mercredi 31 janvier 2018

Zigzag

Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Ecrite et mise en scène par Xavier Lemaire
Décor de Caroline Mexme
Lumières de Stéphane Baquet
Costumes de Marie-Thérèse Roy

Avec Isabelle Andréani, Franck Jouglas, Xavier Lemaire ou Alain Sachs

Présentation : Et si la première scène du Médecin malgré lui de Molière vous était présentée dans trois versions différentes ?
Zigzag ou le pourquoi du comment de l’art de la mise en scène dans un spectacle ludique et surprenant…

Mon avis : Si vous êtes amateur d’ovnis, cette pièce est pour vous.
D’abord, il ne faut pas arriver en retard au Petit Montparnasse car le spectacle commence avant le spectacle. Ce préambule nous conditionne sur ce qui nous attend : ça sent le burlesque !

Zigzag est une sorte de master class. Un metteur en scène quelque peu grandiloquent (Xavier Lemaire) nous invite à une conférence au cours de laquelle il va nous démontrer à travers différentes interprétations le rôle et l’influence que ses pairs peuvent avoir sur la lecture d’une pièce et, partant, sur le jeu des acteurs. Pour cela, il va s’appuyer sur trois versions différentes – personnellement, j’en ai vu quatre – de la première scène ô combien trépidante du Médecin malgré lui de Molière.

Photo J.B. Vincens

Voilà, le postulat est posé… Après avoir attiré notre attention sur le pouvoir prépondérant de l’imaginaire, il va faire appel aux deux seules personnes dont il dispose, le régisseur de plateau en chef et son assistante débutante. Ça part d’un bon sentiment. Lui, il est tout entier tourné vers sa démonstration, il prend sa mission didactique très au sérieux ; le problème, c’est qu’il va avoir affaire à deux véritables branquignols… Son bel académisme va singulièrement se déliter pour partir carrément en sucette.

Ce qui est bien, c’est que le déroulement de la pièce va crescendo. Ça démarre comme un diésel et ça se termine comme une Formule 1. Mais essayez de faire des zigzags avec une Ferrari… Vous êtes bon pour une sortie de route. En clair, on part d’une version classique du Médecin malgré lui pour finir sur une transcription post-moderne totalement déjantée.

Photo J.B. Vincens

Ce spectacle insensé ne pourrait exister sans la présence étourdissante des deux branquignols en question : Franck Jouglas et Isabelle Andréani. Quelle prestation ils nous offrent ! Quel éventail de jeu ! Quelle présence ! Ils sont l’un et l’autre véritablement époustouflants. Il n’y a pas d’autre mot. Ils osent tout. S’ils peuvent se le permettre, c’est parce qu’ils savent tout faire. Leur inventivité est vraiment jubilatoire. On se demande en permanence jusqu’où ils vont aller. Et puis on abandonne car ils vont encore plus loin que ce que l’on avait osé imaginer. C’est de la folie pure. Mais une folie totalement maîtrisée car servie par un jeu parfaitement abouti.

Photo J.B. Vincens

Le pauvre metteur en scène a le talent de savoir s’effacer devant eux. Il fait celui qui a tout imaginé et qui, quand tout lui échappe, feint d’en être l’organisateur. Procédé connu qui s’appelle de la récupération. Le jeu de ce personnage qui se veut être deux ex machina et qui, de toute façon, restera droit dans ses convictions se doit d’être tout en nuances et en déséquilibre permanent. Xavier Lemaire s’en tire à merveille. Tout en gardant sa superbe, il sait que, quoi qu’il fasse, il va se faire voler la vedette par ces deux hurluberlus géniaux, ces deux clowns modernes. Il faut une certaine dose d’humilité.

Photo J.B. Vincens

Zigzag est une pièce qui fait l’apologie du théâtre, qui rend un vibrant hommage aux acteurs et qui tente de définir la fonction de metteur en scène.
En tout cas, hier soir, avec Franck Jouglas et Isabelle Andréani, j’ai vu sur scène deux véritables phénomènes (définition de phénomène : Personne qui se fait remarquer par son caractère extraordinaire, singulier, exceptionnel ; qui surprend par son originalité, son caractère excentrique).

