jeudi 2 juin 2016

Le Rouge et le Noir

Le Palace
8, rue du Faubourg Montmartre
75009 Paris
Tel : 01 40 22 60 00
Métro : Grands Boulevards

Opéra rock d’après l’œuvre de Stendhal
Adaptation d’Alexandre Bonstein
Mise en scène de François Chouquet et Laurent Seroussi
Direction artistiques et textes des chansons de Vincent Baguian
Co-auteur des chansons : Zazie
Musiques de Sorel et William Rousseau
Directeur de casting : Bruno Berbérès
Costumes de Frédéric Olivier
Maquillages de Carmen Arbues
Coiffures d’Audrey Borca et Raphaël Perrier

Avec Côme (Julien Sorel), Haylen (Louise de Rênal), Julie Fournier (Mathilde de la Mole), Yoann Launay (Géronimo), Patrice Maktav (Monsieur Valenod), Michel Lerousseau (le Marquis de la Mole), Cynthia Tolleron (Elisa), Elsa Pérusin (Madame Valenod), Philippe Escande (Monsieur de Rênal)

A partir du 29 septembre


Quatre mois avant le coup d’envoi, Albert Cohen nous a ouvert les portes du Palace pour nous présenter quelques extraits de l’opéra rock qu’il produit, Le Rouge et le Noir.
Après avoir assisté à ce showcase, j’ai estimé que cette célèbre salle de spectacle du Faubourg Montmartre constituait l’écrin idéal pour ce spectacle car ils ont en commun le raffinement. En effet, l’ouvrage de Stendhal, romantique à souhait, a besoin d’une certaine proximité et de beaucoup d’intimité. Les grands sentiments ne peuvent bien s’exprimer que dans des espaces relativement concentrés. Le spectateur doit pouvoir les lire sur les visages des comédiens. Conclusion : le Palace est l’endroit idéal pour suivre et vivre au mieux les péripéties amoureuses de Julien Sorel.


Julien Sorel… Ah, Julien Sorel ! Stendhal lui-même aurait incontestablement adoubé Côme pour tenir le rôle de son héros. Le jeune homme personnifie le romantisme. Avec son mélange de douceur et d’ardeur, son feu intérieur, son charisme, son élégance naturelle, il est tout à fait crédible que ces dames se pâment pour lui. Comme on les comprend ! Comme on excuse leur faiblesse !
Côme a en outre ceci de particulier qu’il synthétise à lui seul l’image du dandy du 19ème siècle façon Rastignac et de la rock star des Seventies avec son look à la Jim Morrison. Adapter Le Rouge et le Noir autour d’un personnage central aussi fort et aussi évident, devenait ainsi chose simple. Dans ce roman tous les sentiments de l’âme humaine sont exacerbés : ambition, amour, passion, jalousie, trahison… Sa trame et sa fin appartiennent carrément à la tragédie grecque.

Les femmes, évidemment, sont prépondérantes dans cette histoire. A l’instar de Côme, dès qu’on les voit jouer la comédie et qu’on les entend chanter, leur choix devient une évidence. Haylen, Julie Fournier, Cynthia Tolleron et Elsa Pérusin sont toutes des « right persons in the right place ». Elles ont des personnalités très marquées et chacune dans son propre registre possède une jolie partition à interpréter.
A mon avis, l’artiste qui va très vite accéder au statut de deuxième star au côté de Côme va être Yoann Launay. Ce garçon que j’avais déjà tant apprécié lors de ses prestations dans The Voice va être la grande révélation, le chouchou du public. Son aisance, son naturel, son intelligence de jeu et son humour représentent un des meilleurs atouts de ce casting.

Dans le rôle du « méchant », du machiavélique Monsieur Valenod, Patrice Maktav devrait s’en donner à cœur joie. Ce garçon, que je suis depuis la Star Academy et que j’ai vu successivement dans Mozart et Mistinguett possède un grand talent de comédien… Michel Lerousseau (le Marquis de la Mole) a suivi lui aussi des cours d’art dramatique. Il est très complet. Je l’avais repéré dans Sunderland et je l’ai revu dans Un violon sur le toit et dans Les aventures de Rabbi Jacob. Il va impressionner dans ce rôle complexe où il doit se monter aussi tendre qu’il peut être autoritaire et glaçant… Autre comédien émérite, Philippe Escande, que j’ai découvert en Louis XVI dans 1789, puis retrouvé avec plaisir dans Mistinguett, va savoir donner au personnage de Monsieur de Rênal toute l’épaisseur qu’il exige.

Cette distribution haut de gamme va en outre être servie par la qualité de chansons aux textes ciselés par deux véritables artisans, Vincent Baguian et Zazie. Il suffit d’entendre le premier extrait, La Gloire à mes genoux, pour être convaincu. La première fois que j’ai entendu ce titre à la radio, j’ai été scotché. C’est une très, très belle chanson.
Tous les auspices sont favorables pour que tous les gens épris de romantisme et de ces histoires d’amour qui finissent mal (en général) et ici en particulier, partagent un merveilleux moment de comédie et de musique dans ce superbe écrin qu’est le Palace.


