lundi 20 janvier 2014

Cowboy Mouth

Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 20 60 56
Métro : Edgar Quinet / Gaîté

Une pièce de Sam Sheppard et Patti Smith
Adaptée par Marie Barraud et Nicolas Tarrin
Mise en scène de Nicolas Tarrin
Avec Marie Barraud (Cavale), Cali (Slim)
Avec la participation d’Andrey Zouari
Décors d’Olivier Prost

L’histoire : New York, 1971. Armée d’un colt 45, Cavale kidnappe en pleine rue Slim, un père de famille. Enfermés dans une chambre d’hôtel, elle tente de faire de lui une star du rock afin d’offrir un sauveur à toute une génération perdue, « un Jésus rock’n’roll avec une gueule de cowboy ». Mais le captif tombe amoureux de son ravisseur…

Mon avis : Irréductibles cartésiens, pragmatiques de tout poil, cette pièce n’est pas pour vous… Inutile d’y chercher une quelconque cohérence.
En revanche, si vous avez gardé un anticonformisme naturel, un esprit de révolte juvénile, si vous avez su entretenir un brin de folie, si vous êtes sensible à la poésie et, surtout, si vous êtes gourmands de performances d’acteur, Cowboy Mouth est pour vous.

Lorsque Patti Smith et Sam Sheppard ont écrit cette pièce en 1971 (en deux nuits !), ils étaient follement amoureux et, vraisemblablement sous l’emprise de substances illicites. Ils ont respectivement 25 et 28 ans. Elle peint et écrit des poèmes ; il est un dramaturge en vogue. Il est déjà marié et père d’un enfant.
Tout se passe dans une chambre du Chelsea Hotel. Il y règne un profond désordre. Un lit défait, des dessins accrochés aux murs, deux guitares, deux caisses claires. On sent que le couple formé par Cavale et Slim n’en sort jamais. C’est donc à un véritable huis-clos que nous assistons. Et à une histoire d’amour… Brève mais intense.

Pour bien saisir la plausibilité de cette pièce, il faut la replacer dans son contexte historique. Nous sommes donc au tout début des années 70 aux Etats-Unis. Nixon est président, il y a toujours la guerre au Viêt Nam, chez les jeunes, le Flower Power romantique et pacifiste est en train de s’étioler, mais la Beat Generation née dans les années 50 est toujours là, et bien là…
Slim, et plus encore Cavale, en sont des spécimens vivants. Ils ont la contestation et le nihilisme chroniques. Leur vision du monde et de la société est sombre mais pas désespérée, car, grâce aux paradis artificiels,  ils se réfugient dans un no man’s land psychédélique édifié sur ces quatre piliers que sont l’utopie, l’écriture (et plus particulièrement la poésie), la peinture et la musique (et plus particulièrement le rock).
Cowboy Mouth est une pièce onirique. Cavale et Slim sont deux enfants qui jouent. Qui jouent à s’aimer, qui jouent à se faire mal. Dans un perpétuel va-et-vient entre attirance et répulsion, ils se cherchent, tentant pathétiquement de se construire un avenir qu’ils savent illusoire (Cavale parle d’un « putain de grand rêve »). La passion est omniprésente, mais vraisemblablement attisée par les drogues, elle peut aussi bien engendrer la plus grande tendresse que générer la violence la plus fulgurante.

Il ne faut pas chercher à comprendre, il n’y a qu’à se laisser emporter par ce maelstrom se sentiments exacerbés. Parfois Cavale et Slim sont ancrés dans la réalité, parfois ils sont en plein trip. On partage leurs hallucinations, leurs idées radicales, leurs moments de grâce (quand Slim joue au magicien pour épater Cavale) et surtout leurs rêves insensés (comme le statut mystique de la star de rock)…
Inutile de préciser que pour interpréter ces deux êtres à la dérive, on ne peut pas le faire avec tiédeur. Il faut y aller à fond, se racler la chair jusqu’à l’os, se tordre le cœur comme un vieux gant de toilette. Après avoir vu leur prestation, difficile d’imaginer deux autres comédiens que Marie Barraud et Cali.


Marie Barraud, qui a adapté la pièce et qui la connaît donc dans ses moindres aspects, est complètement habitée par le personnage de Cavale. Cali m’a d’ailleurs confié à l’issue du spectacle que parfois, elle lui « faisait peur » ! Elle va au-delà du don de soi. Elle est littéralement possédée. Avec ses gestes compulsifs, ses déplacements claudicants, elle passe sans transition de l’hystérie dévastatrice à la féminité la plus touchante. En fait, c’est une petite fille qui essaie de se désempêtrer de sa fragilité. Elle nous fait vivre en tout cas un formidable moment de comédie. Seule avec ses démons, elle lâche tout, se dépouille au propre comme au figuré. Elle nous fait vivre en tout cas un formidable moment de comédie.

Et Cali, que vaut-il dans ce face-à-face tumultueux ? Pour sa première expérience théâtrale, il est tout simplement bluffant. Il ne fait que confirmer que, à l’instar de ses tours de chant, il est une bête de scène. Pour incarner Slim, il dégage une forme d’animalité (il se compare lui-même à un coyote). Je lui ai trouvé un côté plus indien que cowboy. Sa folie à lui est plus pondérée, moins destructrice. Il a gardé une espèce de candeur, une faculté d’émerveillement. C’est avec ces sentiments-là qu’il réussit à toucher et à amadouer Cavale.
Cette jolie performance va inévitablement l’amener à devoir désormais composer entre les deux carrières de chanteur et de comédien. Il en a acquis grandement la légitimité.


Gilbert « Critikator » Jouin

1 commentaire:

lesire david a dit…

j'ai adoré cette piece faut la voir et encouragé les acteurs qui se donnent totalement ... grand bravo à vous 2