Gilbert « Critikator » Jouin



mardi 30 janvier 2018

Les sphères ennemies

Théâtre Montmarte-Galabru
4, rue de l’Armée d’Orient
75018 Paris
Réservations : email : tmg75018@gmail.com
Métro : Abbesses / Blanche / Lamarck-Caulaincourt

Prochaine représentation : 11 février 2018

Une pièce de J.B. Thomas-Sertillanges et Olivier Teillac
Sur un texte de J.B. Thomas-Sertillanges
Mise en scène par Alexis Berecz
Avec J.B. Thomas-Sertillanges (Jo Latrick / hémisphère gauche), Olivier Teillac (Nathan Lafleur / hémisphère droit)

Présentation : Jo Latrick, hémisphère gauche, primaire, impulsif et cynique, aime chasser la gazelle.
Nathan Lafleur, hémisphère droit, idéaliste, protecteur et romantique, aime cueillir les coquelicots.
A première vue, ils n’ont rien en commun… si ce n’est qu’ils vivent depuis 33 ans dans le même cerveau, celui de Jonathan. Et quand Jonathan rencontre Mary-Jane, la seule, l’unique… le duo chasseur-cueilleur va devoir trouver un terrain d’entente pour la conquérir, pour le meilleur et pour le pire.
Les Sphères ennemies raconte en neuf chapitres les instants-clés d’une histoire d’amour intemporelle et ordinaire… mais à travers le prisme du dialogue intérieur entre deux facettes d’une même personne, chacune incarnée par un personnage : l’un basique et rock’n’roll, l’autre sains de corps et d’esprit.
Une pensée subjective dans la pensée d’un homme qui tombe amoureux… à la croisée de Vice-Versa (Pixar) et Fight-Club (David Fincher).

Mon avis : Ce spectacle aurait pu s’appeler « Tempête sous un crâne » si Victor Hugo n’en avait pas déjà déposé le titre. Mais, en même temps, « Les sphères ennemies », c’est parfait. En effet, phonétiquement, on pourrait entendre « les frères ennemis » ou, en pseudo verlan, « Les hémisphères »… De toute façon, chacune de ces propositions est apte à définir le spectacle qu’il nous est donné de voir.

Je n’irai pas par quatre chemins : cette pièce est un véritable coup de cœur ! Et aussi un coup de tête car elle est particulièrement intelligente. C’est normal, pourrez-vous objecter, puisque le principal personnage en est un cerveau ; un cerveau masculin pour être plus précis et ça a son importance.
L’idée est magistrale : nous faire pénétrer dans le cortex d’un certain Jonathan et assister à l’affrontement des deux hémisphères de son cerveau, le gauche et le droit. A gauche, il y a Jo (première syllabe de Jonathan), et à droite Nathan (la deuxième syllabe), ce qui est fort malin. Ces deux là cohabitent, mais pas en très bonne intelligence. En effet, n’ayant pas du tout la même psychologie de vie, ils sont en conflit quasi permanent.


Le crâne dans lequel ils résident est très esthétiquement représenté. Le décor est aussi superbe qu’ingénieux (je vous en laisse les nombreuses surprises). Dans la partie spécifiquement réservée à Jo, trônent des litres d’alcool alors que dans celle de Nathan, ce sont les livres qui sont mis en avant. Entre « litres » et « livres », il n’y a qu’une lettre de différence, mais elle est édifiante. Cette illustration est tout à fait symbolique de leur mentalité respective. Jo est un hédoniste, un jouisseur, un impulsif ; il ne rechigne pas à se montrer cynique lorsqu’il le faut… Quant à Nathan, c’est un raisonneur, un placide, un pragmatique ; il est plutôt diplomate. En résumé, Nathan est avide de culture : Jo aussi, mais sans le « ture ».

Ils se supportent tant bien que mal, se chamaillent gentiment. Ils se connaissent tellement bien ! Jusqu’au jour où leur quotidien va être bouleversé par l’irruption de l’amour. Aussi belle qu’intelligente, Mary-Jane a tout pour plaire à l’un comme à l’autre (« Ce n’est pas une fille, c’est un parc d’attraction ! »). Le problème, c’est qu’ils tentent chacun d’imposer leur propre stratégie. Ils se métamorphosent soudain en deux crâneurs que leurs cellules grisent…


Dialogues ping-pong, leurs joutes verbales sont savoureuses. Leur antagonisme est autant psychologique que physique. Jo, survolté, tourbillonne telle la mouche du coche autour d’un Nathan que la découverte soudaine de l’amour décontenance un tantinet. Il est limite de perdre son flegme et sa faculté d’analyse… Il faut absolument que ces deux-là, tournés vers un même objectif - séduire la belle – trouvent un terrain d’entente. Ils y parviendront tant bien que mal en se réfugiant hypocritement derrière cette sublime définition du compromis : « On ferme notre gueule, on fait ce qu’elle dit… »

On se régale devant ce comportement schizophrénique. Tout ce qui peut traverser et envahir le cortex d’un Jonathan submergé par la passion amoureuse y est exprimé. Cette remarquable étude de l’intellect masculin dans ses pulsions et ses fantasmes est si précisément décrite – et sans complaisance - qu’elle peut permettre à toutes les femmes de mieux nous comprendre. Cette pièce possède donc une valeur pédagogique indiscutable pour une meilleure relation homme-femme.


