mardi 10 décembre 2013

Michael Jones

40-60
(Save My Money / Universal)

Annoncé comme étant son « ultime album », 40-60 contient douze titres inédits et une reprise originale en version acoustique de Je te donne en duo avec Jean-Jacques Goldman. « 40 », c’est le nombre d’années que Michael Jones a passées en France depuis qu’il a débarqué en Normandie, la région natale de sa mère. « 60 », c’est plus prosaïquement son âge. Alors, pour célébrer dignement ces deux anniversaires, il a eu l’idée de les matérialiser par cet album. Il nous livre là un joli cadeau en guise de bouquet final.
Evidemment – et on n’en attend pas moins de lui – cet album est placé sous le signe de la guitare. Je n’en veux pour preuve que l’introduction et les ponts de Son jardin secret, un premier titre qui donne le ton. C’est un album homogène, très agréable à écouter, alternant les jolies ballades et les titres plus musclés, en tout cas tous mélodieux.


Sur les treize titres qui le composent, il y en a une demi-douzaine qui a retenu mon attention :

-          Pas signé pour ça (Goldman-Alfronsi/Jones)
Très efficace avec sa couleur reggae. Le texte de Jean-Jacques Goldman est plein d’humour et de dérision. Il aurait pu l’interpréter lui-même tant il est à son image. Aux antipodes du star-system, il prône en effet  la simplicité, la discrétion. La morale de cette chanson c’est que la seule valeur qui compte c’est l’amour, c’est le seul bien pour lequel il faut vraiment se battre.

-          Keep On Rollin’ (Veneruso)
Un des deux seuls titres que Michael Jones n’a pas composé… Superbe clin d’œil aux chansons américaines des Seventies. Elle sonne superbement bien, les guitares sont splendides. C’est un grand bol d’air frais, tonique et vivifiant. Et puis, magie suprême, le très (trop) rare Francis Cabrel vient mêler sa voix à celle de Michael. Magnifique !

-          Changement d’ère (Kocourek/Jones-D'Arpa)
/Jones)
Chanson qui fait allusion aux parcours initiatiques. La rythmique, entêtante, avance tout le temps, nous pousse dans le dos comme sous la poussée irrésistible du vent (et du temps). On constate combien tout est éphémère et fragile. Il suffit d’un courant d’ère pour tout balayer…

-          C’est déjà beaucoup (Kocourek/Jones-Jones)
Une belle ode à l’amitié, qui rend hommage aux frères de sang comme aux frères de chant. Mais qui en souligne également la rareté. Beaucoup de qualitatif pour peu de quantitatif car certains signes de fraternité sont hélas faussés par l’appât du gain, la gloriole, l’égocentrisme. Très belle chanson pleine de recul et de sagesse.

-          Un dernier verre (Forsans/Jones-Jones)
« Un dernier verre pour la route » en guise de conclusion sur une jolie ambiance bluesy. Mais ce qui semblerait être une invitation conviviale est en réalité la relation d’une dépendance à l’alcool. L’alcool que l’on réclame pour avancer, pour se donner du courage. Le refuge artificiel, en fait. Avec ce sentiment amer, l’album se termine sur une note mélancolique… Ça ne fait rien, on trinque quand même ?



Et puis bien sûr, il y a l’incontournable Je te donne, interprété avec Jean-Jacques, l’ami, le frère, rencontré en 1978 avec le groupe Taï Phong. 35 ans de complicité que cette sublime chanson résume et illustre à merveille. Un grand et vrai moment de grâce absolue…

lundi 9 décembre 2013

Franck Dubosc "A l'état sauvage"

Casino de Paris
16, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 08 926 98 926
Métro : Trinité d’Estienne d’Orves

One man show écrit par Franck Dubosc

Présentation : Tel un lion trop vieux, Franck Dubosc casse les barreaux de sa prison dorée pour fuir au bout du monde, loin des emmerdes… Jusqu’à ce que, redevenu sauvage, tout lui manque… Il est trop tard pour revenir, mais assez tôt pour en tirer des conclusions sur un monde pas si mauvais…

