mercredi 15 juin 2016

Un été 44

Comédia
4, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 38 22 22
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Du 4 novembre 2016 au 26 février 2017
Puis en tournée dans toute la France

Spectacle musical écrit et composé par Michel Amsellem, Charles Aznavour, Erick Benzi, François Bernheim, Alain Chamfort, Yves Duteil, Jean Fauque, Jean-Jacques Goldman, Joëlle Kopf, Maxime Le Forestier, Guy Lachella, Sylvain Lebel, Florent Lebel, Christian Loigerot, Claude Lemesle, Jean-Pierre Marcellesi, Nérac, Christian Vié
Livret d’Anthony Souchet et Valéry Zeitoun
Mise en scène d’Anthony Souchet
Lumières de Jacques Rouveyrollis

Avec Philippe Krier (Hans Spiegel), Nicolas Laurent (Petit René), Tomislav Matosin (Willy O’Brien), Barbara Pravi (Solange), Alice Raucoules (Yvonne), Sarah-Lane Roberts (Rose-Marie)

Présentation : Six jeunes anonymes civils et militaires vont se croiser lors d’un « road movie » que les mènera de la Normandie à Paris.
Certains vont vivre des histoires d’amour inspirées de faits réels, d’autres vont découvrir les « Rochambelles », le commandant Kieffer ou encore les fameux pianos Victory kaki taillés pour débarquer et faire découvrir le jazz à l’Europe.
La découverte d’histoires méconnues sur cette période si connue et si passionnante.
Un été 44 ne raconte pas la guerre mais comment nous sommes passés de la barbarie à la liberté en l’espace de trois mois…

Mon avis : Hier avait lieu au Comédia le showcase présentant Un été 44, le spectacle musical qui va y débarquer (je sais, le jeu de mot est facile, mais je me dépêche de le faire maintenant avant qu’il ne fleurisse un peu partout) à partir du 4 novembre.
Un vrai coup de cœur !
Tout m’a plu et à tous les niveaux.
Ce qui m’a le plus séduit dans le scénario exposé par Valéry Zeitoun, producteur et co-auteur, c’est que cette histoire met en avant des anonymes, des citoyens lambda qui vont se retrouver confrontés à ce drame planétaire que fut la guerre 39-45, et y prendre part à leur façon. Ils ont entre 17 et 26 ans, ils viennent d’horizons et de milieux différents et ils vont tenter de participer à la hauteur de leurs moyens à la reconquête de la liberté.


Ce qui est bien, c’est que pour incarner ces héros de l’ombre, on a fait appel à des artistes pas encore très connus. Ici, pas de tête d’affiche, pas de nom ronflant. Juste un groupe de sept jeunes gens qui se sont investis dans leurs personnages et se les sont appropriés. Nous, en tant que public, on ne focalise pas sur untel ou unetelle, on se contente de suivre leur parcours souvent chaotique, pris qu’ils étaient dans ce tourbillon infernal qui a suivi le Débarquement… Autre aspect positif : on se sent partie prenante avec eux. Le transfert est inévitable car on ne peut que s’identifier à eux et se projeter 72 ans en arrière. Qu’aurions-nous fait si nous avions été à leur place ? Comment nous serions-nous comportés face à l’horreur et à l’indicible ? Comme nous n’avons pas la réponse, autant s’attacher aux aventures de Solange, Yvonne, Rose-Marie, Willy, Hans, Petit René et Jean.


Autre atout, et non des moindres : la qualité des auteurs et compositeurs qui ont écrit les 24 chansons qui illustrent ce spectacle. Ce n’est pas un générique, c’est un hit-parade ! D’Aznavour à Goldman en passant par Le Forestier, Chamfort, Duteil, Lebel, Lemesle, Benzi… Que du lourd. Que des confectionneurs de tubes. Comme l’éventail est large, on trouve toutes sortes de mélodies et d’ambiances. Ça va du swing à la ballade, de la gaîté à la mélancolie.

Et nos petits jeunes, visiblement pas complexés pour un sou, s’en sortent admirablement avec ces chansons qui sont devenues les leurs, leur histoire. Sincèrement, le casting est parfait. Les trois jeunes femmes son épatantes ; jolies, normales, féminines, naturelles, fragiles et séductrices, inquiètes et conquérantes, matures et primesautières, insouciantes et responsables… Côté garçons, l’éventail est bien choisi. Un GI, un soldat allemand et deux Français. Si j’ai été particulièrement impressionné par la voix rocailleuse de Tomislav Matosin, je suis déjà convaincu que le jeune Nicolas Laurent, 17 ans, dans le rôle de Petit René, va être rapidement la coqueluche de toutes les adolescentes.


