vendredi 31 mai 2019

Kean


Théâtre de l’Oeuvre
55, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 01 44 53 88 88
Métro : Liège / Place de Clichy

Une pièce d’Alexandre Dumas
Adaptée par Jean-Paul Sartre
Mise en scène d’Alain Sachs
Décors de Sophie Jacob
Costumes de Pascale Bordet
Lumières de Muriel Sachs
Musique de Frédéric Boulard

Avec Alexis Desseaux (Kean), Pierre Benoist (Le domestique, Peter Patt, Lord Mewill, Darius), Sophie Bouilloux (Elena), Jacques Fontanel (Le Comte), Frédéric Gorny (Le Prince de Galles), Eve Herszfeld (Amy, Fanny, Gidsa), Justine Thibaudat (Anna), Stéphane Titeca (Salomon)

Présentation : Kean ou l’histoire d’un fameux acteur anglais qui triomphe au Théâtre Royal de Drury Lane et que tout Londres, au début du 19ème siècle, court acclamer.
Mais, chez Kean, l’homme et le comédien se confondent bien souvent…
Est-il en vérité lui-même ou bien les divers personnages qu’il incarne ?
Un soir, submergé par ses passions amoureuses, Kean explose en pleine représentation d’Othello

Mon avis : Lorsqu’on lit, en accroche de ce spectacle : « 8 comédiens, 5 décors, 35 costumes ! » et, en prime, 5 nominations aux Molières 2019… ce sont des arguments qui donnent vraiment envie de se rendre au Théâtre de l’Oeuvre. Et lorsqu’on voit, associés sur l’affiche en tant qu’auteur et adaptateur deux sommités comme Alexandre Dumas et Jean-Paul Sartre, la curiosité est encore décuplée.

Disons-le sans détours, le spectacle est largement à la hauteur de ces louanges.
Le texte de Dumas est brillant et les dialogues, particulièrement percutants, sont d’une modernité réjouissante malgré leurs… 183 ans !
Même si l’intrigue tourne autour du théâtre, cette pièce est une comédie humaine car elle décrit bon nombre de sentiments basiques comme l’ambition, la séduction, la mauvaise foi, l’obséquiosité, le dévouement, le mensonge et son corollaire, la soif de vérité. Bien sûr l’histoire se déroule dans une élite. S’y côtoient en effet un prince, un comte, un ministre, un lord et un roi… du théâtre. Mais leur condition ne les empêche pas d’avoir des comportements universels.


D’abord, à tout seigneur tout honneur… Alexandre Dumas n’aurait pas pu baptiser sa pièce autrement que « Kean » car Kean, même quand il n’est pas en scène, y est omniprésent. Pendant deux heures, on « bouffe » du Kean et on s’en régale. Quel rôle ! C’est fascinant.
Kean, comédien adulé, mythifié, est en fait un cabot d’autant plus magnifique qu’il est terriblement lucide. Il n’est dupe de rien. Il se livre devant nous à un grand numéro de schizophrénie assumée. D’ailleurs, il nous l’avoue dès le début : « Je vis au jour le jour la plus fabuleuse des impostures »… Kean joue. Il joue tout le temps. Il joue avec les gens, il joue avec l’argent (pour lequel il nourrit un mépris total), il joue avec lui-même. Il oscille en permanence entre le jeu et le Je, entre la réalité et l’illusion… 


Jouisseur invétéré, il trouve dans l’alcool un allié pour réussir à gérer cette encombrante schizophrénie. Quand et à quel moment est-il vraiment lui-même ? Il est tellement imprégné de ses personnages que la frontière entre eux et lui est devenue poreuse. En prenant le pseudonyme de Kean, il a relégué Edmond, son vrai prénom, dans un repli de sa mémoire. En lui cohabitent en permanence Kean, Othello, Hamlet et d’autres grands rôles… Il nous faudra attendre la presque fin de la pièce pour que, en frôlant la folie, il redevienne enfin lui-même. Quand le rideau soudain se déchire, il se dévoile et se révèle. On découvre alors que la statue du Commandeur possède des pieds d’argile. A lui seul, il synthétise de sous-titre de la pièce de Dumas, « Désordre et Génie »… Mais, en filigrane, sans que ce soit réellement énoncé, on sent surtout chez lui un amour absolu du théâtre.
Epoustouflant dans le rôle-titre, Alexis Desseaux eût amplement mérité d’être au moins honoré d’une nomination aux Molières.