Mon avis : De spectacle en spectacle, Franck Dubosc est en train de se construire une œuvre tout à fait cohérente. Lorsqu’on le suit depuis ses débuts, on a l’impression de grandir avec lui et, comme il se livre de plus en plus, de le connaître de mieux en mieux.
Franck Dubosc, c’est un personnage et un univers. Les deux évoluent en même temps que lui dévoilant peu à peu une forme de mûrissement. Mais, heureusement pour toi public, Franck Dubosc reste Franck Dubosc. Il est toujours aussi hâbleur, il cabotine toujours autant, il se complaît toujours autant dans l’exagération. Et – mais ça c’est dans son ADN – il a gardé deux de ses plus importants traits de caractère, un qui nous amuse profondément, son côté mytho, et l’autre qui nous attendrit, son côté enfant. Ces deux entités, qui cohabitent paisiblement en lui, apparaissent régulièrement au gré du spectacle, l’un comme l’autre faisant notre ravissement.


A l’état sauvage, le nouveau one-man show de Franck Dubosc s’inscrit donc dans la lignée des précédents tout en s’en démarquant notablement. Le format qu’il a choisi cette fois, qui s’apparente plus au stand-up, lui apporte beaucoup plus de liberté que les deux premiers seuls en scène, J’ vous ai pas raconté ? et Romantique, qui étaient construits sur des sketchs, et même que le troisième, Il était une fois… Franck Dubosc, qui était essentiellement autobiographique.

Après nous avoir gratifié d’une entrée digne d’une rock star (l’excès fait partie de ses péchés mignons), il nous interpelle tout de suite pour nous faire part de sa déception du monde qui l’entoure. Franck a un coup de mou, tout « l’emmerde ». Et ce ne sont pas les exemples qui lui manquent. Alors autant utiliser ce vague à l’âme pour embarquer destination l’île déserte ( ?) de Tonkiki… Un bon coup de solitude, loin des turpitudes et des agressions du monde moderne, ne pourra lui faire que du bien.

On a l’impression d’être dans une bande dessinée. Franck est un conteur hors pair. Son écriture est très imagée, son sens de la formule est toujours aussi aiguisé, ses comparaisons toujours aussi audacieuses, et ses digressions toujours aussi savoureuses. Le fait de ne pas être prisonnier du carcan d’un sketch lui permet de musarder, de divaguer, de passer du coq à l’âne. Il peut faire quelques allusions sur l’actualité, parler de politique, intégrer des personnages, nous adresser ça et là un clin d’œil par rapport à ses précédents spectacles (Sandy). Libre de tout, il nous emmène où il veut.


A l’état sauvage se décompose en trois parties : avant l’île, pendant l’île et un dernier chapitre plus personnel, plus intime, dans lequel il évoque sa famille. La fin est très jolie. Son couplet sur le bonheur est de la poésie pure. On y retrouve Franck-le-tendre, mais qui, par pudeur, s’autorise pas mal d’autodérision et quelques réflexions impayables. Ses nombreuses expériences de comédien font qu’il se trouve aujourd’hui au sommet de son art. Sa gestuelle, parfaitement maîtrisée, n’appartient qu’à lui. L’œil qui frise en permanence, le sourire malicieux, toujours prompt à provoquer les spectateurs du premier rang, la gentillesse est chez lui plus naturelle que la moquerie. Sauf lorsqu’il se complaît à se ridiculiser.

Franck Dubosc me plaît et m’amuse énormément. J'aime l'homme autant que l'artiste. Le vernis de mytho-hâbleur dont il se pare est un trompe-l’œil qui n’abuse personne. Ou alors il faut manquer sacrément de lucidité et de sensibilité. Et comme, ces derniers temps, il a tendance à vouloir s’en badigeonner de moins en moins, on voit de plus en plus souvent le cœur apparaître…

Gilbert « Critikator » Jouin


vendredi 6 décembre 2013

Etienne Daho

Les Chansons de l’Innocence retrouvée
(Polydor/Universal Music France)

Treizième album d’Etienne Daho. Ce chiffre devrait lui porter bonheur car cet opus est particulièrement réussi… Bon, je me dois d’avouer que je n’ai jamais été un Dahophile. J’aime bien l’homme, sa mentalité, sa culture, son élégance, son discours, son honnêteté, sa simplicité. Mais en dehors de quelques titres, je n’étais guère séduit par l’artiste. Je ne rentrais pas dans ses chansons… et réciproquement. Je trouvais ses textes ampoulés, voire nébuleux. De même que je n’ai jamais éprouvé le désir d’aller le voir sur scène. Peut-être suis-je passé à côté de quelque chose. On ne devient pas l’icône de toute une génération par hasard.