Gilbert « Critikator » Jouin

Notre-Dame de Paris

Palais des Congrès
2, place de la Porte Maillot
75017 Paris
Tel : 08 92 05 00 50
Métro : Porte Maillot

Spectacle musical écrit par Luc Plamondon
Composé par Richard Cocciante
Mis en scène par Gilles Maheu
Chorégraphies de Martino Müller
Décors de Christian Ratz
Lumières d’Alain Lorie
Costumes de Caroline Villette Van Assche

Avec Hiba Tawaji (Esmeralda), Angelo Del Vecchio (Quasimodo), Daniel Lavoie (Frollo), Richard Charest (Gringoire), Alyzée Lalande (Fleur-de-Lys), Martin Giroux (Phoebus), Jay (Clopin)

A partir du 23 novembre 2016

Lundi 30 mai a été dévoilé le casting 2016 de la nouvelle troupe qui va reprendre le spectacle musical à succès Notre-Dame de Paris dix-huit ans après sa création dans la salle qui l’a vu naître, le Palais des Congrès, à partir du 23 novembre.
Déjà, l’idée de présenter ce showcase au théâtre du Châtelet était on ne peut plus judicieuse. En effet, nous n’étions qu’à quelques encablures de la célèbre cathédrale et de son fameux parvis, là où se déroule l’action du roman de Victor Hugo. Et la Tour Saint-Jacques que nous pouvions apercevoir depuis les fenêtres du grand salon dans lequel se tenait cette présentation en symbolisait quelque part le décor. Bien que construite une trentaine d’années après 1482, année où se passe le drame hugolien, ce vestige s’érigeait ainsi en sentinelle bienveillante sur ces grandes retrouvailles avec les créateurs du spectacle musical.

Dix-huit ans… Pourtant, le temps semble ne pas avoir eu de prise sur Luc Plamondon, Richard Cocciante et le toujours aussi majestueux Daniel Lavoie. Ce dernier est la passerelle entre les deux générations, celle de 1998 et celle de 2016. On aurait beaucoup de mal à vois quelqu’un d’autre que lui incarner le mystique et tourmenté Frollo.Richard
Richard Cocciante, au piano, et Luc Plamondon, en Monsieur Loyal, se sont alors livrés à un numéro de duettistes plutôt cocasse (mais vraisemblablement involontaire) pour nous dévoiler les artistes qui allaient succéder à Hélène Segara, Bruno Pelletier, Patrick Fiori, Garou, Julie Zenatti, Luck Mervil…


Les premières impressions que j’ai tirées de ce showcase sont pour l’ensemble plutôt positives… Toutes les voix, en tout cas, sont irréprochables même si certains, sans doute désireux de bien faire lors de cette première représentation, ont eu tendance à rechercher la performance pour montrer qu’ils avaient de l’organe. Je pense que tout cela va s’equaliser dès les répétitions en privilégiant l’interprétation.
D’abord j’ai trouvé excellent le choix de la chanteuse franco-libanaise Hiba Tawaji pour incarner l’incandescente Esmeralda. Elle en possède le cheveu de jais, le regard de braise et la sensualité naturelle sans la provocation… Ensuite, la décision de maintenir Daniel Lavoie dans le rôle de Frollo est un gage de qualité. Sa prestance, son hiératisme et l’autorité qu’il dégage sont toujours aussi impressionnants. Il en impose notre archidiacre ! Il va être la pierre angulaire du spectacle sur laquelle tous les autres artistes vont pouvoir s’appuyer. Il donne force et confiance.


Richard Charest est lui aussi une garantie car il a tenu plus de sept-cents fois les rôles de Phoebus puis de Gringoire en tournée à travers le monde. C’est lui aussi une valeur sûre… Bien sûr, on attendait le successeur de Garou dans le personnage si délicat de Quasimodo. Visiblement, les producteurs ont tenu à rechercher un chanteur qui possède un grain et une tessiture semblables à ceux de Garou. Ils l’ont déniché en la personne d’Angelo Del Vecchio. Il devrait être d’autant plus à l’aise dans ce rôle qu’il l’a déjà tenu en italien, en anglais puis en français pendant quatre saisons.
Martin Giroux, qui aura la tâche d’incarner Phoebus, le chef des archers du Roi, est un habitué des comédies musicales. Lauréat 2004 de la Star Académie au Québec, il devrait assurer sans trop de problème… Alyzée Lalande, forte d’une formation d’art dramatique, est aussi à l’aise en comédie, qu’en chant et en danse. Elle sait tout faire. Ses prestations, entre autres, dans Peau d’âne et le Bal des Vampires, plaident amplement à sa faveur pour le rôle sensible et romantique de Fleur-de-Lys… Enfin, l’idée de confier le rôle de Clopin à l’ex-Poetic Lover Jay est tout à fait judicieuse. Il est lui aussi un chanteur « multicartes » car il est tout aussi performant dans le gospel que dans le R’n’B, le hip-hop, la soul, le blues et la variété.

A priori, on peut d’ores et déjà accorder notre bénédiction à cette nouvelle troupe. En appelant auprès de quelques anciens des artistes déjà très expérimentés, on ne devrait pas avoir trop de soucis sur le plan qualitatif. Les cloches de Notre-Dame vont pouvoir de nouveau résonner de « Belle » façon à nos oreilles à partir du 23 novembre.


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 28 mai 2016

Et pendant ce temps Simone veille

Studio Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tel : 01 42 93 13 04
Métro : Villiers / Rome

Ecrit par Trinidad, Bonbon, Hélène Serres, Vanina Sicurani, Corinne Berron
Textes des chansons de Trinidad
Mis en scène par Gil Gaillot
Lumières de Gil Gaillot
Costumes de Sarah Colas
Arrangements musicaux de Pascal Lafa
Chorégraphies d’Aurore Stauder
Décor de Jean-Yves Perruchon
Avec Trinidad, Fabienne Chaudat, Agnès Bove, Serena Reinaldi

Présentation : Le féminisme peut-il être drôle ? C’est tout l’enjeu de ce spectacle.
Suite à l’affaire Strauss Kahn en 2011, Trinidad a eu l’idée de revisiter l’histoire de la condition féminine en France, des années 50 à nos jours, à travers trois lignées de femmes, celles de Marcelle, France et Giovanna. L’ouvrière, la bourgeoise et la troisième issue de la classe moyenne qui semble s’être échappée d’un film de Jacques Tati.
Ces trois femmes au destin différent ont toutefois un point commun : elles ont travaillé pendant la guerre et ont gardé la nostalgie d’une indépendance « éphémère » après le retour des hommes.
Quatre générations de femmes se succèdent dans ce voyage qui s’étend de la lutte pour l’avortement à la procréation assistée.