Mais Kean n’est pas seul dans cette superbe aventure théâtrale. Il ne pourrait pas donner libre cours à ses extravagances s’il n’était pas aussi bien entouré. Ses sept compagnes et compagnons de scène complices sont si complices que cela donne un réel effet de troupe. Ce résultat est dû aussi tout au talent du metteur en scène, Alain Sachs, qui a su fédérer chez les comédiens une énergie et un enthousiasme qui passent la rampe. Il a apporté à ce Kean la légèreté et le rythme d’un Feydeau. Il a su en édulcorer les aspects dramatiques en privilégiant l’humour ; un humour acide, certes, mais on rit très souvent, et de bon cœur. Il est même allé jusqu’à glisser une hilarante note de burlesque dans la scène de fin d’Othello !


 Pour revenir aux comédiens, tous épatants, ils savent donner de l’épaisseur à leurs personnages. Sophie Bouilloux (Elena), frémissante et évaporée, se construit un amour fantasmé façon amour courtois. Elle joue à ravir l’indécision ; un pas en avant, deux en arrière et, jusqu’à la fin, on se demande si elle va succomber ou non… Frédéric Gorny campe un Prince de Galles un peu fin de race. C’est un être fantasque, narcissique, un caméléon qui cherche à s’adapter aux situations en feignant d’en être l’organisateur alors qu’il est en fait un individu veule qui ne se rend même pas compte qu’il totalement manipulé par Kean. C’est un champion dans l’art de la pirouette…

J’ai beaucoup aimé aussi la composition de Stéphane Titeca dans le rôle de Salomon, l’homme à tout faire de Kean. Il lui est d’un dévouement total. Il est au-delà du domestique car il est indispensable à l’équilibre de son maître. Tout en restant déférent, il se fie à son bon sens pour prendre les bonnes décisions. Il est le seul personnage normal et sympathique parmi tous les protagonistes de cette pièce.


Et puis il y a Justine Thibaudat. Chacune de ses apparitions illumine l’espace. Son Anna est un rayon de soleil, un blond tourbillon plein de fraîcheur, de vivacité et de fantaisie. On ne sait jamais si elle est sincère ou si elle n’est qu’une jeune ambitieuse prête à tout pour obtenir un rôle. Mutine, espiègle, fine mouche, elle est le parfait prototype de la fausse ingénue… Sa nomination aux Molières est totalement justifiée car c’est une vraie révélation.
Vous l’aurez compris : il faut absolument aller voir Alexis Desseaux et ses partenaires à l’œuvre… à L’Oeuvre !

Gilbert « Critikator » Jouin

mardi 14 mai 2019

Gilles Ramade Piano Furioso (opus 2)"


Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Dernières les 19 et 20 mai 2019
Au Festival d’Avignon du 5 au 28 juillet
En tournée :
13-14 septembre, Wissembourg / 3 octobre, La Ciotat / 4 octobre, Manosque / 11 octobre, Grandvillars / 18 octobre, Nouzonville / 19 octobre, Lille / 18 décembre, Bordeaux / 20 décembre, Lyon / 9 janvier, Maromme / 18 janvier, Marseille / 19 janvier, Nice

Interprété par Gilles Ramade
Mis en scène par Jérémy Ferrari
Lumières de Frédérick Doin

Présentation : Insatiable baroudeur, à la fois pianiste, chanteur, compositeur, chef d’orchestre, auteur et comédien, Gilles Ramade a fait de la dispersion un art.
Son dernier spectacle est à son image : insolent, surprenant, inclassable. Il bouscule les codes académiques et s’attaque à la bienséance du classique. Sa rencontre avec Jérémy Ferrari était une évidence.
Un show déluré et hilarant, mené de main de maître par un virtuose partageant sa passion entre Bach, Ray Charles, Gainsbourg et bien d’autres…

Mon avis : Piano Furioso est un spectacle absolument ébouriffant. D’abord musicalement. Gilles Ramade fait ce qu’il veut avec son piano. Son niveau de virtuosité est si insolent que ça nous paraît facile alors qu’une telle aisance représente des heures et des heures de travail. Il fait véritablement corps avec son instrument… Ensuite, ce spectacle est un petit bijou textuel. Pendant une heure et demie, Gilles Ramade commente, critique et vulgarise ce qu’il est en train de jouer et nous donne, en prime, un cours de musicologie un tantinet déconcertant.

