mercredi 21 février 2018

Alex Lutz


L’Olympia
28, boulevard des Capucines
75009 Paris
Tel : 08 92 68 33 68
Métro : Madeleine / Opéra / Auber

Ecrit et interprété par Alex Lutz
Mis en scène par Tom Dingler

Présentation : Annie gère mieux le décès de sa mère que son régime sans gluten. Patrick privilégie les circuits courts même lorsqu’il va aux putes. Thierry est addict au crack et vit dehors, mais il reste persuadé d’avoir réunion à 14 heures tapantes. Alex a accepté un film à cheval, même si son père ennemi fut un poney en 1987…
Pedro, Séverine, Khaled, Babette, Arthur et tous les autres sont tombés parfois, mais ils se lèvent le matin, se couchent le soir et entre les deux… essaient de faire de leur mieux !
En véritable virtuose du rire, Alex Lutz vous a concocté un spectacle où poésie et humour s’entremêlent. Avec un regard bienveillant, il aborde avec justesse les joies, les peurs, les doutes de notre société.

Mon avis : Fiat Lutz ! J’utilise cette locution latino-alsacienne pour confirmer combien le talent d’Alex Lutz est aveuglant. Son étoile ne se contente pas d’illuminer le frontispice de l’Olympia, elle brille également, ô combien, à l’intérieur de la salle.

Après dix ans passés à jouer son premier spectacle, il a enfin décidé de sortir de sa zone de confort pour se lancer dans ce qui représente l’exercice le plus périlleux pour un artiste : le deuxième opus. C’est valable dans tous les domaines, la chanson, la littérature, le cinéma, le théâtre, le one-man show… Quand votre première production a connu un énorme succès, vous êtes sacrément attendu au tournant. Surtout au terme d’une décennie au cours de laquelle son aura n’a cessé de grandir…


On sent qu’il l’a travaillé longuement de nouveau spectacle. Et il s’est donné les moyens de nous étonner, tant dans le fond que dans la forme… Alex Lutz ouvre son spectacle, crinière au vent, avec une parade équestre. Monté sur Nilo, un splendide lusitanien à la robe immaculée, il joue au néophyte maladroit incapable de gérer son animal. D’ailleurs, à peine a-t-il remis les pieds sur terre qu’il s’excuse de sa piètre prestation. Mais nous ne sommes pas dupes. Il est évident qu’Alex est un cavalier émérite, à l’instar de son compagnon d’écurie, Nicolas Canteloup.

Mais le monde du spectacle est exigeant. Même, et surtout lorsqu’on a accompli une « foirade », il faut immédiatement se remettre en selle : le show must go on. Là, différence avec son premier seul en scène, il pratique le stand-up. Et il se lance dans la narration délirante d’un cauchemar totalement absurde. Cette sorte de préface préfigure tout ce à quoi nous allons avoir droit pendant plus d’une heure et demie : une gestuelle et un débit insensés, du mime, des néologismes, des digressions saugrenues, des raccourcis imprévisibles, une incroyable débauche d’énergie, de la poésie, du grivois, des mimiques hilarantes, des accents… Bref, il fait ce qu’il veut avec son corps dont les bras et les jambes semblent totalement indépendants, et avec sa voix, une voix avec laquelle il joue aussi bien du grave que des aigus. Alex Lutz est un artiste complet, original et désarçonnant.


Ceci, c’est pour la forme. Mais Alex Lutz a également énormément soigné le fond de son spectacle. Il a l’art d’aborder des sujets sérieux, voire grave, avec une forme de désinvolture qui rend, à la réflexion, ses propos encore plus percutants. Y compris s’ils sont cavaliers. Bien qu’il affirme, sans doute à raison, se sentir « comme un moucheron pris dans la lumière », il ne renâcle jamais devant l’obstacle. Au contraire, il fonce dessus tête baissée. Parce qu’il place lui-même la barre très haut, on croit qu’il va se dérober au dernier moment, mais ça passe. Il n’y a guère que sur Le Chasseur, la chanson de Michel Delpech qu’il n’est pas très à cheval sur les paroles. Pour le reste, c’est de la haute voltige. Avec son destrier, il joue à Monsieur 100.000 voltes.

Hier soir, Alex Lutz a connu une grosse frayeur et le public a retenu son souffle. Au cours d’un numéro de dressage, Nilo, sans doute impressionné par la présence de Michel Druker dans la salle, s’est offert un dérapage incontrôlé et s’est retrouvé les quatre fers en l’air. Heureusement, il s’est relevé aussi vite qu’il était tombé… Peu de temps auparavant, notre superbe mustang nous avait permis de vérifier qu’il était fort bien monté, et par son maître et par la grâce de Dame Nature. Si cet exhibitionnisme est voulu, chapeau au (re)dresseur !


