Liberté
chérie
Polydor
/ Universal Music France
Liberté
chérie : septième album solo de Calogero. 7… Chiffre
symbolique s’il en est. Mais pour ce qui concerne Calogero, je ne retiendrai
que les sept notes qui font la Musique. La Musique avec un « M »
majuscule. La Musique qui nourrit un des titres-phare de ce nouvel opus, Je joue de la musique.
Sept albums en dix-huit
ans, ce n’est pas une super production, mais c’est à chaque fois une production
super. Super et superbe. En gros, il sort un CD tous les trois ans et, à chaque
fois, c’est un événement.
Calogero… Je l’ai connu
avec plein de cheveux ! Je l’ai rencontré pour la première fois le 22 mai
1990. Il allait sur ses 19 ans et il était le leader charismatique et angélique
des Charts. Il était habité par la passion. Et comme il était déjà bourré de
talent et d’inventivité, il était sûr qu’il ferait carrière. Mais, pour
paraphraser Brassens, « Le talent sans le travail n’est qu’une sale
manie »… Calo a bossé ; bossé dur, très dur pour atteindre cette
forme de perfection qui fait que chacune de ses chansons, nous paraissant
évidente, nous embarque imparablement, nous émeut, nous charme, nous donne à
penser, nous distrait, nous réjouit.
Liberté
chérie est un album particulièrement accompli. Toujours en
référence à Tonton Georges, « y’a rien à jeter, sur l’île déserte il faut
tout emporter ». Il n’a fait appel qu’à deux auteurs, deux sacrées plumes,
qui savent faire sonner les mots et teinter la réalité de poésie : Paul
Ecole pour huit chansons, Marie Bastide pour quatre (Pierre Riess n’intervenant
que sur un seul). Il en ressort treize titres à la portée universelle, des
titres qui nous touchent tous. Dans cet album, il y a surtout du positif, du
lumineux et beaucoup d’humanité. Il y a juste ce qu’il faut de nostalgie légère
et un zeste de mélancolie. C’est un dosage parfait. Et puis, comme toujours, il
y a une vraie élégance.
Enfin, il y a la voix
incomparable de Calogero. Il fait ce qu’il veut avec elle, il sait lui donner
toutes les intonations. Tout comme il sait jouer de la musique, il sait jouer
avec sa voix. Il n’interprète aucune chanson de la même manière. Il imprime à
chacune une couleur vocale et un climat particuliers. Ses interprétations sont
empreintes de sensibilité et d’intelligence. Si bien qu’aucun titre ne nous
laisse indifférent.
1/ Voler de nuit est un clin
d’œil appuyé à Antoine de Saint-Exupéry, pionnier de l’Aéropostale. Calogero
n’oublie pas qu’il fut un temps, à la fin des années 80, un « petit
prince » de la chanson. Sur une musique volontairement aérienne, cette
chanson prend de la hauteur. Du ciel, tout s’uniformise, les inégalités
s’effacent (« vu d’avion, on a l’air tous les mêmes ») ; il est
plus facile ainsi de faire passer un message de paix et de solidarité.
2/ Je joue de la musique est
une profession de foi, une déclaration d’amour à la Musique. Elle est tout pour
lui : son refuge, son oxygène, son point d’ancrage. Bref, elle est toute
sa vie, son âme sœur. Son refrain nous entre grave dans la tête et, à l’instar
du bout de scotch du capitaine Haddock, on ne peut plus d’en défaire… Son amour
pour la musique, il ne veut pas le vivre en égoïste, il veut le partager en une
sorte de communion.
3/ 1987 n’est pas une année
anodine. C’est l’année de naissance des Charts. C’est là que tout a commencé il
y a trente ans. Pourtant, il n’y a aucune nostalgie (« Y’a rien que je
regrette »). Au contraire, c’est frais, sautillant, léger. Et c’est truffé
d’images, d’objets, de name dropping et d’actualités d’époque. Là aussi, il ne
garde pas ses souvenirs pour lui seul car il interpelle celles et ceux de sa
génération à grands coups de « Tu t’ souviens »…
4/ Julie est une chanson
étonnante. Sur une musique martiale, percutante, elle raconte l’histoire d’une
solitude, d’une vie étriquée. Scandée comme un métronome, elle rythme le temps
qui passe. L’arrangement est aussi fort qu’original. Heureusement, la chanson
se termine sur une petite lueur d’espoir. Nombre de jeunes femmes se
reconnaîtront en Julie.