Photo : Christine Coquilleau
 Dès son entrée en scène, il joue avec les contrastes. Il se présente vêtu très élégamment, queue de pie et souliers vernis. Le premier morceau qu’il interprète est on ne peut plus conventionnel. Ça commence comme un récital jusqu’au moment où il ouvre la bouche pour se livrer à une réflexion amère sur un certain jingle publicitaire. En une seconde, il passe de la noblesse de la « grande » musique à la trivialité du dérisoire et de la récupération commerciale. Le ton du spectacle est donné. On sent tout de suite la patte (ou plutôt le griffe) de Jérémy Ferrari et sa gourmandise pour le décalage. Dans les passages écrits à quatre mains, cet iconoclaste de Jérémy s’est particulièrement focalisé sur les touches noires (je pense au dernier rejeton de J.S. Bach et au couplet sur les pianistes aveugles). Il y a toujours un fond de sérieux et une documentation solide, mais la forme est à la fantaisie la plus débridée.

Photo : Christine Coquilleau
 Le spectacle va crescendo. D’académique au départ, il glisse progressivement vers la subversion. Il nous donne le signal de sa rébellion en jetant carrément son frac aux orties. Dès lors débarrassé de sa panoplie de concertiste, il va se dévergonder en flirtant avec la variété (en nous énumérant par exemple quelques jolis avatars du Canon de Pachelbel), puis avec le jazz. Pour synthétiser, il passe sans transition du piano Bach au piano bar.

Photo : Christine Coquilleau
 Les 88 notes de son instrument lui offrant un espace de liberté infini, pourquoi s’en priverait-il ? En plus, il se révèle être aussi un excellent chanteur. Le latin lover invétéré qu’il est pratique opportunément le yaourt à géométrie variable pour séduire tous azimuts… Et, en bouquet final, quoi de plus naturel que de nous offrir un… pot-pourri ; un flamboyant mélange des genres. C’est tout simplement sublime. Nos trompes d’Eustache sont aux anges. On en voudrait encore et encore. On l’écouterait jouer pendant des heures.

Photo : Christine Coquilleau
 Mais il ne faut pas se leurrer, derrière la satire, l’irrévérence, l’autodérision et le parti-pris de faire rire, Piano Furioso est avant tout le vibrant hommage d’un passionné à la musique sous toutes ses formes. Que du bonheur !

Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 13 mai 2019

Jean-François Dérec "Le jour où j'ai appris que j'étais Juif"


Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Jusqu’au 9 juin
Puis au Festival d’Avignon

Ecrit et interprété par Jean-François Dérec
Mis en scène par Georges Lavaudant

Présentation : « L’action se passe à Grenoble. J’ai 10 ans. Christine, 11 ans, me propose de me montrer ses seins si je baisse mon pantalon.
Je suis timide, je décline sa proposition. Elle me lance : « Je sais pourquoi tu ne veux pas me le montrer. Parce que tu es juif et que tu as le zizi coupé en deux ! »
Le ciel m’est tombé sur la tête… Ma mère était-elle au courant qu’elle avait mis au monde un enfant juif ? Devais-je le lui dire ?
Comment arrêter d’être juif et devenir un vrai Grenoblois comme tout le monde ?

Mon avis : Le seul en scène de Jean-François Dérec débute en forme d’anaphore : « C’était le bon temps ! »… Ce « bon temps » là, c’était celui de l’innocence. Il se rapporte à la fin des années 60, à Grenoble. Le petit Jean-François a 10 ans. Au moment où il connaît ses premiers émois amoureux avec une « vieille » de 11 ans, sa vie va basculer. Il apprend trois informations d’un coup : il serait « juif », « communiste » et il aurait « le zizi coupé en deux »…
Obsédé par cette triple révélation, il passe brutalement de « J’ai 10 ans » à « Allo maman bobo ». Il se mue alors en anthropologue en culottes courtes. Du jour au lendemain, il va observer sa famille et mener discrètement sa petite enquête. Comment a-t-il hérité de cette judéité ? Qui sont vraiment ses parents ? Jusque-là, il pensait être uniquement Grenoblois.

