mardi 31 mars 2009

Paris, Music-halls


Actuellement, on dénombre précisément 26 salles dites de "music-hall" dans Paris. Certaines sont dévolues aux revues, comme le Lido, le Moulin Rouge ou le Crazy Horse, d'autres - la majorité - proposent des concerts, des récitals, des tours de chant, des one-man show...
Le tout premier music-hall a vu le jour en 1893, boulevard des Capucines. Déjà !
Depuis les années 40 et dans l'immédiat après-guerre, les artistes qui allaient contribuer à ce qui constitue aujourd'hui le patrimoine de la chanson française, se sont produits dans des salles au nom à jamais mythiques : les 3 baudets, l'Alhambra, Bobino, l'ABC, l'Alcazar et, bien sûr, le temple absolu, l'Olympia.

Quelle judicieuse idée a eu là SL Music de sortir une compilation contenant le nec plus ultra de cette période prodigieuse où (presque) tout est né...
La chanson qui illustre idéalement cette démarche est l'incontournable Moi j'aime le music-hall de Charles Trenet. Mais à côté de lui, figurent au générique de ce CD les plus grands interprètes et quelques unes des plus belles chansons de notre variété hexagonale. Jugez plutôt : Gilbert Bécaud (Je veux te dire adieu), Léo Ferré (Monsieur William), Edith Piaf (Je t'ai dans la peau), Jacques Brel (Je ne sais pas), Charles Aznavour (Parce que), Yves Montand (Sensationnel), Boris Vian (Je suis snob), Serge Gainsbourg (Ronsard 58), Juliette Gréco (Je suis comme je suis), Georges Brassens (Le pornographe), Philippe Clay (L'illusionniste)...
Et tout cela avec le grain, le son de l'époque. Un délice ! Rien que des "madeleines de Proust" musicales (music-halls...)
(SL Music / Musique & Associés)

lundi 30 mars 2009

Amaury Vassili


Vincero
Warner

Amaury Vassili s'inscrit dans la plus pure tradition de ces belles voix estampillées "ténor" capables de se colleter aussi bien au répertoire lyrique qu'à la (grande) chanson de variété. Son premier album est un vrai bonheur. Et pas besoin d'être spécialement mélomane pour l'apprécier. C'est vachement beau et pis c'est tout ! On n'a qu'à ouvrir toutes grandes ses oreilles et laisser la voix puissante et veloutée d'Amaury les pénétrer pour être immédiatement conquis.
Ce qui est bien avec lui, c'est qu'il ne cherche à aucun moment à tomber dans la démonstration, à épater la galerie. Souvent, les chanteurs qui possèdent un organe aussi performant, se sentent obligés de pousser le volume à fond. Ils nous en mettent plein la vue - ou plutôt plein les ouies - mais on a tôt fait de décrocher. C'est ce que faisait par exemple Florent Pagny à ses débuts. Il mettait le curseur à fond dès le début et il beuglait sans nuance aucune. Aujourd'hui, il est devenu un vrai interprète et non plus un performeur. Amaury Vassili, lui, profite de la garantie que lui offre sa voix exceptionnelle pour se reposer dessus et se permettre ainsi de moduler, de nuancer, de jouer, d'insinuer. On sent bien qu'il en garde sous la semelle et ça ne le rend que plus respectable. C'est une formule 1 qui fait du tourisme en nous faisant profiter de la splendeur du paysage...

Le choix des douze titres qui figurent sur cet opus témoigne d'un heureux éclectisme. Chacun y trouve son compte. Et pourtant, ça reste parfaitement homogène.
Alors, dans le petit jeu du hit-parade personnel, totalement subjectif j'en conviens, je vais citer les six titres qui m'ont le plus enchanté.
1/ Fragile
2/ Lucente Stella
3/ Un angelo
4/ Hallelujah
5/ L'amore
6/ Parla piu piano

Au fait, j'ai complètement oublié de vous dire son âge... Amaury Vassili aura... 20 ans en juin prochain ! Il promet, le garçon. C'est véritablement bluffant de posséder une telle maîtrise de soi aussi jeune.

vendredi 27 mars 2009

Trophées du public


22 mars 2009. Dimanche soir. Aux alentours de 20 h 30...
Venant directement à pied de l'Olympia où j'avais assisté au concert d'Emile et Images, je me présente un peu en avance à l'entrée du théâtre de la Pépinière. Je dois avouer que je n'y venais pas en courant. J'avais été invité à la première édition des Trophées du Public, une cérémonie visant à récompenser les réalisateurs, les films et les comédiens plébiscités d'après un sondage auprès du public. L'anti-Césars quoi !
C'est une idée qui avait germé dans la tête de Patrick Jorge, un vrai passionné du Septième art. Il avait tout simplement envie de rendre hommage au cinéma populaire et à ses serviteurs les plus appréciés des spectateurs. L'intention était réellement louable, mais quand on n'appartient pas franchement au sérail, la difficulté était de pouvoir rassembler toutes les personnes distinguées par le public... C'est la raison pour laquelle, je suis arrivé là quelque peu dubitatif, m'attendant à ne rencontrer que quelques comédiens et comédiennes sur le retour ou en mal de publicité. J'avoue, ça me faisait plaisir de venir encourager cette initiative enfantée par "Les Hérault du cinéma", nom de la boîte de Patrick Jorge, originaire, comme vous l'aurez déduit, de ce charmant département 34, mais je n'étais pas spécialement enthousiaste...