Mon enthousiasme pour ce nouvel album ne peut donc pas prêter à caution. Sur les onze titres qui le composent, j’en ai apprécié huit. Une jolie proportion qui frise le plébiscite !.
Tout d’abord j’ai trouvé cet album musicalement très travaillé. Les arrangements sont réellement somptueux avec, en particulier, un subtil usage des cordes qui le rend extrêmement raffiné. Il a construit une passerelle résolument estampillée années 2000 s’appuyant sur deux solides piliers, les Sixties et les Eighties… A l’image de son interprète. La voix de l’Etienne, mise très en avant, est un parti pris réussi. Comme il en a une maîtrise parfaite, elle agit comme un instrument de plus, chaud et mélodieux. Sur le plan de l’ambiance, c’est du très, très beau travail. On  prend beaucoup de plaisir à l’écouter. Daho s’est donné les moyens, ça s’entend et il faut lui en rendre hommage.


En 1981 ; il se proclamait « Mythomane », plus de trente ans après il s’émerveille d avoir retrouvé son « innocence ». Drôle de chemin parcouru. Il nous la fait à l’envers. Dans le star system, c’est habituellement l’inverse qui se produit. Voilà donc qui est réconfortant et somme toute guère étonnant de la part d’un artiste toujours aussi avide de nouvelles aventures et affranchi de toute contrainte matérialiste.

Or donc, pour ce qui me concerne voici dans un ordre préférentiel, les chansons qui m’ont le plus plu :
-          La peau dure
-          Le malentendu
-          Onze mille vierges
-          L’étrangère
-          En surface
-          Les torrents défendus
-          L’homme qui marche
-          Un nouveau printemps


(A noter l’ambiance joliment gainsbourienne de L’homme qui marche et de L’étrangère)

Olivier de Benoist "Fournisseur d'excès"

La Cigale
120, boulevard Rochechouart
75018 Paris
Tel : 01 49 25 89 99
Métro : Anvers / Pigalle

One man show écrit par Olivier de Benoist et Vincent Leroy

Présentation : Après avoir défendu les hommes pendant trois ans, Olivier de Benoist défens désormais les femmes car elles ont beaucoup de choses à se faire pardonner. En plus, ODB aime défendre les causes perdues…

Mon avis : Je crois que je n’ai jamais entendu autant de mots d’esprits cumulés dans un one man show. Si Olivier de Benoist est un sniper, c’est avec une mitraillette qu’il canarde ses cibles. Je crois qu’il sort une (bonne) vanne toutes les 15-20 secondes. Quelle écriture ! Et quelle façon de les dire !

On peut désormais affirmer qu’ODB est entré dans le cénacle de nos tout meilleurs humoristes. Il était déjà un des plus grands… par la taille. Il a tout pour lui. Reconnaissable entre tous avec son timbre de voix si personnel, il chambre avec une sorte de nonchalance tranquille, affichant un large sourire de sale gosse content et fier de ses « bêtises ».

Cet homme est doté d’une mauvaise foi aussi faramineuse qu’inoxydable. D’entrée, il proclame haut et fort que, dans ce nouveau spectacle, il va prendre cette fois la défense de la Femme, manière pour lui de s’excuser le l’avoir allègrement brocardée dans le précédent. Bien sûr, la suite nous apprendra qu’il n’en est rien. On sent qu’il voudrait bien mais c’est plus fort que lui. Une fois encore, les femmes en général, sa propre femme et sa belle-mère vont être ses victimes privilégiées. Et elles prennent lourd !
Plus, dans la salle, la gent féminine s’insurge et proteste, plus il en rajoute et plus il y prend visiblement du plaisir. Si on devait lui accorder une décoration, ce serait la Légion d’horreurs (avec un « s »). Il pratique la misogynie, le machisme et l’humour noir dans des proportions rarement atteintes. Et ça nous transporte de joie, quel que soit son sexe.


