mardi 30 octobre 2007

Darling


Un film de Christine Carrière
D'après le livre de Jean Teulé
Avec Marina Foïs (Catherine/Darling), Guillaume Canet (Roméo), Océane Decaudain (Catherine petite), Anne Benoit (La mère), Marc Brunet (Le père), Chantal Clément (La boulangère)...
Sortie le 7 novembre 2007

Ma note : 7/10

Synopsis : Darling est une histoire vraie. C'est celle de Catherine,une fille de paysans bas-normands qui, lancée dans le broyeur de la vie, donne l'impression de toujours choisir la mauvaise direction. Enfant non désirée, détestée, elle se marginalise dans une forme de rébellion et d'indépendance entêtée. Elle se réfugie aussi dans le rêve. La route qui passe devant la ferme de ses parents est sans cesse parcourue par d'énormes camions. Du coup, la gamine fait une fixette sur les routiers. Son prince charmant ne pourra être autre chose qu'un chauffeur de poids lourd... Et son rêve se réalisera en la personne de Roméo ; avant de se transformer de nouveau en cauchemar. Mais c'est son destin. Elle l'accepte sans jamais s'apitoyer sur son (mauvais) sort.

Mon avis : Quelle histoire ! Darling, c'est la "dream victime"... Elle est programmée pour déguster. Souffre-douleur de ses parents qui ne la voulaient pas, elle grandit livrée à elle-même. Grassouillette et maussade, naîve et effrontée, inculte et déterminée, elle oscille sans cesse entre résignation et révolte. Dans son quotidien, il y a bien plus de bleus sur son corps que de bleu dans son ciel. Il y a une certitude en elle : elle ne sera pas paysanne comme ses parents, son destin c'est de partir le plus loin possible de cette basse-Normandie à bord d'un camion. Mais, pour l'instant, la tragédie ne cesse de ponctuer son enfance. C'est Maupassant + Zola. Son seul havre de quiétude et d'affection, c'est la boulangère. Elle aurait pu, avec un tout petit peu de chance, trouver son salut auprès de la seule personne qui sache lui apporter un peu d'attention, de respect et d'humanité. Mais la chance n'était pas inscrite dans ses gènes, il lui fallait d'abord ingurgiter son pain noir, affronter son chemin de croix...
Vous aurez vite compris que cette histoire vous tasse, accablé, dans votre fauteuil. Comment survivre à de telles atrocités, à de telles abominations, à autant d'injustices ? La bouffée d'oxygène de ce film qui pourrait être insupportable tant il est oppressant c'est la voix off. Les commentaires de Darling sur sa vie sont formulés avec un détachement total, comme si elle n'était que le témoin distancié de sa propre misère. Dans sa bouche, les coups, les catastrophes, la mort, sont banalisés. Même quand elle est confrontée au plus sordide, elle analyse les faits sur un ton quasi badin. C'est la magnifique trouvaille de ce film. Sinon, on ne tiendrait pas.
Et là, il faut saluer l'incroyable performance de Marina Foïs. Elle est aux antipodes de ce qu'elle nous avait montré jusqu'à présent avec les Robin des Bois. On avait pu entrevoir cette facette de son talent dans Filles perdues, cheveux gras, mais là, elle va au bout du bout. Elle n'en rajoute jamais, elle joue simple, nature. Sincèrement, une telle prestation lui vaudrait à coup sûr un Oscar aux Etats-Unis. En France, on ne sait jamais. Mais il est impensable que la critique ne salue pas sa bouleversante composition. On sait désormais qu'on peut tout lui faire jouer, que son registre est illimité.
Et puis on ne peut passer sous silence le jeu des autres comédiens, Guillaume Canet en tête. Il faut être gonflé et peu imbu de sa personne pour ternir ainsi son image, pour parvenir à se faire détester à ce point. Et malgré tout, grâce à la subtilité de son jeu, on arrive quand même à lui accorder quelques circonstances atténuantes.
Darling est un beau film, âpre et dur, pathétique et violent. Mais c'est aussi et surtout une incroyable leçon de résistance et de courage à la limite de l'héroïsme.
Chapeau et respect total, mademoiselle Marina Foïs !!!

mardi 23 octobre 2007

Jupe obligatoire


Théâtre du Gymnase
38, boulevard Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne-Nouvelle

Une comédie écrite et mise en scène par Nathalie Vierne
Avec Olga Sekulic (France), Lilou Fogli (Sharon), Jean-François Gallotte (Bernard), Ludovic Berthillot (Maître Dong, Sylvain Clama.

Ma note : 6/10

Synopsis : A la demande Bernard, comédien et réalisateur de renom, France, la trentaine intellectuelle, un peu coincée, doit écrire un scénario sur les premiers pas d'un couple dans le monde échangiste.
Bernard est aussi horrifié qu'étonné par la première ébauche de son texte qui frise la pornographie. Devant tant d'excès, il est persuadé que, par ignorance du monde libertin, France s'est laissée dépasser par le sujet. Elle s'en défend vivement en lui avouant une nouvelle vie sexuellement débridée... Mais rien n'y fait, il ne la croit pas.
Un matin, Bernard arrive chez France accompagné de Sharon. Fraîchement débarquée à Paris, cette délicieuse bimbo est prête à tout pour devenir une star... Clubs échangistes et soirées VIP font partie intégrante de son plan de carrière. Riche d'une expérience impressionnante sur le sujet, elle doit aider France à retravailler son scénario...