Excellents dialogues, mise en scène vive et inventive, bande-son originale, cette pièce est truffée de trouvailles. Il y a de la bagarre, des chorégraphies, les interventions délectables de certains autres organes… C’est un spectacle total qui vaut autant pour ses mots que pour sa gestuelle. Quant aux deux comédiens, physiquement dissemblables, ils apportent à ce spectacle plein de fantaisie de la fraîcheur et une formidable générosité.

Finalement, lorsqu’il a confectionné notre cerveau, le Créateur aurait dû inventer un hémisphère à cheval, une sorte de passerelle qui aurait pu permettre d’instiller plus de tact dans les relations inévitablement conflictuelles entre la gauche et la droite. Et puis, un hémisphère à cheval, ça porte bonheur…

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 12 janvier 2018

Enooormes !

Théâtre Trévise
14, rue de Trévise
75009 Paris
Tel : 01 45 25 35 45
Métro : Cadet / Bonne Nouvelle / Grands Boulevards

Spectacle musical écrit par Alyssa Landry et Emmanuel Lenormand
Musique de Thierry Boulanger
Mis en scène par Emmanuel Lenormand
Costumes de Benjamin Lefèvre
Décors de Christophe Auzolles

Avec Anaïs Delva (Mia), Cécilia Cara (Capucine), Marion Posta (Barbara) ou, en alternance, Claire Pérot (Mia), Dalia Constantin (Capucine), Magali Bonfils (Barbara)

Présentation : C’est l’histoire de trois femmes. En cloque. Trop glauque. Avec un polichinelle dans l’ tiroir. Trop « vieille histoire ». Avec une brioche au four. Trop chaud. Elles ne sont pas pour. Enceintes et, bientôt… énooormes !
Aidées de seize chansons, elles vont nous confier leurs angoisses, leur impatience, leurs joies. Choisir un prénom pour le bébé, apprendre à changer une couche, supplier pour des fraises, vanter la péridurale… Tout cela avec humour, charme et séduction.
A partir du moment où elles apprennent leur grossesse jusqu’à l’accouchement, bien des choses vont se passer. Un compte à rebours est lancé. Plus que six mois ; quatre mois ; trois jours ; deux heures avant l’arrivée de Monsieur Bébé. Seront-elles prêtes ? Bébé sera-t-il là à l’heure ?
Vivons ces neuf mois en leur compagnie afin de tout savoir…

Mon avis : Alphonse Allais avait affirmé sous forme de calembour que « La mère rit de son arrondissement ». C’est certainement le cas pour certaines femmes, et c’est tant mieux, mais il ne faut surtout pas en faire une généralité. On ne réagit pas toujours de la même façon lorsque l’on apprend que l’on a réussi avec succès un test de grossesse… C’est le cas de Barbara (Marion Posta), Capucine (Cécilia Cara) et Mia (Anaïs Delva), trois très bonnes copines, qui apprennent simultanément qu’elles ont « un polichinelle dans le tiroir ».

Enooormes !, avec trois « o » (« Occupé, comme leur ventre ; « Organique », pour tout ce qui s’y passe à l’intérieur ; « Osée », car on y appelle un chat un chat) est une pièce intéressante parce que, sous le couvert de la légèreté, elle frise parfois le documentaire. Les auteurs sont parvenus à nous amuser et à nous émouvoir en enfantant une comédie – à forte connotation musicale - sur un thème aussi vieux que le monde : la grossesse. Je crois que c’est la toute première pièce résolument obstétricale à laquelle j’assiste. En effet, on suit nos trois héroïnes depuis le jour où elles sont informées qu’une petite graine a germé en leur sein jusqu’à leur accouchement. Pendant neuf mois, donc, nous sommes les témoins de leurs états d’âme, nous assistons à leur évolution physique, nous vivons avec elles les conséquences à la fois physiologiques et psychologiques que leur état entraîne ; elles évoquent également des problèmes plus pratiques comme le choix du prénom, la pose des couches, les préparatifs de l’accouchement et l’option ou non de la péridurale… Tout y est !
Mais tout cela elles le racontent en fonction de leur mentalité, de leur vécu et, bien sûr, de l’implication du géniteur.