Le plus effarant est que ce jeune homme de bonne famille est baron de son état. Il nous apprend, armoiries à l’appui, que son patronyme intégral est Olivier, Marie, Emmanuel, baron de Benoist de Gentissart ! Et dire que dans « Gentissart », il y a « gentil » ! Mais il ne nous cache pas que cette particule, sa famille la doit à une partie de cul. Le fait d’armes de son ancêtre Charles-Eugène fut en réalité un fait de charme dont bénéficia l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche en l’an 1778… Alors comment voulez-vous que son chenapan de descendant puisse faire preuve de noblesse d’esprit vis-à-vis de vous, mesdames ? Sa grivoiserie est atavique. Il est donc tout à fait excusable.


Ce nouveau spectacle est remarquablement structuré. Il a su lui donner du rythme en y apportant d’efficaces ruptures à grand renfort de matériel et d’effets spéciaux : paperboard, projections de photos, d’animations, accessoires… Il rejoint également à plusieurs reprises un guéridon sur lequel repose un antique téléphone pour une rubrique intitulée « SOS ODB » qui donne droit à une rafale d’excellentes brèves savoureusement vachardes.
Il n’y a aucun moment de faiblesse dans Fournisseur d’excès. Tout est d’un niveau très élevé. Olivier de Benoist n’a pas son pareil pour transformer des moments de vie très personnels en fresque épiques : sa rencontre avec sa femme, un entretien d’embauche particulièrement croustillant, l’accouchement de sa femme, l’enterrement de sa belle-mère et son éloge funèbre… et j’en passe tant ce spectacle est riche et drôle de bout en bout.


Olivier de Benoist est unique. Il est le seul actuellement à évoluer dans ce registre. C’est fin, c’est féroce, ça fait tellement de bien !

Gilbert "Critikator" Jouin

mardi 3 décembre 2013

Ariane Brodier "Ariane fait sa mytho"

Théâtre Le Bout
6, rue Frochot
75009 Paris
Tel : 01 42 85 11 88
Métro : Pigalle

One woman show écrit par Ariane Brodier, Yannick Vabre, Clément Charton

Présentation : Telle une funambule, Ariane Brodier avance sur le fil et jongle avec des personnages tout droit issus de l’Olympe. Elle revisite les grandes figures mythologiques… « Ariane fait sa mytho » répond à toutes les questions que l’on ne s’était jamais posées.

Mon avis : Je m’étais toujours demandé pourquoi il y avait des demi-dieux et pas de demi-déesses, d’autant que les femmes sont sensées être des moitiés. Je suis allé au Bout, à Pigalle, et là j’ai eu l’explication. J’ai vu sur scène une authentique déesse et, qui plus est, ne fait pas les choses à moitié : Ariane Brodier !

Sur son affiche, elle annonce la couleur : « Ariane fait sa mytho ». Mais nous, évidemment, béotiens que nous sommes, vu que c’est une jeune femme, on pense tout de suite à la mythomanie. Normal, ce mot qui vient du grec signifie « mensonge pathologique » ; un truc bien féminin quoi. Eh ben pas du tout. On a tout faux. Et elle nous l’explique tout de go : on reste néanmoins chez les grecs car la « mytho » dont il est question est tout bonnement la… mythologie. Le fil (rouge) d’Ariane, c’est donc la mythologie grecque… Inattendu, non ?


Ariane Brodier réussit le tour de force de nous faire rire (énormément) avec un texte intelligent et une vraie culture. Elle sait de quoi elle parle. Si bien qu’elle peut se permettre, à partir d’une base didactique solide, de déraper et de nous embarquer dans un univers complètement louftingue… Bénie des dieux, Ariane possède un bagage incroyable : elle est très belle à regarder mais, visiblement, elle s’en contrefout car elle n’a aucun scrupule à se ridiculiser. Elle se livre à des cascades improbables, prend (judicieusement) toutes sortes d’accents, s’autorise des imitations, flirte avec la ventriloquie. Visiblement, ce n’est pas à l’hydromel qu’elle a été abreuvée, mais au cartoon. Ses gags sont très visuels. Elle imprime à son spectacle une cadence de dessin animé avec, en prime s’il vous plaît, une bande son particulièrement élaborée.