Mon avis : Le décor, soigné, cosy, plutôt raffiné, nous fait immédiatement penser à un certain boudoir cher au marquis de Sade. Mais l'occupante des lieux ne s'appelle pas Juliette... Il s'agit de France, une grande jeune femme élancée, un peu bourgeoise et très intello. L'irruption dans son appartement de son ex, Bernard, comédien et réalisateur apparemment connu, nous fait bientôt comprendre qu'elle lui sert de nègre pour des scénarios dont il endosse sans vergogne la paternité. Des scrupules, il en a peu le garçon. Il est suffisant, désagréable, franchement odieux. Et elle, gentille oie blanche obéissante, elle accepte humblement d'être ainsi maltraitée. Après tout, l'écriture est son seul gagne-pain, autant le préserver. Mais Bernard n'aime pas du tout la première mouture de son histoire qui a pour cadre le monde de l'échangisme. Et il ne se gêne pas pour le lui dire d'un ton cassant. Comme de nombreuses personnes mal assurées, France a trouvé le réconfort spirituel avec maître Dong, une sorte de gourou bonzifié avec lequel elle correspond via une webcam. Or, on perçoit très vite que ce pseudo bouddha enveloppé dans son rideau orange n'est qu'un charlatan pervers qui se sert de son ascendant sur les jeunes femmes pour étancher sa soif de turpitudes... Mal barrée, la France.
C'est en lui imposant la collaboration de Sharon, une bimbo aspirante comédienne, que Bernard va bouleverser la vie de France. Sharon est bien dans son corps, elle s'en sert abondamment pour pénétrer le monde du showbiz et du cinéma. C'est une fidèle cliente des hôtels du libre échange. Et sa connaissance approfondie du milieu va se révéler être une masse de renseignements tout à fait exploitables pour le scénario commandé par Bernard. Mais je vous laisse découvrir la suite...
Si, sans que je parvienne à en définir précisément les raisons, cette pièce m'a laissé un peu sur ma faim, j'ai toutefois passé de très bons moments dans cette très agréable petite salle du Gymnase. D'abord en tant que mâle primaire face à deux fort jolies jeunes femmes. Les jambes admirablement longues et fuselées de France (Olga Sekulic) devraient être réquisitionnées pour des pubs sur les dessous ou les collants. Quand elle apparaît en simple nuisette, je vous jure que l'on a ses compas dans l'oeil ! Et puis il y a pour lui donner la réplique côté plastique, l'absolument superbe Sharon (Lilou Fogli). Un corps sans défaut qu'elle sait mettre en valeur sans aucune vulgarité. Un bonheur. D'autant que la belle se permet de cumuler, tant au théâtre qu'à la ville, tête bien faite et bien pleine...
Alors, devant tant de grâce et de sensualité, les deux bonshommes qui leur servent de partenaires, souffrent de la comparaison. Bien sûr, c'est entièrement voulu. Non seulement la jupe est obligatoire, mais on constate aussi que ce sont elles qui portent la culotte.
Bernard (Jean-François Gallotte) campe une sorte de François Berléand du pauvre, persuadé de tirer les ficelles de deux marionnettes soumises. Des médiocres de cet acabit qui se la pètent, abusant de leur petit pouvoir, on en connaît quelques uns dans le showbiz... Quant au gourou gourmand, il est plus vrai que nature et pas si caricatural qu'on pourrait le croire. Son rôle, ambigu, est quelque part de servir de révélateur à la libido refoulée de France. Ludovic Berthillot lui apporte toute sa rondeur et il excelle dans les manoeuvres mielleuses et vicieuses.
En conclusion, j'ai aimé Jupe obligatoire aux trois-quarts. Mes quelques mini réserves portent sur quelques retombées de rythme et, surtout, sur la fin. On devine l'intention de l'auteur, mais je ne suis pas certain que tout le monde dans la salle ait saisi cette soudaine intrusion dans le second degré.
Mais bon dieu que France et Sharon sont belles à regarder !!!

