les films reposant sur un tandem improbable (à l’instar de ceux de Gérard Oury ou de Francis Weber) fonctionnent généralement à merveille. Ici aussi, le binôme est d’une rare efficacité.
Isabelle Mergault a écrit le personnage de Barbara en pensant à Chantal Ladesou. Elle lui a concocté un rôle sur mesure, un rôle en or où le burlesque est parfois teinté d’émotion.

Le rideau s’ouvre sur un superbe appartement bourgeois, moderne et cossu. La première scène, qui réunit Gigi et son amant Jean-Charles, est très importante car elle nous permet d’assister à la répétition du meurtre perpétré à l’encontre de Barbara, la riche épouse de Jean-Charles et, vu comme ça se déroule, devant la candeur et la maladresse de la jeune femme, on se doute que rien ne se passera comme prévu ; et on s’en réjouit d’avance… Moulée dans une (très) courte robe à fleurs sur laquelle elle ne cesse de tirer en vain vers le bas, Isabelle Mergault campe une femme amoureuse, naïve et naturellement gaffeuse. Elle est pleine de bonne volonté, mais elle manque cruellement de concentration et de motivation. Pas facile de zigouiller quelqu’un de sang froid…
Le premier grain de sable à venir gripper le rouage de ces funestes préparatifs n’est autre que l’intéressée elle-même, la cible, Barbara ! Son apparition en déshabillé vaporeux rosâtre digne de Barbara Cartland et la coiffure crêpée en pétard façon crinière de lionne évaporée, déclenche des gloussements de plaisir. LA Ladesou est au mieux de sa forme. Avec son timbre de voix traînant, sa gestuelle aussi désordonnée qu’appuyée, ses poses invraisemblables et ses mimiques inénarrables, elle focalise la jubilation. Certes, on n’est pas au Français, mais on est en plein boulevard. En pleine autoroute même car pendant près de deux heures Gigi et Barbara vont nous entraîner dans leur folie douce pied au plancher.

Isabelle Mergault a retrouvé toute sa verve. Si sa précédente pièce, L’amour sur un plateau, avait pu comporter quelques faiblesses, autant Adieu, je reste est un spectacle total, sans temps morts, avec des situations réellement cocasses et surtout des dialogues parfaitement ciselés. J’ai relevé bon nombre d’excellents jeux de mots, un joli « Kikiproquo », et quelques répliques qui pourraient devenir culte comme la conclusion de Gigi à la phrase « S’aimer, c’est regarder ensemble dans la même direction… » dont je vous laisse le plaisir de découvrir la chute… Il y a aussi cette exclamation qui revient en gimmick dans la bouche de l’écrivaine Barbara lorsqu’elle apprécie une jolie tournure : « C’est bien ça ! Faut que j’le note… »

Isabelle a aussi truffé malicieusement son scénario de clins d’œil cinématographiques. Elle reprend à bon escient quelques répliques cultes de Bardot dans Le Mépris. Lorsqu’elle donne une leçon de séduction à Barbara, on pense immédiatement au cours de maintien que donne Poiret à Serrault dans La cage aux folles. Lorsqu’elle surgit pour accomplir son forfait, elle parodie visiblement Lara Croft. Quant au dénouement, il m’a rappelé la trame du Crime était presque parfait d’Hitchcock… Il y a même des cascades et un combat à mains nues !

Avec sa propension à l’autodérision, Isabelle s’est également ingéniée à choisir pour elle et ses partenaires masculins des prénoms, Gigi, Jean-Charles et Gildas, qui ne peuvent que provoquer son fameux chuintement.

Mais ce qui rend cette comédie totalement aboutie, c’est qu’elle a su la saupoudrer de séquences où perce l’émotion : le désarroi de Barbara qui veut en finir avec la vie, la mélancolie de Gigi lorsqu’elle dresse son bilan sentimental désastreux (« On ne m’a pas aimée »), la jolie relation qui s’installe entre deux femmes trahies par l’homme qu’elle aime…

Emportée par ces deux phénomènes, Adieu, je reste est une pièce très réussie, efficace, qui n’a pour but que de nous faire rire de bon cœur, sans arrières pensées, sans chichis. C’est une pièce populaire dans le sens noble du terme qui devrait aisément tenir la route du succès jusqu’à l’été prochain.