Mon avis : Il est des pièces qui dépassent le stade de simple divertissement. Et pendant ce temps Simone veille est ce celles-là. Hommes, femmes et, surtout, adolescents de tous les sexes se doivent de se précipiter au Studio Hébertot pour assister à un résumé quasi exhaustif de la condition féminine de ces soixante dernières années.
Très sincèrement, ce spectacle vous remet les idées d’aplomb… Dès le début – on se trouve en 1950 - on est happé par l’histoire de ces trois femmes, Marcelle, Giovanna et France. Elles sont de condition sociale et de tempérament différents mais leurs soucis sont les mêmes. Si l’avènement des appareils ménagers leur simplifie la vie sur le plan domestique, leurs rapports à l’emploi, aux hommes, à l’éducation des enfants et à la sexualité ne sont pas vécus de la même façon. Il y a tant de paramètres possibles…


Cette pièce est forte ; très forte. Elle tire sa force de divers critères : son fonds, sa valeur historique, son aspect didactique, sa construction, son écriture, sa mise en scène et le jeu pointu des quatre comédiennes. La condition féminine… Le sujet n’est pas badin, surtout pas anecdotique. Nous sommes tous concernés. Ce qui s’avère formidablement habile de la part de son auteure (Trinidad), c’est d’avoir traité ce sujet sérieux, parfois même grave, sous le biais de l’humour. Pas une seule fois, alors qu’il y aurait largement de quoi, elle ne tombe dans le travers de l’agressivité, de l’esprit de revanche ou de l’amertume. Les situations sont toutes hyper réalistes, mais elles sont considérées et jouées avec une volonté de légèreté. Pourtant, elle évoque une kyrielle d’événements ou de cas qui sont absolument révoltants. Les « Trente Glorieuses », par exemple, ne sont pas si « glorieuses » que cela pour la gent féminine ; servitude, dépendance au mari, droit au divorce, adultère, interruption de grossesse… c’est un véritable parcours de la combattante pour réussir à grappiller quelques acquis.

Ce combat-là, on le suit de batailles en batailles à travers les confidences de trois amies pendant quatre générations. Des mères à leurs arrière-petites-filles. Ça aussi c’est un point fort de la pièce. Car on est fidélisés. Le lien n’est jamais rompu. On a nos repères. On connaît la psychologie  de chacune et ses principaux traits de caractère… Et puis, élément prépondérant de la pièce, au côté de nos trois héroïnes, il y a un personnage essentiel, celui de Simone qu’interprète brillamment Fabienne Chaudat. Simone, c’est le phare, la commentatrice. Elle vient éclairer cette histoire de la femme de faits historiques, de dates, de lois, de détails… Elle est indispensable. A la fois fil rouge et nota bene humain, elle interprète avec une cocasserie quasi burlesque des précisions qui sont, dans l’absolu, plutôt rébarbatives. Or, chacune de ses interventions, tout en nous informant, nous fait crouler de rire.



Les dialogues sont piquants, cinglants. Les formules savoureuses abondent. Les parodies sont excellentes. Les chorégraphies sont drôles et réussies. Le choix des quelques projections sur un écran de télévisions est particulièrement judicieux. Elles apportent aussi leur éclairage et permettent de raviver certains souvenirs. Les costumes, restitués par Sarah Colas, tiennent également un rôle important car ils matérialisent précisément l’époque abordée.
Et puis il y a les comédiennes. Outre Fabienne Chaudat, on ne peut dissocier Trinidad, Agnès Bove et Serena Reinaldi. Formidablement complices et idéalement complémentaires, elles illuminent ce spectacle de leur présence. Elles savent tout faire : elles jouent remarquablement la comédie, savent faire passer tous les sentiments, elles chantent, elles dansent. On est séduit, on les aime, on a envie de les comprendre, de les aider, de partager avec elles. Elles sont tout simplement humaines, banales d’humanité. Elles parlent de tout, souffrances, bonheurs, difficultés, arbitraire, persécutions, satisfactions, plaisirs avec une justesse qui nous émeut. Elles ne tombent jamais dans le pathos, lui préférant l’autodérision et l’ironie… Les rires fusent sans cesse, les applaudissements jaillissent spontanément pour saluer certaines scènes ou certaines saillies. Entre ces quatre femmes et le public, les passerelles sont immédiatement édifiées permettant entre elles et nous d’échanger un grand et beau moment de partage.


Et pendant ce temps Simone veille est, à mon goût, une œuvre majeure, vitale. Cette pièce devrait diffusée une fois par an sur le petit écran à l’occasion de la Journée de la Femme (c’est un minimum) et, aussi, présentée à travers la France dans les lycées et collèges. Elle a une mission d’utilité publique, fondamentalement humaine. C’est de l’instruction civique élémentaire.
Pourtant, lorsqu’on arrive au terme de la pièce, lorsqu’on a suivi les péripéties de Marcelle, Giovanna, France et leurs descendantes durant quatre doubles décennies, on réalise que, finalement, les choses ont peu changé pour la femme. Hélas, rien n’est jamais acquis. Ce qui a été conquis, souvent de haute lutte, même lorsqu’il a été officialisé par une loi, s’avère souvent illusoire. Le statut de la femme est loin d’être résolu. On peut légitimement douter qu’il le soit un jour tant les choses restent figées. C’est un long combat où il est impossible qu’il y ait des vainqueurs et des vaincus. C’est le mouvement perpétuel vers plus de droits et plus de libertés. Certaines parviennent à les acquérir, d’autres pas. Les inégalités et les injustices existeront toujours. Raison pour laquelle il faut rester vigilant. En effet, aujourd’hui, on a parfois l’impression de régresser. C’est invraisemblable.

