vendredi 10 février 2012

La Grande Sophie


La Place du Fantôme

Jusqu’à présent je n’avais pas été un grand fan de La Grande Sophie. J’aimais bien, mais sans plus. Or, La Place du Fantôme, son sixième album, m’a littéralement emballé. Cela faisait déjà quelques semaines que j’entendais le premier extrait, Ne m’oublie pas, sur France Inter et j’adorais. C’était donc avec curiosité que j’attendais de découvrir le reste de ce nouvel opus. Aujourd’hui, c’est chose faite. Et même refaite tant je l’ai apprécié.
Dix titres, dix régals. D’abord, c’est remarquablement écrit, superbement interprété et admirablement composé et arrangé. N’en jetez plus. C’est vrai que les mélodies, avec omniprésence des guitares, sont toutes efficaces. Quant aux textes, riches et subtils, ils ne nous laissent jamais indifférents.

Petite disqu’autopsie de l’album :
1/ Bye-bye etc
Très jolie mélodie pour texte mélancolico-nostalgique.
2/ Peut-être jamais
S’adresse sans doute au « fantôme » dont il est question dans le titre de l’album. Voix chaude et retenue, empreinte de fatalisme et de résignation avec, en filigrane, un mince espoir.
3/ Ne m’oublie pas
Ma chanson préférée. Magnifiquement écrite. Voix qui décroche délicieusement. Supplique musclée, véhémente et entraînante. Ton léger et faussement détaché d’une femme qui craint d’être délaissée.
4/ Sucrer les fraises
L’irrésistible marche en avant du temps, le funeste compte à rebours jusqu’à l’inéluctable salut final. Et pourtant, ce n’est pas du tout morose. Refrain particulièrement réussi.
5/ Dans ton royaume
S’amuse à jouer les empêcheuses de vivre en rond. Ton gentiment moqueur. Musique sautillante.
6/ Ma radio
Un bel hommage à un objet de compagnie indispensable pour meubler sa solitude et qui informe à la fois des réalités du monde et excite l’imaginaire.
7/ Tu fais ton âge
Ma deuxième chanson préférée. Une impitoyable et lucide valse lente. Pas de refrain mais trois couplets explicites et imagés. Bien qu’elle tempère parfois son propos, elle donne une leçon de réalisme. Il ne faut pas se voiler la face, même si elle est ridée.
8/ Quand on parle de toi
Déclaration d’amour enjouée, très sympa pour celui à qui elle s’adresse. Ça dégouline de bonheur. Arrangement vif et alerte. Jolies sonorités dans le refrain.
9/ Ecris-moi
Témoigne d’un profond désir de dialogue et de communication. Le besoin des mots, que les choses soient dites ou écrites.
10/ Suzanne
Chanson pleine de mystère, quasi ésotérique. Un peu languissante. Fort bien interprétée.

Gratin de famille


Théâtre du Petit Saint-Martin
17, rue René Boulanger
75010 Paris
Tel : 01 42 02 32 82
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Ecrit et interprété par Marie Montoya
Mise en scène de Lucie Muratet
Lumières et vidéo de Christoph Guillermet

Le propos : Comédienne d’une puissance comique incroyable, Marie Montoya, après nous avoir régalés dans Hors Piste, nous plonge dans l’univers drôle et poétique de son nouveau spectacle Gratin de Famille.
Seule en scène, elle refait le parcours digestif de sa vie. Comment digère-t-on nos bonheurs et nos coups durs ? Les évènements du quotidien parcourent-t-ils le même chemin que les aliments ? Que faisons-nous de tout cela ?
« je suis ce que j’ai bouffé, ingéré, digéré. Je suis faite de toutes ces miettes. Je suis comme une boule de pain à la croûte épaisse. »

Mon avis : On ne peut imaginer spectacle plus personnel. Encadrée par six réfrigérateurs ( ?), quatre gros combinés en fond de scène et deux petits modèles au milieu qui vont à la fois tenir leur mission de frigo et servir d’écran de projection, Marie Montoya nous offre une heure d’un one woman show tout à fait original. Lorsqu’elle déboule, tout de blanc vêtue, telle une joueuse de tennis des années 30, avec bandeau dans les cheveux, on comprend très vite que l’on n’a pas affaire à une femme mais à une gamine de 5 ans.