Mené à bride abattue, le spectacle d’Alex Lutz est dense, danse, formidablement riche. J’ai vu en lui le fils (très) spirituel de Charlie Chaplin et de Jerry Lewis. Il est à ce niveau. En deux coups d’écuyère à pot, il caracole du stand-up au sketch, campant une galerie de personnages tous aussi croustillants (car gratinés) les uns que les autres. Avec son art consommé du mime et de la mimique, il peut aussi bien nous reproduire (c’est le mot) une séance de coït qu’interpréter un chef d’orchestre manchot qui ne peut compter que sur l’expressivité de son visage élastique. Il est capable d’interpréter avec autant de réalisme « T’en pètes dans le slip » que « Tempête sous un crâne » en incarnant, sans prononcer un seul mot, un neurone pris dans l’étau d’un faisceau lumineux qui se resserre inexorablement. Du grand art pour un grand écart… Il peut jouer les machos et les femmes presque soumises, les mamies bigotes, un petit garçon ou une ado, le parent ou l’enfant (quelle merveille que ces conseils inversés d’un père à sa fille qui préfère la fac à The Voice !)… Il est de tous les sexes et de tous les âges. Il donne à rire autant qu’à réfléchir avec une générosité et un charisme rares.

Ruez-vous à l’Olympia, galopez vers les salles où il va se produire en tournée…
Alex Lutz est un crack. Il est l’étalon-or actuel de l’humour hexagonal.

Gilbert « Critikator » Jouin



samedi 10 février 2018

Jeff Panacloc contre-attaque


Théâtre des Variétés
7, boulevard Montmartre
75002 Paris
Tel : 01 42 33 09 92
Métro : Grands Boulevards

Ecrit par Thomas Maurion, Jeff Panacloc, Tom Villa
Mis en scène par Nicolas Nebot
Interprété par Jeff Panacloc

Présentation : Jean-Marc a été arrêté ! Pas étonnant : il n’a pas pu s’empêcher d’aller vanner la Première Dame des Etats-Unis… Menotté, il est retenu au commissariat. Grâce à un moment d’égarement d’un policier trop gourmand, Jean-Marc va tout de même réussir à s’échapper et à rejoindre Jeff sur scène.
C’est lors de cette course-poursuite effrénée entre Jean-Marc et les forces de l’ordre que Jeff va nous présenter Jacky, le technicien, et Nabilouche, la petite amie de Jean-Marc.
Mais comme Jean-Marc restera toujours Jean-Marc, il va très vite bousculer tout ce que Jeff avait prévu.
Jean-Marc a-t-il dit toute la vérité ?
Jeff va-t-il réussir à le garder sur scène avec lui ?
Toutes les réponses, ou presque, dans ce nouveau spectacle : Jeff Panacloc contre-attaque…

Mon avis : Avec ce nouveau spectacle, Jeff Panacloc a encore franchi un palier. Jouer « Jeff Panacloc perd le contrôle » pendant deux ans et demi avec le succès que l’on sait, ça donne une sacrée expérience et beaucoup d’assurance. Fort de cet acquit, Jeff s’est permis de mettre la barre encore plus haut au niveau de la performance vocale et dans l’expressivité de ses marionnettes. Il ne nous faut pas longtemps pour ressentir l’impression qu’elles sont réellement vivantes tant leurs mimiques sont réalistes.
Le succès a apporté aussi plus de moyens techniques. Ça se voit avec le décor et avec l’utilisation d’effets spéciaux.


Après une introduction originale, Jeff se présente tout seul sur scène. Il en profite pour assouvir son pêché mignon : chanter. Ensuite, il se mue en une sorte de bateleur pour nous exposer le problème qu’il rencontre avec la garde à vue de Jean-Marc. C’est habile, car ce procédé accroît le désir de revoir ce sale gosse de singe. Jeff fait habilement monter la pression pendant un gros quart d’heure. Aussi, quand Jean-Marc surgit, c’est une explosion de joie.

Dès qu’il est là, on passe dans une autre dimension. Jean-Marc lui aussi a pris de l’envergure. Ça se traduit par encore plus d’insolence, de sans-gêne et de grossièreté. Déchaîné, complètement survolté le quadrumane dézingue tout ce qui bouge y compris quelques personnes, en priorité des femmes, malencontreusement installées au premier rang. Jean-Marc utilise sans vergogne le name dropping. Peu de personnes trouvent grâce à ses yeux (Hollande, Macron, les vieux…) ou à ses oreilles (Vianney, M. Pokora, Vincent Niclo, Keen V…)


Autre évolution dans ce spectacle : la présence de deux nouvelles marionnettes, Jacky le technicien, et Nabilouche la « fiancée » de Jean-Marc. Le premier est un personnage haut en couleurs, truculent à souhait, fans absolu de Johnny, qui s’exprime lui aussi sans filtre avec des considérations ponctuées d’un savoureux gimmick : « Plein l’ cul la CGT Mélenchon ! ». L’intrusion de ce nouveau personnage permet à Jeff de réaliser une époustouflante conversation à trois. Une véritable prouesse vocale !... Quant à Nabilouche, sa bêtise est aussi fascinante que sa plastique et son maquillage. Elle possède un art unique pour détourner les expressions. D’autres l’ont fait avant elle, mais le procédé est toujours aussi efficace et drôle.