Louis Aragon et, par extension, Jean Ferrat, avaient complètement raison en proclamant « la femme est l’avenir de l’homme ». D’abord ; c’est elle qui les procrée (du moins pour l’instant) et puis elle est la seule garante, à travers son instinct maternel, d’un monde aimant, bienveillant et protecteur (à part bien sûr madame Thatcher et quelques autres). Hélas, l’avenir a ceci de spécifique avec l’horizon qu’on a la sensation qu’il recule toujours. C’est pourquoi il faut continuellement placer des « Simone » en sentinelles pour jalonner le parcours et l’éclairer.

Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 26 mai 2016

Renaud

Parlophone / Warner Music France


Dix ans ! Dix ans depuis Rouge sang… C’est long, bon sang. Putain d’ pastis !
Alors, lorsque j’ai reçu le nouvel album de Renaud, le 8 avril dernier, ça m’a fait tout drôle. Je l’ai posé sur mon bureau et… je n’ai pas osé l’ouvrir.
Tous les jours, je le regardais, je le contemplais ; mais je n’avais pas le courage d’en extraire la galette pour la poser sur mon lecteur. Même pas celui de feuilleter le livret. J’étais heureux de voir que cet album tant espéré avait enfin vu le jour, mais de là à l’écouter, il y avait un effort considérable à faire. Je ne me faisais même pas languir, non, je nourrissais un sentiment bizarre. Comme un amoureux qui se demande si son rendez-vous avec son ex va être à la hauteur de ses rêves de retrouvailles.

Eh oui, cette année, le label de mai arrive en avril. A l’instar du Mistral, le retour est gagnant. Record des ventes et boucan d’enfer autour de SA résurrection. C’est dire s’il était attendu cet album. Les jeunes Sauvageons autant que les chauves âgés, les purs, les vrais morganes de lui, étaient vraiment en manque.
Je le voyais à la télé, j’entendais Toujours debout puis J’ai embrassé un flic à la radio, et je me confinais dans ma procrastination. Chaque jour, en m’installant devant mon ordinateur, le CD de Renaud, en position verticale à cinquante centimètres de moi sur ma gauche (évidemment), m’attendait. Son silence était terrible, mais je n’avais pas encore envie de le rompre…

Il faut dire que j’entretiens avec Renaud une relation particulière. La première interview qu’il m’a accordée, en décembre 1986, a duré trois heures et demie ! 1986 était pour lui l’année de tous les malheurs ; une profonde année de déprime. Depuis le 19 juin, son cœur marchait à l’ombre. Coluche s’était particulièrement mal conduit… Renaud avait envie de parler, de se confier… J’étais venu avec une idée préconçue sur le bonhomme, je suis reparti ému, empli d’un sentiment d’empathie et de grande fraternité. Nous nous sommes revus. Je suis allé chez lui, il est venu chez moi. Notre amour pour Brassens entre autre nous unissait… En 1996, lorsqu’il a voulu lui rendre hommage en reprenant une vingtaine de ses chansons, il m’a invité à venir assister aux séances d’enregistrements dans son appartement du boulevard Edgar Quinet. Tout cela se faisait dans la plus grande simplicité, avec peu de mots, peu de démonstrations. Mais avec la compréhension discrète de deux grands timides. Le partage sans l’expansion… J’ai également été convié en studio lorsque Romane Serda a enregistré son album éponyme pour y avoir la primeur de quelques titres…
Bref, sans me montrer ou trop modeste ou trop arrogant, j’ai la faiblesse de croire qu’il y a entre nous pas mal d’éléments qui ressemblent à de l’amitié. Nous n’avons pas besoin de longs discours ou d’exubérantes effusions pour nous comprendre et nous apprécier.

Renaud n’est pas un être que l’on a envie de laisser béton. Le lien ne s’est jamais rompu entre nous. Y compris dans ses années noires pendant lesquelles le Renard jouait les Méphisto auprès de Renaud en essayant de lui dévorer l’âme pour l’offrir au diable. Or, le carnassier à poil fauve ignorait qu’il avait affaire à un drôle d’oiseau, un piaf à la chetron et au cœur sauvages : un phénix.
Et c’est ce fameux phénix qui vient de recouvrer son ramage pour nous revenir à tire d’aile, « désanisé », requinqué, motivé comme jamais. Le phénix a surtout retrouvé sa plume. Résultat, il a pondu treize petits œufs, treize chansons qui viennent d’éclore à peine couvées. En retrouvant l’écriture, Renaud a repris goût à la vie. L’encre est sa sève. A l’entendre, les mots, si longtemps confinés dans un recoin obscur de sa conscience, se sont soudain remis à s’agiter, à se bousculer tels une armée de spermatozoïdes appelés à féconder un album. Quel orgasme pour lui ! Il n’osait plus y croire.

Alors, comment se présentent ces treize enfants nés en état d’urgence ?
Car, enfin, un beau matin du mois de mai, à quelques encablures de son soixante-quatrième anniversaire, j’ai enlevé le CD du piédestal moral sur lequel je l’avais déposé et, tout naturellement, j’en ai posé la galette sur ma platine. L’heure était venue. J’étais prêt pour les retrouvailles.

Le premier bonheur que j’ai ressenti, c’était de retrouver son timbre de voix si particulier. J’avais eu tellement peur qu’il ne récupère pleinement la jouissance de son organe ((m)organe de lui !). Mes trompes d’Eustache se sont immédiatement détendues, entièrement offertes à l’écoute.
Bon, j’ai toujours été honnête. Surtout avec les personnes pour lesquelles j’éprouve de l’estime. Il y a des chansons que j’ai adorées, il y en a que j’ai appréciées, et il y en a que j’ai trouvées un peu moyennes.


