mardi 24 septembre 2019

La Voix des Sans Voix


Grévin
10, boulevard Montmartre
75009 Paris
Tel : 01 47 70 85 05
Métro : Grands Boulevards

Tous les lundis, du 30 septembre au 28 octobre

Ecrit, mis en scène et interprété par Nicolas Vitiello

Présentation : Le 5 août 1912, à l’aube de la Première Guerre Mondiale, naît Henri Grouès dit L’Abbé Pierre.
Comment ce fils de bourgeois va, par sa foi, ses rencontres et ses révoltes contre la misère, devenir une des figures les plus marquantes du 20ème siècle ?
Comment cet homme a réussi à entraîner avec lui un pays, puis le monde entier dans son combat pour la justice ?
A travers une narration moderne et originale, portrait d’un homme au parcours hors du commun, engagé, visionnaire et plein d’humour, porté par le destin.
Un véritable message de paix et d’humanisme, un éveil des consciences !

Mon avis : Il était une Foi…
Pourtant ce n’est pas un conte – ou alors un conte à frémir debout – que retrace devant nous Nicolas Vitiello. C’est hélas le récit d’une accablante réalité. Réalité d’hier, réalité d’aujourd’hui. Il fallait à l’abbé Pierre une foi sacrément chevillée au corps pour consacrer toute sa vie à une inlassable croisade contre la misère sous toutes ses formes…
Dès les premières minutes, Nicolas Vitiello nous empoigne par le cœur. Et il ne nous le lâchera plus. Il ne l’étreint pas, il ne nous le malaxe pas ; au contraire, il nous le fait battre plus fort.
En cette année 2019, qui marque le soixante dizième anniversaire de la création d’Emmaüs, il apparaît ô combien nécessaire et urgent de rappeler que le combat qu’a mené l’abbé Pierre est toujours d’une dramatique actualité… Pendant plus d’une heure, c’est ce à quoi Nicolas Vitiello s’emploie.


Causes toujours…
On sent que le jeune homme, visiblement concerné, s’est totalement investi dans ce spectacle. Il l’a écrit, l’a mis en scène et il l’interprète. Il a effectué très intelligemment la synthèse du saint homme et de son action. Vibrant d’intensité, il ne tombe jamais dans le pathos. Aucune leçon de morale dans son discours ; et aucun prosélytisme non plus. L’abbé « Vitiello » Pierre fait systématiquement passer l’humain avant le religieux. Ce qui est sacré chez lui, c’est le droit de son prochain à vivre décemment.
Résistant pendant la guerre, l’abbé Pierre restera un résistant toute sa vie. Porte-drapeau d’une armée d’exclus, ayant toujours (hélas) une cause à défendre, il est inlassablement reparti au front. Le mot qui revient le plus souvent dans sa bouche, c’est « combat ». En perpétuelle révolte, il prône l’indignation à condition qu’elle soit « digne ». Conscient d’être une voix que l’on entend, que l’on écoute (pas toujours) et qui compte, il consacrera sa vie entière au service des autres.


Ce spectacle est une œuvre utile. Grâce au jeu simple et naturel de Nicolas Vitiello, on suit le parcours de l’abbé Pierre avec une attention qui ne faiblit jamais. S’il stigmatise et dénonce les dysfonctionnements de notre société, sa colère n’est jamais agressive. Malgré l’urgence de ses objectifs, il sait prendre du recul ; si bien qu’il se permet de glisser malicieusement ça et là quelques traits d’humour. Grâce à ce ton, à ces ruptures et à une mise en scène astucieuse on est tout le temps captivé. Le récit, habilement rythmé, est truffé d’anecdotes, de name dropping (Mitterrand, Kouchner, Eisenhower et, surtout, Chaplin…), illustré par des projections d’images d’époque et des enregistrements radiophoniques (comme le fameux appel du 1er février 1954).