Je pénètre donc dans le sanctuaire et, étant très en avance, je me glisse à gauche de l'entrée, face à la caisse. Cela faisait à peine cinq minutes que j'étais là quand je vois arriver... Olivier Marchal ! Bises, échange de portable et de mail, il me confie ses projets de comédien (Quelque chose à te dire, avec Mathilde Seigner)et de réalisateur (un film avec Alain Delon et une grande star américaine dont je ne peux dévoiler le nom, le contrat n'étant pas encore signé)... Et, dans la foulée d'Olivier, arrive une pléiade d'artistes, la plupart confiant qu'ils ne savaient pas très bien la raison de leur présence. Elisa Servier vient me raconter comment se passent les relations avec Michel Sardou, son partenaire de Secrets de famille, pièce avec laquelle elle se prépare à partir en tournée... Et ainsi de suite, un vrai défilé.

Quand je pénètre dans la salle, je découvre que les huit premiers rangs - réservés - étaient tous occupés par des célébrités et des jeunes pousses du cinéma. Incroyable ! Comment Patrick Jorge et son équipe ont-ils pu réaliser cet exploit ? Et, qui plus est, un dimanche soir !
Et la cérémonie commence, coprésentée par Patrick Jorge et Patrick Adler. Force est de reconnaître que ce fut un joyeux foutoir, aux antipodes de la soirée des Césars, si conventionnelle et si guindée. Touchants de maladresse et de naïveté, nos deux animateurs, sans le vouloir, se sont mis tous les spectateurs dans la poche. C'était tout simple, éminemment sympathique et chaleureux. Très vite, chacun s'est senti à son aise, les plaisanteries, les vannes et les commentaires fusaient, les rires retentissaient. Ambiance bon enfant quoi. On était bien, comme une bande de copains.
Pendant ce temps-là, sur la scène, le palmarés s'égrenait et les Trophées étaient remis. Les trois premiers récipiendaires à se jucher sur les planches de la Pépinière, totalisaient à eux trois des dizaines des plus grands films de l'histoire du cinéma français. Jugez plutôt : Claude Pinoteau, Jean Becker et Jean-Marie Poiré !!! Messieurs très respectables s'il en est.
Et puis ce fut au tour des comédiens à venir recevoir leur prix. Je les cite pêle-mêle (vous lirez le palmarès officiel en fin de rubrique) : Clovis Cornillac, Marilou Berry, Olivier Marchal, Guy Lécluyse, Zoé Félix, Bruno Solo, Jean-Pierre Darroussin, Julien Boisselier, Valérie Mairesse, Laurent Gamelon, Pascal Légitimus, Zinédine Soualem, Marie Kremer... Et, pour remettre les prix, Rufus, Daniel Russo, Bernard Werber, Elisa Servier, Dounia de Plus belle la vie, Caroline Proust (madame Cornillac à la ville), et beaucoup de jeunes espoirs du cinéma français.
Enfin, deux prix spéciaux ont été rémis à Marthe Villalonga et à l'empereur des cascadeurs, Monsieur Rémy Julienne.
A noter un grand moment d'humour et d'improvisation signé Antoine Duléry. Ce garçon a bien du talent et il sait ne pas se prendre trop au sérieux.

Pour la plupart des lauréats, c'était la toute première fois qu'ils se voyaient accorder une distinction. Mais le fait que celle-ci émane d'un verdict populaire leur faisait immensément plaisir.
Donc, chapeau à Patrick Jorge et à son équipe. Pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître. Et je suis convaincu que la deuxième édition verra venir encore plus d'artistes car ceux qui étaient là vont faire une sacrée publicité aux Trophées du Public. Enfin, une cérémonie à visage(s) humain(s)...

Le palmarès
- Comédiens Cultes : Christian Clavier, Thierry Lhermitte, Pierre Richard.
- Meilleurs comédiens : Julien Boisselier, Guillaume Canet, Jean-Pierre Darroussin, Pascal Légitimus, Bruno Solo.
- Comédienne Culte : Josiane Balasko.
- Meilleures comédiennes : Catherine Jacob, Yolande Moreau.
- Meilleurs comédiens 2008 : Clovis Cornillac, Kad Merad.
- Meilleures comédiennes 2008 : Marilou Berry, Michèle Laroque, Sylvie Testud.
- Trophées d'honneur : Jean-Paul Belmondo, Rémy Julienne.
- Comédienne à l'honneur : Marthe Villalonga.
- Comédiens à l'honneur : Michel Duchaussoy, Daniel Prévost.
- Meilleurs réalisateurs : Jean Becker, Patrice Leconte, Claude Pinoteau, Jean-Marie Poiré, Claude Zidi.
- Meilleurs films 2008 : Dany Boon (Bienvenue chez les Ch'tis), Isabelle Mergault (Enfin veuve), Olivier Marchal (MR 73).
- Meilleurs films "révélation" 2008 : Rémi Bezançon (Le premier jour du reste de ta vie), Jean-Patrick Bénès et Allan Mauduit (Vilaine).
- Meilleurs comédiens "second rôle" : Antoine Duléry, Stéphane Freiss, Laurent Gamelon, Samuel Le Bihan, Zinédine Soualem.
- Meilleures comédiennes "second rôle" : Frédérique Bel, Zoé Félix, Valérie Mairesse.
- Révélations masculines 2008 : Guy Lécluyse, Pio Marmaï.
- Révélation féminine 2008 : Marie Kremer.

