samedi 2 juillet 2016

Don Quichotte, farce épique

Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
Tel : 01 45 44 57 34
Métro : Notre-Dame des Champs / Vavin

D’après Cervantès
Mise en scène de Jean-Laurent Silvi
Création technique de Robin Laporte
Costumes de Joan Bich

Avec Sylvain Mossot (Don Quichotte), Axel Blind (Sancho Pança), Barbara Castin (L’intervieweuse / la princesse Micomicona), Anthony Henrot (Le maître de cérémonie / Cardénio)

Présentation : Si l’on vous dit « cheval », « Moulins », « Sancho Pança », vous direz « Don Quichotte », sans doute. Vous êtes instruits. Et si l’on vous demande un peu plus que ça, la fameuse « Dulcinée » peut vous venir à l’esprit. Et après…
Tout le monde connaît le chef d’œuvre de Cervantès, bien entendu. Mais soyons francs, combien l’ont lu ?
C’est un plongeon dans l’histoire, et dans le ton, de cette parodie de romans de chevalerie qui a passionné le monde entier qui vous est proposé. Quand un gentilhomme campagnard décide de remettre la chevalerie errante en état, des siècles après, pour redresser les torts et ressusciter l’Age d’Or, ou quand le monde l’apprend… souvent à ses dépens.

Mon avis : J’avoue que je ne connaissais que la partie émergée de l’énorme iceberg Don Quichotte de Cervantès. C’est qu’il faut se les coltiner les deux tomes de chacun près de 600 pages ! J’étais donc très curieux de découvrir à quelle sauce le célèbre « chevalier à la triste figure » allait être accommodé dans ce qui était sous-titré comme étant une « farce épique ». J’aime bien ces deux mots, « farce » et « épique », et de les voir ainsi associés m’était plutôt alléchant. Et puis, le fait qu’elle soit programmée au Lucernaire était un gage de qualité intellectuelle…


La scène est quasiment vide. Des cubes sont les uniques éléments de  décor, ce qui permet de donner libre cours à notre imagination et se mettre ainsi en phase avec les délires fantasmagoriques de Don Quichotte. Dès qu’il nous apparaît, il est tout à fait conforme à l’image de son héros tel que l’a décrit Cervantès. Longue silhouette, le cheveu hirsute, le regard clair tantôt résolu, tantôt halluciné, et une très belle voix grave. Il a le geste et le langage grandiloquents. Il n’y a que l’endroit où on le découvre qui nous désarçonne un tantinet : il se trouve sur… un plateau de télévision où il est interviewé par une accorte journaliste. C’est déjà complètement anachronique et absurde et c’est très bien comme ça.
Cette trouvaille de mise en scène est une très bonne astuce, d’autant qu’elle va revenir régulièrement. Les questions que pose la jeune femme nous aident en effet à synthétiser l’œuvre et à en présenter les principaux personnages vus par Don Quichotte. Ensuite, la pièce va alterner entre entretiens et « fragments » des aventures du chevalier errant. Ce découpage original permet de donner du rythme aux différents tableaux.


Les différents fragments mettent en lumière l’opposition des personnalités de l’Hidalgo et de son écuyer Sancho Pança et, surtout, l’évolution psychologique de ce dernier. Les deux caractères sont remarquablement dessinés. Quichotte est habité, exalté, inconscient du danger, limite paranoïaque (paranoïa : sentiment d’avoir raison contre le monde entier). En même temps, il est totalement sincère dans sa mission de sauver le monde, la veuve et l’orphelin… Quant à Sancho, c’est le bon sens paysan. Il est simple (mais pas simplet), pragmatique, conciliant. C’est un brave homme qui a toujours envie de bien faire. Parfois pourtant, Quichotte se montre tellement persuasif en commentant ses visions à la façon d’un reportage sportif qu’il réussit à les faire se concrétiser dans l’imaginaire de Sancho. Ce qui donne lieu à de jolies scènes. Pour moi, la plus forte, c’est celle où Sancho se révolte. On voit alors combien les péripéties, souvent douloureuses ou violentes, qu’il a traversées l’ont enrichi intellectuellement… La séquence qui donne lieu à un invraisemblable dialogue de sourds entre Quichotte, Sancho et Cardénio constitue elle aussi un grand moment de comédie burlesque.
Il y a certes des moments un peu plus laborieux, des gags répétitifs, des baisses (rares) de régime, quelques outrances. Mais dans l’ensemble le pari est réussi. De toute façon, même si Don Quichotte est une œuvre populaire, elle n’est pas si accessible que ça. Il faut rester attentif et concentré. L’énergie dépensée par les acteurs nous y aide amplement.

Les deux comédiens qui incarnent Don Quichotte et Sancho Pança, Sylvain Mossot et Axel Blind, sont impeccables, tant physiquement, que dans leur jeu. Ils forment un formidable duo. Et ils sont remarquablement épaulés par Barbara Castin et Anthony Henrot.

Il est vrai que c’était une sacrée gageure que de compacter ainsi, 400 ans après sa sortie, le pavé de Cervantès. L’esprit du livre est tout à fait respecté. On en a simplement extrait le suc. Ça nous suffit amplement pour comprendre le message.

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