La pièce est drôle parce que les caractères des jeunes femmes sont totalement différents. Barbara, c’est la working girl doublée, en raison de son métier, d’une fashion victime. Dotée d’un sacré tempérament, elle est cash, exubérante, sceptique et pragmatique… Mia est plus discrète, plus en retenue. C’est une femme libre et indépendante qui cache sa fragilité en jouant les fatalistes et en se montrant un peu trop sûre d’elle… Et puis il y a Capucine. C’est quelque chose. Elle est romantique, catholique pratiquante (sa patronne doit être Sainte Nitouche) bref, c’est une ravie de la crèche. Conventionnelle et naïve, elle positive systématiquement.
Liées par une complicité et une amitié sans faille, elles peuvent tout se dire, tout se confier, y compris leurs désagréments les plus intimes (n’est-ce pas Mia ?). Et elles s’échangent en toute franchise leurs appréhensions, leurs peurs, leurs doutes, mais aussi leurs espoirs et leurs exaltations. Si le fond se veut sérieux parce que réaliste, les dialogues sont toujours drôles, excellement servis par trois comédiennes pleines d’énergie, de talent et de justesse et à la personnalité bien tranchée.


La construction de la pièce est simple car elle se compose d’une succession de saynètes ou de tableaux présentés dans l’ordre chronologique. En revanche, sa mise en scène est extrêmement bien travaillée. Utilisation de projections, d’accessoires, rôle important des voix off, scènes et chansons plus ou moins longues. Car, dans Enooormes ! il y a des chansons !
En effet de ces trois enceintes, naturellement, il sort du son… Un son tour à tour mélodieux, bluesy, rock’n’roll, jazzy, mélancolique. Lorsqu’elles chantent ensemble, leurs voix s’harmonisent parfaitement. C’est du miel pour nos trompes d’Eustache. Par moment, j’avais l’agréable sensation de retrouver l’ambiance vocale des meilleures comédies musicales américaines des années 50.
Chacune a son moment de bravoure. Capucine avec sa démonstration burlesque de l’utilisation des couches ; Barbara lorsqu’elle danse et joue avec un manteau vide d’occupant ; l’interprétation particulièrement émouvante de Mia dans une chanson intitulée « Seule ». Elles sont vraiment épatantes toutes les trois, chacune maîtrisant à merveille son registre. Mention particulière toutefois à Cécila Cara, dont le personnage est quand même un peu plus étoffé et fouillé que les autres. Elle nous révèle une fantaisie et un sens de l’humour qui, pour ceux qui ne la connaissent pas, est inattendu. Sa palette de jeu s’est encore élargie. Il y a en elle un petit côté Audrey Hepburn pas encore assez exploité. Alfred Hitchcock l’aurait adorée.

Comme son nom l’indique, Enooormes ! est une pièce gonflée, parfois crue, toujours distrayante, interprétée finement et malicieusement par trois pas très sages femmes aussi douées en comédie qu’en chant. Osons le néologisme : Barbara, Capucine te Mia sont rois exquises « partu-riantes »…

Gilbert « Critikator » Jouin






samedi 6 janvier 2018

Raphaël Mezrahi "Ma grand-mère vous adore !"

Théâtre Grévin
10, boulevard Montmartre
75009 Paris
Tel : 08 99 23 33 77
Métro : Grands Boulevards

Ecrit et interprété par Raphaël Mezrahi

Présentation : Il y a deux ans, dans un supermarché, alors qu’il faisait ses courses, Une file magnifique de 26 ans s’approche de Raphaël Mezrahi et lui dit : « ma grand-mère vous adore ! ». Une fois la déception passée, il se dit que ce serait un super titre de spectacle.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Pendant plus d’une heure et demie, il raconte des anecdotes improbables sur sa vie et sur toutes les rencontres incroyables qu’il a pu faire. Le tout ponctué de vidéos qu’il a proposées à la télé et qui ont été refusées (vous comprendrez - ou pas - pourquoi)…

Mon avis : Raphaël Mezrahi est un être à part dans l’audiovisuel français. Il n’entre dans aucun code établi. Il est dans son monde. Et lorsqu’il nous y invite, comme c’est le cas actuellement au Théâtre Grévin avec Ma grand-mère vous adore !, c’est pour nous proposer une sorte de rendez-vous en terre inconnue. Je dis bien « terre » car Raphaël Mezrahi, en dépit des apparences, n’a rien d’un lunaire. Il a les pieds et la tête bien enracinés au sol. Pendant deux heures, hôte débonnaire et facétieux, il joue les guides pour nous entraîner dans une galerie à nulle autre pareille.