En effet, Gratin de famille se décompose en trois époques : Sept dixièmes d’enfance, deux dixièmes d’adolescence et un d’âge adulte. Marie va donc nous raconter l’histoire. Pourquoi y avoir associé le mot « gratin » ? Pour deux raisons : d’abord parce que la majorité de ses proches était particulièrement gratinée, ensuite – et là il faut prendre le mot dans son sens propre – parce qu’il y est régulièrement cesse question de références culinaires ou gastronomiques. Rappelez-vous que nous sommes dans la tête d’une fillette de 5 ans. Tout ce qu’elle vit, elle le voit à travers le prisme de ses sensations, qu’elles soient visuelles ou gustatives, environnementales ou existentielles.
Elle passe sans cesse du coq à l’âne, réagit par flash. Elle essaie de nous retraduire toutes ses perceptions d’un quotidien rythmé par les événements familiaux, la radio, la télévision, les chansons, les réclames. La petite Marie est une éponge. Elle absorbe, puis elle régurgite en nous éclaboussant de son insouciance, de ses indignations, de ses emballements… Bien sûr, comme toutes els petites filles, elle déborde d’énergie. Elle saute comme un cabri, court, danse, chante, fait des grimaces, grimpe sur les meubles, triture ses vêtements, imite l’accent toulousain de sa mère et de ses copines, rejoue pour nous Angélique Marquise des Anges… En même temps, se contentant des faits sans les analyser, elle grandit devant nous et observe ce qui se passe autour d’elle ; ses parents séparés, ses quatre grands frères et plus particulièrement le numéro 2 qui s’avère être, de loin, le plus « gratiné » de la fratrie. Nous avons ainsi droit à un maelstrom de brèves avec un seul fil rouge : la nourriture. Il est tout de même rare de voir une enfant se shooter devant… un morceau de pâté ! Mais elle est tellement candide et fofolle que l’on accepte tout.
Avec sa bouille mutine, son incroyable présence comique, Marie Montoya est une sacrée nature. Ce spectacle autobiographique, elle l’a écrit toute seule. Elle avait envie d’évoquer cette famille paradoxale et pourtant si semblable à tant d’autres. Elle a vécu des drames, des disparitions, des choses tout de même violentes, mais elle a la grande finesse d’éviter le moindre larmoiement. Le pathos, ce n’est pas son registre. Elle est viscéralement pour le positivisme et la reconstruction.

Déjà, tout ce qu’elle raconte, ça parle aux trentenaires qui sont dans la salle. Ils ont tous été accompagnés par les mêmes artistes, nourris aux mêmes programmes télé, gavés aux mêmes spots publicitaires. Mais Gratin de famille va bien au-delà du simple partage générationnel, tout le monde en fait est concerné par les rapports parents-enfants, frères-sœurs, par l’école, par les premiers émois amoureux… Inévitablement, à un moment ou à un autre du spectacle, par un simple effet mémoriel, on est ramené dans notre propre vécu. Son histoire, si personnelle, nous intéresse et nous interpelle par ricochets.
Enfin, il faut souligner les nombreuses astuces de mise en scène et l’utilisation attendue ou inattendue des réfrigérateurs. Si certains contiennent ce qu’il est naturel d’y trouver, œufs, yaourts, conserves… d’autres, au contraire, s’ouvrent sur des objets qu’il est totalement incongru d’y trouver. Je vous en laisse la surprise.
Quant à Marie Montoya, elle occupe l’espace avec une générosité et une énergie débordantes et communicatives. Et, à travers ce spectacle intime mais pas intimiste, elle va chercher des choses qu’elle n’avait pas pu nous montrer dans ses précédentes comédies chorales. Elle nous offre là une vraie performance d’actrice, et de femme... Et puis, pour ce qui me concerne, c’est la toute première fois que j’assiste à un vol de chouquettes…