Photo Philippe Hanula
 Dès lors, Jean-François Dérec va jouer avec le feuj… Les pièces d’un mystérieux puzzle se mette tout doucement en place. Il réalise soudain que ses parents ont un accent particulier. Il se demande aussi pourquoi, lorsqu’ils de disputent, ils s’affrontent dans une langue qu’il ne connaît pas. Il comprendra plus tard qu’ils s’expriment en polonais. Lui qui, jusque-là, ignorait l’existence des mères juives, il constate que sa génitrice en est une, mais au carré… Il va donc tenter de trouver sa place entre une mère angoissée chronique et un père champion d’échecs plutôt jovial. Et, surtout, il va essayer de se forger une identité.
Composé de deux parents et de trois enfants, l’arbre généalogique des Dérec n’était qu’un tronc avec trois branches. Il va s’évertuer d’en rechercher les racines.

Photo Philippe Hanula
 Tout au long de ce spectacle, Jean-François Dérec oscille entre humour et sensibilité. Excellent comédien, il nous emmène avec lui. Il nous fait part de ses observations, de son questionnement, de ses recherches et de ses aventures. Son texte, fort bien construit et remarquablement écrit, fourmille d’images fortes. Il jongle avec les accents, s’amuse avec les clichés et les idées reçues, s’autorise un couplet particulièrement hilarant sur la religion catholique, puis un second, tout aussi drôle, sur ses premiers pas dans une synagogue. Il étudie les mœurs et coutumes d’une communauté dont il ne sait rien avec l’application et la distance d’un entomologiste… Cette pièce aurait pu être sous-titrée « petit traité de vulgarisation pour un Juif amateur ».

On passe avec lui un agréable moment de partage. Quelle que soit sa propre religion, on se sent tous concernés car les thèmes principaux de ce récit autobiographique sont l’absence de communication avec ses parents, la recherche de son identité et son intégration dans le milieu dans lequel on évolue… Avec sa finesse d’esprit, son jeu d’acteur et sa science de la rupture, Dérec est un conteur subtil et habité. Partant de son cas personnel, il nous restitue un chemin initiatique d’une portée universelle.

Petit clin d’œil en guise de conclusion : le titre du premier livre de Jean-François Dérec, De la survie en milieu hostile, paru en 2003, faisait-il référence de façon subliminale au ghetto de Lodz ?...

Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 8 mai 2019

Jeff Panacloc et Jean-Marc au Grévin


Grévin
10, boulevard Montmartre
75009 Paris
Tel : 01 47 70 85 05
Métro : Grands Boulevards

Il y avait beaucoup d’émotion et lundi soir au Grévin au moment où Jeff Panacloc a découvert son effigie sur la scène du joli théâtre à l’italienne du célèbre Musée.

Se voir ainsi immortalisé par une statue de cire était pour lui tout un symbole. Un double symbole même. Personnel d’abord car, étant petit, son père l’emmenait souvent visiter le Musée Grévin. Jeff, qui rêvait déjà d’être artiste, fantasmait en passant en revue les célébrités françaises et internationales. Alors, se retrouver ainsi parmi ces glorieux aînés, provoquait en lui un sentiment très fort. La gorge nouée, au bord des larmes, il avait quelque peine à s’exprimer. Pour faire retomber la pression, il a pu, heureusement, bénéficier du secours de Jean-Marc qui, venu le rejoindre sur scène, a pris le relais en sortant quelques saillies de son cru… Ils sont vraiment indissociables ces deux-là. Ils savent qu’ils peuvent vraiment compter l’un sur l’autre.


Le symbole était aussi professionnel. A 32 ans, Jeff Panacloc ne compte pas encore dix ans de carrière et le voici déjà consacré et par le public et par ses pairs. Quelle reconnaissance ! Il peut être fier de son parcours. En trois spectacles, il a fait l’unanimité tant avec son immense talent qu’avec sa réelle humilité.
Avec Nikos Aliagas en maître de cérémonie, Jeff a pu compter sur le soutien affectueux de ses parents et celui, amical, d’Eric Antoine.
Aujourd’hui, et pour longtemps encore, Panacloc rime avec Ventriloque.