Avec ces petites histoires vécues en parallèle de la grande Histoire, tout est réuni pour faire de cet Eté 44 un véritable et mérité succès. Je prends les paris et je vous libère…

mardi 14 juin 2016

Emma Daumas "Vivante"

Abacaba / Musicast


Vivante ! Oui, Emma Daumas aurait pu ajouter un point d’exclamation au titre de son nouvel album EP de six titres car on peut entendre ce mot comme un cri. Cri de bonheur ? Cri de soulagement ? C’est sans doute un peu de tout ça. Je n’irai pas jusqu’à y voir un parallèle avec Le Bulletin de santé de Georges Brassens mais, en revanche, il se rapproche assurément du Toujours debout de Renaud.

Demi-finaliste de la Star Academy en 2002, Emma Daumas a connu un joli succès avec son premier CD, Le Saut de l’ange, en 2004. Un « Saut » victorieux puisqu’il sera auréolé d’un Disque d’or. Démarrée sous les meilleurs auspices, la suite de sa carrière sera hélas moins mirobolante. Pourtant, la qualité de ses deux albums suivants n’est pas à mettre en cause. En dépit d’éminentes collaborations, elle subit les Effets secondaires d’une conjoncture défavorable et se trouve amenée par sa maison de disques, Universal, à reprendre Le chemin de la maison
Nous sommes en 2010. Emma, déçue par Les promesses en l’air qu’on lui a faites, ne se décourage pas pour autant. Elle aime écrire et composer. C’est dans son ADN. Elle participe à de nombreuses aventures musicales, tant personnelles que collectives comme, entre autres deux livres-disques pour enfants.
2016 va être doublement l’année de sa re-naissance. D’abord avec la parution en avril de son premier roman, Supernova et, enfin, avec la sortie fin mai de son EP au titre si explicite : Vivante.

Emma Daumas vit dans Le présent. Rien ne sert de ressasser le passé. Sa première chanson exprime tout en douceur et romantisme (un romantisme souligné par des cordes majestueuses) son état d’esprit par rapport à l’amour. Cette tendre mise au point est assez ambigüe car son « présent » exhale des effluves de passé tout en exprimant une réelle inquiétude sur l’inconnu que représente l’avenir. Finalement, sa conclusion est empreinte de sagesse : soyons positif et vivons « le présent » avec le plus d’intensité possible.

En dépit de ces bonnes résolutions, l’amour reste fragile et il arrive fréquemment qu’il se « déchiquète » à un moment ou à un autre. Ça peut arriver par exemple à 14 heures du matin. J’aime beaucoup cette chanson. J’en apprécie le ton empreint de fatalisme et dénué de toute animosité… Cette chanson est en fait en trois parties. Après le constat d’échec, elle se réfugie dans la réminiscence des bons moments du passé. C’était tellement bon que la chanson en devient presque joyeuse… Et puis, retour à la réalité avec une ultime phrase qui laisse la porte entrouverte… Très jolie écriture et, surtout, interprétation rendue encore plus sensible par une voix très devant et la présence des cordes.


Jolie mélodie légère et entraînante. Comme son titre laisse à le présupposer, l’atmosphère des Promesses en l’air est aérienne. On a l’impression que chacune des chansons peut s’emboîter avec les autres façon gigogne. Elles sont en effet toutes reliées par le fil rouge de la relation sentimentale. Celle-ci est une tendre analyse comportementale, constatée de façon réaliste mais exprimée et jugée avec bienveillance. Histoire de dire qu’elle n’est dupe de rien mais qu’elle est prête à s’en amuser. Superbe chanson pleine d’humour et d’amour.

Emma Daumas retrouve quelques minutes ses rêves de petite fille pour évoquer Ce que veulent les princesses. Chanson pleine de fraîcheur et de nostalgie. Et puis les petites filles grandissent et les rêves, confrontés à la réalité, se teintent un peu moins de candeur et de naïveté. Tout cela est raconté en fanfare (superbes cuivres), ce qui permet de rester quand même dans la légèreté… et dans l’espoir. Très, très jolie chanson tant dans l’interprétation volontairement détachée que dans son traitement musical.

Le vieux saule est une chanson mélancolico-bucolique qui m’a fait un peu penser à Brassens avec son Au pied de mon arbre. Ode à la nature et au temps qui passe. S’allonger et penser, rêver et « prendre la peine de regarder les arbres ». Chanson contemplative au climat empreint de douceur.