mardi 7 février 2012

Petits moments d'ivresse


Livre d’entretiens réalisés par Gustave Kervern et Stéphanie Pillonca

Quelle belle idée ! Et quel bouquin inattendu !
De la cuite dans les idées ?... C’est ce qu’on s’attend à trouver dans cet ouvrage ; et pourtant, c’est ça et ce n’est pas ça. Certes on y évoque le souvenir de sévères bitures, on y parle des effets désinhibants de l’alcool, on y avoue le plaisir que l’on a à fréquenter la dive bouteille, mais on y aborde surtout un tas d’autres sujets. En effet, ce livre est bourré… bourré de confidences rares et intimistes, de révélations inattendues qui en font un bouquin qui va bien au-delà du thème scripto sensu de l’ivresse. C’est un ouvrage qui ne se boit pas cul sec. On le déguste, on le tète, on le laisse revenir en bouche. Un très grand cru.

Moi qui ai pratiqué plus de 3000 interviews (dont Depardieu, Mocky, Lio, de Caunes, Le Bolloc’h, Ribes, Efira, Tavernier, Bedos, Poelvoorde), le plus souvent dans la plus grande relation de confiance, j’ai rarement vu des gens se lâcher autant. L’effet Kervern sans doute. Bien qu’il connaisse la plupart de ses interlocuteurs, son approche est simple, naturelle, nimbée même d’une certaine timidité. Du coup, les gens se livrent presque sans s’en rendre compte.

Dans ce livre, il y a donc à boire… et à manger. Si certains entretiens m’ont littéralement scotché par la force de leur contenu, d’autres – de loin les moins nombreux - m’ont un peu laissé sur ma faim.
Les interviews qui m’ont emmené au ciel ou sur un petit nuage ? Et pour leur honnêteté, leur franchise, leur fond, leur humilité, leur originalité de ton, leurs informations (y’en a qui dénoncent) : Gérard Depardieu, Edouard Baer, Jean-Pierre Mocky, Miossec, Lio, Antoine de Caunes, Yolande Moreau, Yvan Le Bolloc’h, Amélie Nothomb, Jean-Pierre Darroussin, Fernando Arrabal, Jean-Michel Ribes, Julien Doré, Virginie Efira, Frédéric Beigbeder, Benjamin Biolay, Nicolas Bedos, Benoît Poelvoorde.
Quant à celles qui m’ont le moins enivré ce sont celles de Bénabar, Marjane Satrapi, Bertrand Tavernier, et surtout Sara Forestier. Tavernier par exemple a omis de parler de quelques cuites homériques survenues sur ses tournages (Marielle et Mitchell dans Coup de torchon, entre autres).
Donc quatre sur dix-huit, le quota est plus que largement proche de l’excellence.
Il faut lire Petits moments d’ivresse. On y apprend tellement de choses. Et quand on sait qu’il reste pas mal d’autres clients potentiels, on ne peut que souhaiter que Gustave et Stéphanie se remettent à l’ouvrage.

(Editions du Cherche Midi. 22 €)

Ma première fois


Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 35 02
Métro : Havre-Caumartin / Auber

Une pièce de Ken Davenport
Traduite par Marie-Astrid Périmony
Adaptée par Clément Michel
Mise en scène par Gabriel Olivarès
Avec Belen Lorenzo, David Macquart, David Tournay, Astrid Veillon

Le sujet : Se basant sur plus de 40.000 témoignages recueillis sur un blog intitulé « myfirsttime.com », invitant les internautes à raconter anonymement leur première fois, Ken Davenport crée la pièce My First Time qui est un florilège, un véritable feu d’artifice des témoignages les plus fous, les plus surprenants, les plus touchants, les plus hors normes, drôles, grotesques, émouvants, hétéros, homos, mais toujours authentiques.

Mon avis : Et bien tout est dit dans cette présentation. Difficile d’en rajouter au niveau des adjectifs. « Florilège, Feu d’artifice, surprenant, touchant, drôle… », c’est tout à fait vrai… le sujet de la pièce, facile cette fois de le déflorer. Il porte sur ce moment très intime que tout le monde, ou presque, a vécu une fois, et une seule, dans sa vie : le dépucelage. Tout dans les propos nous y mène (jeu de mot).

