lundi 25 février 2019

Elodie Arnould "Future grande ?"


Apollo Théâtre
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 01 43 38 23 26
Métro : République

Vendredi et samedi à 20 h 00

Seule en scène écrit et interprété par Elodie Arnould


Présentation : C’est en étant confrontée aux rendez-vous administratifs, aux collègues de bureau, à la vie de couple et aux enfants (des autres), qu’Elodie se rend compte que, malgré son âge, elle n’est pas complètement adulte, une femme ; une Grande quoi.
Alors elle vous invite dans son monde où elle rêve… Elle rêve d’avoir la classe ; d’être une artiste, une révolutionnaire, d’être LA FEMME accomplie qui gère tout en restant glamour.

Mon avis : En fait, tout est contenu dans le titre et dans le pitch de présentation. Elodie Arnould se pose la question, Future grande ?, et rêve d’acquérir au plus tôt le statut d’adulte. Pour ce second vœu, elle a évidement conscience d’être freinée par son aspect physique. Elodie est un petit modèle. Elle appartient à la famille pimpante et mignonne des tanagras malgaches (définition de « tanagra » : jeune femme remarquable par sa grâce et sa finesse)… Mais, en plus de la grâce et de la finesse, Elodie déborde d’une énergie explosive.
On voit tout de suite que la scène est son élément. Elle y est très à l’aise, bouge tout le temps, elle possède un visage hyper mobile et expressif et elle a l’art d’établir le contact avec le public.


Future grande ? a les avantages et les inconvénients d’un premier spectacle. C’est plein de fraîcheur, de candeur, de générosité ; il y a quelques jolies formules (« Je fais tellement jeune que mon médecin est un pédiatre »), de bonnes observations sur la vie de bureau, ses codes, ses rituels et les relations entre collègues ; des témoignages plutôt savoureux sur les rapports mère-fille et hommes-femmes ; quelques pensées philosophiques qui donnent à sourire ; des parodies chantées bien troussées... Il y a aussi un numéro de danse particulièrement bien amené et les chorégraphies qui le suivent constituent à chaque fois des ruptures visiblement appréciées par les spectateurs.

Mais, en même temps, c’est encore tendre et léger, voire même parfois très potache. Nombre de blagues, un tantinet éculées, appartiennent au registre des copains-copines qui se vannent à la sortie du lycée. Mais ce que j’ai le moins aimé, c’est sa propension, surtout dans la deuxième partie du spectacle, à s’aventurer dans le domaine de la grivoiserie. Et je n’ai franchement pas goûté la fin, trop sous la ceinture. Ses métaphores « couillonnes » et sa danse si exclusivement féminine ne m’ont pas fait rire.


Elodie Arnould est sympathique et chaleureuse. Elle a un potentiel indéniable. Je pense, mais cela n’engage que moi, que si elle trouve quelqu’un qui l’aide à muscler son propos et à le tirer vers le haut, elle pourra atteindre ce palier qui lui ouvrira la porte de la maturité. Il y a actuellement de nombreuses femmes humoristes. Le niveau est très élevé. Si elle veut rejoindre le peloton des « grandes » - et elle en a la capacité – il lui faut concentrer ses efforts sur le texte. Elle possède déjà trois énormes atouts : elle a une formidable présence, c’est une bonne comédienne et elle est attachante. Il ne lui reste plus qu’à se forger une personnalité qui soit originale.

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 22 février 2019

Jean-Louis XIV


Théâtre des Béliers Parisiens
14bis, rue Sainte-Isaure
75018 Paris
Tel : 01 42 62 35 00
Métro : Jules Joffrin

Comédie écrite et mise en scène par Nicolas Lumbreras
Décors de Juliette Azzopardi
Costumes de Chloé Boutry
Chorégraphies de Mélanie Dahan
Perruques d’Irina Dyakonova
Lumières d’Arthur Gauvin
Collaboration musicale de Raphaël Alazraki

Avec Emmanuelle Bougerol, Constance Carrelet, Serge Da Silva, Benjamin Gauthier, Nicolas Lumbreras, Benoît Moret

Présentation : Louis XIV aime les femmes. C’est pour ainsi dire sa passion. Mais la Reine ne supporte plus ses infidélités incessantes. Alors, lorsque le Roi s’amourache de Madame de Montespan, l’ambiance devient vite tendax à Versailles !
Arrivera-t-il à ménager la chèvre et le chou ? La Reine dansera-t-elle le flamenco ? Tata Régine passera-t-elle l’arme à gauche ? Vous êtes plutôt beurre doux ou beurre demi-sel ?
Cette comédie boulevardo-musicalo-royaliste tentera de répondre à toutes ces questions…

Mon avis : Sur le plan purement théâtral, cette pièce est parfaitement équilibrée. En effet, au début, elle se déroule uniquement côté Cour, c’est-à-dire à Versailles. Ensuite, pour la deuxième partie, elle nous emmène à la campagne, côté jardin donc. Mais c’est là le seul aspect cohérent de cette énorme farce.