Martin Rappeneau "1800 désirs"


"1800 désirs"
(Disques AZ)

Mon avis : Dès l'apparition e son premier album, La moitié des choses, j'ai tout de suite aimé la voix, le rythme et l'univers de Martin Rappeneau. Garçon discret qui ne met jamais sa célèbre filiation en avant, il se revendique sans aucune ambiguïté "chanteur de variété". Pianiste autodidacte, il a d'abord exercé ses talents dans un piano bar des Champs Elysées où il interprétait principalement des chansons d'Elton John. Son plus grand fan n'était autre que Frédéric Beigbeder. Mais c'est sa rencontre avec Sinclair qui allait l'amener à enregistrer sous sa houlette bienveillante son premier album.
Son second opus, L'âge d'or, sorti en 2006, avec l'excellent titre Julien, n'a fait que confirmer tout le bien que je pensais du jeune homme.
L'univers de cet admirateur de Stevie Wonder est tout simple : il chante l'amour, et plus particulièrement les souffrances qu'il peut provoquer : "C'est un schéma qui se répète, confie-t-il, on tombe amoureux, on aime, on se sépare, on souffre, on écrit... Il m'arrive de raconter la même histoire vue sous des angles différents... En fait, je m'inspire un peu des chanteurs américains comme Carol King ou James Taylor, qui aiment évoquer leurs malheurs".

Plus je l'écoute, plus je me dis qu'il pourrait être le rejeton contre nature qu'auraient engendré Michel Berger et William Sheller. Il a l'art de la mélodie efficace, et ce don si personnel faire sonner et swinguer les mots.

1800 désirs contient douze chansons, douze raisons supplémentaires d'aimer Martin Rappeneau. C'en est presque énervant, elles sont toutes bonnes, voire très bonnes. Elles ont toutes leur grain, leur identité, leur personnalité propre avec, pour les réunir entre elles, cette voix pure, éthérée, presque fragile. Voici la liste de mes chouchoutes, par ordre d'apparition sur la galette :
- Elle disait, elle disait. On dirait une chanson californienne, ensoleillée, imagée, une véritable petite carte postale aux tons pastels.
- Après l'orage. Chanson climatique. Le couplet avance un peu lentement comme des cumulus menaçants. Et puis, au refrain, ça éclate. Et, dès lors, la mélodie devient une averse de notes discontinues avec, aux trois-quarts, une brève accalmie ; et ça se remet à tomber dru !
- Julie & Sarah. Chanson magnifique de douceur, on est tranbsplanté dans un univers vaporeux à la David Hamilton. La voix de Martin a la légéreté de la soie, la finesse de la dentelle. Superbe !
- Pas ce regard-là. Un arrangement épuré au maximum, voix très devant qui s'envole délicieusement. Peut-être le titre le plus mélodieux de cet album.
- Ce n'était pas moi. Chanson lancinante et obsessionnelle qui nous emporte elle aussi au firmament, à frôler la voûte céleste.
- On n'a pas fini de s'aimer. C'est la plus rythmée. Véhémente et tonique, cette chanson nous fait hocher la tête, snapper les doigts, sautiller les genoux, et trépider des pieds. Super swing !
- Et solitaire et solitude. Quel texte ! Un bijou ciselé d'une élégance remarquable serti dans l'écrin d'une voix posée sur son coussin de souffle.

Vraiment, il FAUT faire connaître Martin Rappeneau. C'est tellement beau. C'est ça la bonne, très bonne chanson de variété. Simple, agréable à entendre, intelligente. Trois albums, trois pépites. En plus, sur scène, ça dépote. Autant dans la vie il semble plutôt réservé, autant devant son piano, légèrement tourné vers le public, totalement métamorphosé, il fait preuve d'un dynamisme et d'une convivialité qui mettent une ambiance folle à ses concerts. Un grand moment de partage...

La pensée ou l'aphorisme du jour

Paradoxalement, c'est quand on est à fond de cale que le temps passe le moins vite...

lundi 23 mars 2009

Laurent Lafitte "Comme son nom l'indique"


Palais des Glaces
37, rue du Faubourg du Temple
75010 Paris
Tel : 01 42 02 27 17
Métro : République / Goncourt

Un spectacle écrit et mis en scène par Laurent Lafitte et Cyrille Thouvenin

Ma note : 6,5/10

Mon avis : Avec sa bouille et son physique de premier de la classe, on le verrait plus volontiers attaché commercial ou banquier. Finalement, cette allure de gendre idéal, il l'utilise a contrario pour jouer et distiller de pures horreurs. C'est qu'il est gonflé le garçon ! On ne peut pas dire que son spectacle ressemble à celui de qui que ce soit d'autre. Déjà, il s'inscrit dans l'univers des sketches. Le stand-up, ce n'est pas son truc. Ou alors, c'est pour le tourner en dérision.
Avec Laurent Lafitte, rien n'est convenu, rien n'est conventionnel. De l'audace, toujours de l'audace, mais avec cet air immuable de celui à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. Son entrée en scène ne laisse pas présager de ce qui va nous tomber dessus par la suite. Il nous la joue cabaret, frisant la grâce d'une danseuse du Lido. Mais, s'il ne campe pas longtemps la Bluebell pour aller danser, il possède néanmoins un déhanché ravageur et une façon de bouger très personnelle...
Du Lido à Ladurée, il n'y a que les Champs Elysées à traverser légèrement en diagonale. Car c'est dans ce salon de thé très huppé que son premier personnage nous entraîne. Ce premier personnage, c'est "Granny". Elle est effectivement aux pommes, mais aux pommes... vertes. Car elle n'est pas vraiment trognon cette mammy futile et égocentrique, narcissique et odieuse, aussi affectée qu'elle peut se montrer grossière. Elle n'a rien de sympathique, elle est aussi sentimentale qu'un pape devant une boîte de Durex. Dans ce sketch, on mesure toute l'étendue de son art consommé de comédien. Des tics récurrents (une paupière qui tombe, conséquence d'un lifting un peu faiblard), des mimiques, de brutaux changements d'attitude selon son interlocuteur, une voix qui part soudain dans les aigus... C'est d'une précision redoutable. On la voit la mère-grand et on aimerait bien que le loup surgisse pour pour lui faire choir la bobillette...