Mes préférées – il y en a six – sont, dans leur ordre d’apparition sur le CD : Les Mots, Toujours debout, La vie est moche et c’est trop court, Mon anniv’ et Ta batterie.

Les Mots.
Sans doute ma préférée. J’aime bien la ritournelle légère de Renan Luce. C’est un aveu. C’est la traduction du soulagement que Renaud a dû éprouver lorsqu’il s’est enfin remis à noircir des pages blanches. Hommage aux mots, à l’écriture, à la langue française. Et aussi clin d’œil respectueux adressé aux grands aînés, aux modèles : Léautaud, Brassens, Hugo, Nougaro…
Toujours debout.
C’est la locomotive de cet album. Un hymne qui concerne tous les « phénix » passés, présents et à venir. On y a l’impression que Renaud s’est d’abord étonné de se retrouver ainsi vaillant sur des deux guibolles ; ça l’a ensuite rassuré et, se sentant de nouveau fort, il a pu donner libre cours à son esprit revanchard envers certains médias qui, en se nourrissant de rumeurs, l’avaient condamné bien prématurément. Sa résurrection, si attendue, lui permet également d’adresser de chaleureux remerciements à son public qui, lui, ne l’a jamais lâché. Il a hâte de le retrouver et tient à le rassurer quant à sa volonté de revenir sur le devant de la scène et d’y perdurer.
La vie est moche et c’est trop court.
« Petite chanson désabusée » empreinte de nostalgie. Elle exprime la vanité et la rapidité de la vie. Les mots et les images sont réalistes. La voix, que l’on sent encore fragile, mal assurée, ajoute encore au contexte très personnel d’un texte qui aurait pu être sous-titré « Rêveries d’un buveur solitaire ». Confession d’une extrême lucidité, sans concession. Complainte assumée sur le temps qui passe trop vite et qui vous ampute aussi de l’amitié de quelques être particulièrement chers (Brassens, Coluche).
Mon anniv’.
Chanson-cri qui évoque une réelle lassitude devant de rendez-vous récurrent que constitue le jour de son anniversaire. C’est bien de le dire aussi fort… La musique est en parfaite symbiose avec l’esprit de la chanson en ce sens où elle est volontairement répétitive pour souligner le retour inexorable et systématique de ce jour-là. Il y a un petit côté mouvement perpétuel dans l’arrangement. Renaud y exprime son ras-le-bol des manifestations de sympathie, des gestes, des mots, des courriels. Et la fin, en ad lib, ajoute encore à l’aspect lancinant du rejet… Personnellement, je lui ai évidemment adressé un texto le 11 mai, en lui précisant bien que cette date anniversaire ne me servait que de prétexte pour lui témoigner ma profonde affection.
Ta batterie.
Cette chanson née de la commande de Grand Corps Malade est primordiale car elle constitue le point de départ de la remontée de Renaud vers la lumière. Elle est terriblement symbolique et explicite… Malone, l’Enfant au Tambour, a métamorphosé d’un coup de baguettes magiques un oiseau mazouté en un flamboyant phénix. Elles ont réveillé le bel qui boit dormant. Les percussions ont soudain résonné dans le cœur et dans la tête du papa. Il est particulièrement émouvant de constater que c’est la batterie de Malone qui a rechargé celle de son père. En musique, c’est toujours le batteur qui donne le signal de départ puis le tempo. Renaud livre beaucoup de lui-même dans ce texte intimiste et sans concession. T’as pas cinq balles ?
Le slam en bonus.
Quelle écriture ! Là, Renaud exerce sa plume sur la longueur. Il se lâche, son cœur déborde. Dans ce « slam un peu vulgos », les mots sont volontairement crus. Ce texte est un judicieux point final à cet album. Plein d’humour et d’ironie, il montre aussi son immense respect pour les slameurs.


Dans toutes les autres chansons de cet album, il y a du pur Renaud. Dans chacune, il y a de quoi grappiller, de quoi savourer, de quoi réfléchir…

J’ai embrassé un flic.
Renaud ne pouvait pas évoquer cette triste et enthousiasmante journée du 11 janvier qui honorait ses amis-frères massacrés à Charlie Hebdo. Sur une musique entraînante, « fanfaronne » même, il témoigne de l’état d’esprit général qui animait cette manifestation spontanée et (presque) apolitique. On n’aurait jamais osé imaginer que le chanteur anarcho-énervé ait pu un jour sortir un tel titre… Personnellement, je n’aurais pas tant répété « je me suis approché ». Il eût été amusant qu’il écrive d’abord « Je me suis gendarmé » puis « Je me suis approché » et « J’ai embrassé un flic ».
Héloïse.
Chanson sur l’enfance qui est devenue un thème classique chez Renaud. Ici, le symbole est très fort puisque cette douce ritournelle adressé à Héloïse, la fille de « Lolita », a été composée pas son père et écrite par son grand-père. Quelle belle image on peut imaginer façon celle du « Kid » de Charlot, deux silhouettes s’éloignant la menotte de la fillette dans la pogne de son papy.
La nuit en taule.
Petit reportage personnel plutôt anecdotique. Sur un air qui frise la country music, Renaud raconte un concentré de garde à vue en termes réalistes et avec, en filigrane, une pincée de regrets.
Petit bonhomme.
Deuxième chanson sur l’enfance signée musicalement par ce cher et fidèle Buccolo. Chanson d’amour filial, débordante de tendresse et d’espoir. De dépendance aussi. Joli appel du cœur.
Hyper Cacher.
Cette chanson est à classer dans le même registre que J’ai embrassé un flic. Ecrite à la manière d’un reportage journalistique, elle a valeur de témoignage historique. Renaud ne veut pas que l’on oublie ces horreurs qui sont autant de funestes cailloux noirs semés sur le chemin de l’amour et de la confraternité. Après avoir évoqué le drame, il élève le débat en dénoçant les dysfonctionnements de cette « époque immonde ».
Mulholland Drive.
Cette chanson (qui n’a rien à voir avec François Hollande) s’inscrit complètement à part dans cet album. C’est un petit film, une sorte de road movie à la Jarmusch. L’écriture, très imagée, fourmille d’images et de name dropping. Plus qu’une fugue, elle évoque une véritable fuite. En même temps, elle est emplie d’espoir et de confiance pour le futur car la liberté « est au bout »…
Dylan.
C’est un fait divers, un accident de la route qui a ôté la vie d’un gamin de 16 ans, qui a remué Renaud. Cette chanson douloureuse signée Alain Lanty (présence mélancolique de l’harmonica) est un signal d’alarme, un message adressé aux jeunes qui mettent leurs vies en jeu lorsqu’ils sortent de boîtes de nuit désinhibés par l’alcool et divers tabacs (Renaud sait de quoi il parle). C’est triste et touchant, mais la leçon sera-t-elle entendue. Bouteille à l’amer…
Petite fille slave.
Petite chronique sociale sur la déchéance que connaissent ces filles venues de l’Est obligées de se prostituer sur les trottoirs de Paris pour survivre. Un message plein de chaleur et de bienveillance façon Brassens que Renaud tente de rendre rassurant avec un utopique « Tu reviendras chez toi ». Mais quand on fait richement rimer « slave » avec « esclave », croit-on réellement à une rédemption ?