On ne peut pas la raconter tant l’auteur s’est ingénié à accumuler ses situations les plus invraisemblables. Alchimiste aussi gourmand qu'illuminé, Nicolas Lumbreras a d’abord introduit une bonne dose de burlesque a laquelle il a progressivement ajouté une belle rasade d’absurde puis, comme si cela ne suffisait pas, il versé par-dessus un flacon de loufoquerie et il a complété son cocktail avec quelques gouttes d’un liquide farfelu. Il a porté le tout à ébullition et il a obtenu un vaudeville complètement déjanté estampillé Grand Siècle. C’est un peu comme si Molière et Lully, son acolyte musicien, avaient rencontré Georges Feydeau. N’oublions pas que c’est Molière qui a créé vers 1660 un genre tout nouveau qu’il a baptisé « la comédie-ballet », un spectacle intégrant comédie, musique et danse. Jean-Louis XIV, c’est donc ça avec, en prime et pour notre plus grand plaisir, un rythme et des rebondissements propres au père de L’Hôtel du libre échange et d’Un fil à la patte


L’intrigue de la pièce est là. Louis XIV, le Roi Soleil s’il vous plaît, rêve de s’envoyer en l’air avec la belle marquise Athénaïs de Montespan. Le problème, c’est que sa légitime, l’infante d’Espagne Marie-Thérèse d’Autriche, se doutant qu’il est sur le point de donner un énième coup de canif dans le contrat de mariage, lui a mis un fil à la patte. Elle le fait surveiller son bougre de mari. Aussi, lorsque le Louis quatorzième du nom va donner discrètement rendez-vous dans son hôtel du libre échange à lui, qui s’appelle « Le Joyeux Breton », il ignore que la Marie-Thé l’a fait suivre. Comme tous les chauds lapins sur le point de consommer une nouvelle conquête, le Roi est infantile. Face à l’infante, jalouse, froide et machiavélique, il ne fait pas le poids. Et lui qui aurait tant aimé jouer Les Amants magnifiques, va devoir endosser le rôle du Mari confondu… Comment va-t-il se sortir de ce piège ? 


Voici en quelque sorte le synopsis de ce savoureux OVNI théâtral où tout est prétexte à rire. Les dialogues sont truculents, les chansons – à l’instar de La Montespan - joliment troussées, les chorégraphies – astucieusement orchestrées par Mélanie Dahan – sont pour le moins pittoresques, les anachronismes fleurissent à bon escient, les tableaux les plus saugrenus s’enchaînent…
Ce qui rend cette pièce particulièrement réjouissante, c’est que tous les comédiens se prêtent aux situations les plus désopilantes et les plus extravagantes avec le plus grand sérieux. Et puis, autre atout de cette œuvre, c’est l’abondance de scènes toutes plus hilarantes les unes que les autres. Il y en a des trouvailles !

Nicolas Lumbreras n’a reculé devant aucune audace. Parmi les personnages qui se succèdent sur la scène, il a convoqué… Dieu lui-même. Ainsi avons-nous confirmation à la fois de Son existence et de Ses origines. On se doutait bien que, comme son fiston, le Tout-Puissant était Juif ; Séfarade de surcroît. Bonjour le look et l’accent !... On comprend mieux pourquoi l’auberge choisie par le Roi pour jouer la bête à deux dos avec la Marquise s’appelle « Le Joyeux Paysan » ; en effet, on découvre que son tenancier est effectivement plus que joyeux, il est même franchement très, très gai… A un autre moment, nous avons l’infime privilège, réservé aux personnes de haut rang, d’assister en direct à une défécation royale. Preuve intime, s’il en est besoin, que la monar… chie. Enfin, dernier coup de grâce avec l’apparition d’un personnage particulièrement croquignolesque, le fameux super héros « Kouignaman », sorte de Superman celte un tantinet sucré.