Une guitare sobre puis un accordéon discret soulignent cette tendre déclaration d’amour et d’allégeance envers celui qu’elle appelle tout simplement Mon homme. La voix, très devant, se fait mélodieuse et insistante. Superbe invitation à un échange harmonieux. Quelle interprétation et quelle intensité ! Magnifique…

Vivante est un album délicieusement féminin. Sensible, intimiste, plein de poésie et de lucidité à la fois. La voix d’Emma Daumas, intense et délicate, vous happe et vous touche dans les endroits les plus douillets. La fragilité est dite et même revendiquée. Et puis, il faut également souligner ses grandes qualités d’écriture ; une écriture qui peut parfois s’apparenter à de la peinture. J’ai beaucoup, beaucoup aimé.

Gilbert « Critikator »Jouin


samedi 11 juin 2016

Christophe Maé "L'Attrape-Rêves"

Warner Music


Christophe Maé a acquis aujourd’hui la sagesse d’un vieil indien. Il sait désormais donner du temps au temps. Pour ce nouvel album studio – son quatrième -, il a su se poser ; il a travaillé comme un artisan, dans son studio d’enregistrement. Cette fois, ses voyages, il ne les a pas réalisés physiquement. Il les a accomplis à l’intérieur de lui-même et il a découvert d’autres richesses, plus personnelles, plus intimes. L’Attrape-Rêves est le fruit de cette intense introspection. Il est le résultat d’un travail à quatre mains et à deux têtes : Christophe et Paul Ecole, un auteur ayant déjà collaboré avec Oxmo Puccino et Calogero.
Il est arrivé par le passé que l’on raille un tantinet Christophe Maé pour la simplicité de ses textes. Or, dans L’Attrape-Rêves, la première chose que j’ai remarquée, c’est la qualité des paroles. J’y reviendrai.

Même en restant au cœur de Paris dans le quartier du Marais, Christophe Maé a le roots rock dans les veines. Lui, ses rêves, c’est avec un arc qu’il essaie de les attraper. Il n’y parvient pas toujours, mais il y en a certains qu’il a atteints en plein cœur. De cœur, donc d’amour, il en est d’ailleurs beaucoup question dans cet album. L’amour pour sa compagne explose dans Ballerine, celui qu’il ressent pour ses enfants est évoqué dans L’Attrape-Rêves et dans Marcel, et son affection pour ses potes est affichée dans Les amis.
Dans cet album, Christophe sort de sa réserve pour jouer à l’indien. Sur la pochette du CD, son nom est transpercé d’une flèche ; sa galette est couverte de plumes. Et dans quelques chansons, les allusions abondent (L’Attrape-Rêves, Californie, La Vallée des larmes). La sagesse évoquée plus haut lui est venue avec la quarantaine (40 ans demain). Il est dorénavant plus enclin à fumer le calumet de la paix dans son tipi du Sud de la France que de partir sur le sentier de la guerre. Ou alors, il s’agirait plutôt de la tendre guerre avec Nadège, sa squaw (Ballerine).


L’Attrape-Rêves est donc un album très personnel. Musicalement et vocalement, il est totalement homogène. La voix et l’univers de Christophe Maé n’appartiennent qu’à lui. Il ne ressemble à aucun autre artiste dans la chanson française. C’est là sa grande force et son originalité. Sa grande sincérité lui permet de ne jamais être dans la posture, et encore moins dans l’imposture. Christophe est un homme vrai. Il a suffisamment galéré avant de connaître ce succès phénoménal pour ne pas savoir la valeur des choses, leur essentialité. Cette authenticité transpire tout au long des textes des dix chansons de ce nouvel opus.

1/ L’Attrape-Rêves.
La seule chanson écrite par Boris Bergman. Mais elle préfigure de la suite. Christophe invoque le Grand Manitou pour lui demander surtout de bien protéger ses papooses. De cette incantation scandée avec une certaine véhémence il se dégage une profonde humanité. Elle contient aussi un message important : il faut viser des rêves, essayer de les réaliser et, lorsqu’on les a réalisés, on réalise sa vie en même temps.
2/ La Parisienne.
Sur un ton saccadé et amusé, il ironise sur un certain type de provinciale jouant à la « Parisienne » d’aujourd’hui. Du haut de ses 40 piges, avec sa « ganache d’Apache », il se sent un peu largué et dépassé, tant sur le vocabulaire que sur le mode de vie. Reflet d’une époque, le portrait, volontairement caricatural, est truffé de clins d’œil. Il prête certes à sourire mais il est également empreint de bienveillance.
3/ Californie.
Enorme travail sur les sons sur cette chanson qui est un véritable dépliant touristique, une succession de cartes postales sur une Californie idéalisée. Là aussi le tempo est haché. Parfois j’y ai trouvé des intonations à la Bashung. Le texte est tellement ciselé qu’on a l’impression d’entendre des onomatopées. Quel rythme.
4/ Il est où le bonheur.
Ne serait-ce que pour cette chanson, cet album mérite qu’on l’achète. La première fois que je l’ai entendue à la radio, je l’ai reçue en pleine tête. C’est un tube, un vrai bijou ! D’autant que le texte est loin d’être anodin. D’abord, il est autobiographique. D’où son interprétation extrêmement habitée et convaincante. L’interrogation est permanente, obsédante. Sa recherche, personnelle, devient la nôtre. Il passe de l’intime à l’universel. A cette question existentielle, il apporte une réponse fataliste : « On fait comme on peut »…
5/ Les amis.
Cette chanson est de la même veine que La Parisienne. Regard critique et là aussi chargé d’ironie sur les attitudes, les comportements affectés d’individus qui se la jouent, qui prennent des airs et se construisent des personnages qui ne sont pas eux-mêmes. C’est pittoresque, imagé et… tellement vrai, tellement bien observé. Et, tout comme dans La Parisienne, entre les lignes on perçoit une réelle indulgence car « on les aime quand même ».