5/ Fondamental est ma
chanson préférée. L’écriture est volontairement souchonienne. Ce titre résume
ce qui remplit et habille une vie. Ce qui constitue notre bagage
personnel : les odeurs, les chansons, les vêtements, les prénoms, les
photos… tout ce qui nous a accompagné. C’est doux, émaillé de jolies sonorités
et le refrain est magistral.
6/ A perte de vue fait
également partie de mes gros coups de cœur. Poétique et tendre, cette chanson
prend un aspect obligatoirement descriptif puisque le narrateur devient les
yeux de l’auditeur. C’est par ses mots, ses images, que ce dernier peut se
représenter un décor bucolique à souhait. Le titre prend ici tout son (double)
sens. C’est une ode à la nature magnifiés par ce constat : « On ne
voit bien qu’avec le cœur ».
7/ On se sait par cœur,
c’est la complexité de la séparation mise en abîme. Le texte (de Pierre Riess),
embelli par de jolies allitérations, est remarquable. Tout ce qui unit et peut
désunir un couple y est jeté, brassé, analysé pêle-mêle avec, en leitmotiv, cette
terrible épée de Damoclès que représente « le dernier pas ». Pas
facile de savoir prendre la bonne décision…
8/ Premier pas sous la lune
est elle aussi chargée de symboles. Contrairement à Voler de nuit, nous
sommes cette fois au ras des pâquerettes. La seule solution pour essayer de
prendre de la hauteur, c’est de se lever, d’avancer un pied, puis l’autre et de
se lancer dans la vie, d’oser partir à l’aventure et, pourquoi pas, dans
l’espace.
9/ Comment font-ils, pour
moi, rejoint et complète On se sait par cœur. Cette fois-ci
le thème de la séparation est vu de l’extérieur. En prenant en compte l’érosion
du temps qui passe dans un couple, existe-t-il des recettes pour le faire
durer ? Sur une mélodie lancinante, défilent toutes les questions que l’on
se pose à ce sujet. Et, hélas, il n’y a pas de réponse.
10/ Le baiser sans prénom
vient en deuxième position dans l’ordre de mes préférences. Quelle belle
écriture et quelle jolie mélodie. Sur une valse qui tourne comme un manège est
évoqué le souvenir d’un baiser. Mais quel baiser. C’est LE baiser ; le
baiser idéal parce que magnifié par son côté unique et éphémère. Amplifiée par
le fantasme, l’interprétation est pleine de tendresse. Et quel refrain !
11/ Liberté chérie est un
superbe hommage à Paris et à ses amoureux. Tout de suite, j’ai pensé à Doisneau
(surtout après le Baiser) et, évidemment, il arrive dans le troisième couplet.
Dans cette chanson, Paris est représentée comme la capitale de l’amour. L’amour
y est partout. Le moindre endroit, le moindre quartier suinte l’amour. C’est
une chanson qui pourrait y booster encore plus le tourisme !
12/ Ma maison est construite
un peu dans le prolongement de Fondamental. C’est du moins le même
état d’esprit puisqu’on y évoque la force des souvenirs. Mais elle est encore
plus personnelle (autobiographique ?). Elle est d’une terrible force
suggestive. Dans cette maison vide et abandonnée, avant, il y avait de la vie,
il y avait des enfants qui riaient, il y naissait des rêves… Il y a tant de
tendresse dans la voix de Calo !
13/ Le vélo d’hiver est une
touchante évocation d’un endroit dédié au sport et à la fête qui est devenu par
les pulsions maléfiques du destin le symbole d’une tragédie innommable :
la déportation. Marie Bastide y évite brillamment l’écueil du pathos. Elle a su
habilement s’attarder sur ce qu’il y avait de festif sans s’appesantir sur ce
qu’il y a eu de dramatique. Mais en terminant sur cette image elle rend son
trait bien plus fort. C’est bien de terminer l’album sur cette chanson forte.
Gilbert "Critikator" Jouin