Si Pierre Desproges nous bousculait et nous amusait avec ses Chroniques de la haine ordinaire, Raphaël Mezrahi, lui, nous propose plutôt ses « Chroniques de l’amour ordinaire ». Il aime les gens, surtout les petites gens. Et plus particulièrement les mamies. Il est en totale empathie. Suivi en permanence par son fidèle cameraman, Loïc, il pratique une forme d’ethnologie sociale en partant à la recherche de personnages d’autant plus saugrenus et loufoques qu’ils sont eux-mêmes, qu’ils sont vrais. Leur disponibilité, leur implication et, surtout, leur incroyable gentillesse nous font rire, certes, mais jamais d’un rire moqueur ou cynique. Ils ne provoquent chez nous de qu’indulgence et bienveillance.


Le seul en scène de Raphaël Mezrahi est tout entier placé sous le double signe du sourire et de la tendresse. Il n’y a aucune méchanceté chez lui. Et encore moins chez son double, le journaliste « professionnel » Hugues Delatte, très présent dans le spectacle… Sa cousine, Dolorès Boutboul me l’a d’ailleurs confirmé : Raphaël est consciencieux, sensible, il s’intéresse à son prochain, il le respecte et il l’aime. Le hic, c’est qu’il n’interviewe pas sur les sentiers battus. Il a le micro buissonnier. Il n’aime rien tant que de sortir des chemins balisés pour s’aventurer dans des endroits qui ne l’attirent que lui. Et il y déniche des petites pépites qui n’ont de valeur qu’à ses yeux. Il a ceci de paradoxal qu’il réussit le tour de force de donner de la vie au vide. Et de nous fasciner avec ça.

A travers des entretiens, des reportages, des micro trottoirs, des porte-à-porte, il nous entraîne dans son monde insolite, absurde, dérisoire mais profondément humain. Sa marginalité est voulue, assumée. Mais c’est aussi un faux naïf car son œil malicieux montre qu’il n’est dupe de rien. C’est ce qui fait sa force. Il sait que le monde est loin d’être rose mais il a délibérément choisi de n’en partager avec nous que les aspects les plus drôles, les plus légers et les plus tendres.

Gilbert « Critikator » Jouin


mercredi 3 janvier 2018

Suzanne, la vie étrange de Paul Grappe

Théâtre de l’Hôpital Bretonneau
23, rue Joseph de Maistre
75018 Paris
Tel : 06 58 32 26 06
Métro : Lamarck / La Fourche / Guy Môquet
Du 11 au 14 janvier (jeudi, vendredi, samedi à 20 h 30, dimanche à 17 h 00)

Une pièce écrite et mise en scène par Julie Dessaivre
Librement inspirée de « La garçonne et l’assassin » de Danièle Voldman et Fabrice Virgili
Décor de Nicolas Roy
Costumes de Marie-Armelle Bloch
Lumières de Matthieu Tricaud
Création musicale d’Edouard Demanche
Avec Eloïse Bloch, Edouard Demanche, Constance Gueugnier, Zacharie Harmi, Léa Rivière

L’histoire : 1915. Paul Grappe déserte de front. De retour à Paris, il cherche une solution pour vivre. Libre. La police traque un homme ? Il sera une femme !
Pendant dix ans, aidé de Louise, son épouse, il est, aux yeux de tous, la charmante Suzanne. Mais, même maquillé, il demeure un mari possessif et violent.
La compagnie Rosa Rossa s’empare de cette histoire vraie et entremêle drame, humour et musique.

Mon avis : Je ne peux que vous encourager vivement d’aller découvrir cette pièce. D’abord, il y a l’endroit ; insolite : une salle de théâtre au sein d’un hôpital. Dépaysement garanti.
Mais surtout il y a la pièce qui y est donnée. Il ne faut pas beaucoup de temps aux comédiens pour nous attraper par les sentiments. D’autant que l’histoire qu’ils nous racontent est tirée d’un fait divers réel. Quand la réalité se teinte si joliment de fiction, on ne peut qu’être captivé, car concerné. Devant nous s’ébattent – et se battent – de vrais gens. Des gens comme nous quoi.


Comme Paul Grappe, on aurait peut-être pris la tangente du front pour échapper à l’horreur. Il en faut du courage pour déserter car, après, il faut survivre dans la clandestinité. Pour éviter un double enfermement : son corps d’homme recherché par la maréchaussée et le confinement dans le petit appartement qu’il partage avec son épouse, il devient Suzanne. Avec elle, il connaît la liberté, la griserie du danger, le pouvoir de la séduction et la débauche. La boisson aidant, Paul et Suzanne ont de plus en plus de mal à cohabiter. Impossible dans un tel dilemme d’échapper à la schizophrénie et à la violence.