Le premier constat que l’on ressent quand la pièce est terminée, c’est que la mise en scène et les effets mis en œuvre sont réellement formidables. Pourtant, il n’y a pas grand-chose : quatre tabourets de bar que l’on peut utiliser à d’autres fins et quatre grands panneaux de tissu blanc qui servent d’écran pour des décors, des projections, voire des ombres chinoises, ou qui pivotent pour donner lieu à un jeu de portes. Quelle efficacité ! Rien qu’avec les nombreuses trouvailles qui ponctuent cette scénographie ô combien inventive, le pari est gagné.
Et quand on y ajoute la remarquable performance des comédiens, on se dit que Ma première fois va immanquablement drainer un large public. En effet, tout le monde est concerné par ce thème et, pourtant, c’est un sujet que l’on aborde rarement entre soi… La pièce est toute construite en arythmie. Ça commence par une salve de petites phrases, de réflexions, de confidences, des brèves quoi. Cet exercice choral donne un échange très vif. Après quoi, on assiste à de plus ou moins longues saynètes interprétées à deux, à trois ou à quatre, permettant ainsi tout un éventail de situations le plus souvent très drôles… Il y a toutefois aussi une séquence pleine de tendresse et d’émotion qui nous étreint littéralement le cœur tant elle déborde d’amour… Il y a également de la musique, accompagnant du chant ou du slam (signée Pierre Billon). Et, parmi ce tourbillon drolatique, il y a un tableau qui m’a complètement bluffé et enchanté, celui de la post synchronisation. Vous comprendrez quand vous le verrez.

Sans jouer les pères-la-pudeur - ce que je ne suis pas -, certains tableaux ou certains dialogues sont vraiment gonflés. Nos quatre artistes y vont à fond. Il n’y a aucun tabou. C’est osé mais jamais choquant, cru mais jamais vulgaire, chaud mais jamais hard. C’est la vie après tout. Et un pareil thème ne peut se focaliser que sur ce qui se passe en-dessous de la ceinture. Et pourtant, cela n’exclut pas les sentiments. Cette fameuse première fois est psychologiquement très importante. Rares sont ceux qui déclarent l’avoir oubliée.

Après avoir insisté une fois de plus sur l’étonnant travail qui a amené à cette véritable performance scénique, il faut justement saluer l’interprétation des quatre comédiens. Ils sont tous épatants, habiles dans tous les registres, précis dans le moindre de leurs jeux. Très bon choix. Mais je ne peux néanmoins m’empêcher de mettre en avant la présence comique de la blonde Belen Lorenzo. C’est un vrai clown, elle est irrésistible.
En allant voir cette pièce, je ne m’attendais à rien de précis. En quelques minutes, j’étais intéressé, puis conquis, pour sortir totalement emballé. C’est une pièce anti-crise par excellence. On y rit pratiquement sans cesse. Et ça nous rappelle inévitablement un souvenir très personnel, qu’il ait été bon, ou moins bon. En tout cas, ça devrait marcher et ce serait justice.

samedi 4 février 2012

Calamity Jane


Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité / Blanche / Saint-Lazare

Une pièce de Jean-Noël Fenwick
Mise en scène par Alain Sachs
Décors de Lucie Lelong et Alain Sachs
Costumes de Marie Pawlotsky
Lumières de Laurent Béal
Avec Clémentine Célarié, Yvan Le Bolloc’h, Isabelle Ferron, Philippe du Janerand, Pierre-Olivier Mornas, Patrick Delage, Tatiana Gousseff, Michel Lagueyrie, Jordi Le Bolloc’h, Gilles Nicoleau, Fannie Outeiro, Cyril Romoli, Cédric Tuffier

Le propos : Tout le monde connaît Calamity Jane, mais personne ne connaît vraiment son histoire. Entre cow-boys et indiens, sur son cheval Satan, Calamity rencontre Bill Hickock avec qui elle essaiera d’être une épouse modèle, pour finir par écrire une des premières pages de la libération de la femme. Tout ceci, sur un ton épique et flamboyant, aussi émouvant que drolatique.

