vendredi 20 mai 2011

Pan


Théâtre de Paris
15, rue Blanche
75009 Paris
Tel : 01 48 74 25 37
Métro : Trinité d’Estienne d’Orves

D’après Peter Pan de J.M. Barrie
Mise en scène et adaptée par Irina Brook
Création musicale de Sadie Jemmett
Décors de Noëlle Ginefri
Costumes de Magali Castellan
Chorégraphies de Farid Ayelem Rahmouni
Avec Diego Asensio (Smee), Kehinde Awaiye (Premier jumeau), Taiwo Awaiye (Deuxième jumeau), Babet (Wendy), Lorie Baghdassarian (Lily La Tigresse), Georges Corraface (Capitaine Crochet), Johanna Hilaire (La fée Clochette), Raphaël Leguillon (Flageolet), Louison Lelarge (Peter Pan), Dimitri Lemaire (Soldé), Keny Bran Ourega (Méli-Mélo), Nuno Roque (John), Gen Shimaoka (Sumo), Pedro Texeira (Vaasco)

Ma note : 7/10

L’histoire : Ce vendredi soir, la voie est libre pour Peter Pan, le petit garçon qui refuse de grandir : Mr et mrs Darling sont absents et la chienne Nana, qui tient lieu de nurse à leurs enfants Wendy, John et Michael, a été enchaînée dans le jardin.
Venu récupérer son ombre abandonnée lors d’une précédente visite, Peter se trouve face à Wendy. Avide des histoires qu’elle pourra lui raconter et du rôle de mère, fantasmé, qu’elle pourrait accomplir, il la persuade de le suivre jusqu’au Pays imaginaire (Neverland). Wendy devra s’y défendre de la jalousie de la fée Clochette (Tinker Bell) et veiller sur la petite famille des Garçons perdus, jadis tombés de leur poussette. Emmenés par Peter Pan, Wendy et ses frères vivront d’extraordinaires aventures auxquelles seront mêlés les Peaux rouges et Lily La Tigresse (Tiger Lily), mais surtout les Pirates et leur chef, le fameux Capitaine Crochet…

Mon avis : Honnêtement, les trois premiers quarts d’heure de ce spectacle m’ont littéralement enchanté. La scène ressemble à un immense jeu de Lego. Excusez pour la pub, mais je ne vois rien de plus précis pour parler de la proue du bateau pirate qui se dresse côté jardin et du manège ancien qui trône côté cour. Quant à l’immense écran qui couvre tout le fond de scène, il sera utilisé pour une profusion de projections d’images ou de couleurs en fonction de l’action. Ces trois premiers quarts d’heure donc sont d’une beauté et d’une inventivité à couper le souffle. Tout y est prétexte pour nous émerveiller et réveiller notre âme d’enfant. Car on a des yeux de gamin devant les trouvailles de mise en scène ingénieuses concoctées par Irina Brook ; par exemple, la danse de Peter avec son ombre, la façon de s’exprimer de la fée Clochette… On touche au merveilleux. C’est débordant de poésie (pas mièvre) et de fantaisie. Des rires perlés d’enfants tintinnabulent dans la salle devant la cocasserie de certaines scènes.
Et puis surviennent les Pirates, un quatuor picaresque, haut en couleurs, emmené par un formidable Georges Corraface en Capitaine Crochet qui nous crée un personnage ambigu, truculent, cruel et pervers, mais aussi terriblement torturé et fragile. La composition est en tout point remarquable. Comme la musique qu’il joue et chante, ce quatuor est particulièrement swinguant. Même quand ils jouent la comédie ces quatre énergumènes pathétiques donnent l’impression d’improviser, de faire le bœuf. Il en du mérite, Crochet, de se coltiner trois crétins un peu bas de plafond, bien plus bêtes que méchants, qui amènent une savoureuse note de burlesque au spectacle.

Les autres motifs de satisfaction sont nombreux : Peter Pan est impeccable de légèreté, de grâce, d’insouciance, d’égoïsme aussi... John, le frère de Wendy est un pur régal. Ce grand échalas à l’affectation et à l’extravagance si délicieusement british, son allure hip-hopée de Valentin le Désossé égaré dans un cartoon, en fait une des attractions du spectacle… Les trois Pirates, on l’a dit, sont excellents tant dans le jeu que dans les parties musicales… Les cinq Garçons perdus sont eux aussi parfaits, plein d’ingénuité et de dynamisme avec, en prime, la présence de deux authentiques jumeaux qui ajoute encore à la note d’irréalité… Ces jeunes gens paumés, livrés à eux-mêmes et en mal d’affection nous offrent en fin de spectacle une jolie succession de numéros solos dignes du cirque…
La thématique de Peter Pan est tout-à-fait respectée. Le message passe. Mélange de parabole sur l’éducation, d’ode à la jeunesse et belle leçon d’amour. Le moindre personnage est en quête d’amour, de Wendy à la fée Clochette, en passant par les Garçons perdus, les Pirates et Lily La Tigresse ; sauf le crocodile dont la demande n’est que « gastronomique » et, bien sûr, Peter dont la seule ambition est le jeu et la futilité. Quoi que… Ses colères quand on évoque sa mère sont révélatrices d’un réel mal-être.

Maintenant, je dois avouer avoir eu à noter quelques failles dans ce spectacle aussi superbe soit-il. J’ai éprouvé un peu de mal avec la voix parlée de Wendy (Babet, transfuge de Dionysos), si ténue, si aigüe qu’elle en devient presque gênante. Lorsqu’elle chante, c’est parfait, mais quand elle parle elle a une voix trop enfantine pour le rôle de mère de substitution qu’on lui confie… Passé la première heure, on subit une chute de régime. Il faut dire qu’il était impossible de nous maintenir aussi haut dans le plaisir pendant deux heures. Ce qui fait que la moindre baisse de rythme nous semble longueur. Sincèrement, je crois qu’il y a vingt minutes de trop. Peut-être aurait-on pu déjà occulter le personnage de Lily La Tigresse dont, hormis quand on a lu le livre, on se demande ce qu’elle fait là. Ceci dit, sa prestation chantée est particulièrement envoûtante… Je doute aussi que, passée cette merveilleuse première heure, les enfants voient leur intérêt suffisamment entretenu pour tenir la distance, même si ça se réveille vers la fin. Toutefois, à la décharge d’Irina Brook, il y a des scènes qu’elle ne peut pas éviter pour la bonne compréhension et la fluidité de l’histoire. Mais quand ça bavarde trop et que l’action tourne un peu en rond, on a tendance à décrocher. Pas facile à gérer le Peter Pan !
En conclusion, Pan est quand même une vraie réussite, tant sur le plan esthétique qu’onirique. On ne peut qu’y retrouver son âme d’enfant. Tout en respectant fidèlement l’esprit de l’œuvre, Irina Brook y fait preuve d’une imagination débordante, malicieuse et d’un goût sans faille pour la beauté.

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