Voilà comment j’ai perçu le cru 2016 de l’œuvre de Renaud. Parfois le « Phénix » s’envole très haut dans les étoiles. Parfois, il volète, emprunte des chemins buissonniers, s’arrête pour picorer, avant de reprendre son vol majestueux. Renaud s’inscrira toujours entre l’aigle et le moineau. C’est ce qui fait à la fois son charme et ses contradictions. En tout cas, sa longue absence nous aura une fois de plus confirmé combien il est indispensable à notre quotidien. C’est un allumeur de réverbères, un éclaireur de conscience. Il fait partie de ces gens très (trop) rares qui nous aident à voir un peu plus clair.
Pour conclure, j’ai hâte, déjà, d’entendre son prochain album car je suis sûr qu’il est encore en train d’écrire. Et je suis convaincu que ce nouvel opus, moins dicté par l’urgence et l’exaltation du retour, sera très, très haut de gamme.


Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 20 mai 2016

Le plus beau jour

Théâtre Hébertot
78, boulevard des Batignoles
75017 Paris
Tel : 01 43 87 23 23
Métro : Villiers / Rome
Jusqu'au 23 mai

Diffusé sur France 2 le lundi 23 mai à 21 h 00

Une pièce de David Foenkinos
Mise en scène par Anne Bourgeois
Décor de Jean-Michel Adam
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Lumières de Madjid Hakimi
Avec Marie-Julie Baup (Sophie), Constance Dollé (Nathalie), Arié Elmaleh (Michel), Davy Sardou (Pierre), Dounia Coesens (l’infirmière)

Présentation : Quelques heures seulement après la naissance de leur fils, Pierre annonce à Nathalie qu’il a invité aussitôt Michel, son meilleur ami, à la maternité. Ce n’est vraiment pas le bon moment ! D’autant plus que cet ami a décidé de venir avec sa nouvelle fiancée. Cette visite au bébé, aussi précipitée que mal venue, va tourner au règlement de comptes et bouleverser la vie de tous les personnages. Doutes, révélations, imprévus, séduction, surprises, bonheur, sont les mots d’ordre de cette comédie.

Mon avis : Cette pièce légère et enlevée est le spectacle idéal pour se mettre dans les meilleures dispositions d’esprit avant la cérémonie des Molières.
« Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris… ».Ça, c’est Victor Hugo qui l’a écrit. Son bel enthousiasme s’inscrit dans la logique des choses car, dans la grande majorité des cas, une naissance est en effet un grand moment de bonheur partagé. Mais les moments de bonheur sont comme les trains qui arrivent à l’heure : on n’en parle pas. En revanche, lorsqu’un train déraille ou qu’une situation dérape, là il y a matière.


Dans la pièce de David Foenkinos, c’est tout le monde qui déraille. Bonjour les dégâts. Ce qui aurait en fait dû représenter « le plus beau jour » de la vie de Nathalie et Pierre va soudain devenir leur plus beau four… L’auteur utilise savamment tous les ressorts de la comédie pour décrire un imbroglio qui, en étant réaliste, est un véritable drame. Or, ici, par la magie de dialogues vifs et ciselés, d’une mise en scène inventive et rythmée et la présence de quatre acteurs absolument irrésistibles, la pièce nous tient en haleine et nous fait rire du début à la fin.
Ce pauvre bébé qui vient d’arriver et qui n’a rien demandé va être le détonateur qui va faire exploser toutes les conventions et, surtout, exposer en plein jour tous les non-dits.


Les profils des quatre protagonistes de cette histoire sont particulièrement bien dessinés. Nathalie (Constance Dollé) est une femme en souffrance, elle se trouve dans un profond mal-être et l’on va peu à peu s’apercevoir que ce dont elle voudrait surtout accoucher, c’est de la vérité… Son mari, Pierre (Davy Sardou), est un doux rêveur ; il est lunaire, naïf, puéril, fragile… Sophie (Marie-Julie Baup) compense son angoisse chronique par une volubilité de tous les instants : elle est cash, sans filtre, gaffeuse… Quant à Michel (Arié Elmaleh), il est hâbleur, tchatcheur, dragueur, égoïste, futile…
Les deux garçons ont en commun une certaine propension au mensonge et à la lâcheté. Ce sont des mecs, quoi. Et les filles, en parfait contrepoint, sont de ferventes adeptes de la vérité. En plus, ils se trouvent tous en décalage car chacun d’entre eux rêve de vivre la vie de l’autre.