C'est déjà un tour de force que se muer ainsi en mammy et de nous la rendre aussi matérielle. On sait déjà que, quel que soit l'individu qu'il va inviter dans sa galerie de portraits, il sera tout aussi crédible et aussi finement interprété. Je ne veux pas vous dévoiler le contenu de cette dizaine de sketches. Mais il y a quelques personnages qui risquent de rester longtemps gravés dans vos mémoires. Personnellement, je place en pole position le pseudo comique qui s'évertue à faire du "stand down" avec des blagues toutes plus lamentables les unes que les autres. il n'a pas dû être facile à écrire ce sketch parce que ça doit être sacrément compliqué de trouver des vannes aussi affligeantes et les dire en guettant les approbations du public et en ayant l'air concaincu qu'elles sont excellentes... Et puis il y a la Tatie des Sixties. C'est le sketch le plus abouti, le mieux écrit, le plus fin aussi.

Sinon, Si vous allez vous poser au Palais des Glaces (dans la grande salle désormais) aux alentours de 21 h 30, sachez que vous vous exposez à être plus ou moins choqués. Oreilles chastes et âmes prudes s'abstenir. Laurent Lafitte nous entraîne en effet dans des endroits où la plupart d'entre nous n'ont pas coutume de se rendre. Il se livre sur scène à quelques pratiques qui provoquent - selon que l'on est du sérail ou pas - des gloussements de plaisir complices ou des petits cris horrifiés, voire des rires nerveux. Il met le doigt (et parfois plus) dans le fondement des choses. Et il tourne !!!! Il y a parfois des descriptions avec une abondance de détails très crus, très réalistes (quand un ticket de métro n'a pas parfaitement rempli son office, par exemple...). C'est la cerise sur le scato, quoi !

Donc Laurent Lafitte peut tout jouer, tout dire, tout faire. Et ce, avec un réel talent. Il ne s'autorise aucune concession, il foule au pied tout ce qui peut être politiquement correct avec une jubilation de sale gosse. D'ailleurs, le mot "correct" ne figure plus depuis longtemps dans son glossaire. Avec lui, vous pénétrez en terrain miné. Plus il y a de trucs qui nous pètent à la gueule, plus il doit se sentir hureux et satisfait. Mais il pousse le vice à ne pas nous le montrer, le grossier personnage.
Ce spectacle d'une totale originalité, présente toutefois quelques inégalités, quelques chutes de tension. Remarquez, ça permet aussi de récupérer. Si c'était tout le temps du même haut niveau de truculence et d'horreur, on ne pourrait pas tenir.
En tout cas, voici un artiste qui, s'il persévère dans ce registre où il est quasiment tout seul, n'a pas fini de nous surprendre, de nous effaroucher, et de nous plaire. Il peut très vite devenir (cu)culte...

mercredi 18 mars 2009

Chat et souris


Théâtre de la Michodière
4bis, rue de la Michodière
75002 Paris
Tel : 01 47 42 96 77
Métro : 4 septembre / Opéra

Une pièce de Ray Cooney
Adaptée par Stewart Vaughan et Jean-Christophe Barc
Mise en scène par Jean-Luc Moreau
Scénographie de Charlie Mangel
Avec Alex Métayer (Jean Martin), Roland Marchisio (Gilbert Jardinier), Maria Blanco (Mathilde Martin), Eliza Maillot (Charlotte Martin), Benjamin Wangermee (Guillaume Martin), Adeline Zarudiansky (Alix Martin), Thierry Liagre (Jardinier père)

Ma note : 8/10

L'histoire : Tout va bien pour Jean Martin, chauffeur de taxi, marié depuis vingt ans à Mathilde, à Montreuil et, en même temps, à Charlotte, à Ivry.
Jean Martin a également deux adorables enfants, Alix à Montreuil, et Guillaume à Ivry.
La vie est belle... Son secret est bien gardé... Jusqu'au jour où les deux ados découvrent que, sur Internet, on peut faire des rencontres...

Mon avis : Une incroyable performance ! J'avais vu cette pièce à sa création avec Jean-Luc Moreau et Francis Perrin et j'avais été époustouflé par le rythme infernal que ces deux comédiens imprimaient à la pièce... Et bien, sans que cela puisse leur faire une once d'ombre, j'ai été encore plus sidéré par la dynamique totalement échevelée que donnent à cette nouvelle version Eric Métayer et Roland Marchisio. Leur travail est d'une précision quasi chirurgical. On dirait que ça part dans tous les sens, au contraire. Tout est parfaitement maîtrisé, millimétré. D'ailleurs, Roland Marchisio rencontré à l'issue de la 450ème reorésentation, affirmait avec le plus grand sérieux qu'il jouait le personnage de Gilbert comme s'il s'agissait d'une tragédie. Car ce pauvre Gilbert Jardinier vit effectivement la pire journée de son existence. C'est un véritable cauchemar que lui impose son ami Jean (Eric Métayer). Et si Roland tombait un tant soit peu dans la gaudriole et dans la désinvolture, la mayonnaise ne pourrait pas prendre.
Autant Eric Métayer s'agite et se déchaîne, autant Roland doit essayer de temporiser, de trouver des explications plus ou moins heureuses, de protéger son copain au-delà du raisonnable.
On voit bien que les deux hommes se connaissant bien. leur complicité fait merveille. Ils ont tous deux un sens aigu du cartoon. Eric en Woody Woodpecker survitaminé, Roland en Droopy dépassé par les événements. C'est cette opposition de style qui, comme pour tous les bons binômes, fait que cette pièce fonctionne aussi bien.