6/Marcel.
Chanson-hommage au fiston. Christophe se livre. Il raconte sa façon d’être avec lui et s’avoue aussi « gamin » que lui. Dans sa voix, chargée de tendresse, on perçoit une incitation au jeu, à le faire durer le plus longtemps possible le temps de l’innocence. Des conseils tout simples qui font la part belle à la notion de plaisir.
7/ Lampedusa.
Cette chanson est un véritable tour de force en ce sens que, pour évoquer ce drame humanitaire qu’est l’émigration, il s’est mis carrément dans la peau et dans la tête d’un migrant. Façon habile pour marquer son soutien à ces déracinés, à ces victimes involontaires de la folie des hommes. Cette aventure que son héros vit en solitaire est la plus réaliste des formes de « l’attrape-rêves ». Jamais larmoyante, jamais misérabiliste, cette chanson est surtout pleine d’espoir, d’amour, de courage et de dignité. Or, après d’être muée en gospel, elle se termine brutalement en un cri de désespoir. Traitement réussi d’un sujet délicat.
8/ La Vallée des larmes.
Joli exercice de style. Abondance de jeux de mots autour de la culture indienne. Elle m’a fait penser au Cow-boy d’Aubervilliers. Sa « vallée de larmes » à lui se trouve du côté de la Plaine Saint-Denis. Clin d’œil à Johnny et à Eddy. Cette chanson est une de mes préférées car elle est à la fois amusante et réaaliste. C’est toujours bien plus efficace de dire les choses sous le biais de l’humour.
9/ 40 ans demain.
Coup d’œil dans le rétro pour faire le point sur « une vie à moitié pleine ». Analyse d’un parcours, souvenirs, dualité entre l’enfant qu’il a été et l’homme qu’il essaie d’être. Aveu d’incertitude et d’angoisse. Même s’il s’estime globalement satisfait du bilan, il reconnaît ne pas avoir appris grand-chose.
10/ Ballerine.

Superbe déclaration d’amour pleine de pudeur et de sensibilité. Une émouvante invitation au mariage émise avec respect et déférence, saupoudrée de belles images. Cette chanson est la plus belle conclusion de l’album car, si la dame dit « oui » à son troubadour, le plus beau de ses rêves sera « attrapé ».

jeudi 9 juin 2016

Moi, Marie, marquise de Sévigné

Théâtre Maxim’s
3, rue Royale
75008 Paris
Tel : 01 42 65 30 47
Métro : Concorde / Madeleine

Pièce de Pierre-André Hélène
Mise en scène par Théodora Mytakis
Avec Véronique Fourcaud

Jusqu'au 29 juin
Reprise en septembre

L’histoire : A l’hôtel Carnavalet, madame de Sévigné écrit… A sa fille, bien sûr, et pour cela, elle se remémore sa vie, ses bonheurs, ses difficultés, le monde, la cour… Elle est belle, veuve, courtisée mais n’a pas voulu succomber. Et surtout, sa fille la fuit en Provence… Comment survivre à cette séparation ? En écrivant… Ainsi, elle raconte, et nous raconte, une femme de son temps, évoquant le quotidien, les interrogations, les joies et les peines d’une vie au Grand siècle.