mardi 20 novembre 2012

Nini


L’Archipel
17, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 48 00 04 05
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une pièce écrite et mise en scène par Gil Galliot
D’après une idée originale de Sandra Gabriel
Avec Sandra Gabriel

L’histoire : Paris, octobre 1943. Au cabaret du Tire-Bouchon, le rideau s’ouvre comme chaque soir sur Nini, personnage haut en couleur, dotée d’une gouaille sans pareille et qui, sous la forme d’une revue, se raconte et met sa vie en scène en chantant et dansant devant un parterre de vert-de-gris et de noceurs. Nous sommes en plaine Occupation allemande…
Nini, reine de la nuit et femme hors norme, tombe amoureuse de Hans, un sous-officier de la Wermacht, sans se soucier de son statut d’occupant puisqu’il occupe son cœur avec bonheur…

Mon avis : Le théâtre de l’Archipel est en réalité un îlot convivial et confortable. On s’y sent bien. La scène de la petite salle où se joue Nini ne fait que quatre mètres de large, ce qui est peu. Surtout quand on découvre la performance artistique et physique que va y accomplir Sandra Gabriel dans le rôle-titre…
Pour être tout à fait honnête, je suis rentré dans ce spectacle sur la pointe des pieds. J’ai été certes immédiatement charmé et amusé par la gouaille de Nini, jeune Normande montée à Paris pour y concrétiser son rêve de jeune fille : devenir artiste. Elle va d’ailleurs préciser un peu plus tard qu’après trois générations de femmes qui gagnaient leur vie « horizontalement », elle va être la première à la gagner de façon « verticale ». Ça en dit déjà long sur son état d’esprit… Nini est une nature. Elle déborde de joie de vivre et de sensualité, elle est espiègle, insouciante, taquine, mais surtout très saine. Et très « scène » aussi. Elle sait tout faire : c’est une conteuse truculente, qui appelle un chat un chat, qui a parfaitement assimilé l’argot de Pantruche, et elle est également une remarquable danseuse et une excellente chanteuse. Une chanteuse réaliste à la manière des héritières de Berthe Sylva, Fréhel ou Damia.

Donc Nini se raconte. Avec beaucoup d’humour et d’autodérision. Elle évoque son enfance, les passés de gourgandines de son arrière-grand-mère, de sa grand-mère et de sa mère ; elle fait revivre le curé et l’instituteur. En dépit de cette lourde hérédité de femmes légères, alors qu’elle fort bien faite de sa personne, Nini préfère prendre son destin en main. Elle ouvre le bocage à l’oiseau qui vibre en elle. Après s’être produite dans différentes cabarets parisiens, elle est devenue meneuse de revue au Tire-Bouchon, un établissement dont l’essentiel de la clientèle est composé soldats allemands. Elle, elle n’a pas d’états d’âme. Elle aime son boulot, elle s’éclate sur scène, elle donne sans compter, sans arrière-pensée. Mais, néanmoins, elle est complètement lucide sur ce que vivent les Français sous le joug de l’occupant.
Son slogan est aussi simple qu’imparable, elle est « une femme libre sous l’Occupation »… Facile à dire, moins facile à vivre. Surtout quand on nourrit une sincère passion amoureuse pour un sous-officier de la Wermacht, le beau et sentimental Hans… On pense alors furieusement à Arletty, et aussi au formidable film de Louis Malle Lacombe Lucien, deux histoires qui font réfléchir et qui poussent à l’indulgence, avec le sempiternel questionnement : « Qu’aurions-nous fait à leur place, dans la même situation ? ».

Pour en revenir à Nini, plus le spectacle avançait, plus je me laissais happer et entraîner par la folle générosité de Sandra Gabriel. Elle est débordante de vie, de simplicité et de naturel. Elle demande à ne pas être jugée. On ne peut que la comprendre et l’aimer. Et on l’aime de plus en plus. Et encore plus à la fin.