Bien sûr que cette histoire est totalement invraisemblable, énorme même. Mais on s'en fout. On en accepte le postulat dès le départ et on n'a plus qu'à se laisser emporter par une déferlante de quiproquos et de rebondissements en tous genres. Il faut tout de même saluer le brio de l'auteur anglais, Ray Cooney, qui réussit à nous tenir en haleine avec un sujet aussi mince. Et il se permet même de nous concocter une fin vraiment inattendue. Du grand art.

Métayer et Marchisio sont également fort bien épaulés par les deux "madame Martin", Maria Blanco et Eliza Maillot, qui tiennent avec un sérieux imperturbable leur rôle de femmes qui cherchent à comprendre, à analyser, et à arranger les choses. A la fois éléments stabilisateurs et déclencheurs, elles sont un peu notre projection sur scène car, comme nous sommes dans la confidence de la double vie de Jean Martin depuis le début, nous ressentons d'autant plus de jubilation devant leur incompréhension grandissante face aux gesticulations de l'un et aux embarras de l'autre. La mécanique est parfaitement huilée. Le résultat, imparable.
Tout le monde est au diapason de la folie ambiante, avec mention spéciale à Thierry Liagre, qui joue le sémillant et libidineux père de Gilbert Jardinier. Il n'y a guère que le jeune comédien qui joue Guillaume qui soit, à mon goût, un peu en dessous avec un jeu un tantinet trop appuyé. Mais c'est une goutellette d'eau dans une cascade de drôlerie burlesque, un véritable tourbillon de folie. On sort totalement épuisés pour Eric et Roland. Ils doivent y laisser quelques grammes chaque soir. Un simple double clic avec la souris menant à ce "chat" et on se prend une double claque... de plaisir. Une pièce qui se veut sans prétention, mais qui s'avère être tout de même un hallucinant tour de force. Chapeau messieurs-dames !

vendredi 13 mars 2009

Panique au Ministère


Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une pièce de Jean Franco et Guillaume Mélanie
Mise en scène par Raymond Acquaviva
Décors de Charlie Mangel
Costumes de Gilles Neveu
Avec Natacha Amal (Gabrielle), Amanda Lear (Cécile), Raymond Acquaviva (Louis), Edouard Colin (Eric), Camille Hugues, Elie Axas

Ma note : 7/10

L'histoire : Gabrielle est chef de cabinet au Ministère de l'Education Nationale. Entre Louis, son ministre complètement largué, Cécile, son énergique mère croqueuse d'hommes, et Sarah, sa fille en quête d'indépendance, elle n'est pas beaucoup aidée... L'arrivée d'Eric, jeune homme de ménage de 20 ans son cadet, va faire voler en éclats des habitudes d'éternelle célibataire et semer la panique au Ministère...

Mon avis : Au risque de faire un mauvais jeu de mot et de paraître un peu trivial, cette pièce aurait pu s'appeler carrément "ça nique au Ministère" ! C'est peut-être un peu réducteur, mais c'est pourtant ce qui se passe dans ce grand bureau cossu qui abrite le ministre de l'Education Nationale et sa chef de cabinet...

Très vite, les caractères sont dessinés. Louis, le ministre, est un personnage un peu fallot, sans grande envergure, qui connaît un certain mal à assumer ses responsabilités et qui se révèle particulièrement craintif quand son acariâtre épouse, Michelle, est dans les parages. Mais c'est un brave homme, il porte à sa chef de cabinet Gabrielle, qu'il appelle affectueusement Gaby, une réelle amitié...Gaby, oh Gaby ! Elle est beaucoup plus fonctionnaire que femme. Elle sacrifie tout pour son travail. Bûcheuse acharnée, elle est autoritaire, cynique, impitoyable...Sarah, sa fille de 20 ans, est une jeune fille de son temps, qui rêve d'indépendance en réclamant sa "studette de 60 m2" à elle. Mignonne et maligne, elle n'hésite pas à affronter la rigueur de sa mère, qu'elle sait, au fond, pas vraiment méchante...Et puis il y a Cécile. La maman de Gaby et grand-mère de Sarah. Ce n'est pas l'exemple idéal pour la jeune fille qui lui voue cependant une grande admiration. Il est vrai qu'elle est bien plus vivante et rigolotte que sa mère. Cécile est totalement extravagante, parfaitement déjantée, viscéralement "djeune". Avec ses tenues chamarrées et son franc parler, elle bouscule hardiment l'univers feutré de ce bureau où officie sa coincée de fille.Et enfin, il y a Eric. Il vient d'être engagé comme homme de ménage et jardinier au Ministère. C'est un beau gosse, terriblement sexy, à la plastique de rêve (pectoraux saillants, tablettes de chocolat) qu'il ne manque jamais une occasion d'exhiber. Son arrivée, en éveillant les convoitises, va faire exploser la routine, sauter les vernis, fendre les armures... On devine la suite...