Gilbert "Critikator" Jouin

mercredi 1 mai 2019

La Grande Petite Mireille


Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Spectacle musical de Marie-Charlotte Leclaire et Hervé Devolder
Musiques de Mireille
Mis en scène par Hervé Devolder
Lumières de Denis Koransky
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz

Avec Marie-Charlotte, Adrien Biry-Vicente et Hervé Devolder ou Cyril Romoli

Présentation : Une jeune chanteuse vient passer une audition. Le directeur de casting, passionné de variété française, trouve une ressemblance entre la jeune femme et la célèbre compositrice Mireille, qui a créé Le Petit Conservatoire de la Chanson…
Il n’en fallait pas plus pour plonger dans le music-hall de la Grande Epoque… Se succèderont sur scène Maurice Chevalier, Jean Sablon, Jean Nohain, Yves Montand, Alain Souchon, Yves Duteil, Françoise Hardy et bien d’autres…
Empreintes de jazz, de joie de vivre et de swing, les compositions de la Grande Dame n’ont pas pris une ride.

Mon avis : Un petit bijou de musique et de fantaisie !
Mireille, on l’a peut-être (ou sans doute) oublié, c’est 65 ans de carrière et 600 chansons ? C’est surtout elle qui a introduit le swing en France ; une véritable révolution musicale qui a permis l’éclosion d’un Charles Trenet puis d’une kyrielle d’artistes. C’est donc Mireille qui a ouvert la porte. Son impact sur la chanson française moderne est indéniable et considérable.


La Grande Petite Mireille est une sorte de biopic musical, une comédie joyeuse et enlevée. Pendant 90 minutes, on assiste à un spectacle dans lequel on donne « Tout pour la musique » (en petit clin d’œil à Michel Berger, un des élèves de Mireille au Petit Conservatoire) avec, en prime, « le soleil (au cœur) pour témoin » tellement on est irradié de plaisir.

 Les trois artistes qui mènent ce spectacle piano battant sont indissociables tant ils sont performants et généreux. Marie-Charlotte Leclaire, débordante d’énergie, pétillante et malicieuse, incarne Mireille à la perfection, et musicalement et vocalement. Et ses deux partenaires-complices endossent tous les autres rôles, masculins comme féminins. Ce parti-pris minimaliste, apporte à la fois du rythme et de la drôlerie en permettant une succession de petites saynètes aussi informatrices que réjouissantes.


Ça part d’un « Petit chemin » qui nous conduit sur l’autoroute du succès et se termine sur l’aire d’un Petit Conservatoire. Amusant comme elle s’est ingéniée, sans doute inconsciemment influencée par son physique de tanagra, à utiliser le mot « petit »… La seule volonté de ce spectacle est de nous distraire. Tous les moments de gravité qui sont intervenus dans son existence ont été volontairement éludés. Par exemple, il y a tout juste une « petite » allusion à son implication dans la Résistance pendant la « Grande » Guerre. Ici, la priorité est donnée à la légèreté, rien qu’à la légèreté.


Bien que l’essentiel de cette comédie (musicale) couvre la période qui va des années 30 aux années 70, La Grande Petite Mireille n’est en aucun cas un spectacle générationnel. C’est un spectacle pour amateurs (dans le sens noble du terme) de bonnes chansons et de mélodies jazzy. Donc intemporelles. C’est LA musique et la joie de vivre qui en tiennent les rôles principaux.
Ainsi, comment ne pas se sentir transporté en enthousiasmé par cette séquence de piano à six mains qui revisite les grands hits américains de l’époque Gershwin. Quel que soit son âge on ne peut qu’être emballé. Les différents soli, duos, trios servis par une mise en scène inventive et un superbe éclairage, sont absolument jouissifs.


Enfin, il est extrêmement pittoresque d’assister (ou pour certains, de revivre) à quelques extraits de l’émission Le Petit Conservatoire de la Chanson, dirigée par une Mireille facétieuse et autoritaire. C’est savoureux de voir les tout débuts de futures têtes d’affiche de la grande chanson française comme Pierre Vassiliu, Hervé Cristiani, Yves Duteil, Alain Souchon ou Françoise Hardy…


Servie par trois comédiens-musiciens-chanteurs épatants, La Grande Petite Mireille est une grande, très grande petite comédie musicale.

Gilbert « Critikator » Jouin