Pirette au Gymnase


Théâtre du Gymnase
(Grande salle - du mercredi au samedi à 19 h)
38, boulevard Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne-Nouvelle

Ma note : 8/10

Mon avis : Dans Pirette, il y a "Pire". Et ce n'est pas en cherchant à l'atténuer avec un diminutif-écran en "ette", qu'il va s'en tirer avec une pirouette. Pirette, il n'y a pratiquement pas pire que lui dans le petit monde des humoristes pratiquant l'humour (très) noir, corrosif et vachard. C'est qu'il y va le bougre ! Tous nos travers, nos tares, nos petits défauts et nos grosses bassesses, il met la loupe dessus. Et ça ne loupe pas : on se reconnaît, et le pîre (toujours ce "pire"...) c'est qu'on en rit aux éclats. Chez lui, il y a du Pierre Doris, du Franquin (pas de Gaston Lagaffe, mais d'Idées noires, des sales blagues de Vuillemin. Du lourd, quoi !
Franchement, bien qu'il le revendique (sans doute par bravade) on n'en a rien cirer qu'il soit Belge. L'humour et le rire n'ont pas de nationalités, pas de frontières. D'ailleurs, lui, les frontières, celles du politiquement correct, il les repousse vraiment très très loin. Ses personnages sont remarquablement dessinés ; excellent comédien, conteur hors pair, mime accompli, jonglant avec les accents, il les fait vivre et s'exprimer avec un tel naturel qu'ils existent devant nous. On en oublie le comédien pour ne se focaliser que sur ses compositions. Il n'y en a que sept, mais elles sont aussi savoureuses que gratinées.
Il ouvre le spectacle habillé en mémère. Le ton est donné. Avec un fort accent belge, elle raconte, sans pudeur aucune, sa vie de famille étriquée, se permettant quelques digressions perfides qui font frissonner la salle de contentement... Dans son deuxième sketch, il campe un père ignoble, un con intégral équipé de toutes les options : lâcheté, xénophobie, méchanceté, mesquinerie, et j'en passe... Dans le troisième, en prof de 1ère STT remplaçant, il atteint des sommets de cruauté dignes d'être inscrits au tableau d'horreur... Peut-être est-ce pour se faire pardonner qu'il se glisse ensuite dans l'aube blanche d'un communiant ? Et bien c'est raté pour l'absolution car il en profite pour faire un tour d'horizon fort irrévérencieux des religions. Il faudra qu'on brûle un cierge pour le salut de son âme. Dans ce brûlot qui fait hurler la salle de rire, regardez-le bien, il a des grimaces qui nous donnent l'impression d'avoir Mister Bean devant nous... Et puis, troquant sa tenue symbole de pureté pour un sombre surplis, il gravit encore une marche dans l'indicible en se mettant dans la peau de la Faucheuse, de la Mort. Ce qui lui permet de balancer ses vérités, Bush en coeur, sur quelques nuisibles de ce monde qu'il aimerait bien avoir pour clients. C'est beaucoup plus profond quil n'y paraît... Et voici que la Mémé du début revient sur scène. Elle a, cette fois, quelques démêlés avec sa fille de 18 ans. Quel sens de l'observation et du détail qui tue ! Expressif en diable, il s'autorise à la fin du sketch un joli retournement de sentiment qui nous titille l'émotionnel. C'est très habile... Ensuite, il se métamorphose en vieillard à l'hospice pour nous livrer un sketch tour-à-tour caustique, acide, impitoyable et, pourtant, profondément humain. Avec beaucoup de bon sens et une logique imparable, jouant avec les mots comme avec les sentiments, il ne peut s'empêcher malgré lui de laisser filtrer sa vraie grande tendresse... Et il termine en rappel avec une sorte de fable située en 2017, grinçante et réaliste, touchante et inquiétante, avec des saillies dignes de Pierre Dac.
Bref, c'est sincèrement du grand art, un grand moment de funambulisme verbal et gestuel. Jouant beaucoup avec le public, il se permet d'ironiser sur son propre spectacle, tel un sale gamin qui prend plaisir à casser son jouet. Bien sûr, si vous n'aimez pas l'humour noir, si vos oreilles sont réticentes auc horreurs, si vous n'appréciez guère les éclaboussures de vitriol, ne vous risquez pas au Gymnase. En revanche, si vous prisez la vacherie instituée au rang de bel art, précipitez-vous y, vous ne serez pas déçu. Au contraire, vous boirez du petit laid !

jeudi 18 octobre 2007

Le Coeur des hommes 2


Un film de Marc Esposito
Avec Bernard Campan (Antoine), Gérard Darmon (Jeff), Jean-Pierre Darroussin (Manu), Marc Lavoine (Alex), Fabienne Babe (Lili), Zoé Félix (Elsa), Valérie Kaprisky (Jeanne), Ludmila Mikaël (Françoise), Valérie Stroh (Karine), Florence Thomassin (Juliette), Catherine Wilkening (Nanou)...
Sortie le 24 octobre 2007

Ma note : 8/10

Synopsis : Alex, Antoine, Jeff et Manu, quatre amis, quatre ans plus tard... Leurs rapports avec les femmes, leur amitié, leurs secrets partagés, leurs sentiments de culpabilité, leur volonté de changer, de s'améliorer.