Ce mélodrame qui se déroule il y a tout juste cent ans a de troublants accents d’actualité. On pense à ces femmes qui ont enduré les coups de leur conjoint durant des années et qui, par désespoir, se muent en meurtrière de leur bourreau. Comme Louise, elles ont défrayé la chronique. Comme Louise, elles ont droit, malgré tout, à notre compréhension, voire à notre indulgence.


Raconté comme ça, on se demande si cela vaut la peine de se déplacer pour assister à un drame. Eh bien oui ! Et même en courant car on rit énormément tout au long de la pièce. Remarquablement construite, elle nous fait vivre tout un éventail d’émotions. On passe du saugrenu au cruel, du cocasse à la répulsion, de la légèreté à l’agressivité, de la poésie au réalisme. On est troublé, amusé, révolté, secoué. Bref, il n’y a que de l’humain là-dedans...  La mise en scène est habile, maline, efficace. On passe d’un tableau à un autre avec vivacité, sans s’encombrer de fioritures. Un meuble qui change de place, un changement de costume, le tour est joué. On ne va qu’à l’essentiel. La bande son, enlevée, entraînante, vient contrebalancer les moments les plus âpres. On est dans la Vie. La vraie.

L’histoire, pour remarquablement construite qu’elle soit, ne saurait nous happer avec autant de vigueur sans la virtuosité des comédiens. Qu’est-ce qu’ils sont bons ces cinq-là ! Ils savent tout faire ; interprétant parfois plusieurs personnages, leur naturel est époustouflant. Aucun sur-jeu, que du naturel. C’est du théâtre bio.
On sort de l’Hôpital Bretonneau complètement revigoré. Ce spectacle devrait être remboursé par la Sécurité Sociale !

Gilbert « Critikator » Jouin


vendredi 8 décembre 2017

Pierre Palmade "Aimez-moi"

Théâtre du Rond Point
2bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Tel : 01 44 95 98 44
Métro : Franklin-Roosevelt / Champs-Elysées Clémenceau

Seul en scène écrit et interprété par Pierre Palmade
Mis en scène par Benjamin Guillard
Scénographie de Jean Haas
Lumières d’Olivier Oudiou
Son de Sébastien Trouvé

Présentation : Pierre Palmade a eu plusieurs vies, autant de grands écarts. Mais il revient aujourd’hui à la source de son art, à son amour de la scène en solitaire, à ses figures d’ébahis, de naïfs magnifiques ou de patriarches à la mauvaise foi bétonnée.
Il repart à l’aventure d’un tout nouveau spectacle ; sketchs, puzzle hilarant de figures humaines, galerie éclatée de portraits nourris à ses trente ans de carrière. Il revient, égal à lui-même mais grandi, toujours ahuri devant les folies des hommes, leur football, leur pouvoir, leurs scrabbles. Avec ses hanches qui se cassent, ses coups d’épaule, sa tête d’enfant, moineau tombé de haut, il reste abasourdi face aux absurdités de la vie. Buster Keaton de la parole, il accumule catastrophes et rires en cascades.

Mon avis : Mais oui Pierre, on t’aime ! Pas besoin de nous le demander encore. Ah, cet irrépressible besoin de se sentir sans cesse rassuré… Cet « Aimez-moi », c’est une plainte ou une exhortation ?

Pierre Palmade célèbre ses 30 ans de carrière et cela fait… 30 ans que je le connais ! Il n’avait que 19 ans quand je l’ai vu arriver à La Classe, dont j’étais parfois membre du jury pour les sélections. J’ai assisté à ses grands débuts au Point Virgule en 1989, et je l’ai interviewé pour la première fois fin août de la même année. Je me souviens avoir terminé mon article par ce jeu de mot approximatif : « C’est Palmade pour un début ! ». J’ai rencontré ses sœurs et plusieurs fois sa mère. On se croisait la nuit à l’Amazonial où il dînait souvent en compagnie de Jean-Marie Bigard, ou au Banana Café… Et, pendant plusieurs années, je l’ai régulièrement interviewé une fois par an, au rythme de ses nouvelles productions.


Pierre Palmade, je l’ai apprécié tout de suite. Il a apporté quelque chose de d’original, un type de personnage nouveau dans le monde de l’humour avec un univers si personnel. J’ai raffolé de son goût pour un non sense so British (ce devait être dans ses gènes car Bordeaux a été quasiment anglaise aux 14 et 15èmes siècles). Et puis, j’ai aimé l’homme, si attachant et irritant avec son mélange de doutes et de certitudes, ses maladresses, sa fragilité et sa fringale de vie. Bref, j’avoue faire partie des gens qui l’ont aimé, l’aiment et l’aimeront.

