vendredi 8 septembre 2017

Calogero "Liberté chérie"

Liberté chérie
Polydor / Universal Music France


Liberté chérie : septième album solo de Calogero. 7… Chiffre symbolique s’il en est. Mais pour ce qui concerne Calogero, je ne retiendrai que les sept notes qui font la Musique. La Musique avec un « M » majuscule. La Musique qui nourrit un des titres-phare de ce nouvel opus, Je joue de la musique.
Sept albums en dix-huit ans, ce n’est pas une super production, mais c’est à chaque fois une production super. Super et superbe. En gros, il sort un CD tous les trois ans et, à chaque fois, c’est un événement.
Calogero… Je l’ai connu avec plein de cheveux ! Je l’ai rencontré pour la première fois le 22 mai 1990. Il allait sur ses 19 ans et il était le leader charismatique et angélique des Charts. Il était habité par la passion. Et comme il était déjà bourré de talent et d’inventivité, il était sûr qu’il ferait carrière. Mais, pour paraphraser Brassens, « Le talent sans le travail n’est qu’une sale manie »… Calo a bossé ; bossé dur, très dur pour atteindre cette forme de perfection qui fait que chacune de ses chansons, nous paraissant évidente, nous embarque imparablement, nous émeut, nous charme, nous donne à penser, nous distrait, nous réjouit.

Liberté chérie est un album particulièrement accompli. Toujours en référence à Tonton Georges, « y’a rien à jeter, sur l’île déserte il faut tout emporter ». Il n’a fait appel qu’à deux auteurs, deux sacrées plumes, qui savent faire sonner les mots et teinter la réalité de poésie : Paul Ecole pour huit chansons, Marie Bastide pour quatre (Pierre Riess n’intervenant que sur un seul). Il en ressort treize titres à la portée universelle, des titres qui nous touchent tous. Dans cet album, il y a surtout du positif, du lumineux et beaucoup d’humanité. Il y a juste ce qu’il faut de nostalgie légère et un zeste de mélancolie. C’est un dosage parfait. Et puis, comme toujours, il y a une vraie élégance.
Enfin, il y a la voix incomparable de Calogero. Il fait ce qu’il veut avec elle, il sait lui donner toutes les intonations. Tout comme il sait jouer de la musique, il sait jouer avec sa voix. Il n’interprète aucune chanson de la même manière. Il imprime à chacune une couleur vocale et un climat particuliers. Ses interprétations sont empreintes de sensibilité et d’intelligence. Si bien qu’aucun titre ne nous laisse indifférent.

1/ Voler de nuit est un clin d’œil appuyé à Antoine de Saint-Exupéry, pionnier de l’Aéropostale. Calogero n’oublie pas qu’il fut un temps, à la fin des années 80, un « petit prince » de la chanson. Sur une musique volontairement aérienne, cette chanson prend de la hauteur. Du ciel, tout s’uniformise, les inégalités s’effacent (« vu d’avion, on a l’air tous les mêmes ») ; il est plus facile ainsi de faire passer un message de paix et de solidarité.

2/ Je joue de la musique est une profession de foi, une déclaration d’amour à la Musique. Elle est tout pour lui : son refuge, son oxygène, son point d’ancrage. Bref, elle est toute sa vie, son âme sœur. Son refrain nous entre grave dans la tête et, à l’instar du bout de scotch du capitaine Haddock, on ne peut plus d’en défaire… Son amour pour la musique, il ne veut pas le vivre en égoïste, il veut le partager en une sorte de communion.

3/ 1987 n’est pas une année anodine. C’est l’année de naissance des Charts. C’est là que tout a commencé il y a trente ans. Pourtant, il n’y a aucune nostalgie (« Y’a rien que je regrette »). Au contraire, c’est frais, sautillant, léger. Et c’est truffé d’images, d’objets, de name dropping et d’actualités d’époque. Là aussi, il ne garde pas ses souvenirs pour lui seul car il interpelle celles et ceux de sa génération à grands coups de « Tu t’ souviens »…

4/ Julie est une chanson étonnante. Sur une musique martiale, percutante, elle raconte l’histoire d’une solitude, d’une vie étriquée. Scandée comme un métronome, elle rythme le temps qui passe. L’arrangement est aussi fort qu’original. Heureusement, la chanson se termine sur une petite lueur d’espoir. Nombre de jeunes femmes se reconnaîtront en Julie.