Mon avis : C'est tout à fait le genre de film que l'on n'a pas envie de raconter. Plusieurs raisons à cela. D'abord pour ne pas en déflorer les multiples rebondissements qui ne cessent de l'émailler. Ensuite, pour en garder jalousement les images et les nouvelles aventures que le scénariste a inventées à nos héros. En plus, il est trop riche en situations, donc pas facile à raconter. On ne pourrait qu'utiliser des ellipses.
Le Coeur des hommes ... Ce titre est par trop réducteur car les femmes tiennent une place essentielle dans le premier comme dans le deuxième volet. En fait, ce sont elles qui mènent la danse et eux, ils ne font qu'essayer de s'adapter et de sauver la face plus ou moins consciemment. Car ce film ne repose que sur des histoires de coeur, cet organe qui est, poétiquement parlant, le siège de nos plus beaux sentiments, l'amour et l'amitié. Et avec ces quatre lascars et leurs compagnes, on peut dire que ça en pompe et ça en pulse de l'amour. Inévitablement, il y a des heureux et des malheureux, et ça tourne.
Que retenir donc de ce film sans en dévoiler la trame ?
Paris est magnifiquement filmée, de jour comme de nuit, et en période de fêtes aussi. Jolie carte postale pour les étrangers. La bande son, très mélodieuse, est sans défauts. Entre Des Pretenders à Katie Melua en passant par Mika, Les Scissor Sisters, Ayo, Chuck Berry, Francis Lai, sans oublier Mozart, Beethoven et Chopin, on balaie large et ça se marie parfaitement avec les différentes scènes. Les dialogues percutants, inventifs, osés, voire crus (adultes quoi !), sont un délice. On rit (beaucoup) et on est ému (souvent).
Dans ce film qui comprend une multitude de scènes hyper fortes, je ne peux malgré tout m'empêcher de vous en signaler deux qui m'ont particulièrement enchanté, deux grands moments. L'un de comédie pure, à la sortie d'un restaurant entre Gérard Darmon et Ludmila Mikaël, touchants, maladroits et tellement vrais. L'autre pour son écriture et la façon dont le texte est dit : une tirade tout à la fois désopilante et émouvante que nous distille un Jean-Pierre Darroussin complètement énamouré... Je ne vous en dis pas plus afin d'en conserver tout le sel. Car c'est effectivement salé !
Vous avez aimé Le Coeur des hommes 1, vous adorerez le 2. C'est un vrai film choral qui ne se contente pas de mettre en avant quatre solistes. Il y a à l'unisson de très beaux personnages féminins, Florence Thomassin et Valérie Stroh en tête (du moins à mon goût, parce qu'elles sont particulièrement attendrissantes)... Comme l'ultime scène est identique à la première et collée-copiée avec la dernière du premier film, on est pratiquement assuré de l'existence - indispensable - d'un Coeur des hommes 3. Et l'on peut vraisemblablement se prendre à rêver d'un quatrième volet. Après tout, ils sont quatre amis ! Marc Esposito leur doit bien de se mettre en quatre pour eux. Et pour nous...

lundi 15 octobre 2007

L'Autre


Studio des Champs-Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau

Une pièce écrite et mise en scène par Florian Zeller
Musique de Christophe
Avec : Sara Forestier (Elle), Aurélien Wiik (L'Autre), Stanislas Mehrar (Lui)

Ma note : 6/10

Le thème : Oscar Wilde disait que le couple, c'est ne faire qu'un. Oui, mais lequel ? Et si c'était encore un autre ?
Dans une oscillation permanente entre le rire et le drame, L'Autre raconte comment l'amour se brise sur la vie quotidienne. Faut-il, pour vivre ensemble à jamais, ne jamais vivre ensemble ?
Une triangulaire entre Lui, Elle et L'Autre...