Mon avis : La Marquise de Sévigné nous fait le grand honneur de nous recevoir dans son salon de son hôtel Carnavalet, une exquise bonbonnière un peu kitsch, pour nous proposer une sorte de « compilation » de ses nombreuses lettres adressées à Françoise, sa fille adulée. Il faut savoir qu’elle lui écrivait trois fois par semaine (on en a recensé plus de mille !). Le choix de ces missives, qui ne pouvait donc qu’être éclectique, nous offre un parfait éventail de l’atmosphère qui régnait à cette époque. Et quelle époque ! C’est celle du Roi Soleil quand même…

Véronique Fourcaud, qui incarne magistralement la Marquise, nous raconte le contenu de certaines de ces lettres. Elle les rend vivantes, elle les joue en utilisant à toutes les intonations de sa voix. Parlé comme écrit, son style est très riche et sa langue est aussi acérée que sa plume d’oie. La marquise aime à badiner. A la fois en dehors et en dedans de la société, elle porte un regard amusé, souvent même très ironique, sur ses contemporains. Et plus particulièrement sur les pratiques de la cour du Roi… Elle se fait chroniqueuse : mondaine pour nous narrer les mésaventures du cuisinier Vatel, judiciaire pour nous rapporter par le menu la sordide Affaire des Poisons, allant même jusqu’à se métamorphoser devant nous en marquise de Brinvilliers. Elle aime les détails. Son écriture est très imagée… Lorsqu’elle évoque la cour, c’est le who’s’who de la deuxième partie du 17ème siècle qui défile. Elle reconnaît aisément se comporter parfois en courtisane tout en restant lucide sur la vanité (dans les deux sens du mot) de son comportement. L’œil de Véronique Fourcaud est souvent empli de malice.


Elle parle aussi de sujets plus futiles comme la mode, la coiffure, les jeux de salon. Elle chante, elle danse le menuet… Madame de Sévigné est, à sa façon, une ethnologue. Raison pour laquelle, témoin de son époque, sa correspondance contient une véritable valeur historique. Elle a une très haute opinion d’elle-même, ne supporte pas qu’on la brocarde alors qu’elle ne se prive pas d’ironiser sur untel ou unetelle. Elle semble aussi nourrir une profonde aversion pour son « lapin » de gendre, le comte de Grignan, qui la prive douloureusement de sa fille.

Car, sans sa fille, il n’y eût sans doute point eu de correspondance… Ou alors beaucoup moins. La relation de madame de Sévigné avec sa fille est obsessionnelle. Bien qu’elle soit absente – ou plutôt parce que, justement, elle est absente – Françoise est omniprésente dans les pensées de sa mère. D’où, pour compenser, cette navette épistolaire permanente.

Ce spectacle est très agréable à suivre. Et pour la qualité des textes de la dame, et pour la prestation de Véronique Fourcaud et, enfin, pour la variété de sa mise en scène. Il a été en effet extrêmement judicieux d’illustrer les lectures avec des bruits extérieurs, des notes de clavecin, des ébauches de dialogues (avec le Roi, avec Bussy-Rabutin…) et même de nous faire entendre Françoise lisant une de ses lettres. Grâce à ces ruptures de bon aloi et au jeu très complet de la comédienne, Moi, Marie, marquise de Sévigné est un spectacle léger, pétillant et plein de finesse qui nous transporte dans un salon du Grand Siècle et se déguste avec plaisir comme la nouvelle boisson très en vogue à cette époque : le chocolat.

mercredi 8 juin 2016

Renaud "Comme un enfant perdu"

XO Editions
312 pages
18,90 €



J’en ai lu des biographies de Renaud ! Y compris et surtout celles que lui a consacré son frère Thierry… Mais cette fois, c’est différent. Comme un enfant perdu est une AUTObiographie. Renaud s’y exprime à la première personne. Elle possède donc une toute autre valeur. Ici, rien n’est gommé, rien n’est éludé, rien n’est enjolivé. Renaud s’y exprime en toute sincérité. Cet ouvrage où, pendant qu’on le lit on a l’impression d’entendre sa voix, est sans concession, sans complaisance. Renaud s’ouvre à nous, dans le sens chirurgical du terme, et il gratte jusqu’à l’os…

Heureusement que, dans le titre du livre, il y a la conjonction « Comme ». Ce mot nous rassure. Renaud n’est donc pas totalement « perdu ». Même s’il lui arrive fréquemment de le ressentir, il reste toujours une lueur d’espoir.
Renaud est un être complexe. Parfois même complexé. A cela, il y a de multiples raisons. Il ne faut jamais oublier que Renaud est de culture protestante. Il possède dans ses gènes une forme d’austérité que lui a transmise son père qu’il décrit en outre comme « pudique, affectueux mais peu enclin à le manifester, même si nous le devinons d’une grande sensibilité ». Renaud est ainsi, il a hérité d’une espèce de mal-être ancestral.

Il me fait penser à cet écolier spartiate qui avait dissimulé un renardeau sous ses vêtements et qui, pour ne pas se faire prendre, s’était laissé déchirer le ventre par les griffes et les crocs de l’animal sans broncher. La différence, c’est que l’enfant en est mort… Renaud, lui, s’est laissé à plusieurs reprises dévorer les entrailles par un Renard particulièrement agressif, mais il a, à chaque fois, réussi à le chasser hors de lui et, petit à petit, à cicatriser. Il lui reste néanmoins une grande fragilité du côté de l’épigastre.
En fait, ce foutu renard qu’il ne parviendra sans doute jamais à domestiquer, possède un petit nom : il s’appelle « Culpabilité ». Son « éternelle culpabilité » (page 158). Ce mot revient une bonne dizaine de fois tout au long de l’ouvrage. C’est un fardeau qu’il se coltine depuis son plus jeune âge et qui va constituer un frein à tout épanouissement, à toute sérénité. Mais ce qui vient encore plus compliquer la chose c’est que, à cette culpabilité, il a trouvé le moyen d’y ajouter d’autres sentiments complètement négatifs et inhibants : « ‘Je suis devenu étrangement grave au fil de l’adolescence, comme si une sourde inquiétude me plombait le cœur » (page 76). Mais ce n’est pas tout. Il évoque également « une peur obscure » qu’il porte en lui (page 141) qui va parfois le conduire jusqu’à la paranoïa.


Essayez de vous construire avec de tels handicaps aussi terriblement destructeurs. En dépit de tout l’amour qu’il a reçu, reçoit et recevra encore, tant de la part de ses parents, de ses femmes, de ses enfants et de son formidable public, il ne parvient pas à faire la part des choses et à être heureux… Chez lui, la Roche Tarpéienne est toujours proche du Capitole. Il a du succès, il gagne énormément d’argent… D’aucuns s’en sentiraient satisfaits ; pas lui. Le succès lui plaît, certes, car il s’agit là d’une reconnaissance envers son travail, mais l’argent qu’il lui rapporte, bien qu’il en soit le corollaire, l’indispose considérablement. Il reconnaît volontiers manquer de « distance » vis-à-vis de la vie. Renaud est un pénitent qui se complaît à s’auto-flageller. Alors que, lorsqu’on lit son livre, les raisons d’être rasséréné par son parcours abondent.

Renaud a accompli une œuvre. Et quelle œuvre ! Il a été et est toujours adulé par par une multitude de fidèles. Tout rebelle qu’il était, il a toujours été aimé. Particulièrement par les femmes ; sa mère, ses sœurs, ses deux épouses. C’est une chance inouïe que d’être autant aimé. Pour les avoir croisées, Dominique et Romane, les mères de ses deux enfants, sont de belles personnes, de belles âmes. Mais elles se sont senties impuissantes face à l’autodestruction systématique que leur bonhomme leur proposait en échange. Et plus il s’en rendait compte, plus il en souffrait et plus il s’enfonçait.
Personnellement, je range Renaud dans une catégorie d’artistes très particulières : les malades de trop de lucidité. Il fit partie de ces écorchés vifs que furent et sont Serge Gainsbourg, Philippe Léotard, Richard Bohringer, Jacques Dutronc…

Comme un enfant perdu est un livre courageux, intime, sincère. Je suis convaincu que son écriture lui aura fait beaucoup de bien. Peut-être a-t-il enfin réalisé combien son mal-être était aussi injustifié que frelaté. C’est un livre utile aussi. Utile aux autres, utile aux siens. Son témoignage permettra à ses proches de mieux le cerner, de mieux le comprendre.
En fait Renaud est resté un adolescent qui a refusé confusément  de devenir un adulte. Il a et aura toujours besoin d’une main dans la sienne pour l’accompagner, celle de sa mère, celles de ses épouses, celles de ses enfants.
Et son autre main, la droite, elle sera ainsi totalement libérée pour faire ce qu’il fait de mieux et ce pour quoi on l’adore : écrire, écrire et écrire encore.


Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 6 juin 2016

Eric Clapton "I Still Do"

Polydor / Universal Music


Tout est dans le titre du 23ème album studio d’Eric Clapton : « I Still Do ». En gros, il persiste et signe ; il est toujours là, toujours là pour sortir de sa guitare ces sons uniques qui n’appartiennent qu’à lui. A 71 ans, « God » est toujours aussi divin et sa fameuse « Slow Hand » toujours aussi magique. Quant à sa voix, elle est toujours en parfaite harmonie avec les titres qu’il choisit d’interpréter.

Si on aime Eric Clapton, on aime I Still Do.
L’album s’ouvre sur Alabama Woman Blues, un titre de Leroy Carr datant de 1930 qui, pour moi, est la plus belle chanson du CD. Simple et efficace, c’est l’archétype du blues, simple et efficace avec, en prime, une superbe présence de l’orgue Hammond.
Dans cet opus, après l’album qu’il lui avait intégralement consacré voici douze ans, Eric Clapton poursuit son hommage à JJ Cale en reprenant deux de ses autres titres, Can’t Let You Do It et Somebody’s Knockin’.
La troisième chanson, I Will Be There, une ballade douce, légère et agréable, pose en plus une énigme car Clapton y est doublé à la guitare et à la voix par un certain Angelo Mysterioso. Ce nom étant le pseudo pris par George Harrison en 1969 sur l’album de Cream Goodbye, il se murmure que ce serait Dhani, le fils du Beatle qui se cacherait derrière…
Deux titres originaux sont signés de Clapton lui-même, Spiral et Catch The Blues. J’ai une préférence pour le second et sa nonchalance chaloupée.


En fait cet album est tout à fait conforme à ce qu’on peut attendre d’Eric Clapton. N’ayant plus rien à prouver, il ne pense plus qu’à se faire plaisir. Et ça s’entend. Et comme il a en plus le talent de savoir très bien s’entourer, il nous offre un grand et beau moment de partage. Chaque chanson est à sa place. Cypress Grove balance suavement, Little Man, You’ve Had A Busy Day est pleine de tendresse, Stones In My Passway, de Robert Johnson (1937) est plus swingant, plus joyeux… J’ai également apprécié le climat de I’ll Be Alright, un chant traditionnel que l’on a l’impression de connaître depuis toujours tant il est identifiable.
Et puis, il y a également dans cet album un clin d’œil amical à Bob Dylan avec la reprise très réussie (harmonica à l’appui) de I Dreamed I Saw St. Augustine.

L’album se termine en douceur avec l’interprétation intimiste et tamisée de I’ll Be Seeing You dans lequel la main de Clapton se fait presque encore plus « slow » que d’habitude.

vendredi 3 juin 2016

Nuit d'ivresse

Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 35 02
Métro : Madeleine / Havre-Caumartin

Une comédie de Josiane Balasko
Mise en scène par Dominique Guillo
Décor de Dominique Guillo
Costumes de Christine Chauvey

Avec Elisabeth Buffet (Simone), Denis Maréchal (Jacques), Jean-Christophe Barc en alternance avec Philippe Gruz (Henri, le barman)

L’histoire : Tout oppose Simone et Jacques qui se rencontrent par hasard en fin de soirée dans un bar désert de la Gare de l’Est.
Lui est un présentateur vedette un peu ringard, et elle une fille paumée, haute en couleurs et très naïve qui ne reconnaît pas l’animateur. Le serveur, aussi collant que bavard, fan de Jacques, n’éprouvera aucune gêne à s’imposer au cœur de ce couple improbable.
L’alcool aidant, Simone et Jacques vont, sans s’en rendre compte, se rapprocher. Beaucoup… Un peu trop même…
Mais après une telle nuit d’ivresse, le réveil dans l’appartement de Jacques sera forcément difficile, mémorable et explosif !... Il ne se souvient de rien, ni qui est cette fille survoltée et amoureuse installée chez lui, ni même d’avoir donné son adresse au barman qui, évidemment, ne loupe pas l’occasion de débarquer…

Mon avis : Oh la la la quelle nuit ! chantait Sacha Distel… C’est exactement la constatation affligeante qui devait tourner en boucle dans la tête migraineuse de Jacques Belin, présentateur vedette d’un jeu télévisé, lorsqu’il a émergé de la brume, chez lui, en plein milieu d’après-midi… Nous, on ne se pose pas de question car nous avons été les témoins fascinés et amusés de cette fameuse nuit. Et plus il se perd en interrogations, et plus il est affligé en découvrant peu à peu les dégâts causés par ses libations, plus on rit.

Josiane Balasko est une dramaturge hors pair et Nuit d’ivresse est une très, très bonne comédie. Son thème est très simple ; c’est la rencontre improbable entre deux êtres que tout sépare : le milieu social, la culture, l’argent. C’est le Hasard et son goût pervers pour créer des situations abracadabrantesques qui va les pousser l’un vers l’autre l’espace d’une nuit. Le deuxième élément fédérateur va être l’alcool. Consommé sans modération, il va provoquer en eux une forme de complicité. La nuit, tous les chats sont gris, les paumés le deviennent aussi.


