vendredi 23 mai 2008

Avec deux ailes


Petit Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 42 80 01 81
Métro : Trinité

Une pièce de Danielle Mathieu-Bouillon
Mise en scène par Anne Bourgeois
Décors d'Edouard Laug
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Avec Véronique Jannot (Valentine) et Marc Fayet (Laurent)

Ma note : 7/10

Synopsis : Sur une plage curieusement déserte, une femme au talon de chaussure cassé accoste un homme qui tricote sous un parasol... Valentine vient d'avoir un accident de voiture à quelques mètres de là. Pas grand chose, apparemment, dit-elle, que de la tôle froissée. Bougon, de mauvaise composition, Laurent supporte les babillages incessants de sa visiteuse avant de lui lâcher brutalement la vérité : Valentine a trouvé la mort dans l'accident. Elle est passée de l'autre côté du miroir, dans son après-vie. Et lui, son ange gardien, il a pour mission de l'amener à accepter ce passage dans l'au-delà...

Mon avis : Charmant le décor... Paisible et estival à souhait : un fauteuil de plage qu'abrite un parasol, un petit banc, le bruit des vagues, quelques cris de mouettes... En toile de fond, des panneaux savamment disposés dessinent un joli ciel bleu pastel légèrement troublé par de petits nuages blancs. Bel endroit pour une rencontre...
A part que cette rencontre, elle n'est programmée que par l'un des deux protagonistes, Laurent, jeune homme tout de blanc vêtu qui s'évertue maladroitement à tricoter une ceinture de laine. Valentine, elle, était loin de l'avoir prévue cette rencontre. Elle vient d'avoir un accident et elle attend que l'on vienne dépanner sa voiture endommagée. Tonique et enjouée, Valentine est une sacrée pipelette. Sans le savoir, elle complique bigrement la tâche du pauvre Laurent qui est en réalité un ange gardien "intérimaire" dont la mission est de la prendre en charge et de l'aider à accepter sa nouvelle "vie", sa vie après la mort. Car Valentine n'est plus un être de chair et de sang, elle a brutalement quitté à son insu le monde des vivants.
Le sujet pourrait être scabreux, voire dérangeant. La mort est un thème rarement abordé dans les comédies. Et pourtant, dès qu'on en a compris les tenants et les aboutissants, on prend un réel plaisir à suivre le ping-pong verbal auquel se livrent la défunte et son ange. Le moindre propos, la moindre réflexion nous interpellent. C'est que la mort fait terriblement partie de notre vie à tous. Elle est omniprésente. Et de la voir traitée ainsi, on en serait presque rassuré. Il est sûr que si le passage tant redouté se déroule ainsi, on appréhenderait beaucoup moins !

Les dialogues de ce conte métaphysique plein de sens sont particulièrement brillants. En dépit de la délicatesse du sujet, l'auteure a réalisé la prouesse de traiter son sujet avec beaucoup de légèreté. Et cette légèreté lui permet de faire passer quelques messages profonds. L'histoire a beau être totalement surréaliste, nous sommes en permanence confrontés au réel. Devenue ectoplasme, Valentine n'en a pas moins gardé ses réflexes de terrienne. Elle s'inquiète pour sa famille, regrette de ne plus être là quand sa fille aura à son tour un enfant ; elle a même la curiosité - bien légitime - de vouloir assister à ses propres obsèques. Qui ne le désirerait pas ? On en a tous rêvé... Et Laurent, ce brave ange gardien, doit s'efforcer d'appliquer le règlement interne. Il en va aussi de son avancement. S'il remplit parfaitement sa mission auprès de Valentine, il peut enfin décrocher un CDI.

Autant que sur les dialogues, vifs et pecutants, cette pièce repose sur le jeu totalement complémentaire des deux comédiens. Marc Fayet, avec sa bouille de Pierrot lunaire, son grand corps un peu gauche, campe un ange gardien bien sympathique. Il a certes tendance à se montrer plutôt permissif avec cette âme un peu trop pétulante et souvent rebelle, mais c'est un grand sentimental. Il a bien quelques petits mouvements d'humeur, de brefs gestes d'énervement, mais son immense tendresse reprend toujours le dessus.
Véronique Jannot... Ah, Véronique Jannot ! C'est bien simple, on dirait que ce rôle a été écrit pour elle. Elle EST Valentine. Elle lui apporte sa grâce, son élégance, sa légèreté, son espièglerie et, surtout, sa profonde humanité. Quand on la connaît bien, on sait que tout ce qu'elle prononce est parfaitement en phase avec sa propre philosophie de vie, basée sur l'amour et la tolérance. Ah, ce regard pétillant de joie de vivre (pour une défunte, il faut le faire !), cette spontanéité, cette fraîcheur. Notre monde serait bien beau si les humains avaient en permanence une telle attitude.

Avec deux ailes est donc une pièce emplie de poésie, d'humour, d'amour, de sagesse et d'humanité. Elle contient également une jolie leçon sur la vanité et la relativité des choses. Et on nous y rappelle à bon escient qu'il ne faut surtout pas confondre religion et spiritualité. Que l'on soit croyant ou pas, on se prend à rêver à l'existence d'un tel au-delà. Ce serait un bien aimable prolongement à notre existence...

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