5/ Fondamental est ma chanson préférée. L’écriture est volontairement souchonienne. Ce titre résume ce qui remplit et habille une vie. Ce qui constitue notre bagage personnel : les odeurs, les chansons, les vêtements, les prénoms, les photos… tout ce qui nous a accompagné. C’est doux, émaillé de jolies sonorités et le refrain est magistral.

6/ A perte de vue fait également partie de mes gros coups de cœur. Poétique et tendre, cette chanson prend un aspect obligatoirement descriptif puisque le narrateur devient les yeux de l’auditeur. C’est par ses mots, ses images, que ce dernier peut se représenter un décor bucolique à souhait. Le titre prend ici tout son (double) sens. C’est une ode à la nature magnifiés par ce constat : « On ne voit bien qu’avec le cœur ».

7/ On se sait par cœur, c’est la complexité de la séparation mise en abîme. Le texte (de Pierre Riess), embelli par de jolies allitérations, est remarquable. Tout ce qui unit et peut désunir un couple y est jeté, brassé, analysé pêle-mêle avec, en leitmotiv, cette terrible épée de Damoclès que représente « le dernier pas ». Pas facile de savoir prendre la bonne décision…



8/ Premier pas sous la lune est elle aussi chargée de symboles. Contrairement à Voler de nuit, nous sommes cette fois au ras des pâquerettes. La seule solution pour essayer de prendre de la hauteur, c’est de se lever, d’avancer un pied, puis l’autre et de se lancer dans la vie, d’oser partir à l’aventure et, pourquoi pas, dans l’espace.

9/ Comment font-ils, pour moi, rejoint et complète On se sait par cœur. Cette fois-ci le thème de la séparation est vu de l’extérieur. En prenant en compte l’érosion du temps qui passe dans un couple, existe-t-il des recettes pour le faire durer ? Sur une mélodie lancinante, défilent toutes les questions que l’on se pose à ce sujet. Et, hélas, il n’y a pas de réponse.

10/ Le baiser sans prénom vient en deuxième position dans l’ordre de mes préférences. Quelle belle écriture et quelle jolie mélodie. Sur une valse qui tourne comme un manège est évoqué le souvenir d’un baiser. Mais quel baiser. C’est LE baiser ; le baiser idéal parce que magnifié par son côté unique et éphémère. Amplifiée par le fantasme, l’interprétation est pleine de tendresse. Et quel refrain !

11/ Liberté chérie est un superbe hommage à Paris et à ses amoureux. Tout de suite, j’ai pensé à Doisneau (surtout après le Baiser) et, évidemment, il arrive dans le troisième couplet. Dans cette chanson, Paris est représentée comme la capitale de l’amour. L’amour y est partout. Le moindre endroit, le moindre quartier suinte l’amour. C’est une chanson qui pourrait y booster encore plus le tourisme !

12/ Ma maison est construite un peu dans le prolongement de Fondamental. C’est du moins le même état d’esprit puisqu’on y évoque la force des souvenirs. Mais elle est encore plus personnelle (autobiographique ?). Elle est d’une terrible force suggestive. Dans cette maison vide et abandonnée, avant, il y avait de la vie, il y avait des enfants qui riaient, il y naissait des rêves… Il y a tant de tendresse dans la voix de Calo !

13/ Le vélo d’hiver est une touchante évocation d’un endroit dédié au sport et à la fête qui est devenu par les pulsions maléfiques du destin le symbole d’une tragédie innommable : la déportation. Marie Bastide y évite brillamment l’écueil du pathos. Elle a su habilement s’attarder sur ce qu’il y avait de festif sans s’appesantir sur ce qu’il y a eu de dramatique. Mais en terminant sur cette image elle rend son trait bien plus fort. C’est bien de terminer l’album sur cette chanson forte.

Gilbert "Critikator" Jouin

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