Ou, du moins, on croit la deviner... Car Panique au Ministère est une vraie pièce de boulevard digne des meilleurs Feydeau. Quiproquos et rebondissements se succèdent, parfois téléphonés (et on est content quand ils surviennent), parfois totalement imprévisibles. Cette alternance entre grosses ficelles et trouvailles astucieuses donne un rythme effréné à la pièce. Mais, ce qui est le meilleur - en plus, bien sûr, du jeu des comédiens - ce sont les dialogues. Percutants, vachards, modernes, truffés de clins d'oeil et de références à l'actualité proche en citant des personnages existants. Les répliques particulièrement saignantes que s'échangent Gaby et Michelle, la femme du Ministre, sont des petits chef d'oeuvre de vacherie pure. Mais tout au long de la pièce, ça vanne sec ! Amanda Lear, dans le rôle de Cécile, s'en donne d'ailleurs à coeur joie !

Rien à dire sur la casting. Il est excellent.
Natacha Amal, comme toujours quand elle est sur les planches, fait preuve d'une incroyable débauche d'énergie. Son personnage est, il est vrai, une aubaine pour une comédienne. Psychorigide, brutale, quasi hystérique, ses tenues vont suivre la métamorphose de son caractère. Adieu les tailleurs un peu stricts et tristounets, place aux jolies robes de grandes marques aux généreux décolletés. Même dans la scène que l'on sent prévisible où elle fume un pétard, elle réussit à nous embarquer dans un joli moment d'émotion auquel on ne pouvait s'attendre. Elle ne s'économise pas, elle y va à fond. Elle sait tout faire, elle nous fait rire par ses excès, par ses réflexions (quelle heureuse trouvaille de mise en scène quand elle nous fait part de ses pensées intimes et s'offre de savoureux apartés dans lesquels on découvre entre autre qu'elle est une fan des séries télévisées américaines...), et elle nous émeut par sa solitude, son désarroi, et quand elle se révèle une grande sentimentale.
Amanda Lear, à mon avis, est partie pour une belle carrière théâtrale. Quel abattage. Elle envahit l'espace. De sa voix profonde, elle profère des énormités, énonce des vérités, piétine les conventions. Du sur mesure. On ne peut pas imaginer une autre comédienne dans ce rôle. Elle est tellement elle-même qu'on n'a pas l'impression qu'elle joue.   
A leurs côtés, tout le monde est bon. Entre Cécile, Gaby et Sarah, nous avons un très séduisant échantillonnage intergénérationnel de jolies femmes très agréables à regarder. Mais les femmes du public (ainsi que les hommes qui aiment les hommes) en ont également pour leur compte avec Edouard Colin. C'est qu'il est vachement bien découplé le bougre, "bien gaulé" comme le précise Cécile-Amanda...

Je pense que Panique au Ministère est appelé à une jolie carrière. Jean-Claude Camus, le patron du théâtre de la Porte Saint-Martin a le nez creux pour dénicher des spectacles populaires et de qualité. Il tient là une pièce de boulevard fort réjouissante dont la vocation est uniquement de nous faire rire. Mission accomplie. On n'a pas envie de pinailler, on monte dans le wagon, et on se laisse porter jusqu'à la fin sans bouder notre plaisir. En ces temps de morosité, le rire, tout simple, sans prétention, est une denrée indispensable.

jeudi 12 mars 2009

L'habilleur


Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgar Quinet

Une pièce de Ronald Harwood
Texte français de Dominique Hollier
Mise en scène par Laurent Terzieff
Scénographie de Ludovic Hallard
Avec Laurent Terzieff, Claude Aufaure, Michèle Simonnet, Jacques Marchand, Nicolle Vassel, Philippe Laudenbach, Emilie Chevrillon

Ma note : 7,5/10

L'histoire : Janvier 1942. L'Angleterre est en proie aux bombardements nazis. Les acteurs valides sont sous les drapeaux, les théâtres brûlent. Néanmoins, dans ce chaos, une troupe de province s'apprête à jouer Le Roi Lear. Le "maître", qui dirige la troupe et joue chaque soir les rôles titre des pièces de Shakespeare, se prépare. Mais son esprit s'échappe, son corps à bout de nerfs le trahit. Incapable de se résoudre à l'annulation de la représentation, Norman, l'ombre du maître, son "habilleur", à son service depuis seize ans, le réconforte, l'encourage et se démène contre l'avis des autres comédiens, pour qu'il assure la représentation...

Mon avis : Grand, grand, grand moment de comédie ! Dans une mise en scène particulièrement habile, jonglant avec trois lieux différents, nous assistons aux efforts pathétiques et dérisoires d'une poignée de personnes qui tentent de sauver la représentation d'une pièce de théâtre, Le Roi Lear de Shakespeare. Leur gros souci, c'est l'état de santé mentale et physique de leur acteur vedette et patron, celui qu'ils appellent "Le Maître". C'est qu'il semble bien usé, le cher homme ! Pourtant, leur problème paraît bien futile alors que retentissent régulièrement les sirènes annonçant la menace imminente d'un bombardement et que détonations et explosions viennent à peine troubler leur petite routine.
L'habilleur est une pièce qui rend un vibrant hommage au théâtre et à ceux qui le font vivre. C'est une pièce intelligente sans être pesante, un petit bijou d'humour anglais avec sa distanciation, sa perfidie so british. Pour la servir, il fallait des comédiens subtils, habiles à saupoudrer les nuances.