Nini est vraiment un beau spectacle, remarquablement écrit, intelligent, drôle, entraînant et émouvant. Sandra Gabriel EST Nini. Elle est complètement investie par son personnage. Elle y va à fond, humaine et impudique. Et surtout libre et assumée.
Il faut en outre souligner la qualité de la bande-son et aussi l’importance des images d’époque projetées sur un écran. Ce qui accroît le ton de véracité et le réalisme du récit. Si bien que, devant tant d’authenticité, on se demande à la fin si cette Nini n’a pas réellement existé. Mais il a dû y en avoir des Nini comme elles durant cette période trouble et agitée… En tout cas, elle nous donne à voir une bien belle histoire de femme…


jeudi 15 novembre 2012

Hommage à Jacques Brel



Suite à mon poème "Hommage à Georges Brassens", on m'a demandé de refaire quelque chose dans le même esprit avec un autre artiste. Ce n'est pas l'ordre alphabétique qui m'a inspiré, mais le talent. Après "Tonton Georges","Le Grand Jacques" s'imposait...


Quand on voit le jour au printemps
Dans les environs de Bruxelles
On voudrait rester un enfant
Dans les jupons de quelque vieille
J’ai grandi dans le plat pays
Là où vite on comprend pourquoi
Faut-il que les hommes s’ennuient
Mais chez ces gens-là, c’est comm’ ça

Je me souviens mon pèr’ disait
« Regarde bien petit, c’est toi
Qu’en tant que « fils de » je prendrai
Ma cartonnerie est à toi
Pour moi c’était de la parlotte
Dès l’enfanc’ j’ n’étais pas enclin
A fair’ partie de la cohorte
Des paumés du petit matin

Moi, quand la ville s’endormait
Tout seul dans mon lit je rêvais
Je ne sais pas pourquoi j’aimais
Moins les moutons que les bergers
C’était peut-être l’âge idiot
On se veut prince ou fou du roi
Tête en l’air, pieds dans le ruisseau
Un jour la lumièr’ jaillira

Fuyant une vie cass’-pompon
A l’étroit comme à la Bastille
La colombe s’est faite lion
A moi les prénoms de Paris
J’étais l’homme dans la cité
Qui aimait les filles et les chiens
Par la Toison d’or entêté
Avide comm’ le diable à jeun

De l’aventur’ j’étais en quête
J’étais heureux avec les filles
Clara, Mad’leine ou la Fanette
Je t’aim’, demain l’on se marie
Je prenais l’air de la bêtise
En pleine foir’, j’aimais bien faire
Avec les biches ou les marquises
La bourrée du célibataire

Je me prenais pour le bon Dieu
Voici ma prière païenne
Grand-mèr’, les bigotes et les vieux
Sans pardons, me couvraient de haine
Mais Grand Jacqu’ veut vivre debout
La dam’ patronness’, les Flamandes
Sont pour lui des sing’, des hiboux
Il s’en fout comm’ de mai quarante

J’ai bu d’ la bière à Amsterdam
Sous les remparts de Varsovie
Même à Vesoul, pour une femme
Y’a rien à voir, on s’y ennuie
Dans les jardins du casino
Avec Fernand, Jeff et Jojo
Meilleurs ivrogn’ que gigolos
On dansait l’ Knokk’-le-Zout’ tango

Il pleut ou il neige sur Liège
Gris’ litanie pour un retour
Je sais que Rosa l’Ostendaise
Ne s’ra pas le prochain amour
Ell’ miaulait : « Ne me quitte pas »
Cette fill’ blond’ comme les blés
Ainsi que font les maladroits
Les timid’, les désespérés

Les cœurs tendres aspirent à vieillir
Façon Chanson des vieux amants
Les toros ça veut vit’ mourir
Pour laisser la place au suivant
Moi je n’ai pas peur de la mort
Une îl’ m’accueill’ra moribond
Voir un ami pleurer d’accord
Mais faut pas m’ casser les bonbons

J’arrive à mon dernier repas
J’ veux partir avec élégance
Saint Pierr’, surtout, ne m’attend pas
J’ suis trop fier, donc sans exigences
Mais qu’avons-nous fait bonnes gens
En face il nous faut regarder
La vie est un’ valse à mill’ temps
A grandes dents, je l’ai bouffée

Gérald Dahan


Gentleman usurpateur

Après avoir connu un grand succès avec son spectacle Sarkoland en 2008/2009, Gérald Dahan est de retour avec un tout nouveau show intitulé Gentleman usurpateur (n’étant pas bègue, il pouvait décemment pas le baptiser « Hollande-land »)…
Il vient de le présenter début novembre dans la jolie bonbonnière qu’est le cabaret parisien La Nouvelle Eve avant d’entreprendre une grande tournée à travers la France. Mais, farceur invétéré, il a garni cette bonbonnière de dragées… au poivre. Une fois de plus, il a bluffé tout le monde avec ses remarquables imitations et l’étonnant mimétisme dont il fait preuve avec les célébrités qu’il caricature. En plus, non content de ça, il se révèle être un excellent chanteur, un fameux mime et s’autorise même quelques chorégraphies du meilleur aloi. D’ailleurs, puisqu’il a choisi de se produire dans un cabaret, il la joue résolument music-hall en se faisant accompagner par un pianiste.