Je ne vois donc pas pourquoi, après trente ans de succès et d’aventures scéniques diverses, il s’inquiète encore de savoir si on l’aime. Hier soir, la grande salle du Rond Point était pleine à craquer. On ne se déplace pas un soir pluvieux et froid pour quelqu’un qui vous est indifférent. Le public vient par amour de l’humour si particulier de Pierre.
En plus, la promesse de le voir effectuer avec ce nouveau seul en scène une sorte de retour aux sources, un retour à ses fondamentaux, à savoir des sketchs mettant en présence toute une galerie de personnages, c’était tout à fait alléchant.


Effectivement, on retrouve le Palmade des débuts, mais avec l’expérience en plus, avec une parfaite maîtrise du jeu d'acteur et un peu plus d’assurance… Il attaque bille en tête avec une confidence complètement absurde qu’il veut nous faire candidement passer pour réelle : son enlèvement par un aigle à l’âge de 4 ans, ses deux années passées dans le nid du couple de rapaces et l’éducation qu’il y a reçue… Or, il réussit néanmoins à nous instiller un doute quant à la véracité des faits en nous affirmant que c’est au cours de ce stage aviaire qu’il a acquis, mimétisme oblige, sa curieuse tête d’oiseau. Si ça, ce n’est pas de l’autodérision !

Après un départ aussi extravagant, le ton est donné, il peut tout se permettre et nous entraîner dans un défilé de personnages tous aussi gratinés les uns que les autres ; certains revenant même plusieurs fois dans une sorte de running gag comme le bien barré Jacques Michelin. Cet hurluberlu reprend à sa manière la recette de « La Lettre », un sketch que Pierre avait écrit pour Muriel Robin. C’est d’une redoutable efficacité comique.

Sous des dehors de légèreté et de désinvolture, Pierre Palmade a l’art de glisser dans ses sketchs des situations et des propos qui donnent bigrement à réfléchir. Il introduit beaucoup d’humain dans son observation du monde qui l’entoure. Il adore jouer les étonnés alors qu’il est dupe de rien. Il s’amuse à analyser les méfaits d’une trop grande franchise (L’alcoolique, Myriam). Il aborde les difficultés de vivre en couple, surtout lorsqu’il y a un trop grand décalage entre les deux partenaires (Le Jeune). Il dénonce l’emprise maléfique qu’a sur nous la beauté. Il se complaît aussi, car il y excelle, à cultiver une vraie mauvaise foi (Plus de scrabble) ; etc, etc…


Ce spectacle est très homogène et plein de malice. Les sketchs sont plutôt brefs (il y en a une vingtaine). La mise en scène est impeccable car, en favorisant la suggestion, elle ne va qu’à l’essentiel. Et puis, j’insiste, derrière l’aspect parfois caricatural ou loufoque de certaines scènes, il y a beaucoup de sens. Avec Pierre Palmade, virtuose de la pirouette, il vaut mieux être équipé de lunettes double foyer car il y a presque systématiquement deux niveaux de lecture.

Enfin, quelques heures après le spectacle, il m’est soudain apparu comme évidente l’existence d’un message subliminal. Sur l’écran en fond de scène, on voit une lune qui grossit progressivement jusqu’à envahir l’espace. Bon sang, mais c'est bien sûr : Palmade, c’est l’ami Pierrot de la chanson ! En effet, c’est au clair de la lune qu’il vient nous prêter sa plume. Mais pas n’importe quelle plume, une plume d’aigle. D’un aigle fin. Fin comme lui.
Je suis désormais complètement rassuré : même s’il s’est souvent évertué de la brûler par les deux bouts, la chandelle de Pierre Palmade est bien loin d’être morte. Il a encore tellement de mots à écrire. Comme ça, on va encore pouvoir l’aimer un bon moment.

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 1 décembre 2017

Noémie de Lattre "Féministe pour homme"

La Nouvelle Seine
Péniche sur berge
Face au 3, Quai Montebello
75005 Paris
Tel : 01 43 54 08 08
Métro : Saint-Michel

Tous les jeudis à 21 h 30

Ecrit et interprété par Noémie de Lattre

Présentation : Noémie de Lattre a des faux seins. Elle danse, change souvent de couleur de cheveux et écrit des lettres d’insultes aux gros cons des rues. Elle parle des hommes et des femmes, aux hommes et aux femmes ; elle parle de sexe, de carrière, de famille, de publicité et de quotidien. Elle porte des robes fourreau, des talons de 12 et des décolletés plongeants. Et pourtant, elle est féministe !
Elle, pour qui ce mot était synonyme de vieilles filles aigries à aisselles velues, va vous raconter comment elle en est arrivée là et comment ça va vous arriver à vous aussi…