Tous les protagonistes joyeusement impliqués dans cette inénarrable gaudriole sont de remarquables chanteurs, avec toutefois une mention spéciale pour Emmanuelle Bougerol (Marie-Thérèse) qui nous scotche littéralement avec sa première chanson toute en espagnol. Superbe ! Mais Serge Da Silva (Louis) fait lui aussi ce qu’il veut avec sa voix (royale bien sûr).
Ajoutez à cela un accompagnement musical en live, quelques effets spéciaux et sonores de bon aloi et vous comprendrez que Jean-Louis XIV est un spectacle total qui donne un plein emploi à nos zygomatiques.
Au fait, pourquoi ce « Jean » devant le « Louis » ? Eh bien, pour le savoir, il faut courir aux Béliers Parisiens. Un, deux, trois… Soleil !

Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 6 février 2019

Les Vice Versa "Imagine"


Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Ecrit et interprété par Anthony Figueiredo et Indiaye Zami (Les Vice Versa)
Mis en scène par Régis Truchy
Lumières de Frédérick Douin

Présentation : Plongez dans l’imaginaire de ces deux artistes hors du commun influencés par les cartoons et les personnages de Jim Carrey.
Une véritable bande dessinée en live qui détonne par son humour et les performances physiques… L’imaginaire de l’un met sans cesse à l’épreuve celui de l’autre et Vice Versa.

Mon avis : Voici un divertissement frais et réjouissant. Il suffit de s’installer dans son fauteuil et de se laisser emmener dans l’univers gentiment foldingue de ces deux hurluberlus. Même si les échanges, bien écrits, sont indispensables, ils ne servent qu’à nous préparer aux actions qui s’y rapportent. En effet, Imagine est un spectacle avant tout visuel ; et sonore aussi car la bande-son – vraiment bien chiadée - y tient un rôle prépondérant. Elle est le troisième personnage de cette fantaisie qui réussit la gageure de nous paraître totalement débridée alors qu’elle est parfaitement maîtrisée car elle est le fruit d’un incroyable travail en amont. Les gags sont si millimétrés qu’ils ont dû nécessiter des heures et des heures de répétitions et d’ajustements.
Mais tout cela, c’est leur problème après tout. Ce qui compte pour nous, c’est la qualité des images délirantes et farfelues qu’ils nous proposent.


Le spectacle est bien construit. Ça part d’un rêve un peu fou partagé par deux amis qui travaillent modestement dans le même hôtel, un comme serveur, l’autre comme pianiste de bar. Passionnés du cinéma et des comédies musicales des années 50, ils fantasment sur Hollywood et Broadway. Alors, nourris des performances chorégraphiques de Fred Astaire ou Gene Kelly, et fans des compositions burlesques de Charlie Chaplin ou Jerry Lewis, ils vont monter en hommage à ces idoles leur propre numéro de music-hall.

Comme leur nom de scène l’indique, les Vice Versa sont un duo. Grâce à leurs physiques respectifs contrastés, ils forment un binôme somme toute classique, un mix d’Auguste et de clown blanc et de Laurel et Hardy ; il y a le meneur et son souffre-douleur… Leur jeu de scène est très complet. Véritables athlètes et mimes accomplis, ils dansent, font des cascades, pratiquent toutes formes de bruitages dont le beat box. Toutes ces aptitudes leur permettent de nous offrir un éventail très large de situations jubilatoires. Au vu de leur tonicité, de leur souplesse, de leur énergie, on ne peut surtout pas les taxer de « vice » de forme !


Bien sûr, en voulant présenter le maximum de l’étendue de leurs talents, il y a dans leur show du très bon et du moins bon. Et vice versa. Heureusement, les hauts sont bien plus nombreux que les bas. Certains numéros sont excellents (les claquettes, les ombres chinoises indisciplinées, les jeux de mains en gants blancs…). Et le final, à lui seul, vaut le déplacement. C’est un véritable feu d’artifices (« artifices » dans le sens littéraire du terme : « moyen ingénieux d’agir »), un concentré de tout ce qu’ils savent faire.
Mes rares réserves concernent deux-trois sketchs un tantinet peu redondants, un peu trop longs (la lutte pour le micro, l’excès de vitesse), et deux petites vulgarités vraiment superflues surtout dans un spectacle qui devrait emballer un jeune public.

Imagine est un spectacle inventif, généreux, parfois poétique, et toujours drôle. Les duettistes, complices et complémentaires (quand l’un bruite, l’autre mime), très sympathiques, sont deux remarquables performeurs à l’américaine. On y rit énormément… Il faut également souligner le travail accompli sur les lumières et, j’insiste, sur le choix des projections et de la bande-son (j’ai par exemple adoré cette image illustrant de façon subliminale It’s Raining Men sur la musique de Singin’ In The Rain).
Allez voir les Vice Versa. Ils nous donnent un spectacle total, jouissif qui, pour notre plus grand plaisir, nous en met plein les yeux et plein les oreilles. A travers eux, Broadway vous donne rendez-vous rue de la Gaîté.

Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 2 février 2019

Elisabeth Buffet "Obsolescence programmée"


Théâtre du Marais
37, rue Volta
75003 Paris
Tel : 01 71 73 97 83
Métro : Arts et Métiers

Seule en scène écrit et interprété par Elisabeth Buffet
Mis en scène par Nicolas Vital
Direction artistique : Jarry

Présentation : « Les temps changent… Ne pouvant plus capitaliser sur un physique en faillite, je mise sur un charme intellectuel pour vous régaler de mes débauches oratoires, de mes libertinages lexicaux. Je suis heureuse de vous présenter mon nouveau spectacle : Obsolescence programmée » (Elisabeth Buffet)
Avec ce spectacle, Elisabeth Buffet se livre et nous délivre sa vision très personnelle de notre temps. A l’aube de ses 50 ans, elle assume tout, s’affranchit des conventions avec humour, enthousiasme et esprit. C’est une Elisabeth Buffet renouvelée mais fidèle à elle-même qui s’offre à nous. Une bouffée de liberté jouissive qui fait du bien.

Mon avis : Après deux spectacles tonitruants et résolument croustillants, Elisabeth Buffet a voulu dresser son état des lieux. Avec Obsolescence programmée, elle analyse son présent tout en jetant dans son rétroviseur un regard à la fois ironique et nostalgique.
Elisabeth Buffet s’est carrément mise au défi d’écrire la légende de son demi-siècle. Dans ce nouveau spectacle, on retrouve certes le personnage exubérant et haut en couleur qui a fait son succès, et pour lequel on s’est déplacé, mais on découvre aussi une nouvelle facette de son talent : l’écriture. Dans ce seule en scène, l’auteure s’est brillamment hissée au niveau de la comédienne.

Photo : Julien Benhamou

Prise d’une irrépressible envie de poéter, Elisabeth Buffet ouvre son spectacle avec une superbe tirade en alexandrins sur le temps qui passe puis, toujours sur ce même thème, elle enchaîne avec un slam particulièrement réjouissant. Déjà, on est séduit par la qualité de l’écriture de ces deux exercices. Le vocabulaire est riche, imagé, évocateur ; les formules, toujours aussi percutantes, font mouche à chaque fois.

Photo : Julien Benhamou

Cinquante ans peut-être, mais toujours sale gosse. Consciente qu’on ne pourra jamais réparer du temps l’irréparable outrage (« J’ai renoncé à faire jeune »), elle accepte de se résigner et d’accepter sa décrépitude physique mais, fidèle à son tempérament viscéralement rebelle, elle se cabre et veut encore essayer de se livrer au doux jeu de la séduction. Et de nous narrer avec force détails ses tentatives pathétiques d’allumer le mâle. Evidemment, ces efforts seront vains et Elisabeth va rester misérablement « seule dans sa culotte ». Telle la chèvre de Monsieur Seguin, elle aura lutté ; mais lorsque le petit jour arrive, elle voit enfin clair et se détermine à remiser sa libido dans le coffre de ses souvenirs. Les chants désespérés étant les chants les plus beaux, elle va traduire son marasme avec lyrisme.

Photo : Julien Benhamou

Elisabeth Buffet assume sa schizophrénie sémantique. Elle aime autant les gros mots que les beaux mots. Du coup, « bite » cohabite avec « cénobite ». Dans son texte surgissent des termes rarement utilisés dans un spectacle d’humour. Le langage est châtié, le ton est délicat. Et puis, son côté provoc’ resurgit. Le fait d’être convaincue d’avoir atteint sa date de péremption, la rend misanthrope et asociale. Etablissant un parallèle avec ses propres 13 ans, elle ironise sur les comportements des ados d’aujourd’hui immergés entre autres dans un monde virtuel. Puis, allez savoir pourquoi, elle s’acharne sur la ville bourguignonne de Montceau-les-Mines ; parenthèse pittoresque émaillée d’exemples savoureux.


Ce spectacle passe comme une obsolète à la poste tant il est complet. Lorsque la qualité textuelle se met au diapason de la puissance du jeu, on frise la perfection. En auteure de sainteté, Elisabeth met tous ses dons d’actrice au service de ses mots. Ses postures, sa démarche extravagante, ses gestes désordonnés, son visage incroyablement expressif, ses mimiques… bref, tout son éventail créatif est utilisé pour notre plus grand bonheur. Aujourd’hui, Elisabeth Buffet est vraiment au sommet de son art. Elle est très loin d’avoir atteint son obsolescence artistique.

Gilbert « Critikator » Jouin