Elle se mélange un peu les crayons entre les mythologies grecque et latine. Mais il est vrai qu’apostropher le dieu de l’amour « Cucu » (pour Cupidon) c’est bien plus trognon que « Eh-Eh » (pour Eros). Elle réussit même à remonter le temps et à quitter l’Olympe pour l’Eden afin de camper notre maman à tous, madame Eve. En cinq minutes, elle nous offre un condensé implacable de l’éternel féminin. L’Autre Eternel (celui qui a la barbe) en prend pour son grade ! On comprend mieux pourquoi la femme est responsable de notre punition perpétuelle à tous…


Bref, le one woman show d’Ariane Brodier vaut autant pour son fond que pour sa forme. C’est gonflé, c’est coquin, c’est farfelu ; c’est inventif. On passe au Bout un moment quasi divin en compagnie d’une Aphrodite complètement déjantée qui déborde d’énergie et de bonne humeur. Elle est franchement olympienne.

Gilbert "Critikator" Jouin

samedi 30 novembre 2013

Anne Bernex "Dans l'air du temps"

Le Temple
18, rue du Faubourg du Temple
75011 Paris
Tel : 01 43 38 23 26
Métro : République

Ecrit par Anne Bernex
Mis en scène par Alex Goude
Musiques d’Adella Gerstenhaber
Chorégraphies de Johan Nus
Costumes de Matthieu Camblor

Présentation : A l’heure où la mode est au « prêt à enlever » et au « prêt à consommer », cette splendide créature, bien décidée à trouver l’âme sœur, va tout tenter.
Tiraillée entre le bien et le mâle, entre sa moitié séductrice, sa moitié hilarante et… sa moitié blonde aussi, Anne Bernex vous emmène à coup sûr dans un tourbillon jubilatoire.
Entre sketchs inoubliables et parodies hystériques de chansons, Anne vous invite à un spectacle sans la moindre fausse note.

Mon avis : Tout, ou presque est dit dans la présentation. Eh oui, Anne Bernex cherche désespérément l’âme sœur. Mais elle ne vit pas sa solitude comme une Anne en peine, au contraire. Elle fait de sa disette affective une tribune, prend le public à témoin. Anne chasseresse a la « bredouillitude » partageuse et, paradoxalement, joviale. Aucune amertume chez elle, au contraire. Elle ne se morfond pas, ne s’apitoie pas sur son cas, elle déborde d’énergie et de vitalité. Cette petite cylindrée carbure au super, elle tourne à plein régime, elle ne s’économise pas une seconde. Tout passe par son corps et son visage. Son spectacle est très visuel. Elle danse (très bien d’ailleurs), fait des grimaces, fait des incursions dans la salle, change fréquemment de tenue, elle parodie Britney Spears, fait des claquettes en chaussons... Elle donne, elle donne, elle donne…
Sur le plan de la générosité, on lui attribue une note maximale. Elle finit complètement vidée… et heureuse. Rien à se reprocher : elle a tout donné.


Dans le spectacle d’Anne Bernex, il y a à voir et à changer. Il y a beaucoup à voir, et un peu à changer. La proportion joue en sa faveur. C’est une excellente comédienne, elle chante et danse admirablement. Son show est émaillé de jolies trouvailles. Dans le rayon bonus, je range une remarquable bande-son, cette métaphore on ne peut plus explicite avec sa chatte « Moumouille », sa tentative d’expérience saphique (toutes les goudous sont dans la nature), j’ai beaucoup apprécié le passage dans lequel elle met en opposition la raison et le désir, son clin d’œil très réussi à L’Exorciste, la rencontre entre Golum et Blanche Neige, sa truculente composition de pétasse-gourdasse avec tous les accessoires, un bon rappel, ses imitations de Piaf et Lady Gaga…

Les parodies… C’est là où, pour moi, le bât blesse. Autant je les ai trouvées superbement interprétées, autant je les ai trouvées approximativement écrites. Quel dommage ! Même si cette faiblesse est, comme je l’ai dit, largement compensée par le jeu, les textes eussent mérité un peu plus de soin et de rigueur. Mes oreilles ont frémi en entendant des « e » muets très appuyés à la fin des mots « réfléchir » et « veste en cuir ». Ce n’est vraiment pas beau à entendre… C’est, avec quelques petites vannes égrillardes un peu faciles, le seul reproche que je formule sur ce spectacle très abouti.