Mon avis : Titré « Féministe pour homme », le nouveau seule en scène de Noémie de Lattre est un véritable manifeste (définition : « Déclaration publique par laquelle une personne expose un programme d’action ou une position, le plus souvent politique ou esthétique »). « programme d’action », « position », « politique » (dans le sens sociétal du terme) et « esthétique », ces quatre mots résument parfaitement ce spectacle. Il faut néanmoins préciser qu’il s’agit d’un manifeste festif car on y rit pratiquement tout le temps…

Lorsque nous pénétrons dans la salle située en proue de la péniche sur laquelle elle se produit, Noémie de Lattre est déjà sur scène… et sur Seine, évidemment. Vêtue d’une seule serviette de bain, elle s’apprête. Tout en se maquillant, elle nous accueille et devise avec nous, offre des bonbons et des « graines », papote… Ce n’est qu’après qu’elle ait effectué un très, très sensuel striptease à l’envers que le spectacle commence.


Tout de go, avec le franc-parler qui la caractérise, elle se proclame « féministe ». Et elle entreprend de nous expliquer comment et pourquoi. Tout en prenant garde de bien préciser qu’elle est « féministe, mais pas que »… Pas une seconde elle est dans la caricature. Et, surtout, elle ne se comporte pas comme une féministhérique, bien au contraire, car le moindre de ses propos est argumenté, étayé, illustré… Je crois que c’est ce que j’ai entendu de plus exhaustif sur la question. Noémie ne se ménage pas. Après avoir fait sa lascive, elle balaie large, époussette dans les coins, récure jusqu’à l’os, gratte où ça fait mal, passe et repasse sur les idées reçues et les stéréotypes (et ça ne fait pas un pli). Quelle corvée pour les éventuels machos et/ou misogynes qui se seraient aventurés innocemment dans la salle entraînés par une compagne ô combien maligne, voire perverse !


Pratiquant à profusion l’autodérision – elle parle beaucoup d’elle-même et ne se fait pas de cadeaux - Noémie de Lattre paie de sa personne avec une débauche d’énergie communicative. Qu’est-ce qu’elle bouge bien ! Elle nous sort des chorégraphies qui sont à la fois gracieuses, langoureuses et burlesques. C’est très agréable à voir. Ces virgules physiques sont là ou pour servir de transition ou pour aider à faire passer des propos qui peuvent heurter la gent masculine. Noémie n’exclut rien : la chirurgie esthétique, les inégalités hommes-femmes, le sexisme ordinaire, la Journée du Droit des Femmes, la femme dans l’univers du rap, l’exploitation de la femme dans la pub, l’ignorance du plaisir féminin avec, pour corollaire, avoir la jouissance de sa jouissance… Elle ne recule devant rien pour faire passer son message. Bref, c’est la quadrature du sexe. Et comme elle y va franco de porc (#), c’est même parfois du cash sexe.
Elle va jusqu’à nous donner, avec exemple concret à l’appui, une leçon d’anatomie et à se servir de plumes pour se mettre à poil. Plutôt gonflée la suffragette !


Noémie de Lattre est une super comédienne, elle occupe la scène avec une incroyable générosité mais c’est aussi une remarquable auteure. Ses mots sont précis, bien formulés, crus quand il le faut, son vocabulaire est riche, imagé, ses assertions sont hyper documentées. Elle se livre à une véritable master class. Son spectacle est intelligent, profond, et donne à réfléchir.

Enfin, si on passe 80% du spectacle à rire, à beaucoup rire, Noémie nous s’offre et nous offre deux parenthèses où le sérieux du sujet ne peut pas se prêter ne serait-ce qu’au sourire ou à la gaudriole : les difficultés d’être une femme au quotidien et une aussi effrayante qu’émouvante litanie de « Il ne faut pas que j’oublie… » que je vous laisse découvrir, écouter et digérer.

En conclusion, si j’ai tout bien compris le spectacle, entre la princesse et la pute, il y a tout de même de quoi trouver sa place. Même si ce n’est pas du goût des « putophages » ; et même si c’est loin d’être gagné. Courage et Respect, mesdames…
En prêchant un convaincu, Noémie de Lattre a fini de me conforter dans mes sentiments. Je ne vais pas me gêner pour claironner, en osant tirer l'affaire au Clerc : "Femmes, je vous aime !"...

Gilbert « Critikator » Jouin