samedi 19 janvier 2008

Don Quichotte contre l'Ange Bleu


Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité / Blanche/ Saint-Lazare

Une fable écrite et mise en scène par Jérôme Savary
Direction musicale : Roland Romanelli
Avec Arielle Dombasle (Daisy Belle), Joan Crosas (Don Quichotte), Frédéric Longbois (Sancho Pança), Jérôme Savary (le Maître de cérémonie), Paco El Lobo (guitare et chant flamenco), Clémence Bollet, Sabine Jeangeorges, Antonin Maurel, Nina Morato, Marco Oranje, Nina Savary.

Ma note : 6,5/10

L'histoire : Indigné par un panneau publicitaire racoleur défigurant le paysage ancestral de sa Mancha bien aimée et montrant une certaine Daisy Belle dépoitraillée, Don Quichotte enfourche Rossinante et, accompagné de son fidèle Sancho Pança, part à Paris pour régler ses comptes avec cette dévergondée... Voici notre pittoresque équipage au coeur-même de la débauche montmartroise, le Moulin Rose, dirigé par un maître de cérémonie truculent, un cabaret dont la meneuse de revue n'est autre que la fameuse Daisy Belle, celle par qui le scandale est arrivé jusque dans la Mancha... Mais ce que Don Quichotte, tout à sa croisade, ne pouvait pas prévoir, c'est qu'il allait tomber follement amoureux de cette incarnation de l'Ange Bleu...

Mon avis : Pisse-froid s'abstenir ! Si on n'a pas envie de jouer le jeu, si on n'apprécie guère les délires fantasmagoriques et pas toujours d'une élégance raffinée de Jérôme Savary, il est inutile de se rendre au théâtre de Paris. Mais si vous êtes d'humeur badine et joueuse, si vous aimez le burlesque, si vous savez encore vous émerveiller devant la beauté des costumes et l'esthétique de certains tableaux, vous allez y passer une soirée bien joyeuse.

Savary ne nous prend pas en traître. Son spectacle, il l'annonce dès le départ comme étant une "farce" (Petit Larousse : "petite pièce comique qui présente une peinture satirique des moeurs et de la vie quotidienne"). De fait, son Don Quichotte, c'est une auberge espagnole dont le patron serait un bateleur montmartrois. On y trouve de tout, autant à boire qu'à manger. Il y a des plats pas toujours très délicats, mais on y trouve également des des mélanges audacieux, goûtus et roboratifs... Le postulat savarien est simple : il s'agit de transplanter Don Quichotte, le chevalier à la triste figure, un ascète psychorigide doublé d'un idéaliste enfiévré (drôle de cohabitation) dans l'univers du music-hall et, plus particulièrement dans celui d'un bouge qui propose du french-cancan en plat de résistance. En clair, il fait faire à Rossinante et à son cavalier un bond de quatre siècles ! Mais cela ne nous choque pas. Des Don Quichotte, il y en surgira heureusement toujours, tant qu'il y aura des moulins à combattre et des utopies à défendre. Ce sont deux mondes qui ne se comprennent pas et qui s'entrechoquent. Bien sûr, la fin est prévisible. La troublante et aguicheuse Daisy Belle va faire fondre l'armure en fer blanc de l'Hidalgo illuminé.

Je me répète, c'est l'auberge espagnole. En maître queux iconoclaste, désinvolte et imaginatif, Savary a mis tout ce qu'il aimait dans une grande marmite, il a touillé longtemps, ajouté énormément d'épices, et il nous sert un plat assez étonnant qui devrait faire recette.
Ce sont des mondes et des cultures qui se chevauchent. Dans une folie "cotillons et serpentins", l'accordéon de la place du Tertre se tire la bourre avec une guitare castillane, le french-cancan émoustille le flamenco, les guêpières et porte-jarretelles encanaillent la quincaillerie soldatesque ; ça chante, ça danse, ça se chamaille, ça flirte... La vie, quoi !
Il y a de superbes tableaux, des costumes magnifiques, des paysages qui défilent et un orchestre "live". Sur scène, tout le monde est bon et tout le monde nous donne réellement l'impression d'avoir énormément de plaisir à s'amuser ainsi.
On est emballé par la qualité des voix : Joan Crosas, Frédéric Longbois, Paco El Lobo, Nina Savary (comment elle chante !) ; on est séduit par la tonicité et la joie de vivre des danseuses ; on est sidéré par la souplesse de contorsionniste du personnage de Valentin le désossé... Les calembours les plus faciles de Jérôme Savary semblent parfois extraits de l'Almanach Vermot, d'autres sont heureusement de meilleur aloi.
Et puis il y a LA Dombasle. Décidément, elle nous surprendra toujours. Elle joue avec son image avec une autodérision et une gourmandise qui frisent la caricature mais n'y tombent jamais. Même quand elle égrène les gauloiseries et les reflexions salaces, elle le fait avec cette distance toute aristocratique qui dresse une barrière devant la vulgarité. Elle est formidablement à l'aise dans tous les styles musicaux, y compris lorsqu'elle emprunte la voix basse et grave de Marlène Dietrich, et sa maîtrise parfaite de l'espagnol et de l'anglais lui autorisent toutes les audaces dans ces deux langues. Savary lui a concocté du sur mesure. Coquine et coquette, Daisy désirable, elle se prête à des tableaux complètement délirants et farfelus comme un magistral ballet des poules qui met la salle en joie, et se permet au passage un petit clin d'oeil au Crazy Horse, cabaret où elle se produisit fort dénudée il y a peu.
Bref, Don Quichotte et l'Angle Bleu est un joli spectacle, un cirque magique et haut en couleurs comme seul Savary sait les imaginer. Mais, je vous le rappelle, il faut venir au théâtre de Paris l'esprit badin avec en tête l'idée de s'y amuser. Et vous ne serez vraiment pas déçu.

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