Bref, Jeff Panacloc accomplit à un rythme fou une formidable prestation, un véritable numéro de haute voltige. Sa schizophrénie est ici multipliée par deux. Quelle maîtrise ! Une fois encore, il sait habilement changer de registre en distillant un joli moment d’émotion et de tendresse. C’est une évidence, il en a un besoin chronique. Il n’y a pas que le cul dans la vie, il y a aussi le cœur…

Puisque je parle de « cul », bien que je ne sois pas bégueule, je trouve que Jean-Marc en fait un petit trop dans ce registre. Quand ça devient systématique et passablement graveleux, ça peut déranger certains spectateurs et plus particulièrement les enfants. A priori, Jeff Panacloc, avec la présence de ses marionnettes, est censé nous proposer un spectacle familial. Il faudrait qu’il demande à Jean-Marc de se montrer moins trivial. La gauloiserie, c’est sympa, c’est dans notre ADN, mais la vulgarité excessive n’apporte pas grand-chose.
C’est mon seul et unique reproche.

Sinon, j’ai vraiment passé près de deux heures à apprécier ce spectacle à nul autre pareil interprété par un véritable phénomène. Chapeau Jeff !

(Avec mes plus vifs remerciements à Chloé)
Gilbert « Critikator » Jouin





Fabrice Eboué "Plus rien à perdre"


Théâtre de la Renaissance
20, boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 18 50
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Seul en scène écrit et interprété par Fabrice Eboué
Mis en scène par Thomas Gaudin

Présentation : Fabrice Eboué se lâche comme jamais dans ce nouveau spectacle. S’il s’en donne à cœur joie sur les véganes, les complotistes ou son couple mixte, c’est surtout de lui-même qu’il préfère rire…

Mon avis : Affirmer qu’il n’a « Plus rien à perdre » alors qu’il vient à peine de franchir la quarantaine me semble un tantinet prématuré. En même temps, c’est sans doute dicté à la fois par son côté kamikaze et jusqu’au-boutiste et aussi par l’irrépressible et visible… perte de ses cheveux. Plutôt que d’en pleurer, il a choisi d’en rire… un peu jaune.

Peut-être Fabrice Eboué joue-t-il chaque spectacle comme si c’était le dernier. Cet état d’esprit ne peut que se révéler productif dans son écriture et dans son jeu. En vidant son cœur et son encrier jusqu’à la dernière goutte, il ne peut que nous offrir le suc de sa pensée. C’est la reine des abeilles qui nous fait cadeau de son nectar. Puisque j’évoque une bestiole, j’en profite pour souligner combien il excelle dans le mimétisme animalier. Lorsqu’il incarne une huitre ou un moustique, il est criant de vérité ! Mais il sait également caricaturer quelques humains. Son Rom et sa caissière de magasin bio sont d’un réalisme étourdissant.


Puisqu’il arrive sur scène avec la conviction de n’avoir donc « Plus rien à perdre », il y va tout de suite à fond. Il a laissé le filtre dans sa loge (encore qu’il ne soit pas avéré qu’il en n’ait jamais eu un…). Pendant une heure et quart, c’est un jet continu de vannes, d’insolences, d’humour noir (qui est le degré supérieur de l’humour métis), d’iconoclastie, de mauvaise foi (beaucoup), d’autodérision (beaucoup), de formules-qui-tuent… Pour synthétiser son mode d’expression spontané, je ne peux qu’inventer un mot : la férossitude.

« Provocatueur » en série, il n’aime rien tant que de tordre le cou aux clichés. Il accomplit ses forfaits avec un sourire tour à tour bonhomme, ironique ou sadique. Il canarde tous azimuts. C’est facile pour lui, il joue sur du velours : il peut taper sur tout le monde sans qu’on puisse l’accuser d’une quelconque discrimination. Selon que ça l’arrange, il est Camerounais ou Normand. Il peut critiquer les religions sans scrupules : il est catholique, sa femme est musulmane… Il n’a vraiment rien à perdre.