Mon avis : Quand on découvre le décor minimaliste, on sait tout de suite que notre attention ne sera pas distraite par autre chose que les personnages. Quatre gros cubes de cuir qui se transforment tour à tour en futon ou en sièges, et c'est tout. Mais ils ont leur importance... Et puis la musique, mélopée lancinante susurrée par la voix ô combien envoûtante de Christophe. Enfin, de magnifiques portraits en noir et blanc, signés Kate Barry, qui subliment le visage si photogénique de Sara Forestier. Dépouillement et romantisme, violence et esthétique sont les quatre piliers sur lesquels repose L'Autre.
Quatre piliers pour l'éternel triangle de la vie amoureuse. Chacun des trois protagonistes de cette pièce ne cesse de décortiquer sa relation avec l'un(e) ou l'autre, mais également de s'auto-analyser. Cela donne des conversations gigognes. On ouvre tous les tiroirs, jusqu'au plus petit, et on y fouille le moindre recoin pour ne rien oublier. Quand on réalise à quel point ils en viennent à pinailler, on se dit qu'il ne doit pas être aisé d'être la petite copine de Florian Zeller. Un peu tordu le garçon ! S'il s'évertue ainsi dans la vie à disséquer tout et son contraire, les soirées doivent être passablement longues et tortueuses...
Mais c'est justement ce sens du détail et cette volonté exhaustive de rogner jusqu'à l'os la moindre attitude et le moindre sentiment qui font que les dialogues de cette pièce sont passionnants. Il faut en effet saluer la qualité du langage et le soin apporté à l'écriture. Amener à de telles extrêmités les conventions amoureuses a quelque chose de fascinant.
Le plus compliqué des trois, c'est indéniablement Lui (Stanislas Mehrar). Dans le genre loser magnifique, il est gratiné. Esprit brillantissime, mais totalement négatif, il s'enferme complaisamment dans sa solitude auto-imposée, préfère jouer les incompris et s'en prendre aux autres. L'oeil et la truffe humides, Stanislas Mehrar compose avec beaucoup de sensibilité une sorte de Droopy maussade et tristounet, capable en un instant de se métamorphoser en un pitbull mordant et vociférant. Acariâtre et jaloux, il pratique la torture avec un sadisme désabusé, mais toujours lucide : "Ce qui me fait peur quand je suis seul, c'est de penser qu'elle ne l'est pas elle, seule..."
Elle, justement ; puisqu'on en parle. Superbe composition de Sara Forestier écartelée entre son amour sincère pour Lui, mais qui s'effiloche en peau de chagrin, et l'attirance qu'elle ressent pour quelques Autres. Avec sa fossette craquante et sa cascade de cheveux blonds, par opposition à ce chafouin de Lui, elle apparaît lumineuse et formidablement vivante. Elle, tous les jours, elle est aspirée par l'extérieur, là où sont proposées toutes les rencontres, toutes les aventures, toutes les tentations. D'autant qu'à la maison, elle sait qu'elle va être accablée de reproches. Alors, tant qu'à faire... Tout le monde n'est pas la chêvre de monsieur Seguin. On la comprend et on l'absout.
Et puis il y a l'Autre ; ou plutôt, les Autres. Car Aurélien Wiik en campe plusieurs. Autant Lui s'avère complexe, défaitiste, atrabilaire et malsain, autant l'Autre est désinvolte et séduisant. Son argumentation est imparable. Adam, Eve et le serpent ? Mais c'est aussi un homme. A plusieurs reprises il affiche une certaine propension à la lâcheté qui va encore donner du grain à moudre à ces dames et demoiselles. Il connaît bien ses congénères le Florian Zeller !
Bref, cette pièce dont la colonne vertébrale est la dégradation du couple est un régal pour qui aime les mots et la sémantique. La vérité et le mensonge s'entremêlent habilement, chacun tient à avoir raison et à garder la main. On assiste à quelques jolies passes d'armes à fleurets non mouchetés avec, ça et là, quelques petites pauses pleines d'humour qui donnent une vraie respiration.
Le jeu des trois comédiens est impeccable, les intermèdes musicaux s'insèrent agréablement, la mise en scène est originale et soignée. C'est une bonne pièce, pas grand public, certes, mais c'est du vrai théâtre.
Et puis, avouons-le : toutes ces variations sur le couple, ne les a-t-on pas interprétées nous-mêmes à un moment ou à un Autre de notre existence ?

vendredi 5 octobre 2007

Sa majesté Minor


Un film de Jean-Jacques Annaud
Scénario original et dialogues de Gérard Brach
Avec : José Garcia (Minor), Vincent Cassel (Satyre), Mélanie Bernier (Clytia), Sergio Paris-Mencheta (Karkos), Claude Brasseur (Firos le Teinturier), Rufus (Rectus le Prêtre), Jean-Luc Bideau (Archéo le Patriarche), Taïra (Zima la Bouchère), Marc Andréoni (Zo le Boucher), Bernard Haller (Cataractos le Devin)...
Genre : Comédie
Sortie : 10 octobre 2007

Ma note : 7/10

L'histoire : Quelque part dans une île perdue en mer Egée, aux temps très lointains d'avant Homère... Minor, un orphelin muet qui a été élevé par des cochons, file des jours tranquilles dans la douce et fétide tiédeur de la porcherie en compagnie de sa rose maîtresse, la truie Mauricette. Au cours d'une escapade en forêt mythologique, il rencontre un personnage extraordinaire, le dieu Pan, alias Satyre, qui l'initie à sa manière de bouc aux imprévus du paganisme.
Minor est fasciné par la belle Clytia, la fille du patriarche, promise au poète Karkos. Un jour qu'il s'est perché sur une branche d'olivier pour l'épier, il fait une mauvaise chute et tombe dans un coma profond. Quand, par bonheur, il en sort, il découvre avec ravissement qu'il est doté de la parole. Les villageois sont tellement éberlués que, sur les conseils du devin Cataractos, ils en font leur nouveau roi. Alors, les ennuis commencent...