J’ai adoré cette nouvelle version de Nuit d’ivresse. Pourtant le challenge de la reprendre était osé. Les duos qui avaient interprété les personnages de Simone et Jacques, tant au théâtre qu’au cinéma, c’était du lourd. Et certaines situations étaient gravées dans nos mémoires. Or, j’ai vu cette pièce avec un regard complètement neuf. Je me suis vraiment laissé embarquer par les compositions particulièrement riches d’Elisabeth Buffet et Denis Maréchal. Je connaissais et avais apprécié leurs seul(e)s en scène respectifs et j’étais très curieux de voir comment leur association allait opérer. En fait, ils ont conservé les personnages qu’ils campent dans leurs one (wo)man shows. Denis Maréchal a toujours tendance à garder une espèce de sérieux et de quant à soi, alors qu’Elisabeth Buffet est systématiquement explosive et picaresque, voire clownesque. C’est un peu comme associer le feu et la glace. Sauf qu’ici, la glace elle va fondre dans les verres de whisky de Denis/Jacques et que le feu, Elisabeth/Simone va le mettre sur scène. Quelle formidable idée que de les avoir réunis pour leur offrir ce bijou de comédie.


Elisabeth Buffet n’est jamais allée aussi loin dans l’extravagance et le délire. Elle ose des accoutrements improbables, des associations de couleurs qui font pleurer nos yeux (de rire). Il faut avoir le talent de se dépersonnaliser totalement pour porter ce qu’elle porte, y compris les chaussures. Elle nous propose une incroyable composition, un mix entre la truculence de la Zézette du Père Noël est une ordure et la l’abattage à la hussarde de la Gisèle des Vamps. Pour paraphraser un autre humoriste, Jean-François Copé, Elisabeth Buffet, c’est la maladroite décomplexée. En effet, pour aller aussi loin dans un personnage, il faut savoir laisser ses inhibitions au vestiaire. Elle est capable de tout, même du pire, sans jamais tomber dans la vulgarité. La moindre de ses postures, de ses gestes, de ses mimiques sont d’une drôlerie rare.

En opposition à ce tourbillon déchaîné, Denis Maréchal adopte un jeu précis, presque impavide. Il campe un véritable mufle. Il est narcissique, méprisant et, contrairement aux liquides forts qu’il ingurgite, franchement imbuvable. Josiane Balasko a mis dans sa bouche des répliques particulièrement saignantes et vachardes. Pourtant, par moment et, surtout en deuxième partie, on devine qu’il a malgré tout un bon fond. Il n’est pas si pourri qu’il veut le laisser paraître. Il est un parfait clown blanc face à son Auguste partenaire.


J’ai vraiment aimé les propositions de ce tandem. Ils se sont approprié les personnages de Simone et de Jacques et ils les ont recréés à leur façon. Sans copier personne. En étant tout simplement eux-mêmes.
Le personnage du barman est également important. C’est monsieur Plus au niveau de la folie ambiante. Intrusif et sans gêne, il n’a aucun scrupule pour se mêler de ce qui ne le regarde pas. C’est un très beau rôle. Le seul reproche que je fais à la mise en scène (vraiment le seul) c’est que son jeu est par moments trop outré et trop criard (il n’a pas besoin par exemple de crier « Jacques Belin » comme il le fait ; ce n’est pas crédible. Il nous ferait, je crois, encore plus rire s’il ne sur-jouait pas. Les situations dans lesquelles il se met et met les autres sont suffisamment drolatiques par elles-mêmes. En dehors de ces quelques exagérations, Jean-Christophe Barc tire parfaitement son épingle du jeu.

En revoyant Nuit d’ivresse, j’ai réalisé combien cette pièce était remarquablement écrite et construite. Il y a un côté Very Bad Trip dans cette histoire née dans le cerveau bouillonnant de Balasko. Les dialogues sont incisifs, percutants, au scalpel. Et son scénario a ceci d’intelligent qu’il a été scindé en deux parties. La première traite de la rencontre dans ce rade crade, une rencontre qui va démontrer combien on sort de soi-même lorsqu’on a de la cuite dans les idées et qui, de ce fait, va se terminer en queue de boisson… Et la deuxième nous transporte dans un autre univers, l’appartement moderne et stylé (superbe décor !) de Jacques. Là, nos personnages vont nous apparaître sous un autre jour, dans leur réalité. Le talent de Josiane Balasko est de savoir séparer le bon grain de l’ivresse. Sa pièce est en effet hybride dans le bon sens du terme : dans la première partie, elle fonctionne à l’éthanol (ou alcool éthylique) alors que dans la seconde, elle utilise les sens en carburant aux sentiments. En clair, la première partie est animale et la deuxième humaine. Les vrais caractères se révèlent et le rire alors se partage avec l’émotion… Cette pièce est une réussite !
Maintenant, il ne reste plus qu’à souhaiter à la salle du théâtre Michel d’être comme les héros de Nuit d’ivresse : complètement bourrée par un public saoulé de plaisir…


Gilbert « Critikator » Jouin