Alors, quand ces quatre caractères, brutalement exacerbés par l’arrivée du bébé, sont confrontés, le mélange est explosif. Nés de malentendus, les quiproquos abondent. Les échanges sont tumultueux. Les scènes de scènes (de ménage ou autres) atteignent des sommets de drôlerie… la mise en scène est vraiment parfaite. Tout se passe entre la chambre de la maternité et le couloir qui y mène. Cette unité de lieu permet de donner un tempo soutenu. Il n’y a aucun temps mort.


Le plus beau jour est une très bonne comédie. Ici, « lorsque l’enfant paraît », c’est le cercle des spectateurs « qui applaudit à grands cris »… Le casting est parfait. Marie-Julie Baup confirme qu’elle est une sacrée nature. Constance Dollé se met aisément au diapason avec une montée en puissance réellement jubilatoire. Davy Sardou démontre une fois de plus son brio dans tous les registres. Arié Elmaleh fait preuve d’une formidable présence comique… Il faut souligner aussi la prestation de Dounia Coesens qui, au-delà de la frivolité, a le talent d’apporter à son personnage d’infirmière sexy une certaine mélancolie qui la rend très attachante.
En conclusion, ce Plus beau jour vous promet une fort belle soirée devant votre téléviseur.


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 19 mai 2016

Réda Seddiki "Lettre à France"

La Nouvelle Seine
Sur les berges
Face au 3 quai de Montebello
75005 Paris
Tel : 01 43 54 08 08
Métro : Saint-Michel

Tous les mercredis à 20 h 00

Seul en scène écrit et interprété par Réda Seddiki

Note d’intention : « Imaginez une histoire d’amour entre un jeune homme et une femme. Ce dernier quitte tout pour la rejoindre. Et, une fois à ses côtés, déception ! Avait-il trop idéalisé ?
Mais, toujours est-il, il continue d’y croire et conserve l’espoir qu’ils peuvent vivre ensemble… Ce jeune homme, c’est moi, arrivé de Tlemcen, et cette femme c’est la France. L’union est-elle possible ? Et à quel prix ?
Découvrez et partagez ma déclaration d’amour, joyeuse et corrosive, qui transforme chacun d’entre nous en piéton de l’Histoire. » (Réda Seddiki)

Mon avis : IL est toujours gratifiant et agréable de découvrir un artiste lorsqu’il est aux prémices de sa carrière. J’aime bien assister aux tout débuts afin de pouvoir par la suite observer comment il évolue. On m’avait ainsi chaudement recommandé d’aller voir Réda Seddiki à La Nouvelle Seine.
Empruntant en toute légitimité à Michel Polnareff le titre d’une de ses chansons, Lettre à France, le jeune homme utilise astucieusement la métaphore amoureuse pour nous expliquer pourquoi et comment son cœur balance entre son pays natal et son pays d’adoption. Ce dilemme shakespearien n’est pas « être ou ne pas être », mais plutôt « Algérie ou France ». Voire même, et c’est la conclusion à laquelle j’ai souscrit : « Algérie ET France »…

Réda Seddiki a tout pour lui. Il présente bien, il a énormément de charisme (son sourire craquant lui permet de pouvoir tout faire passer) et, surtout, grâce à un bagage intellectuel extrêmement bien fourni, son discours est aussi fin qu’intelligent.
Difficile de le classer dans la catégorie des humoristes purs et durs. Réda Seddiki est plutôt une sorte d’ethnologue drôle. Ses analyses sont malicieuses, parfois carrément ironiques, et presque toujours philosophiques. Le garçon a du recul, beaucoup de recul. Résultat : on ne rit jamais à gorge déployée, mais on sourit presque en permanence.


Depuis sa ville natale de Tlemcen, le jeune Réda avait pour la France les yeux de Chimène. C’est le cas de tous les amoureux transis. On a systématiquement tendance à idéaliser l’objet de tous ses désirs. Aussi, lorsqu’il lui a fallu quitter « la Perle du Maghreb » pour « La Ville Lumière » afin d’y poursuivre ses études universitaires, il avait le cœur et l’esprit chargés de rêves. Heureusement pour lui, Réda n’est pas une oie blanche, un candide. Il est au contraire un pragmatique, un rationnel. Il a eu tôt fait d’évaluer le pour et le contre, le positif et le négatif, de mélanger le tout et d’en tirer sa substantifique moelle existentielle. Le mieux, finalement, n’est-il pas de prendre dans chacun de ses pays dont l’histoire est si intimement liée, ce qui est la plus plaisant ?

Mais avant d’en arriver à cette décision avisée, il se plaît à démystifier les principaux clichés et les plus courants a priori. Il s’amuse par exemple avec la fameuse devise de notre République, « Liberté, égalité, fraternité »… Il se gausse un tantinet de notre application sur le terrain de la laïcité. Il étend ses analyses satiriques au mariage pour tous et à la polygamie… Tout cela est dit, loué ou dénoncé avec subtilité, élégance et, j’insiste, avec une grande intelligence. Il assène des vérités, jongle avec les évidences, mais toujours avec le sourire. En fait, Réda est un scientifique fataliste. Fort de cette synthèse, il en tire une conclusion totalement inattendue mais à laquelle j’ai tendance à adhérer car elle plaît bien au sceptique que je suis : et si la vie, après tout, n’était qu’une vaste caméra cachée ?...


Sur une péniche, il est facile de se laisser embarquer… D’ailleurs, Réda Seddiki ne se prive pas de se servir de cette image pour adresser à ses passagers d’un soir un clin d’œil aux migrants…
Ce garçon possède un énorme potentiel. Il a tout pour lui. Il a le talent, la présence et l’ouverture d’esprit. Il est certes encore un peu frais, mais il va sûrement peu à peu acquérir cette patine indispensable à un humour plus percutant qu’est une légère couche de cynisme. En tout cas, tous les espoirs lui sont permis.

