lundi 9 avril 2018

L'être ou ne pas l'être


Le Grand Point Virgule
8bis, rue de l’Arrivée
75015 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Montparnasse Bienvenüe

Du 14 au 22 avril

Une comédie de la Troupe Les Voyageurs Sans Bagage
Ecrite et mise en scène par Mohamed et Oussamah Allouchi
Chorégraphies de Valérie Cornelis et Shakty Malcause
Sons et lumières de Denis Longrée
Costumes d’Anaïs Tossings

Avec Rachid Hirchi (Richard III), Mohamed Ouachen (Catesby), Anaïs Tossings (Lady Anne), Barbara Borguet (Juliette), Nidhal Saadi (Hamlet), Martin Goossens (Shakespeare), Nihale Touati (Ophélie), Yassin El Achouchi (Mercutio), Fionn Pery (Roméo)

L’histoire : Richard III, dictateur avide de pouvoir est prêt à tout pour arriver à ses fins.
Personnage emblématique de Shakespeare, il en veut au dramaturge de l’avoir façonné sous ces traits de caractère. Soudainement assoiffé d’honorabilité littéraire, le tyran décide d’enfermer son créateur afin que celui-ci réécrive son histoire.
Heureusement, Shakespeare peut compter sur l’aide d’autres personnages dont Lady Anne, cheffe des révolutionnaires, ainsi qu’Hamlet et Mercutio qui mettent en place un plan pour faire libérer l’auteur. Au même moment, Juliette est recueillie et adoptée par Richard III qui n’est pas indifférent à ses charmes. Le beau Roméo, quant à lui, revient d’un long voyage au Japon sensé lui faire oublier son amour perdu, Rosaline.
Sur fond d’amour, de trahisons, de loyauté et de soif de pouvoir, la lutte acharnée entre la résistance et le machiavélique tyran peut dès lors prendre place…

Mon avis : On a parfois tendance à oublier que la Belgique est un pays où l’on cultive avec gourmandise le surréalisme et une certaine forme de non-sens. L’être ou ne pas l’être est un ovni particulièrement réjouissant et abouti issu de cette culture.

Photo KOV
 En gros, ce sont trois pièces essentielles de l’œuvre du génie de Stratford-upon-Avon qui sont ici synthétisées : Richard III, Hamlet, prince de Danemark et Roméo et Juliette. De Richard III, les (brillants) auteurs ont conservé Richard, Lady Anne et Catesby ; de Hamlet, ils ont extrait le héros, le spectre de son père et Ophélie ; et de Roméo et Juliette, ils ont gardé les deux tourtereaux et Mercutio… Ils ont donc retenu ces huit personnages emblématiques, ils les ont introduits dans le grand mixer de leur imaginaire fécond, ils ont bien touillé le tout, et il en est sorti un cocktail aussi surprenant que savoureux.

Photo KOV
 Et, hommage leur soit rendu, ils ont réussi le tour de force de respecter l’esprit shakespearien, sauf que, dans cette pièce, cet esprit est un tantinet dérangé. Et encore, c’est un doux euphémisme tant le délire est permanent et les extravagances foisonnent.
Pour qui aime le burlesque quand il est intelligemment traité, cette pièce est un pur bijou. L’idée de départ est subtile : Richard III, qui est fort marri du portrait que Sir William a brossé de lui, décide de l’emprisonner jusqu’à ce qu’il accepte de le rendre beau et sympathique pour la postérité. Voir une créature se rebeller contre son démiurge, c’est un procédé qui a déjà fait ses preuves. L’idée est imparable. On y retrouve tous les ingrédients qui constituent l’œuvre de Shakespeare : la passion, la jalousie (sublime Ophélie !), la trahison, la violence, le surnaturel, la truculence, l’amitié, la soif du pouvoir…

Photo KOV
 Cette pièce est remarquablement bien écrite, dialoguée, mise en scène et interprétée. L’esprit de troupe y règne en maître. La complicité entre les comédiens passe largement la rampe. Leur plaisir de jouer et de donner est communicatif. Tout est prétexte pour faire rire mais avec les apparences du plus grand sérieux. Dans ce registre spécifique qu’est le burlesque, c’est du très haut niveau. On va de surprise en surprise. Gags, jeux de mots, situations grotesques, mime, ralentis, chorégraphies, clins d’œil à l’actualité, parodies, attitudes grandiloquentes et lamentables, anachronismes, postures caricaturales, bouffonneries, excellente bande-son… on a droit à tout. C’est un spectacle total, parfaitement maîtrisé. Il y a une foultitude de moments, de tableaux, de saynètes que je me refuse d’évoquer pour ne pas en gâter la saveur de la découverte.

Photo KOV
 Et puis il y a cette formidable troupe. Ils sont tous épatants ; à fond dans leurs rôles respectifs. Malgré tout, et bien que ce soit un travail choral, il est impossible de ne pas mettre en exergue la performance irrésistible de Mohamed Ouachen dans le personnage de Catesby. Quel éventail de jeu, quelle finesse, quelle inventivité. De Funès sors de ce corps !
En tout cas, pour une troupe de Voyageurs Sans Bagage, on peut affirmer qu’ils en ont un sacré, de bagage, tant sur le plan culturel que dans le domaine de la comédie. Un pur régal !

Gilbert « Critikator » Jouin



Aucun commentaire: