lundi 7 septembre 2015

Olivier Villa


Samedi, j’ai assisté à l’Olympia au spectacle célébrant les quinze ans de scène d’Olivier Villa… Je dois reconnaître avoir passé une excellente soirée. Pour avoir écouté ses albums, je savais Olivier doté d’une très belle voix et qu’il était un bon auteur doublé d’un mélodiste de grand talent. J’ai découvert hier un artiste complet qui occupe la scène avec une aisance et naturel.
Avec ses nombreux invités, ce spectacle prenait parfois des allures d’auberge espagnole. Il y avait un côté artisanal et amateur (dans le sens noble du terme) qui apportait le charme supplémentaire de l’imprévu. Pour que cet anniversaire soit à ses yeux réussi, Olivier Villa, non content d’interpréter une vingtaine de ses chansons, avait tenu à partager SA scène avec des gens qui avaient compté pour lui durant ses quinze années de pérégrinations. Visiblement le garçon a du cœur. Il a géré tout ce petit monde hétéroclite avec humour, gentillesse et beaucoup de chaleur humaine.
Nous avons ainsi pu voir à ses côtés des individus pour le moins pittoresques, voire caricaturaux, mais sincèrement habités par les chanteurs dont ils reprennent le répertoire. En même temps, nous avons vécu quelques authentiques moments de grâce comme la prestation d’Alexandre Chassagnac, un ancien caporal-chef de l’armée française bardé de décorations venu chanter en uniforme un air d’opéra. Sa facilité à passer du grave aux aigus a tellement subjugué la salle qu’il a eu droit à une standing ovation spontanée… Jolies prestations également de Richard Sanderson (Reality), de Jean-Jacques Lafon (Le Géant de papier), de Mario Hoffman et son jazz manouche et du groupe Wazoo pour son énergie festive…


Olivier Villa mérite vraiment qu’on se déplace pour aller le voir et l’écouter. C’est un vrai passionné de chanson française. Il voue respect et admiration à tous ceux qui lui ont donné l’envie de faire ce métier, les Brassens, Gainsbourg, Montand, Lama, Dassin, Delpech… En cela, il ressemble beaucoup à son père, Patrick Sébastien. Il lui ressemble également pour son sens de la convivialité et de l’amitié, son goût pour la fête, son langage parfois cru. Et il lui ressemble aussi de plus en plus physiquement (mimiques, attitudes, sourire, tics…)
Olivier Villa est un homme de scène, dynamique, partageur et généreux. Mais c’est aussi un garçon hypersensible qui aborde dans ses chansons des sujets délicats (la vieillesse, l’adultère), tendres (ses racines, sa grand-mère). Il sait trouver les mots qui touchent sans la moindre mièvrerie.
Enfin, il ne faut pas se voiler la face : faire l’Olympia est plus pour lui une occasion symbolique de faire la fête et de remercier ses compagnons de route et ses fans (et il en a !) que la concrétisation d’un quelconque plan de carrière. Il eût sans doute préféré que le célèbre music-hall parisien soit implanté sur ses terres de Juillac, en Corrèze. Là, il se serait vraiment senti chez lui. Comme il le chante lui-même, Olivier Villa est Hors cadre. En clair, il n’a pas le ticket (et ne le désire visiblement pas) qui vous accrédite pour faire partie du petit monde du showbiz parisien. Il est un chanteur de villages. Ses grosses limousines ne dorment pas dans le garage d’un confortable loft, elles s’ébattent dans les prairies qui bordent sa chère Dordogne…
Bref, Olivier Villa est un artiste, un vrai, un pur, un authentique.


Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 4 septembre 2015

Les Voeux du coeur

Théâtre La Bruyère
5, rue La Bruyère
75009 Paris
Tel : 01 48 74 76 99
Métro : Saint-Georges

Une pièce de Bill C. Davis
Adaptation française de Dominique Hollier
Mise en scène par Anne Bourgeois
Décor de Sophie Jacob
Lumières de Jean-Luc Chanonat
Costumes de Brigitte Faur-Perdigou
Avec Julien Aluguette (Brian), Bruno Madinier (Le Père Raymond), Davy Sardou (Tom), Julie Debazac (Irène)

Présentation : Brian et Tom veulent vivre leur amour au sein de leur église, mais ils se heurtent au refus du Père Raymond. Quand Irène, la sœur de Brian, cherche à le convaincre, le prêtre se trouve à son tour confronté à un choix qui bouleverse ses convictions. Quatre vies, quatre dilemmes : amour, conscience, sexualité, foi… En sortiront-ils tous indemnes ?

Mon avis : Le titre original de cette pièce est « Avow », ce qui signifie « se déclarer, avouer, admettre »… Il est, à mon avis, en dépit de sa concision, plus explicite que le titre français. En effet, il suffit de prendre ces trois termes dans leur ordre pour en résumer la mécanique. Elle commence en effet par une déclaration immédiatement suivie d’un aveu de la part de Brian et Tom, charge ensuite au Père Raymond d’admettre… ou pas.
Une fois de plus, Bill C. Davis nous propose une pièce dans la lignée de L’Affrontement puisqu’il y est question du traitement de la Foi et de l’application d’un dogme mais, cette fois-ci, face à la force de l’Amour. Le talent de cet auteur c’est de savoir nous happer, nous captiver et nous faire réfléchir autour d’un problème de conscience universel traité à travers le prisme de la religion catholique, un problème sérieux et grave, comme ici le mariage entre homosexuels, tout en nous faisant beaucoup rire. Il y a en effet énormément de virtuosité dans son écriture et dans ce qui en découle, le jeu des acteurs. Bill C. Davis pratique habilement l’art de la rupture. Il met les choses à plat. Les arguments avancés par le Père Raymond sont irréfutables. Pas un seul instant, son honnêteté de peut être suspectée. Puis, insidieusement, il introduit dans le fruit compact qu’est le dogme le ver des sentiments. Ce ver va-t-il être assez vorace pour altérer l’intangibilité du Sacré ?

Les Vœux du cœur mettent en présence quatre personnages dont, grâce au talent de dialoguiste de Bill C. Davis, on saisit très vite la psychologie. Brian et Irène, en bons frère et sœur qu’ils sont, possèdent un caractère semblable. Ils sont tous deux entiers, provocateurs et francs. Face à un Brian exalté, passionné, impulsif et radical, Tom est beaucoup plus posé et mesuré. Il est habité par le doute et se laisse d’autant plus ronger par lui que le Père Raymond l’a avivé avec certains de ses propos. Mal dans sa peau, ne sachant où est sa place, il ne cesse de se poser des questions pour essayer de trouver SA vérité.
Au début de la pièce, le Père Raymond n’a pas de problème. Il se contente d’appliquer la position édictée par le Vatican. Pour lui, c’est tout simple. Jusqu’à ce qu’il rencontre la sœur de Brian. Ses convictions, sa belle sérénité, vont soudain être mises à mal et vaciller…


Vous l’aurez compris, cette pièce peut se résumer à « tempête sous quatre crânes » et « tumultes dans quatre cœurs ». Les quatre protagonistes de cette dramatique sont traités à part égale. D’où quatre rôles très forts magistralement interprétés par quatre comédiens absolument épatants.
Honneur aux dames, Julie Debazac tient là un rôle en or. Elle, elle n’a pas de problème avec la religion puisqu’elle ne croit plus depuis belle lurette. Des pêchés, elle peut en confesser une ribambelle, et non des moindres. Elle est cash, irrévérencieuse, pratique un langage peu châtié et haut en couleurs. Ses saillies sont aussi redoutables que croustillantes. Son franc-parler agit comme autant de coups de boutoirs dans le pont-levis de la forteresse que le Père Raymond tente d’interposer entre elle et lui. On attend chacune de leurs confrontations avec un plaisir gourmand tant on sait combien elles vont être ravageuses.
Bruno Madinier hérite lui aussi d’un rôle complexe car il est évolutif. C’est un rôle qu’il faut restituer avec beaucoup de finesse. Après s’être cantonné dans une attitude à la Ponce Pilate (« Il y a quelque chose d’humble et héroïque à obéir »), il va bien falloir qu’il prenne des décisions qui soient en harmonie avec sa foi et avec sa conscience. Pas facile quand le péché a la silhouette, le piquant, la sincérité et le pouvoir de séduction d’Irène…
Julien Aluguette, que j’avais découvert dans Equus et qui m’avait alors déjà fait forte impression, possède une énergie, une fougue et une authenticité qui forcent l’admiration. Son personnage ne prend pas les chemins de traverses. Lui, il est sur une autoroute et il fonce. Il ne comprend pas ces clampins qui hésitent et qui musardent. Comme sa sœur, il est cash. Dans ses sentiments comme dans ses mots. Et, toujours comme elle, il dégage sans en jouer énormément de charme et de sensualité.
Enfin, Davy Sardou confirme de pièce en pièce qu’il peut tout jouer. Il aborde cette fois un nouveau registre, beaucoup plus basé sur la sensibilité, la raison, le questionnement. Ce qui ne l’empêche pas de lâcher ça et là quelques réflexions ou observations particulièrement senties et souvent très drôles. C’est lui qui a le rôle le plus délicat. Ses doutes, qu’il exprime avec limpidité, nous le rendent encore plus attachant. Avec la richesse de sa palette de jeu, il fait partie désormais des comédiens qui comptent dans notre théâtre hexagonal.

En conclusion, Les Vœux du cœur est une pièce avant tout intelligente. Elle aborde un thème moderne en en étudiant tous les angles. Il y a du suspense, de l’émotion, de la tension et beaucoup, beaucoup d’humour. C’est une pièce qui parle de l’Amour sous toutes ses formes, une pièce forte qui ne juge pas. Je formule donc le vœu – forcément pieux – qu’elle rencontre le succès qu’elle mérite.
Mais si les voies du Seigneur sont impénétrables, celles qui mènent au théâtre La Bruyère sont, elles, ouvertes et parfaitement praticables. Alors, empruntez-les !

Gilbert « Critikator » Jouin


mercredi 2 septembre 2015

Je ne veux pas mourir idiot

Théâtre Déjazet
41, boulevard du Temple
75011 Paris
Tel : 01 48 87 52 55
Métro : République

Ecrit par Georges Wolinski, Claude Confortès, Philippe Ogouz et Georges Beller
Mise en scène de Claude Confortès
Avec la collaboration d’Anne Bourgeois
Chansons d’Evariste
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Avec Georges Beller, Philippe Ogouz, Séverine Ferrer, Hadrien Berthaut, Guillaume Edé et Fabien Martin (chant)

Présentation : Le théâtre Déjazet présente la pièce Je ne veux pas mourir idiot de Georges Wolinski et Claude Confortes, avec le concours des principaux protagonistes de sa création en 1968.
Comme dans ce titre prémonitoire, Wolinski ne disait-il pas : « Après les années 70, plus rien de sera pareil « ?
1968… Quarante-sept ans plus tard, cette pièce est toujours un symbole de liberté d’expression et du refus de la perdre…
Elle met en scène d’un côté une étudiante, un jeune ouvrier et un guitariste qui veulent faire la révolution, et de l’autre les partisans de l’ordre qui ordonnent les coups de matraque.

Mon avis : Sortie en octobre 1968, la BD de Georges Wolinski, Je ne veux pas mourir idiot, a été adaptée au théâtre deux mois plus tard. C’est dire si on était réactif en ce temps-là !
Après avoir vu cette pièce hier soir, soit 47 ans plus tard, je me suis dit qu’il n’avait pas été inutile de la ressortir. D’abord pour rendre hommage à son créateur, Georges Wolinski, dont je n’arrive pas à me faire à l’idée de sa disparition aussi insupportable le 7 janvier dernier. Des gens comme lui ne seront jamais morts car ils laissent une œuvre qui nous les rend toujours proches.
Ensuite, je dois avouer que je me suis délecté à entendre moult sentences et autres aphorismes qui n’ont pas pris une ride et qui possèdent encore une résonnance aujourd’hui. N’entend-on pas en ouverture de la pièce le Général de Gaulle évoquer la crise qui menace en présentant ses vœux de nouvelle année 1968 ? C’est troublant. D’autant qu’entre les vœux du Président et la sortie de la BD de Wolinski, ont eu lieu les fameux « évènements » de mai 68, évènements qui servent bien sûr de toile de fond à l’ouvrage.

Photo : Baumann/Sipa
Autre attrait de cette reprise, c’est la présence sur scène de deux comédiens qui avaient participé à sa création à l’époque, Philippe Ogouz et Georges Beller, lesquels ont également joué l’année suivante dans une autre adaptation de Wolinski, Je ne pense qu’à ça. C’est dire si ces deux là sont on ne peut plus légitimes… Leur présence permet ainsi je jouer de façon bien plus crédible au conflit des générations opposés qu’ils sont à deux spécimens de ceux qui se trouvaient dans la rue en mai 68, les ouvriers, symbolisés ici par Hadrien Berthaut, et les étudiants, représentés ici par Séverine Ferrer. Ajoutez-y un indispensable CRS répressif (pléonasme) et, pour faire un copié-collé avec l’original, un chanteur qui reprend les chansons créées à l’époque par Evariste.

Le casting est irréprochable. Georges Beller en tête. Le personnage qu’il campe, un journaliste dandy et totalement à côté de la plaque, est savoureux à souhait. Faux-cul, minable, sentencieux, velléitaire, cauteleux… Il est par-fait. Ses tirades avec « Si j’étais riche… » en leitmotiv et sa façon de les exprimer, sont un délice de gourmet… Philippe Ogouz personnifie l’ordre, le consensus et la raison. Il compose le réac type. Il est frileux, il craint de perdre ses avantages acquis, il se méfie des jeunes. Il est impeccable.

Photo : Delalande Raymond/Sipa
Chez les jeunes, Séverine Ferrer confirme encore son talent de comédienne tout terrain. Débordante de fraîcheur et d’une sensualité plus naturelle que recherchée, elle est tout à fait à sa place dans ce personnage d’étudiante pimpante, naïve et exaltée. Son esprit de rébellion, spontané et insouciant, colle complètement à celui des filles de cette époque qui découvraient la liberté. C’est une sorte d’Esmeralda estampillé seventies qui attise aussi bien la libido des jeunes Phoebus que celle des Frollo sur le retour… Hadrien Berthaut campe avec fougue et idéalisme un ouvrier qui a faim de tout : de liberté, d’égalité, de sexe. Il veut croquer la vie à pleine dents.
Guillaume Edé est un CRS à peine caricatural. Il est tellement eux ordres et ancré dans sa soumission à l’autorité – donc sans jugement personnel – qu’on en viendrait presque à excuser son comportement.
Quant à Fabien Martin, avec sa bouille de Pierrot sympathique, il lui échoit finalement la tâche la plus délicate car, hormis la chanson-titre Je ne veux pas mourir idiot, sa partie est celle (la seule) qui a mal vieilli. La poésie décalée d’Evariste n’est plus au goût du jour et elle nous paraît bien mièvre en regard du bouleversement social qu’allait déclencher mai 68.

Enfin, le texte de la pièce est saupoudré de phrases qui fleurent bon l’anthologie, voire le culte, du genre : « J’ai gagné ma vie grâce à mes concessions », ou « Si la jeunesse d’aujourd’hui pouvait avoir notre esprit d’avant-guerre… » et « Pas besoin d’avoir fait des études pour apprendre à réfléchir »… Et il y en a des dizaines d’autres, particulièrement dans la bouche du personnage que joue Georges Beller.
Bref, il n’y aurait pas, omniprésente dans nos esprits, la tragédie de Charlie Hebdo, notre plaisir à (re)découvrir cette pièce serait total. C’est une excellente et noble initiative que de l’avoir reprise.


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 29 août 2015

Fannie Flagg "La dernière réunion des filles de la station-service

Cherche Midi
19,80 €


Le terme qui me vient immédiatement en tête à la lecture de cet ouvrage est « délicieux »…
Fannie Flagg confirme amplement ses immenses talents de conteuse.
C’est un livre écrit par une femme pour les femmes. Qu’elles sont belles et attachantes ses héroïnes !
Ici, l’auteure nous emmène dans deux histoires parallèles. Une, celle de Sookie, se déroule en 2005… La seconde, celle de Fritzi et de sa famille, couvre la première moitié du vingtième siècle.
Il se dégage de ce roman une atmosphère emplie de fraîcheur, de légèreté, de générosité et empreinte d’une grande humanité. Tous les personnages sont positifs, pleins de vie et d’amour pour les leurs et aussi pour les autres.
Certes, on peut trouver parfois chez Sookie une trop grande naïveté et une certaine loufoquerie. Mais la brutale nouvelle de sa vraie filiation à 60 ans, est pour elle un véritable traumatisme. Soutenue par son admirable mari, elle va se lancer à la recherche de ses racines et remonter ainsi le temps.

Au-delà de ce parcours initiatique à l’envers, cet ouvrage prend énormément de profondeur en raison de son aspect sociétal, avec l’intégration des émigrés polonais, et de sa toile de fond historique avec l’engagement des femmes dans l’US Air Force comme pilotes. C’est cet habile mélange de fiction construite sur des faits réels qui fait que ce livre est si réussi. Dès qu’on en a lu les premières pages, on est happé, et on n’a de cesse que de savoir quand et comment les deux destins parallèles de Sookie et de Fritzi vont se rejoindre. C’est d’une efficacité redoutable.
On referme ce livre avec le sourire en se disant que le monde serait formidablement agréable à vivre s’il était composé de tels personnages portant de telles valeurs.

A l’instar de Beignets de tomates vertes, La dernière réunion des filles de la station-service ferait (fera ?) un excellent film.

vendredi 14 août 2015

Christelle Chollet "Comic-Hall"

Grand Point Virgule
8bis, rue de l’Arrivée
75015 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Montparnasse-Bienvenue

Ecrit et mis en scène par Rémy Caccia
Lumières d’Erwan Champigné
Chorégraphies d’Odile Bastien
Musiciens : Raphaël Alazraki (guitare), Pascal Miconnet, Jérémie Jougniaux (piano)

Présentation : Au début de sa carrière, Christelle Chollet rêvait de faire de la comédie musicale. Elle a passé des dizaines d’auditions, mais n’a jamais été engagée : trop déjantée, trop blonde, trop drôle, trop musclée, trop rebelle, trop décolletée bref, trop, trop…
Pour son troisième one woman show, elle réalise son rêve en créant sa propre comédie musicale : très déjantée, très blonde, très drôle, très musclée, très rebelle, très décolletée bref, très, très…
Comic-Hall, c’est tout Broadway dans 1 m 60 et 48 kilos !

Mon avis : Le tandem Rémy Caccia et Christelle Chollet a encore frappé. Et frappé fort, très fort… Rémy dans l’ombre et la plume à la main ; Christelle dans la lumière et la plume… Et bien non ! La blonde hypertonique a délaissé short, blouson, boa et fanfreluches pour une très élégante queue-de-pie. LA CLASSE…
On se demandait, après ses deux précédents spectacles à succès, dans quel univers elle allait cette fois nous emmener. Elle nous l’apprend dès son entrée en scène. Frustrée de s’être faite bouler aux nombreux castings de comédies musicales auxquels elle s’était présentée, et bien et a décidé de se l’offrir toute seule SA comédie musicale. Toutes frisettes dehors, elle ne nous laisse pas languir. Elle attaque carrément par un gros morceau : New York, New York. Ça lui permet de nous prouver d’emblée qu’elle possède un organe hors du commun en poussant la note à des hauteurs à faire pâlir Liza Minnelli herself. Après cela, la barre vocale ayant été placée tout en haut, elle n’a plus besoin de verser dans la démonstration ou de chercher la performance à tout prix. Cueillis à froid, les spectateurs connaissent le grand frisson dès les préliminaires. Ils sont conquis, ils sont acquis. La Chollet peut désormais s’amuser avec eux et les emmener là où elle veut.

Entourée de deux musiciens héroï-comics, elle va nous raconter sa vie pendant près de deux heures. Pas très autobiographique sa vie. Elle mélange avec ses expériences personnelles avec quelques destinées célèbres. Elle se permet quelques petites licences en inventant une sorte de conte fantastique. Telle le Petit Poucet dans les bois, elle nous balade en semant ça et là une kyrielle de petits détails qui sont pour nous autant de facétieux repères. Des figures familières surgissent au détour d’un arbre. Certaines appartiennent à notre patrimoine enfantin, d’autres sont tout à fait contemporaines. Chaque chemin emprunté possède son tableau d’affichage, sa thématique. C’est après qu’elle emprunte moult sentiers de traverse. Vous, sentiers ? J’en suis fort aise. Et bien chantez maintenant ! Et elle chante. Elle chante en explorant les genres. Comme elle excelle dans tous les registres, elle nous fournit un programme très éclectique. Personnellement, je ne la trouve jamais aussi bonne que dans le répertoire jazzy-swing et dans les ballades. Là, elle me fait toucher le ciel. Pourtant, elle s’avère tout aussi efficace en confrontant plusieurs générations de rappeurs ou dans la bonne vieille chanson française. Mais elle n’aime rien tant que de dénaturer, de s’aventurer là où on n’oserait pas l’attendre. Faire du Guy Béhard rock par exemple… Ou d’hispaniser Mylène Farmer.

Christelle Chollet et Rémy Caccia
Le texte de Rémy Caccia est très intelligent, très malin, truffé de bonnes idées. Il fait montre d’un sens de l’observation très aigu, satyrique, impertinent, et même vanneur. Et toujours drôle. Christelle sait le mettre en valeur avec ses dons de comédienne, son sans de la rupture, son œil qui, comme son cheveu, frise, son sourire tour à tour mutin et enjôleur. Christelle Chollet est une fille facile. Dans le sens noble du terme. Facile en ce sens où elle sait tout faire en donnant l’impression que c’est naturel. Et pourtant, il y en a du travail en amont ! Le terme « bête de scène » est hélas tellement galvaudé, c’est cependant le plus précis que l’on puisse employer pour qualifier sa performance. Tant sur le plan physique que vocal.

Elle est parvenue à un stade où il est temps désormais d’envisager de métamorphoser son nom en « Christelle Showllet ». L’aspect show est tellement évident, confondant, jouissif. Comic-Hall est un spectacle total. Tout le monde, toutes générations confondues, y trouve son compte ; et son conte aussi.
Je ne veux pas en dévoiler plus. Sachez que Christelle peut passer sans transition d’un grand moment de folie pure à une plage d’émotion intense. Dans le premier cas, on se poile, dans le second, on les a grave, les poils…
Je me refuse à être complaisant. J’ai toujours essayé d’être honnête, objectif et sincère dans mes jugements. Mais ça fait belle lurette que je suis devenu un inconditionnel de cette jeune femme pétulante, touchante, généreuse, infiniment drôle et monstrueusement talentueuse. Elle me surprend et me ravit à chaque spectacle. Et pourtant, je la cherche la petite bête. Là, une fois encore, je n’ai trouvé qu’une formidable bête de scène…


Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 8 août 2015

Quitte ou double

Comédie de Paris
42, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 42 81 00 11
Métro : Blanche / Pigalle

Comédie écrite par Jeff Didelot
Mise en scène par Dominique Mérot
Avec Hélène Derégnier (Laure), Philippe Gruz (Jean-Pierre), Jeff Didelot (Arsène)

Présentation : La vie est une partie de poker.
Un anniversaire de mariage qui se passe mal… Un invité de dernière minute… Aux révélations sulfureuses vont succéder les trahisons les plus honteuses…
Dans cette partie où se mêlent argent et sentiments, personne ne jouant vraiment carte sur table, les bluffés ne sont pas toujours ceux que l’on croit !

Mon avis : Pour bien apprécier cette comédie, il faut aimer le jeu. Le jeu sous toutes ses formes. Et, plus particulièrement les jeux de l’amour et du hasard. Ici, ils ne sont pas vraiment compatibles. En effet, Comment Laure pourrait-elle sentimentalement faire confiance à son mari Jean-Pierre, joueur de poker invétéré, qui les a mis sur la paille alors qu’il était à la tête d’une société florissante et que, pendant six-sept ans, ils ont connu la belle vie ? Même s’il lui a promis de ne plus toucher une carte depuis trois ans, le doute subsiste. Il faut reconnaître que Jean-Pierre cumule les vices. En plus de son addiction au jeu, il est menteur (ce qui est utile au poker mais pas en ménage) et volage. C’est un peu le mufle étalon. Quoi que le terme « étalon », d’après son épouse, ne soit pas celui qui lui convienne le mieux… Lassée par les frasques de Jean-Pierre, Laure a décidé que leur dixième anniversaire de mariage serait le signal de l’hallali. Mais, comme dans toute bonne comédie, les choses ne vont pas se passer comme prévu car un troisième personnage va faire irruption et le jeu de construction bien ajusté de la jeune femme va se transformer en chamboule-tout…