Mon avis : Il était une fois dans l’Ouest… Eh oui, c’est un sacré pari auquel ce sont attelés Jean-Noël Fenwick, l’auteur, et Alain Sachs, le metteur en scène. La gageure était de reconstituer en deux heures la vie épique de Jane Canary entrée dans l’Histoire du Far-West sous le surnom de Calamity Jane. Car nous sommes dans la réalité, même si la légende a considérablement enjolivé sa tumultueuse existence. D’ailleurs, tous les gens qu’elle a rencontrés font partie de notre mémoire : le général Custer, Wild Bill Hickock, Buffalo Bill…

Ce spectacle est un ovni, il est inclassable. Il est un peu conçu comme une BD divisée en plusieurs chapitres écrits et dessinés dans l’ordre chronologique. Et comme la vie de la Calamity n’a pas été un long fleuve tranquille, cela implique toute une succession de tableaux entraînant, pour chacun d’eux, un décor approprié. Pour ne pas perdre de temps, ce sont les comédiens eux-mêmes qui déménagent et emménagent la scène pendant que le nouveau cadre descend des cintres. On se retrouve ainsi tour à tour dans une cabane isolée, au milieu du désert, dans un saloon, une épicerie, un bureau de la Poney Express, un ranch, une salle à manger… J’en oublie sans doute.
Cette variété, cette profusion de décors, entraînent ipso facto des ambiances et des tonalités différentes. Si bien que l’on passe du burlesque à l’émotion, de l’action au romantisme, des tête-à-tête aux scènes de groupe… Par moment on se croirait dans Guignol, une autre fois on nous sert une séquence digne de L’Exorciste. Il y a un vrai mélange des genres, voulu et assumé. Pour des acteurs, ce doit être un régal que de pouvoir jouer sur une telle palette de situations et de sentiments.

La première scène, c’est carrément le « farce-West », mais elle est très révélatrice des caractères des deux principaux protagonistes de l’histoire, Calamity et Bill Hickock. Ce sont deux êtres entiers, deux aventuriers libres et farouches. Elle, elle est « carabinée ». C’est un garçon manqué qui préfère s’habiller en cow-boy que de porter des robes ; lui c’est quelqu’un de foncièrement indépendant et un peu fruste, une gâchette redoutable qui ne connaît que le langage des colts. Leur union ne pouvait que s’avérer mouvementée et vouée à l’échec.

Clémentine Célarié qui est professionnellement une chercheuse d’or (comme son personnage qui le fut à une période sa vie) a décroché là un rôle du même métal. Il doit être dévorant, épuisant. Non seulement elle doit faire preuve d’une incroyable énergie, mais elle doit également adopter une gestuelle masculine, jouer avec différentes tessitures, passer sans transition de la gaudriole à l’émotion la plus profonde. Elle est Calamity. Après l’avoir vue, on ne peut plus l’imaginer madame sans Jane… tant elle s’est appropriée le personnage. Elle nous livre une prestation absolument impressionnante et digne d’éloges. Impossible de tricher ou de s’économiser avec une telle bonne femme !
Yvan Le Bolloc’h rime avec Hickock. Avec son visage buriné, sa silhouette élancée et sa mèche rebelle, il y a du Lucky Luke en lui. Il a une vraie gueule. En bon Breton, l’Ouest ça lui parle. Il est tout à fait crédible dans cette composition dans laquelle il peut mêler un humour parfois potache et l’expression d’une grande sensibilité. Il nous offre en prime un formidable numéro lorsqu’il se glisse dans la blanche panoplie de Buffalo Bill en adoptant une posture à la limite du ridicule et une voix grasseyante. A tel point que l’on met un petit moment avant de réaliser que c’est lui. Il s’était déjà montré excellent dans Les deux canards, il confirme ici qu’il peut prétendre à une jolie carrière au théâtre. Sans compter qu’il se révèle également très adroit aux fléchettes…
Autour d’eux gravitent ou paillonnent des personnages particulièrement hauts en couleurs. On croise en effet un pasteur pittoresque et stupide, une entraîneuse qui a la voix d’Arletty, une bigote illuminée, un épicier chafouin et radin, un général de pacotille, et un superbe étalon blanc…
Les dialogues, très modernes, sont à l’image des personnages : abrupts et peu châtiés avec, ça et là, quelques savoureuses fulgurances : « J’en ai marre de cette bicoque, Hickock », « La montée du désordre, c’est le déclin du bordel », « Moi, j’ ferre les ch’vaux, pas les hommes ! »…

Ecrite avant la pièce à succès Les Palmes de Monsieur Schutz, Calamity Jane nous propose un western pas terne, mais un peu inégal. On y passe en un clin d’œil du trot au galop. C’est une pièce un peu cavalière qui désarçonne parfois. J’y ai vu, ça et là, quelques longueurs, comme cette scène où Calamity nous livre ses états d’âme et s’attarde sur son inadaptation à se muer en femme au foyer et en maman. On n’a pas besoin qu’elle nous l’explique aussi longuement, on a tout compris de sa philosophie de vie… A côté de scènes truculentes et drolatiques, nous avons droit à deux-trois moments d’une réelle émotion : l’abandon de Jenny, le repas à Richmond, les retrouvailles avec sa fille, une fin à la fois tendre et onirique... Clémentine Célarié y est poignante. Nous avons quand même beaucoup plus de rires que de larmes tout au long de ce spectacle. C’est l’histoire d’une vie. Et dans la vie tout n’est pas noir ni blanc, tout n’est pas parfait… Mais quelle sacrée bonne femme que cette Calamity Jane !
On se saurait terminer cette critique sans évoquer la qualité et le réalisme des costumes, ainsi que l’efficacité des décors, simples mais explicites.

vendredi 3 février 2012

Race


Comédie des Champs Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris
Tel : 01 53 23 99 19
Métro : Alma-Marceau

Une pièce de David Mamet
Adaptée et mise en scène par Pierre Laville
Décor de Jacques Gabel
Avec Yvan Attal (Jack Lawson), Alex Descas (Harry Brown), Sara Martins (Susan), Thibault de Montalembert (Strickland)

David Mamet : « Dans ma pièce, un bureau d’affaires tenu par trois avocats, deux noirs et un blanc, est sollicité pour défendre un blanc accusé de tentative de viol sur une jeune femme noire. Tout repose sur des mensonges. Lorsque le mensonge est avéré, la pièce est finie… »

Mon avis : Toute l’action va se dérouler dans le cabinet de deux avocats associés, Jack Lawson, qui est blanc et Harry Brown, qui est noir. Strickland, jeune homme fortuné, est accusé du viol d’une jeune femme noire dans un hôtel. Après avoir tenté de se faire défendre par un cabinet très huppé, il préfère demander à Lawson & Brown de prendre son affaire. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il estime que la présence d’un noir à ses côtés peut lui attirer la sympathie des jurés.