Pour usurper, il usurpe le Gérald. Et il ratisse large, abordant tous les domaines de la politique à la chanson en passant par le cinéma et la télévision.
C’est Michel Jonasz qui ouvre le carnet de balles (à blanc, rassurez-vous). En guise de générique, il se livre à une revue de détail sur l’actualité politique. Après cet Etat des lieux, Gérald redevient Dahan le temps de regretter, élections obligent, d’avoir perdu en route « son personnage principal », Nicolas Sarkozy. « Passer de Sarkozy à Hollande, c’est comme passer d’une Ferrari à une Kangoo » ironise-t-il. Mais on ne le sent pas si chagrin que ça. La nouvelle majorité présidentielle lui offre un nouveau terrain de chasse dans lequel il peut flinguer à tout-va. Ses premières proies étant Manuel Valls et Arnaud Montebourg…

Ce qui est bien avec Dahan, c’est qu’il zappe pour nous. Il abandonne ses nouvelles voix politiques pour nous ramener en terrain connu en clonant à merveille Patrick Timsit puis, prouvant une fois de plus qu’il a plusieurs cordes vocales à son arc, il s’appropriant les larynx de Stéphane Guillon (étonnant de véracité), de Pierre Palmade (un classique) et d’Edouard Baer (rare) avant de se consacrer à un long épisode dévolu à Dominique Strauss-Kahn…
Après ce chapitre délicieusement fleur bleue, il se lance dans une séquence chansons à la suite de laquelle, pratiquant lui aussi allègrement l’alternance, il revient à la politique en faisant se succéder, chronologie oblige, Sarkozy et Hollande. Sans vous en dire plus, je vous recommande particulièrement sa parodie de not’ nouveau président, bien écrite et remarquablement interprétée…
Dans la salle, on est aux anges car, pour le prix d’un seul spectacle, on voit entre autres défiler sur scène Julien Clerc, Johnny Hallyday, Fabrice Luchini, Gérard Depardieu, Claude Nougaro et même Barack Obama !

Gentleman usurpateur est un spectacle total, aussi varié qu’abouti. La générosité de Gérald Dahan n’a d’égale que l’étendue de ses dons. Il se plaît sur scène, c’est évident. Il adore jouer avec le public, voire « sur » le public. En vrai sale gosse qu’il est, il rit lui-même de ses vannes les plus saignantes. Et comme il a un mal fou à quitter la scène, il nous propose une sorte de « chanson à la demande » et enfin, tout comme un DVD, il nous fait cadeau d’un bonus pour lequel il se mouille vraiment. Dans l’absolu, il ne manque qu’un bêtisier, mais des bêtises l’actualité et nos célébrités lui en fournissent tellement qu’elles sont la matière avec laquelle il a construit son spectacle…

Fabrice Di Falco


Di Falco Quartet

Lundi soir, dans l’auditorium de l’Espace Georges Bernanos, J’ai eu le bonheur de découvrir un véritable phénomène : Fabrice Di Falco.
Ce jeune homme, dont quelques relations m’avaient déjà parlé, est surnommé à juste titre « Le Farinelli créole ». Il est un des ares chanteurs au monde (ils ne sont paraît-il qu’une vingtaine) à posséder une tessiture de sopraniste et de haute-contre. Si bien qu’il peut aussi bien interpréter ces airs qui étaient l’apanage des castrats aux 16è et 17è siècles que de jouer avec le grain grave de sa voix. Cette particularité l’autorise à aborder un répertoire on ne peut plus éclectique, passant avec une aisance déconcertante du baroque au jazz, de l’opéra à la comédie musicale.

Le 12 novembre dernier, j’ai donc pu le découvrir dans une nouvelle formule, le Di Falco Quartet.
Il nous offre une étrange entrée en scène, très théâtralisée. Pendant que les musiciens jouent, il apparaît en haut des travées, revêtu d’une longue chasuble noire, le visage dissimulé derrière un loup vénitien surmonté de plumes de paon. Il descend lentement les marches qui conduisent à la scène et, soudain, sa voix, éthérée, cristalline, mélodieuse, emplit l’espace. Il se déplace au ralenti, hiératique, jubilant sans doute intérieurement de l’effet qu’il produit sur les personnes qui le découvrent. Sur un rythme jazzy, il se livre à quelques vocalises étonnantes…
Mais, dès le deuxième morceau, il se démasque, au propre comme au figuré. Ayant jeté sa soutane aux orties, il quitte résolument son personnage quelque peu irréel. Juché sur une haute chaise tapissée de tissu antillais, il se présente avec énormément d’humour et de distance. En préambule à un air de Vivaldi, à la fois informatif et facétieux, il raconte le phénomène des castrats.
Son show – car c’en est un – est original, riche et varié. Accompagné par de formidables musiciens (Jean Rondeau au piano, Aurélien Pasquet à la batterie et Erwan Ricordeau à la contrebasse), bénéficiant de l’excellente acoustique de l’auditorium, il chante du Mozart, rend hommage au Chevalier de Saint-George, Antillais comme lui, dialogue avec la contrebasse, campe un duo dans lequel, jouant à merveille de son incroyable tessiture, il se répond à lui-même en tenant à la fois le rôle féminin et le masculin, se livre à une danse lascive et romantique avec une danseuse et termine son spectacle par une surprenante version de Adieu foulard, adieu madras, un chant traditionnel martiniquais datant de 1769 qu’avait popularisé… Chantal Goya !

Fabrice Di Falco est un personnage hors normes. Alors qu’il est invité à se produire partout dans le monde, il reste étonnant de simplicité. Il ne s’enferme pas dans son statut de phénomène vocal. Protégé par son sens de l’humour, il est accessible et adore papoter avec le public à l’issue de sa performance (dans le sens anglo-saxon du terme). En plus de ses prodigieuses qualités vocales, il est incontestablement une belle âme.
Si vous ne le connaissiez pas, retenez bien son nom et guettez ses prochaines prestations car il n’a pas fini de nous surprendre et de nous enchanter.

mercredi 14 novembre 2012

1789, les Amants de la Bastille


Palais des sports
1, place de la Porte de Versailles
75015 Paris
Tel : 01 48 28 40 10
Métro : Porte de Versailles

Livret de Dove Attia et François Chouquet
Mise en scène et chorégraphies de Giulano Peparini
Musiques composées par Dove Attia, Rod Janois, Jean-Pierre Pilot, William Rousseau, Olivier Schultheis
Paroles de Dove Attia et Vincent Baguian
Décors de Bernard Arnould
Costumes de Frédéric Olivier
Lumières de Xavier Lauwers
Images de Patrick Neys
Avec Louis Delort (Ronan), Camille Lou (Olympe), Rod Janois (Camille Desmoulins), Roxane Le Texier (Marie-Antoinette), Sébastien Agius (Robespierre), Nathalia (Solène)Matthieu Carnot (Lazare), David Ban (Danton), Yamin Dib (Auguste Ramard), Guillaume Delvingt (Necker), Philippe Escande (Louis XVI)…


L’histoire : France, printemps 1789. La famine et le chômage dévastent les campagnes et les villes. La révolte gronde tandis qu’à Versailles la cour de Louis XVI, insolente et frivole, continue de dépenser sans compter l’argent de l’Etat.
Issus de ces deux mondes qui se redoutent et s’affrontent, Olympe et Ronan n’auraient jamais dû se rencontrer. Lui, jeune paysan révolté par les injustices qui l’ont privé de sa terre, monte à Paris pour conquérir la liberté. Elle, fille de petite noblesse, gouvernante des enfants royaux à Versailles, se dévoue corps et âme au service de sa souveraine, la reine Marie-Antoinette. Et pourtant…
Ils vont s’aimer passionnément, se perdre, et se retrouver. Accompagnant les plus hauts personnages de leur temps tels Danton le magnifique, Camille Desmoulins, le fougueux journaliste, ou Jacques Necker, l’austère ministre du Roi, ils connaîtront les soubresauts de la Grande Histoire.