Photo : Fabienne Rappeneau
Un peu contre le cours du jeu, Laure va devoir endosser le rôle de dame de cœur et participer tant bien que mal à ce poker menteur entre un valet qui a perdu tout son trèfle et un roi qui pique son argent. Chacun cache plus ou moins bien son jeu d’autant que, désormais, sur le tapis, il n’y a pas que de l’argent car deux d’entre eux veulent aussi miser sur leur pouvoir de séduction.
Pour jouer cette partie à trois, il y a sur scène un brelan de sacrés bons comédiens. Jean-Pierre (Philippe Gruz) et Arsène (Jeff Didelot), totalement dissemblables, forment une belle paire. Leurs différences, et physiques et psychologiques, sont un des atouts de cette comédie et la rendent crédibles. Philippe Gruz joue à la perfection le mec pitoyable, veule, cachottier. Pris au piège de ses dettes de jeu et voulant se refaire in extremis, on peut dire que c’est un gros acculé… Quant à Jeff Didelot, lui, il a le beau jeu. Il joue gagnant-gagnant sur tous les tableaux. Aux yeux de Laure il est l’as des as. Autant son mari lui semble mièvre et inconsistant, autant Arsène lui paraît carré… Hélène Derégnier déploie tout au long de la pièce un très large éventail de jeu. Quelle panoplie ! Elle maîtrise parfaitement tous les paramètres de l’art de la comédie. Elle peut se montrer avec autant de véracité naïve, rouée, coquine, victime, touchante, ridicule, conquérante et, surtout, très, très drôle… Elle a toujours le ton juste.

Photo : Fabienne Rappeneau
Enfin, il y a le texte de Quitte ou double. Il repose évidemment sur les dialogues. On y retrouve la patte de Jeff Didelot. Les échanges sont vifs, souvent acides ; les jeux de mots abondent (il y en a deux ou trois qu’il pourrait éviter, mais il y a de jolies trouvailles), C’est truffé de sous-entendus équivoques et d’insinuations un tantinet salaces (normal, on est entre adultes de plus en plus consentants). On y retrouve également son appétence pour un name dropping de bon aloi et les clins d’œil à l’actualité.
Bref, lorsqu’on assiste à cette pièce à la Comédie de Paris, on a plus envie de « doubler » nos encouragements que de « quitter » la salle. C’est plaisant, sympathique, on ne se prend pas la tête. Un bon spectacle d’été, quoi…


Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 6 août 2015

Rue de la Belle Ecume

Théâtre Déjazet
41, boulevard du Temple
75003 Paris
Tel : 01 48 87 52 55
Métro : République

Spectacle musical d’après une idée originale de Christian Faviez
Ecrit par Christian Faviez
Composé par Philippe Brami
Arrangé et dirigé par Roland Romanelli
Musiciens : Roland Romanelli ou Pierre Polvèche (accordéon, piano et accordina), Jeff Mignot ou François Combarieu (guitare)
Chant et comédie : Emily Pello, Laurent Viel
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Voix de la radio : Patrice Laffont

Présentation : Rue de la belle écume, le spectacle qui revisite la chanson française…
En ces temps pas si lointains, à la fin du disque, le bras se retirait. Le personnage de la chanson se retrouvait alors seul dans le noir du vinyle. Mais il était là ! Plus vrai que vrai, indubitablement vivant par la grâce et le talent de son créateur. Il était gravé à jamais dans le sillon de la conscience collective.
Un poète meurt, pas sa poésie !
Ce spectacle donne la parole aux personnages de chansons. Comme Proust se souvient de la madeleine, la Madeleine se souvient de Brel ; l’Aigle Noir chante sa rencontre avec Barbara ; le Gorille de Brassens a fait des petits et la Jolie Môme de Ferré a vieilli… Ainsi va la vie de l’autre côté de la réalité comme elle va de ce côté-ci…

Mon avis : Je suis de ceux qui pensent que Guy Béart s’est fourvoyé en affirmant qu’il n’y avait « plus d’après à Saint-Germain des Prés ». Je me range plutôt du côté de Charles Trenet qui proclame si justement que «  longtemps, longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues ». C’est tout à fait ce qui se passe plus précisément dans la rue de Belle Ecume, quartier populaire bien éloigné du microcosme germanopratin. D’une part hier et aujourd’hui y font bon ménage, mais on y célèbre également avec passion le culte de « l’après ».
Non seulement on y entretient un amour fervent pour nos plus grands artistes et pour les chansons qui sont à jamais rangées dans le grand juke-box de notre patrimoine, mais on y a eu la magistrale trouvaille de faire revivre les personnages qui en étaient l’âme.