Mon avis : Attention, ce film est un OVNI. D'ailleurs, juste avant sa projection, Jean-Jacques Annaud en personne est venu nous en avertir, se proposant même de fournir à qui le désirerait toutes les explications nécessaires à la compréhension de son forfait.
Sa Majesté Minor ne peut laisser indifférent. Soit on va détester ce film (il ne sera pas compliqué d'en égrener les motifs), soit on va l'adorer car pour ce qui est de l'audace et de l'originalité, on peut lui lever sa coupe d'hydromel.
Personnellement, je me suis régalé.
Bon, d'accord, on lui objectera qu'il comporte certainement quinze à vingt minutes de trop. Mais, à cette époque, il n'y avait pas de montres et le temps ne comptait
pas. Et puis il nous propose une fin qui nous laisse sur la nôtre, de faim... Donc, mis à part quelques longueurs et cet épilogue complaisant, ce film est un réel bonheur. Pour tenter de le classer, imaginez un shaker dans lequel on aurait mis un quart de Fellini, un quart de Pasolini, un quart de Mel Brooks et un quart des Monthy Python. Secouez avec ardeur (ça pour être secoué, il est secoué !) et vous obtenez ce nectar aux couleurs chatoyantes et très très fortement alcoolisé.
Pour être concret, Sa Majesté Minor est un film truculent, cru, couillu, paillard, déjanté, iconoclaste, trivial, rabelaisien, absurde avec ça et là quelques fulgurances d'une poésie complètement attendrissante (un papillon qui volète pour symboliser l'extase amoureuse ; des fleurs qui s'ouvrent pour symboliser une défloration apparemment très réussie...) et d'une éblouissante esthétique. Jean-Jacques Annaud s'y révèle être un magicien-manipulateur hors pair. La jubilation qu'il a eue à tourner ce film est palpable. Ses images en sont imprégnées ; elles nous éclaboussent d'un bonheur potache, si gentiment irrévérencieux. Et cette jubilation, elle est entièrement reprise et partagée par les comédiens.
Parlons-en des comédiens.
Personne d'autre que José Garcia n'aurait pu relever le défi insensé d'interpréter Minor. Lui seul possède cette folie douce qui l'amène à être crédible dans n'importe quelle situation. Tout autre aurait été ridicule, voire vulgaire. Lui, il apporte une grâce puérile à la posture la plus scabreuse. C'est un gamin que les mots pipi et caca font rire, un gamin à qui l'on pardonne tout. Mais il possède en plus cette dimension d'âme qui, quand cela est nécessaire, sait faire passer l'émotion. Demi-dieu de l'écran délicieusement païen, il atteint ici son Olympe. On subodorait qu'il pouvait tout jouer. Et bien la preuve est donnée qu'il peut tout jouer, et même plus !
Vincent Cassel, en dieu Pan perché sur ses pattes de bouc, est particulièrement jouissif. A voir l'éclat diabolique de ses prunelles, on sent qu'il prend un plaisir énorme à camper ce Satyre sans états d'âme qui ne pense qu'à faite leur fête aux nymphettes ; aux nymphettes, entre autres... A ce propos, les scènes où ces charmantes jeunes femmes apparaissent font furieusement penser aux photos de David Hamilton.
Et puis il y a Mélanie Bernier !!!! Avec son corps de désse et sa voix érotiquement rauque, elle dégage une telle sensualité qu'il lui suffit d'apparaître pour réveiller en quelques secondes le cochon qui sommeille en tout mâle. Alors, comment imaginer qu'un individu qui a été élevé par des cochons ne puisse lui faire part de son émotion autrement qu'en s'astiquant ardemment la saucisse devant elle ? C'est ce qui s'appelle avoir un porc de reine ! Non, trève de balivernes, depuis la découverte de Cécile de France dans L'art (délicat) de la séduction, il y a longtemps qu'une comédienne ne m'avait autant agacé la libido. Elle est tout simplement superbe.
Sergio Peris-Mencheta livre, avec son personnage de Karkos, une composition réellement bluffante. Avec son physique de lutteur grec, il réussit à dégager une sensibilité pleine de douceur et de poésie. Quel noble et brave garçon. "Brave" dans le sens noble du terme. Il faut posséder un sacré sens de l'autodérision pour accepter un rôle qui est en permanence sur le fil du ridicule et qui, pourtant, ne cesse de nous émouvoir.
Il faut saluer aussi la présence d'une brochette de comédiens (Bideau, Brasseur, Haller, Rufus) qui jouent le jeu à fond, au mépris total de leur image. Ils en font des tonnes, ils s'amusent, ils créent, ils donnent. Ils sont tout bonnement inénarrables.

Que dire d'autre sur ce film qui sera forcément culte un jour ?
Les décors sont aussi beaux qu'étonnants. La musique est une réussite totale. Elle est originale, légère, espiègle (ah cette flûte guillerette !). elle fait totalement corps avec l'histoire, l'époque et le paysage. Les dialogues ont la désinvolture de l'anachromisme assumé, passant sans transition de l'éloquence lyrique ou emphatique aux saillies les plus grivoises proférées avec un naturel confondant. Le film est également truffé de références mythologiques, que l'on retrouve saupoudrées ici et là à bon escient (le rocher de Sisyphe, la relation oedipienne entre Minor et Mauricette...)
Et puis il y a le thème.
Sa Majesté Minor est une fable en forme de farce. Mais c'est aussi une parabole qui se permet de faire passer une vraie réflexion sur le pouvoir. Le pouvoir du pouvoir et le pouvoir du sexe (il manque celui de l'argent, mais à cette époque bénie des dieux, il n'existait pas encore). Ce qui me permettra de conclure en affirmant que ce film est tout simplement humain. Pathétiquement humain, burlesquement humain, prodigieusement humain.