La pièce se divise en trois parties. La première est essentiellement consacrée à l’exposition de l’affaire et à savoir si oui ou non Lawson et Brown vont accepter de défendre Strickland. On s’aperçoit très vite que les faits qui se sont déroulés passent au second plan. Ce qui compte, c’est de sauver l’accusé, qu’il soit coupable ou non. Pris en sandwich entre les deux avocats impitoyables qui développent tour à tour toute une série de thèses, ce dernier est un peu décontenancé. Mais il sent que les deux hommes sont des pros et qu’ils ont de solides arguments. Nous avons alors droit à une sorte de ping-pong nous retraçant l’histoire du racisme à travers les âges. Tous les paramètres sont mis en avant : l’influence des conventions, l’importance du ressenti, le poids des préjugés… Les deux hommes balaient large, n’éludent rien. Leurs propos sont souvent techniques, parfois cyniques (« la conviction paralyse un avocat ») ou teintés d’humour (« Une fille, noire ou blanche, est un facteur de troubles »). En tout cas, ils ne sont jamais complaisants… Puis on assiste à la mise en scène d’un procès. Le texte devient très sémantique. Tout comme ce pauvre Strickland, nous sommes soûlés de mots. Les lawyers font le job.
On réalise aussi combien les grands cabinets d’avocats sont puissants aux Etats-Unis (en l’an 2000, il y en avait 3 pour 1000 habitants !). Ce sont de grosses machines. On y parle d’abord argent et, après seulement, on passe au travail… Evidemment, dans notre for intérieur, on ne cesse de mettre en parallèle l’affaire DSK, qui comporte quelques troublantes similitudes, alors que David Mamet a écrit et fait jouer sa pièce bien avant puisqu’elle a été donnée à Broadway dès novembre 2009…
Ce qui est très important, c’est que ces différents débats se déroulent en la présence d’une jeune stagiaire engagée par Lawson qui, fréquemment, se mue pour elle en pédagogue. Autre élément non négligeable, la jeune femme est très belle, très sensuelle et… elle est noire. Du coup, elle va se sentir concernée par cette affaire. D’autant qu’on lui confie quelques missions et qu’on lui demande son avis. Elle va encore ajouter à la confusion car Lawson, et aussi Strickland, sont visiblement sous le charme. Seul Brown ne veut pas être dupe. Il sait comment fonctionnent ses sœurs de couleur…
La deuxième partie est plus tournée vers la construction de la défense. Et la troisième, après avoir été agitée par deux ou trois rebondissements, sert en quelque sorte d’épilogue.

Alors que penser de cette pièce ? C’est avant tout un exercice brillant mené de main de maître (c’est le cas de le dire) par un Yvan Attal omniprésent. Il est en effet le seul à ne jamais quitter la scène. Son jeu est sobre, efficace, captivant. Il en a du texte à dire ! Et pas toujours du facile… Alex Descas lui donne une réplique façon « force tranquille ». Il est plus tempéré, moins dans la démonstration. On voit qu’il maîtrise parfaitement sa fonction… J’ai trouvé Thibault de Montalembert très naturel. Il est vraiment convaincant. Il dégage un vrai charisme, une telle apparence d’honnêteté qu’on a du mal à voir un criminel en lui. C’est très habile de la part de l’auteur de ne pas être tombé dans la caricature du yuppie arrogant… Quant à Sara Martins, comme je l’ai dit plus haut, elle est d’abord très agréable à regarder. Mais c’est aussi une fine comédienne. On ne sait jamais trop ce qu’elle pense jusqu’au moment où son esprit communautariste va prendre le dessus et la métamorphoser soudain en Black Panther. Elle a un rôle-clé et elle l’assume à merveille.
Maintenant, Race est le genre de pièce qui ne repose pratiquement que sur les mots. Même si elle est très rythmée, s’il n’y a aucun temps mort, il vaut mieux ne pas être fatigué par sa journée. Ensuite, et c’est pour moi la petite faille dans l’intrigue construite par David Mamet, les quelques rebondissements qui interviennent dans la troisième partie sont, à mon goût, un peu légers, vraiment tirés par les cheveux et c’est bien dommage. Si bien que l’on se retrouve à l’arrivée au même point qu’au début. Le serpent s’est mordu la queue, il a perdu son venin.
Reste tout de même une bonne et forte pièce. Les applaudissements nourris qui accompagnent les saluts attestent de sa qualité.

mercredi 1 février 2012

Cauet sur scène


Palais des Glaces
37, rue du Faubourg du Temple
75010 Paris
Tel : 01 42 02 27 17
Métro : République / Goncourt

One man show écrit par Cauet, Daive Cohen, Mickaël Quiroga
Mis en scène par Eric Théobald
Musique d’Alexandre Frican

Le pitch : Cauet, foudroyé sur scène, va devoir rendre des comptes s’il veut éviter l’enfer. Pour accéder au ciel, il va remonter le temps et retracer les étapes fortes de sa vie pour tenter de prouver qu’il mérite bien sa place au paradis… ou pas. En partant de son enfance, en passant par l’adolescence, les filles, l’arrivée à Paris, la galère, les femmes, le début de la gloire… la femme… et les enfants.
Cauet, sans concession, va rire de tout et surtout de lui-même, de son parcours, de ses échecs, de ses peines, de ses succès, en n’épargnant personne ni dans l’humour, ni dans la tendresse.