Quelle superbe idée que de redonner vie à la Madeleine que Brel a attendue en vain. Le tram 33 a continué sa route sans eux et les frites chez Eugène ont refroidi dans leur assiette. Aujourd’hui, celle-qui-n’est-pas-venue a 75- ans et elle raconte la vie qu’elle a eue loin du Grand Jacques… Et cette coquine de Paulette, la fille du facteur, qui faisait tourner les têtes et tirer la langue à ses cinq prétendants en pédalant plus énergiquement qu’eux, elle se souvient bien de cette époque pleine d’insouciance et de son petit préféré, Ivo…
Cet astucieux procédé, on peut le décliner à l’envi. Rue de la Belle Ecume, on se contente d’en développer une douzaine. Mais quelle douzaine : Brel, Piaf, Ferré, Brassens, Vian, Trenet, Dalida, Montand, Fernandel, Barbara, Bécaud, Aznavour. Et quelles chansons aussi ! De celles qui comptent, qui ont marqué, marquent et marqueront plusieurs générations.

Je me suis senti bien Rue de la Belle Ecume. Il y flotte le doux parfum de la nostalgie. On ressent l’émotion partagée de tous ceux qui y ont fait halte pour un soir. Mais on y rit aussi. Je pense que Tonton Georges eût follement apprécié de savoir que la brève idylle d’un soir à l’abri d’un « maquis » entre son Gorille et le juge a eu un fruit… En revanche, Fernandel eût sans doute moins apprécié la propre version de Félicie à propos de leur soirée. Il n’y tient pas le beau rôle. La vengeance a posteriori de la jeune Bourguignonne est aussi savoureuse que légitime. C’est bien d’avoir un deuxième son de cloche…
Et ainsi de suite… Chaque chanson possède son épilogue et il ne faut pas tout dévoiler car la Rue de la Belle Ecume est peuplée de gentils fantômes.

Cette « écume » qui vient nous rafraîchir les idées est en fait celle qui, portée par la bise, vient de la Mer de Charles Trenet pour humecter délicatement les plages de nos chers vieux vinyls. Ecume des jours pour laver l’honneur du Déserteur de Vian ; écume des nuits pour permettre à un Aigle Noir de tenter d’apaiser les élancements d’une horrible blessure…

Je n’ai guère que deux petits (minuscules) reproches à adresser à l’auteur, Christian Faviez. Tous ses textes sont impeccables. Mais, en bon pinailleur que je suis, j’aurais aimé que Madeleine nous explique plus en détails pourquoi elle n’est pas venue au rendez-vous… Et puis je pense qu’il eût été plus poignant que les confidences de L’Aigle Noir évoquent plus explicitement le drame qui a amené Barbara à écrire cette métaphore…


Mais, si notre passage Rue de la Belle Ecume nous laisse au cœur et à l’âme un souvenir encore plus profond, on le doit surtout à un quatuor d’artistes absolument épatants. Pierre Polvèche et François Combarieu, les deux musiciens qui officiaient hier à la place de Roland Romanelli et Jeff Mignot sont en tout point remarquables.
Et puis il y a les deux chanteurs. J’avoue avoir pris une claque. Pour paraphraser André Manoukian : « Ils m’ont fréquemment fait dresser les poils »… Tous deux, très complices et complémentaires, possèdent des voix rares, une diction parfaite et un sens aigu de la comédie… Laurent Viel est un artiste de music-hall complet. Il est sensible, drôle, totalement habité par ses personnages, très à l’aise avec son corps. J’avais déjà assisté à ses tours de chants et il n’a fait que confirmer l’immense talent que je lui connaissais.
Quant à Emily Pello… Ah, Emily ! Je suis tombé sous le charme. Elle a une présence, une prestance et un tempérament absolument étourdissants. Non contente de faire ce qu’elle veut avec sa voix, de nous émouvoir ou de faire le pitre, elle dégage une sensualité qui aurait indubitablement séduit Brassens. Sa « Vénus callipyge », c’est elle.

En conclusion, si vous ne savez pas où aller dans Paris en ce mois d’août, courez Rue de la Belle Ecume au Déjazet. Vous y vivrez sincèrement un grand moment d’émotion et de plaisir purs…


Gilbert « Critikator » Jouin