Anne Bernex a du tonus à revendre, elle est visiblement heureuse sur scène et elle aime son public (ce soir-là, elle a même fait preuve de beaucoup de patience et de bienveillance envers une crétine du premier rang au rire aigu systématique très perturbant). Elle est dans son élément, elle ne triche pas. Elle mérite amplement les nombreux rires qui ponctuent ses extravagances orales et physiques, et les longs applaudissements qui saluent sa performance. Car c’en est véritablement une.

vendredi 22 novembre 2013

Nora Hamzawi

Théâtre du Gymnase
38, boulevard Bonne Nouvelle
75010 Paris
Tel : 01 42 46 79 79
Métro : Bonne Nouvelle

One woman show écrit et interprété par Nora Hamzawi

Présentation : Reine de la mauvaise foi, Nora dresse un portrait acide d’une femme d’aujourd’hui, en un peu plus ballonnée.
C’est avec un sens du détail obsessionnel qu’elle décortique son quotidien. Cachée derrière ses lunettes, elle scrute ses névroses et taquine celles de son public. Anxieuse et parano, elle est la girl next door qu’il vaut mieux croiser sur scène que sur son palier.

Mon avis : Jeudi soir. Salle comble. Plus un seul strapontin. Public composé essentiellement de jeunes de 20 à 30 ans. Deux-tiers de filles… dont beaucoup à lunettes. On a l’impression d’une soirée entre copines avec l’une d’entre elles qui serait monté sur scène pour synthétiser leur quotidien.
Le spectacle de Nora Hamzawi est résolument générationnel. Elle parle de ce qu’elle vit, de ce qu’elle connaît. Très décontractée, elle est en connexion directe avec son public. Nora, c’est surtout un sacré tempérament. Son énergie et son débit sont impressionnants. Tout le temps en mouvement, elle se livre à un stand-up tonique et effréné. Il faut la suivre la Nora dans ses délires. Très expressive, elle émaille son discours de descriptions très imagées. C’est une championne de la métaphore imparable et de la comparaison qui fait mouche.


Sa thématique est très simple : elle raconte sa vie de jeune femme de 28 ans, ses états d’âme, ses doutes, ses relations avec les mecs. On voit qu’elle vient de la pub et de la communication. Elle a à la fois le sens de la formule et le talent pour la faire passer. Et puis il faut voir comme elle bouge et comme elle danse ! Elle est vraiment faite pour la scène.
Nora décrypte l’ambiance des soirées où elle se rend, elle décrit l’attitude des filles, elle avoue sans détour sa recherche du soutien de l’alcool, son meilleur désinhibant, mais aussi son meilleur ennemi. Elle égratigne les mecs avec gourmandise et va même jusqu’à aborder un sujet plutôt tabou dans la bouche d’une jeune femme, la sodomie. Mais elle le fait avec une telle finesse qu’elle en désamorce l’audace, tout en donnant au mot oculaire un sens que la phonétique rend soudain plus explicite.


Consciente de la crudité de certains de ses propos, elle nous livre elle-même le jugement que nous ressentons tous : « ça passe bien avec son petit minois ! ». C’est vrai, elle se montre tellement heureuse d’être sur scène et de partager ses tribulations avec des gens qui vivent les mêmes qu’on accepte tout d’elle. Cette fille est lumineuse, elle rayonne.


Très sincèrement, elle n’a pas besoin que l’on écrive de critiques sur elle. Le bouche à oreilles devrait lui suffire amplement car elle touche un cœur de cible particulièrement dynamique et friand de ce genre de propos, celui des 20-30 ans... Mais quel que soit son âge, on rit vraiment beaucoup.

Gilbert "Critikator" Jouin