mercredi 3 octobre 2007

Chat et souris


Théâtre de la Michodière
4bis, rue de la Michodière
75002 Paris
Tel : 01 47 42 95 22
Métro : Opéra/4 septembre

Une pièce de Ray Cooney
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Avec Francis Perrin, Jean-Luc Moreau, Bunny Godillot, Cécile Magnet, Murielle Huet des Aunay, Benjamin Wangermee, Marc Bertolini

Ma note : 8/10

L'histoire : Tout va bien pour Jean Martin, chauffeur de taxi, marié depuis 20 ans à Mathilde, à Montreuil... Et en même temps, à Charlotte, à Ivry.
Jean Martin a deux adorables enfants, Alix à Montreuil... Et Guillaume, à Ivry.
La vie est belle, son secret est bien gardé...
Jusqu'au jour où ces deux ados découvrent que, sur Internet, on peut faire des rencontres...

Mon avis : Ne boudons pas notre plaisir ! Voici là du bon théâtre populaire comme on l'aime, un pur divertissement destiné à nous faire oublier tous nos soucis pendant deux heures.
Si les suites sont de plus en plus prisées au cinéma, on ne peut pas dire que ce genre soit courant au théâtre. En fait, Chat et souris est la suite de Stationnement alterné. Ce qui est amusant et particulièrement réussi, c'est le passage de témoin entre les deux héros du premier épisode, Eric Métayer (dans le rôle de Jean Martin) et Roland Marchisio (dans celui de Gilbert Jardinier), et ceux d'aujourd'hui, Jean-Luc Moreau et Francis Perrin. L'action se passe 17 ans plus tard. Jean Martin a les cheveux blancs, sa double vie frénétique l'a empêché de prendre de l'embonpoint, et il est toujours aussi survolté. Gilbert Jardinier est toujours aussi emprunté et, quand il est sous l'emprise de l'émotion (ce qui lui arrive hélas très fréquemment), il se met à bégayer... Il y a une réelle gémellité entre chacun des deux tandems.
Oubliez l'affiche - misérable - de Chat et souris ; ça la fiche mal, mais on n'en tient finalement plus aucun compte lorsqu'on sort hilare, essouflé et les yeux humides du théâtre de la Michodière. J'ai rarement vu une pièce dont le rythme soit aussi soutenu du début à la fin. Le postulat de base est des plus simplistes : Jean Martin, adepte du double foyer, mène une double vie depuis 20 ans. Il a même réussi l'exploit de rendre sa double relation parfaitement stable. Donc, une fois que l'on a accepté de prendre pour argent comptant (content ?) une telle situation, on n'a plus qu'à se laisser embarquer par la frénésie ambiante au moment où sa duplicité risque d'être mise au jour, via ses deux rejetons, par Internet interposé...
La pièce démarre sur les chapeaux de roue et, pas un dixième de seconde elle va perdre en intensité. La mise en scène, avec en permanence sur scène la vie en parallèle des deux foyers, est d'une efficacité totale. Elle ne nous pose aucun problème. A peine Jean Martin (Jean-Luc Moreau) apprend-t-il que sa fille de Montreuil et son fils d'Ivry, après avoir fait connaissance sur le Net, ont décidé de se rencontrer, qu'il s'affole, craignant d'être démystifié et de voir son bel assemblage détruit. Un vent de panique souffle sur Montreuil, épicentre du drame. Les scènes, cocasses, cartoonesques, paroxystiques, s'enchaînent dès lors à une cadence endiablée. La salle s'étrangle de rire, certaines répliques nous échappent parce qu'elles sont couvertes par des applaudissements enthousiastes.
Remarquablement entourés par leurs cinq partenaires qui sont bien plus que des faire-valoir, Jean-Luc Moreau et Francis Perrin sont irrésistibles de drôlerie. Les situations sont tellement énormes, puériles, invraisemblables que l'on ne peut qu'en rire. Tous les genres du comique y passent, le mime, la pantomime, les grimaces, l'absurde, le burlesque... Les portes claquent, les cris fusent, il y a des cascades (mais si...), et surtout ça court, sa saute, ça s'agite... Il faut voir dans quel état se trouve Jean-Luc Moreau au moment des saluts : il est tout rouge, dégoûlinant de sueur, il peine à reprendre son souffle, sa chemise est à tordre... Il doit perdre un ou deux kilos par représentation.
En résumé, Chat et souris n'a d'autre ambition que nous offrir une folle parenthèse et c'est vraiment réussi. C'est un véritable dessin (très) animé qui se déroule sous nos yeux. On met tout sens critique de côté, on s'en fout d'essayer de trouver logique et cohérence, on s'amuse, on rit, on pleure, on s'étouffe et ça fait du bien ! Devant autant de générosité et de joie communicative, on ne peut que dire merci.