Pour emprunter encore une fois au domaine de la chanson, après Polnareff, citons Les Rita Mitsouko qui avaient décrété que Les histoires d’amour finissent mal en général. Réda Seddiki, écartelé entre deux pays de cœur, se sent aujourd’hui incapable de mettre un point final à son aventure. Ses sentiments envers la France, sincères et profonds, sont empreints de tendresse, mais sa « lettre » s’inscrit plutôt, du moins est-ce que j’en ai perçu, dans le registre de l’amour vache. Il nous livre en fait toute la difficulté qu’il y a, quand on est « étranger » à se glisser aisément dans un moule vieux de deux mille ans, un moule ô combien fossilisé. En même temps, plus sa liaison avec la France durera, plus il se sentira également étranger en Algérie. Pas facile… Je pense que tout cela finira pour lui par un mariage de raison. Ce n’est pas son tonton, le sage Boumédiène, qui me contredira…

Gilbert « Critikator » Jouin


vendredi 13 mai 2016

Bernard Azimuth joue "Hamlet"

L’Archipel
17, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 73 54 79 79
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Tous les jeudis à 19 heures

Une pièce de William Shakespeare
Adaptée par Jean-Hervé Appéré et Bernard Azimuth
Mise en scène par Jean-Hervé Appéré
Avec Bernard Azimuth (Claudius), Bernard Azimuth (Hamlet), Bernard Azimuth (Gertrude), Bernard Azimuth (Polonius), Bernard Azimuth (Ophélie), Bernard Azimuth (Laërte), Bernard Azimuth (le spectre d’Hamlet)…

Présentation : Azimuth s’empare d’Hamlet ou Hamlet s’est-il emparé de Bernard Azimuth ?
La question reste posée devant ce spectacle baroque et névrosé, un pléonasme sans aucun doute, dans lequel on retrouve les situations ainsi que les personnages emblématiques de Shakespeare, le tout passé à la moulinette de cet humour décalé et destructeur propre à Bernard Azimuth.

Mon avis : Il fallait oser ! Oser s’attaquer tout seul à ce monument qu’est Hamlet, une des plus célèbres pièces du grand William Shakespeare ! Et, surtout, réduire cette œuvre, la plus longue du dramaturge anglais, à la façon d’une compression de César et faire de cette terrible tragédie un show qui nous fait rire du début à la fin, c’est une prouesse incroyable.
Je vais même être très franc : je préfère de loin la version de Bernard Azimuth. L’originale est trop longue, trop lourde, trop glauque. Là, j’ai tout compris. Vous pouvez y amener des ados, ils vont prendre un réel plaisir à découvrir Hamlet sous cet angle, car l’intrigue est parfaitement respectée.


Bernard Azimuth, exalté, habité et déchaîné, interprète tous les principaux protagonistes de ce drame. Il n’a besoin de presque rien (une couronne de galette des rois, deux poupées, et c’est tout) pour incarner sept des principaux personnages. On ne s’y perd jamais, on sait toujours qui est qui. Il lui suffit de changer de voix, de prendre une certaine posture, un accent particulier et on sait à qui on a affaire…
Pourtant, à ces sept personnages incontournables, il faut en ajouter un, et non des moindres… Bernard Azimuth lui-même. Il ne cesse de couper le fil de son récit pour se livrer soit à des apartés explicatifs désopilants, soit à des digressions personnelles qui n’ont qu’un lien lointain avec l’histoire. C’est cette construction, pleine de ruptures, qui fait que cette pièce est complètement réussie.

Bernard Azimuth maîtrise parfaitement l’art du burlesque. Sa prestation est insensée ; insensée dans le sens du « nonsense » anglais. Un état d’esprit que, j’en suis convaincu, William Shakespeare n’aurait pas désavoué. Avec une énergie de tous les instants, il s’agite et se démultiplie. Il sa vautre avec gourmandise dans une espèce de schizophrénie permanente. Il mêle le passé et le présent, la grandeur historique avec ses petits soucis familiaux. Il passe presque sans transition de l’emphase la plus déclamatoire à la petite banalité saugrenue. Il transforme ce maelstrom danois en montagne russe.


Ce spectacle est d’une richesse et d’une densité incroyables. Il fait en effet appel à tous les ressorts du registre du pantomime. Il se livre même à un spectacle de marionnettes, une scène entre Hamlet et Ophélie, qui constitue un grand moment de cocasserie. On assiste aussi au formidable (dans le sens épique du terme) duel entre Hamlet et Laërte, un duel plein de bruit et de fureur où le grandiose bat le fer avec le ridicule… Et puis, soudain, il nous offre une profonde réflexion philosophique sur l’éventualité ou non d’une vie après la mort. Mine de rien, ça nous donne à penser. D’ailleurs, il le dit lui-même, Bernard Azimuth est un adepte de la « mise en abîme »…
Bernard Azimuth fait l’Hamlet en cassant les jeux, en maltraitant les conventions. Rendez-vous compte : plus ça meurt sur scène, plus on meurt… de rire dans la salle. Etonnant, non ? Comme aurait dit monsieur Cyclopède.

Dans ce one man show qui atteint parfois des sommets étourdissants, ce remarquable comédien qui se fait énormément suer sur scène (au sens propre) tant il se dépense, nous livre une pièce complètement folle sur la folie, un digest qui, pour moi, est bien plus digeste que l’intégrale de Shakespeare. Si on y ajoute la qualité des musiques qui illustrent certains tableaux et une bande son impeccable (bruits du dehors, orage, etc…), on obtient un spectacle d’un très, très haut niveau. Un spectacle qui doit marquer dans une carrière car celui-ci est réellement du domaine rare de la performance d’acteur. A voir absolument.


Gilbert « Critikator » Jouin