Mon avis : Voici donc le quatrième opus produit par Dove Attia et Albert Cohen. Après Les 10 Commandements, Le Roi Soleil et Mozart l’opéra Rock, ils continuent de remonter le temps avec 1789, les Amants de la Bastille.
Forts de leurs précédentes expériences, ils ont acquis dans le domaine du spectacle musical un savoir-faire indéniable. Ils n’ont d’ailleurs connu que des succès toujours plus grands.
Pour 1789, ils ont de nouveau réuni les ingrédients qui ont légitimé leur réussite : de somptueux décors, de superbes costumes, une scénographie onirique, des chansons portées par des voix parfaites, des chorégraphies originales… tout cela au service d’une histoire.

Ce qui m’a le plus frappé et séduit, c’est la formidable esthétique du spectacle. On en prend vraiment plein les mirettes. En fait, il y a peu de décors en dur. L’ingéniosité du scénographe a été de projeter des images sur d’immenses panneaux coulissants. L’effet est remarquable. On sait tout de suite où on se trouve. La toute première image, à l’ouverture du rideau, donne le ton. On se croirait dans un film en 3D. Et la suite ne fait que confirmer ce parti-pris d’esthétique. On a droit à une succession de tableaux tous plus beaux les uns que les autres. J’ai particulièrement celui du Palais-Royal, la chorégraphie des filles de joie, celui du Journal, celui de la geôle avec acrobaties façon yamakasi, le cauchemar d’Olympe, ainsi que certains effets spéciaux comme l’incendie… Dans ce domaine, on est vraiment gâté.

En revanche, par rapport aux précédents spectacles et plus particulièrement les très réussis Roi Soleil et Mozart, la part de fiction y étant plus importante, j’ai trouvé l’intrigue plus décousue. J’admets que traiter les six mois les plus décisifs de la Révolution Française en deux heures tenait de la gageure. Connaissant la grande méticulosité en matière de véracité historique du librettiste François Chouquet, il a dû souffrir de ne pas pouvoir développer cet aspect au détriment du récit romanesque. Si bien qu’on n’a droit qu’à quelques fulgurances disposées ça et là au petit bonheur, ce qui produit une sorte de déséquilibre dans la narration. On voit passer les principaux protagonistes de la Révolution ; les Danton, Robespierre, Desmoulins… sans trop les approfondir.

Toujours par comparaison aux deux exercices précédents, j’ai trouvé que 1789 manquait de tubes. Certes la musique est bonne mais, hormis Ça ira mon amour, il y a peu de chansons qui émergent et que la foule peut immédiatement s’approprier. Dans Le Roi Soleil et Mozart, il y a eu une demi-douzaine de vrais succès. Là, ça manque un peu de folie et de bons gros titres qui ponctuent le spectacle de ces rendez-vous avec les jeunes filles qui les reprennent en communion avec leurs interprètes.
Ensuite, autant j’avais adoré la prestation de Yamin Dib dans Mozart où il avait apporté une indispensable et rafraîchissante note de comédie pure, autant j’ai trouvé qu’il en faisait beaucoup trop cette fois. Yamin est un comédien hors pair, il n’a pas besoin de forcer autant le trait. Dans la première partie, j’ai eu l’impression de voir un clone agité et vociférant de Louis de Funès. Heureusement, il se ressaisit dans le début de la seconde partie. Je comprends qu’on veuille apporter un peu de légèreté dans une histoire dramatique, c’est nécessaire, et le public adore Yamin. Mais il faut savoir éviter la caricature et tomber dans le sur-jeu… En revanche, j’ai trouvé extrêmement jubilatoire la prestation de ses deux sbires, joués par Michaël Feigenbaum et l’époustouflant Olivier Mathieu
Sur le plan vocal, il n’y a rien à dire. Comme d’habitude, tous les artistes sont parfaits. J’ai plus particulièrement apprécié les timbres de Nathalia (Solène) et surtout celui de Rod Janois (Camille Desmoulins). Ils font vraiment l’unanimité auprès du public… Quant aux chorégraphies, je les ai trouvées absolument superbes, homogènes, toniques, inventives, tout à fait adaptées à l’histoire. Du très beau travail.

Bref, si les yeux sont plus comblés que les oreilles1789, les Amants de la Bastille reste un grand et beau spectacle. Il y a encore une fois de la magie et surtout, je tiens à le rappeler, une profusion de tableaux absolument magnifiques.