La pièce repose sur deux hommes
Norman (Claude Aufaure) dans le rôle de "l'habilleur" est pratiquement de tous les plans. C'est lui l'âme de la pièce. C'est un personnage un peu compassé, qui dégage d'emblée une certaine sympathie, mais qui s'avère au fil de l'action, plutôt redoutable. Il ne vit que grâce à sa proximité avec le Maître. Il est son homme à tout faire, son factotum ; son souffre-douleur aussi. mais son admiration pour le grand homme est tellement forte qu'il est prêt à accepter tous les camouflets. Dans l'ombre du Maître, il existe. Sans lui, il n'est plus rien. Il faut voir avec quelle rouerie il joue avec ses différents interlocuteurs. Quand il s'adresse au maître, il est aimable, obséquieux, cauteleux, précautionneux. Il connaît aussi bien que lui - sinon mieux -toutes les répliques du répertoire shakespearien. Mais quand il s'adresse aux autres personnes qui gravitent autour du Maître, il peut se monter dur, cassant, impitoyable, brutal même. Il s'érige en bouclier humain pour protéger son employeur. Claude Aufaure est superbe. Quelle finesse de jeu. Il modifie sans cesse son timbre de voix en fonction de la situation. Il peut passer de l'extrême onctuosité à la plus grand agressivité. Un grand numéro de comédie pure !

Et puis il y a Le Maître... Laurent Terzieff !!! Un géant du théâtre. La moindre de ses attitudes, le moindre de ses gestes, la moindre des ses intonations témoignent d'un métier consommé. Jamais il n'est dans la démonstration et pourtant, son personnage pourrait le lui permettre. Le Maître est un monstre. Un monstre d'égoïsme, de narcissisme, de mauvaise foi. Il ne supporte pas que les avions allemands aient l'outrecuidance de venir le bombarder lui ! Alors il les apostrophe, il vitupère. Laurent Terzieff brûle en permanence d'un feu intérieur. Le théâtre est en lui. Il est habité. Avec sa voix grave et rauque, il joue sur tous les registres. Il jongle avec les ruptures, tour à tour superbe et conquérant, ou désemparé et pitoyable. Il n'aime que lui. Il est l'astre autour duquel tournent quelques misérables satellites. Il en a besoin ponctuellement, dans le privé ou sur scène. Il n'a que mépris pour ces comédiens de seconde zone qui viennent lui servir la soupe le temps d'une représentation. Après quoi, il reprend sa superbe et ses distances et il se replie sur lui-même... Voir laurent Terzieff jouer est un bonheur de tous les instants.

Autour de ces deux hommes interdépendants l'un de l'autre, gravitent quelques personnages qui n'essaient d'exister qu'en fonction de l'humeur du Maître et de l'intérêt qu'il leur porte. Il y a la comédienne-compagne, et la régisseuse enamourée. La première est la seule qui ose lui asséner quelques vérités, mais elle aussi elle n'existe qu'à travers lui. Elle a donc des limites à respecter... La régisseuse, elle, ne pense qu'à sa fonction. Elle a dû aimer le Maître au début de leur association, mais devant son indifférence, elle s'est résignée, elle est devenue mécanique. Deux beaux personnages de femmes.

Hormis deux ou trois petites longueurs (comme le quasi monologue du comédien qui joue le Fou), L'habilleur est une pièce qui nous tient en éveil de bout en bout. C'est une pièce qui donne ses lettres de noblesse au théâtre et qui nous le fait aimer encore plus.

mardi 10 mars 2009

Warren Zavatta "Ce soir dans votre ville"


Théâtre Trévise
14, rue de Trévise
75009 Paris
Tel : 01 48 65 97 90
Métro : Cadet / Grands boulevards

Ecrit par Warren Zavatta
Mis en scène par Anne Bourgeois et Warren Zavatta

Ma note : 7,5/10

Le thème : Comédien, musicien, jongleur, acrobate, petit-fils du grand Achille Zavatta, cet enfant de la balle, Romano moderne, ose dans une performance spectaculaire, drôle et caustique, metttre à mal avec sincèrité et humour, le "merveilleux" monde du Cirque dans lequel il a grandi bien malgé lui...

Mon avis : Il surgit du fond de la salle, apostrophant le public à l'aide d'un mégaphone, tel un bateleur. Il est vêtu d'une superbe tenue bigarrée, il porte d'énormes chaussures, autour de son crâne volète une couronne de faux cheveux, et il est affublé d'un nez rouge. La panoplie parfaite, quoi ! Des signes extérieurs de clownerie dont il s'empresse d'ailleurs de se débarrasser sitôt juché sur la scène... Warren Zavatta est un personnage impressionnant. 1 m 92, le crâne dégarni, le regard dérangeant. Il fait son petit effet... D'autant qu'il attaque par une série de dénigrements sur l'univers du Cirque, un monde dans lequel il n'avait pas choisi d'apparaître et qui, semble-t-il, ne correspondait pas à ses aspirations puisqu'il voulait être comédien. Mais tradition oblige, quand on est dans la caravane, il n'existe pas d'échappatoire ; il faut faire comme tout le monde et s'initier à toutes les disciplines. Et puis il y a la présence imposante du grand-père, le célébrissime Achille qui, apparemment, sur le plan sentimental était plus un clown rouillé qu'un mec pointu. Il le dit tout net : "Pépé Achille m'a pourri mon enfance"...