Alors il arrose à 360 degrés. Il cible aussi bien les attentats que la grammaire intuitive, les véganes que les agressions sexuelles, la quarantaine que les thèses négationnistes, le Nutella que les réseaux sociaux… Seul, en fait, son fils trouve un semblant de grâce à ses yeux. Tout n’est donc pas perdu.
Bon signe : lorsqu’on trouve qu’un spectacle est passé trop vite, c’est qu’il est vraiment bon. Quand il se termine on a la frustrante sensation d’un coitus interruptus… Enchaînant les sujets, les thèmes et les réflexions sans aucun temps mort avec son sens de l’observation si aiguisé et si personnel, Fabrice Eboué n’épargne rien ni personne, même pas lui-même. Ce stand-up très abouti est une vraie performance…

Gilbert « Critikator » Jouin


jeudi 8 février 2018

Bodyguard, the Musical


Palais des Sports
34, boulevard Victor
75015 Paris
Tel : 01 48 28 40 10
Métro : Porte de Versailles

Scénario original de Lawrence Kasdan
Adaptation du livret de Nicolas Nebot et Ludovic-Alexandre Vidal
Mise en scène de David Eguren
Direction musicale de David Aubaile
Décors et costumes de Tim Hatley
Chorégraphies de Karen Bruce
Coachs : Angie Berthias-Cazaux, Damien Silvert, Pascal Seguin

Avec Valérie Daure (Rachel Marron), Benoît Maréchal (Frank Farmer), Cylia (Nikki Marron), François Pouron (Sy Spector), Alain Azérot (Bill Devaney), Enzo Ambrosini (Le « Harceleur »), Rémi Creissels (Tony Scibelli), Matyas Simon (Ray Court)…

L’histoire : Ancien agent de l’US Secret Service reconverti en garde du corps d’élite, Frank Farmer est engagé pour protéger contre son gré la superstar Rachel Marron d’un harceleur anonyme.
La diva n’est prête à aucun compromis, pas plus que le très professionnel « bodyguard » qui accepte la mission à contrecoeur.
Chacun pense qu’il va mener le jeu, jusqu’à ce que la belle et son protecteur se laissent surprendre par la naissance d’une histoire d’amour passionnée…

Mon avis : Comme je n’avais pas vu le film, je ne connaissais pas vraiment l’histoire de Bodyguard. Du coup, j’ai été plutôt bien happé par le suspense. La tension est bien rendue et le personnage du « Harceleur », en dépit de sa plastique irréprochable, est inquiétant à souhait. Ça, c’est pour le synopsis !


Sinon, que dire de ce spectacle…
Il ne faut pas manquer l’ouverture. Le tout premier tableau nous en met véritablement plein la vue : la chanson, la chorégraphie hyper tonique, les effets de lumière et de pyrotechnie. C’est un show chaud… Ensuite, le parti pris de la mise en scène est de faire se succéder de nombreuses scènes intimistes pour servir les dialogues. Quelques pièces de décor suffisent à nous faire comprendre dans quel endroit on se trouve. Elles sont entrecoupées de tableaux plus ambitieux (j’ai particulièrement apprécié la scène du karaoké, la soirée dans la maison de campagne de Frank Farmer et le formidable final)…


Bodyguard, on le sait, c’est avant tout une kyrielle de chansons dont certaines sont devenues d’incontournables standards. De ce côté, pas de souci, Valérie Daure assure vraiment. Mais pour moi, la divine confirmation, c’est la prestation de Cylia. Quand je pense que je l’avais interviewée en 2001, elle avait 14 ans. Déjà, elle reprenait du Whitney Houston ! Je l’avais recroisée dix ans plus tard, en 2011, dans le rôle d’Eve de la comédie musicale de Pascal Obispo, Adam et Eve. Mais là, elle a vraiment franchi un palier. La trentaine épanouie, elle est devenue une magnifique jeune femme capable d’assurer autant sur le plan de la comédie que du chant. Vocalement, elle est au sommet de son art. Ses duos avec Valérie Daure sont de grands moments, surtout lorsqu’elles se permettent une « battle ». Rien que pour ces grands moments de grâce et de talent que ces deux « sœurs de chant » nous font passer, on ne vient pas pour rien au Palais des Sports.


J’ai aussi beaucoup aimé le jeu du gamin qui joue Fletcher, le fils de Rachel Marron. Il promet le garçon ! Il sait déjà tout faire : jouer la comédie, chanter, danser, avec un naturel et un métier confondants.


Le seul petit reproche que j'ai à adresser n’est que technique : sur deux tableaux, on se prend des spots vraiment violents en pleine figure. Si bien que, passablement éblouis, on ne parvient plus à distinguer ce qui se passe sur scène. C’est assez désagréable. J’ai vu nombre de spectateurs se mettre la main devant les yeux tant c’est agressif.
Sinon, les lumières tout au long du spectacle sont tout juste superbes. Elles habillent remarquablement la scène.
Enfin, mention particulière aux musiciens qui jouent tous ces tubes en live.

Gilbert « Critikator » Jouin