vendredi 8 mai 2015

Molière malgré moi

Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Conçu et mis en scène par Francis Perrin
Lumières de Jacques Rouveyrolis
Costumes de Pascale Bordet
Son de Michel Winogradoff

Présentation : Francis Perrin nous fait revivre un Molière insoupçonné : chef d’entreprise avant l’heure, meneur d’hommes à l’énergie sans borne, auteur à l’imagination débordante, amoureux insatiable des femmes, chef de troupe affamé de création, c’est dans la vie quotidienne du « premier farceur de France » et parmi ses œuvres les plus célèbres que Francis Perrin nous rappelle que Molière, avec ses mots et avec ses maux, restera pour toujours le Patron non seulement des comédiens mais celui de tous les spectateurs du monde entier.

Mon avis : S’il y a bien un comédien qui connaît son « Petit Molière illustré » sur le bout du cœur, c’est Francis Perrin. Cette passion quasiment monomaniaque pour la vie et l’œuvre du sieur Jean-Baptiste Poquelin, il la porte en lui et l’entretient depuis plus de quarante ans. Il a joué quinze fois, et mis en scène à onze reprises. En résumé, depuis 1072, Francis Perrin a toujours eu en quelque sorte du Scapin sur la planche… Il a en outre consacré à son maître un ouvrage en 2007, Molière, chef de troupe. Un ouvrage sur lequel il s’est visiblement appuyé pour écrire ce seul en scène qui lui est entièrement dédié, Molière malgré moi.


Dans cette pièce, on s’aperçoit que Molière est un personnage ô combien romanesque. Les quinze dernières années de sa vie que Francis Perrin nous décrit avec force anecdotes, informations, détails chiffrés, sont incroyablement foisonnantes. A la fois narrateur et acteur, il passe de l’un à l’autre sans marquer de césure insufflant ainsi à son histoire un rythme impressionnant. Savoureuse schizophrénie, il raconte Molière tout en l’incarnant. Il est complètement habité, imprégné, sous influence. Virevoltant, bouillonnant, enthousiaste, enflammé, avec lui on ne risque pas de prendre Racine ou de bailler au Corneille. On est tout de suite happé et captivé à la fois par le ton effervescent de l’artiste et par son récit réaliste et imagé. Francis Perrin a la flamme savante…

Francis Perrin nous parle tout autant, sinon plus, de l’homme que de son œuvre. Côté Cour lorsqu’il évoque ses relations avec le Roi des Rois, Louis XIV, côté cœur, avec ses amours trépidantes pour les deux sœurs, Madeleine et Armande Béjart. Mais Francis Perrin va bien au-delà de tout cela. Avec le recul, j’ai l’impression d’avoir au fil de la pièce, tourné les pages d’un magazine people. Rien ne nous est caché de la Cour du Roi Soleil, de ses fastes comme de ses turpitudes. Molière a été encensé et adulé à l’aune des jalousies qu’il a suscitées et des calomnies qu’il a provoquées. Il a été trompé autant qu’il a aimé. Il a été trahi plus que quiconque par des « collaborateurs » en qui il avait accordé confiance et amitié. Bref, il a pris autant de coups que de caresses. Toujours côté « people », Francis Perrin a saupoudré son Molière malgré moi de name dropping : outre les nobles qui gravitent autour du Roi, il cite ses collègues dramaturges, ses acteurs et actrices et ses meilleurs copains comme Boileau, La Fontaine ou Mignard. Excusez du peu, mais ça a de la gueule sur le plan de la notoriété !


Culotte rouge, chemise et bas blancs, souliers rouge et noir à talon et à boucles, Francis Perrin porte la panoplie avec aisance et naturel. Sur le plan de la générosité, il n’est pas « avare ». Débit saccadé avec force gestes à l’appui, il joue avec les ruptures et les silences. Cette arythmie voulue éveille et alimente judicieusement notre intérêt tout au long de la pièce. Il glisse même malicieusement quelques apartés pleins d’autodérision, allant même jusqu’à s’autoriser quelques anachronismes fort réjouissants. Complètement conquis par la charge passionnelle que Francis Perrin met dans son discours, j’ai vécu un grand moment de théâtre. C’était Molière lui-même qui évoluait devant moi. Cet « Impromptu » de la Gaîté Montparnasse est un pur régal. On comprend que, pour l’auteur-acteur, écrire et interpréter cette pièce était une nécessité viscérale. Depuis le temps qu’il portait son Molière en lui, il était grand temps qu’il en accouchât. N’en déplaise aux Fâcheux, le bébé est aussi beau que vigoureux.


Gilbert « Critikator » Jouin

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