Warren y va à fond. Ses descriptions, dans lesquelles il ne se fait pas non plus de cadeau, sont truffées de détails pittoresques. Et encore, on sent qu'il en garde sous la semelle de ses godasses pointure 53. Sa jeunesse n'a pas dû être rose dans ce milieu où l'on vit en vase clos, où le choix de ses fréquentations est un peu du domaine de la roulotte russe. Et il a grandi Warren, beaucoup ; trop même puisque sa taille était devenue un handicap pour effectuer certains exercices physiques... Pendant qu'il nous narre toutes ces péripéties, il se livre à quelques activités : il jongle, il crache du feu (vous ne saurez pas tout)... Tout en effectuant ces tours avec un air dégoûté, il explique la vanité totale de ce savoir-faire dans la vie courante. Et, ce qui est le plus cocasse, c'est qu'il est hyperdoué dans ces pratiques. Mais c'est plus fort que lui, il faut qu'il dénature, qu'il tourne tout en dérision. Même si le fond de vérité est là, palpable... Et quelle digression désopilante quand il nous explique à l'aide de trois exemples les difficultés de s'appeler Zavatta quand on veut faire un métier comme monsieur Tout-le-monde !

Et puis tout doucement, insensiblement, sa carapace de dureté commence à se fendiller, laissant ainsi s'échapper une réelle tendresse, une profonde humanité. Il suspend un temps ses clowneries pour nous offrir de jolies petites plages de poésie. Il joue du saxo, révèle le timbre mâle d'une superbe voix de crooner. C'est dans ce bel état d'esprit qu'il nous amène à une fin qui n'est pas vraiment celle qu'on attendait...

Warren Zavatta nous offre un spectacle dense et varié, riche en effets de toutes sortes et, surtout, remarquablement écrit et joué. Même s'il cherche à s'abaisser en avançant qu'il n'a pas "le talent d'Achille", on peut, à juste titre devant cette performance scénique, assurer que Pépé Zavatta aurait été fier de son petit-fils. Mais il ne devait pas vraiment être marrant le Clown ! Lui qui n'appréciait pas que d'autres que lui portent ce nom définitivement lié à l'histoire du Cirque. Il lui sera toutefois beaucoup pardonné puisque, sans doute malgré lui, il a transmis la magie du spectacle dans les veines de ce remarquable rejeton.

lundi 2 mars 2009

Perrault, ça cartoon


Espace La Comedia
6, impasse Lamier
75011 Paris
Tel : 01 43 67 20 47
Métro : Philippe Auguste

Une pièce de Stéphane Roux
D'après Charles Perrault
Mise en scène par Tristan Petitgirard et Stéphane Roux
Avec Stéphane Roux et Philippe Gaillard ou Alexis Cartonnet (musicien)

Ma note : 8,5/10

Le principe : Les plus célèbres contes de Charles Perrault, revus et métamorphosés en cartoon : Le Chat botté façon Shrek, Le Petit Poucet mâtiné de Kirikou, Le Petit Chaperon Rouge vu par Tex Avery, Les Fées illustrées en théâtre d'ombres, Barbe Bleue revisité en manga... Le tout mis en musique et bruité en direct !

Mon avis : Ce garçon est fou !!! Mais fou dans le sens positif du terme, tant son extravagance est hallucinante et jubilatoire. Il est presque impossible de décrire ce spectacle complètement dingue - tout en étant parfaitement maîtrisé - par de simples mots. Il faut le voir pour le croire...
Pendant une heure et quart, sur un rythme insensé, Stéphane Roux nous entraîne dans une farandole totalement foutraque, faisant exploser tous les codes, se permettant toutes les libertés, toutes les audaces, tous les délires. Et malgré tout cela, on ne perd jamais le fil car, en dépit de cette frénésie, Stéphane Roux n'arrête pas de faire le conte.
Pour posséder une telle précision, une telle perfection dans le geste et dans le son, ce garçon a dû tomber tout marmot dans la marmite du burlesque. Tout son spectacle est construit au millimètre et à la seconde près. La rigueur est là, mais il a le talent de ne pas nous la faire sentir. Ce n'est qu'après coup que l'on réalise combien sa performance est exceptionnelle.

Je vous le dis, ce qui se passe sur la petite scène de La Comedia est inracontable. Il s'y passe trop de choses, et trop vite. Alors que retient-on dans les grandes lignes ?
De jolis costumes ; des présentations, des enchaînements et des morales exprimées dans un langage très châtié (les écrits de Charles Perrault sont scrupuleusement respectés, il n'y a que la manière de raconter les histoires qui part véritablement en sucette) ; des accompagnements musicaux riches et variés et des bruitages farfelus effectués en "live" qui ont la qualité d'une vraie bande-son ; une inventivité de tous les instants ; des anachronismes à foison qui nous ravissent ; des effets spéciaux (si, si) ; des parodies ; de savoureux clins d'oeil...
Bref, quel que soit son âge, chacun y trouve son compte (son conte ?). Les plus jeunes, y verront une succession de dessins (très) animés avec des grimaces, des gesticulations, des bruits rigolos... Les plus âgés s'amuseront à décrypter des références en pagaille et se régaleront d'un second degré quasi permament.
Qu'ajouter à cela sinon saluer la maestria avec laquelle Stéphane Roux joue ces plusieurs dizaines de personnages ou d'animaux (Ah cet âne echappé de Shrek qui fait "Hi han" en verlan !), prenant toutes sortes d'accents ou de tons. C'est tout simplement phénoménal. Allez-y en famille, vous allez être époustouflés. Peu de comédiens sont capables de fournir un tel éventail de jeu sur un rythme aussi affolant. Et qu'il est bon d'entendre éclater les rires frais des enfants... et d'entendre ronronner de plaisir leurs aînés...