Mon avis : Hormis une « première partie » fugitive, un gag inutile, dont on se passerait volontiers, les premiers pas de Cauet dans l’exercice redoutable du one man show sont tout à fait honorables.
Il entre en scène sur un pré-générique très américain illustré par une animation amusante des deux mini-Seb qui, sur son affiche, sont assis sur ses épaules : l’angelot et le petit démon. D’ailleurs, le show va être émaillé tout du long par quelques effets spéciaux du meilleur goût et, surtout, souligné par une excellente bande son, puisée à bon escient dans sa longue expérience radiophonique. Voici pour l’habillage.

Le postulat de départ repose une excellente idée. Victime d’un accident, Cauet se retrouve dans l’au-delà où il va devoir souscrire à une forme d’examen de passage pour déterminer s’il va gagner le paradis ou rôtir en enfer. Cruel challenge car il va lui falloir démontrer qu’il mérite le premier face à quelqu’un qui, semble-t-il, connaît tout de lui. L’expérience est périlleuse. Cauet va ainsi faire défiler sa vie dans l’ordre chronologique en étant contraint à une totale honnêteté. Evidemment, le petit démon va parfois l’amener à commettre ça et là quelques dérapages… On peut trouver bizarre de construire un spectacle sur sa disparition, mais on comprendra plus tard que la mort a fait très tôt partie de sa vie. Il entretient avec elle un rapport particulier, pour ainsi dire légitime.

Ce spectacle adopte donc la forme du stand-up. Cauet se raconte du berceau à aujourd’hui, de son enfance dans l’Aisne à la popularité audiovisuelle... Un Picard sinon rien. Il les revendique haut et fort ses origines et se fait un plaisir (et pour le nôtre aussi) de reprendre cet accent cousin de celui des Ch’tis. Il balaie large, évoque ses parents, sa famille, le travail à la sucrerie, ses amis, dresse avec beaucoup de doigté le portrait de son ami d’enfance un tantinet bizarre sans pour autant le mettre à l’index, ses premières copines, les régimes, la perte précoce de ses cheveux… Il nous dévoile ses talents cachés de guitariste et se révèle être un honnête imitateur… De temps à autre, il campe un ou plusieurs personnages pittoresques comme madame Baptiste, la voyante antillaise ou les membres actifs d’une association d’échangistes… Jamais il ne s’épargne, jamais il ne craint pas de se tourner en ridicule. Avec sa bonne bouille et ses réels donc de bateleur, il nous embarque sans difficulté dans son univers intime. Le tout est saupoudré de jolies formules (« David Guetta, c’est un hold-up à l’envers : c’est lui qui lève les bras et c’est lui qui prend le pognon ! ») qui font mouche, ou de clichés plutôt savoureux.
Pour un néophyte de la scène, il s’y montre très à l’aise. Il bouge bien, il est vraiment étonnant de facilité.

Mais ce qui ressort le plus chez lui après l’avoir fréquenté pendant près d’une heure et demie, c’est la profonde sympathie qu’il dégage. Très chaleureux, distillant avec pudeur une sorte de tendresse bourrue, on le sent sincèrement proche des gens. Même si on n’est pas forcément client de son humour radiophonique ou télévisuel, on se dit que ce doit être sympa de l’avoir pour ami. Et puis, sur scène, son texte est cadré. Il n’y a pas la place pour s’abandonner à son pêché mignon qu’est la gauloiserie. On pose donc sur lui un autre regard. Ce n’est pas bien sûr le one man show du siècle, ni même sans doute de l’année, mais c’est un spectacle honnête et respectable qui se laisse voir sans qu’on s’y ennuie une seconde. Pour un coup d’essai, c’est assez réussi.