Le professionnel


Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgar Quinet

Une pièce de Dusan Kovacevic
Mise en scène par Stephan Meldegg
Avec Jean-Pierre Kalfon (Luca), Jean-Marie Galey (Teodor Kraj), Muranyi Kovacs (Martha), Jérôme Le Paulmier (l'auteur)

Ma note : 6/10

L'histoire : Teodor Kraj, ex-dissident et auteur peu productif, a été bombardé rédacteur en chef d'une importante maison d'édition par la "nouvelle Serbie". Un certain nombre d'auteurs, ignorés ou refusés par son prédecesseur, font le siège de son bureau ou l'invectivent au téléphone. Pour tuer le temps, il fait la cour à Martha, sa secrétaire, qui est gentille et dévouée, mais un peu déprimée par son état de mère célibataire... Et voilà qu'un beau matin se présente un homme avec un cartable et une grande valise noire. Il s'appelle Luca et, si Teodor ne le connaît pas, lui en revanche, semble tout savoir de sa vie...

Mon avis : Déjà le décor... Ce n'est rien de dire qu'il est pour le moins austère. Il est exactement comme on imagine un bureau datant des grandes heures du communisme. Et dedans, Teodor, un fonctionnaire des pays de l'Est. Intelligent, mais profondément désabusé et totalement démotivé, il tue le temps comme il le peut. Il s'engueule avec un auteur éconduit, conte fleurette à sa secrétaire, la dévouée Martha, et supporte tant bien que mal le voisinage bruyant de son prédecesseur à ce poste de rédacteur en chef... Comme tous les autres jours, cette journée qui s'annonce va être longue et ennuyeuse. Jusqu'au moment où Martha vient lui annoncer un visiteur. Sa première réaction est de refuser de le recevoir. Mais ce dernier réussit à forcer l'entrée du bureau.
Alors, la pièce commence en même temps que l'inquiétude de Teodor grandit face aux révélations dont l'accable Luca, un ex-flic. La voix grave et rocailleuse de Jean-Pierre Kalfon est à elle-seule une menace. Son visage émacié, son sourire mécanique, ses gestes millimétrés, sont loin d'être rassurants. Au fur et à mesure que l'on entre dans les péripéties d'un passé commun aux deux hommes, on se dit, confortablement installé dans notre fauteuil, qu'on a eu bien de la chance de ne pas connaître ce régime qui a détruit tant d'hommes. Le fantôme de Tito plane sur cette pièce.
Luca a fait toute sa carrière dans la police secrète. Il a été programmé, il n'a aucun état d'âme : "Je suis communiste judsqu'à la dernière goutte de mon sang". Teodor, de son côté, a longtemps fait partie des dissidents. Raison pour laquelle il était filé, surveillé, espionné par un flic uniquement affecté à l'établissement d'un dossier sur lui. Cette époque devait être terrible pour les intellectuels. Le combat des livres et des mots était voué à l'échec face à l'armée et à la police. Luca sait tout de la vie privée et des idées de Teodor. Il a scrupuleusement relevé toutes ses déclarations, conservé certains de ses objets les plus personnels. Il fout vraiment la trouille.
Or, les temps ont changé. Ce sont les "amis" de Teodor qui ont pris le pouvoir. Luca a dû se reconvertir en chauffeur de taxi. Mais il tenait tout de même à se retrouver une dernière fois en présence de son ancienne "cible". C'est là que l'on se rend compte qu'à fréquenter et surveiller les intellos, il a fait siennes certaines de leurs idées.
Le professionnel n'est pas une pièce facile. Elle évoque un pays et une époque dignes de Kafka. La tension entre les deux principaux protagonistes est palpable. Les répliques, le plus souvent à l'emporte-pièce, sont imparables. Mais le jeu des comédiens n'est pas linéaire. Si l'on suit peu à peu le comportement méthodique de Luca, Teodor est un peu comme le poisson qui vient d'être ferré. Il s'abandonne parfois à la résignation, d'autres fois il a des sursauts d'orgueil et se rebiffe.
La pièce repose sur l'opposition des styles. Kalfon est impressionnant de conviction tranquille. On n'arrive pas à le détester car c'est un homme qui a toujours été aux ordres, un bon petit soldat de l'ombre. Mais il n'a jamais été zélé : "Je n'ai pas fait plus de mal que ce qu'om m'a obligé à faire". Cette seule phrase nous le rend sympathique. Quant à Galey, très expressif, il fait preuve d'un jeu beaucoup plus latin. Il faut dire qu'il passe un peu par tous les états d'âme : la crainte, la colère, la révolte, l'émotion... Ils sont parfaits ces deux-là
Cette pièce est aussi lourde et sombre qu'un ciel qui se prépare à l'orage, zébré parfois par les éclairs d'un humour grinçant et désespéré. Et pourtant, malgré tout, elle laisse poindre une jolie lueur d'espoir en l'être humain. C'est la leçon positive que l'on peut en tirer.