Dès qu’il coiffe le béret et endosse la célèbre pélerine, Nicolas Vitiello est métamorphosé. Il devient l’abbé Pierre. Et sa parole prend alors toute sa résonnance. On assiste en direct à un véritable dédoublement de personnalité. On réalise alors combien le charisme, la conviction, la ténacité et la force de persuasion de l’abbé pouvaient séduire et émouvoir ses interlocuteurs, quel que soit leur rang.
Il faut saluer la performance de Nicolas Vitiello. Mais lorsqu’on le félicite pour son travail, il réagit en parfaite symbiose avec son modèle : avec une réelle humilité.

Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 14 septembre 2019

L'un de nous deux


Petit Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce de Jean-Noël Jeanneney
Mise en scène par Jean-Claude Idée
Décor et lumières de Jean-Claude Idée
Costumes de Sonia Bosc
Son et vidéo d’Olivier Louis Camille

Avec Christophe Barbier (Georges Mandel), Emmanuel Dechartre (Léon Blum), Simon Willame (Hans)

Présentation : Juin 1944. Une prison en Allemagne. Derrière les barreaux, deux hommes côte-à-côte et face-à-face : Léon Blum, fidèle de Jaurès et chef du Font Populaire, et Georges Mandel, collaborateur de Clémenceau. La mort immédiate s’annonce pour l’un d’entre eux… L’intensité de leur dialogue se nourrit de cette angoisse, de leurs mémoires contrastées, de leurs tempéraments opposés, de leurs pudeurs bousculées, de leurs connivences révélées. Ils nous parlement de la République, au cœur de ses contradictions et au plus haut de sa dignité.
Lequel survivra ?

Mon avis : Quelle page d’Histoire ! Troublante, intense, émouvante…
La pièce s’ouvre avec des projections du Débarquement commentées en allemand. Nous savons donc tout de suite que nous nous trouvons en juin 1944 ; et en Allemagne.
Dans le salon d’un appartement-prison, deux hommes très élégants devisent. Par les fenêtres, on voit passer des avions, des véhicules militaires. Comme eux, on perçoit les sons du dehors, les bruits de moteurs, des cris, des coups de feu… Le décor est planté. Nous sommes à quelques encablures du camp de concentration de Buchenwald.

Photo : J. Stey
Très vite, au fil de leur conversation, on apprend qui est qui. Le plus âgé est Léon Blum, ancien président du Conseil et son interlocuteur est Georges Mandel, ancien ministre de l’intérieur. Pétain les a livrés à Hitler pour qu’ils servent éventuellement de monnaie d’échange… Blum, homme de gauche, admirateur de Jaurès, et Mandel, homme de droite, admirateur de Clémenceau, sont tous deux porteurs des grandes valeurs républicaines. Cela fait pratiquement un an qu’ils cohabitent. Alors qu’ils ont des sensibilités politiques opposées, ils ont appris à se connaître et à se respecter. Intelligents et érudits, ces deux témoins totalement impliqués, échangent sur plus d’un demi-siècle d’une vie politique française dont ils connaissent toutes les arcanes.

Photo : J. Stey
Si leurs idéologies respectives sont opposées, leurs tempéraments le sont également. Au départ, ils ont néanmoins en commun leur aversion pour le fascisme, le fait d’être détestés par Pétain, leur ralliement à De Gaulle et… leur judaïté. Ce qui n’est pas mal… Ces deux hommes, engagés, ont deux manières très différentes de voir et de pratiquer la politique. Autant Léon Blum, qui dégage une réelle bonhomie et une profonde humanité, se montre bienveillant, diplomate, autant Georges Mandel, se révèle intransigeant, réaliste, pessimiste. C’est un jusqu’au-boutiste qui ne tolère aucune compromission.

Photo : J. Stey
En raison de cette discordance, leurs échanges sont aussi riches que passionnants. Et parfois drôles aussi car Mandel adore titiller son grand aîné. Le texte de Jean-Noël Jeanneney est brillant. Très documenté, il fourmille de faits précis, d’anecdotes. Parfaitement incarnés par deux comédiens férus de politique, Blum et Mandel nous font revivre un pan déterminant de l’histoire de notre pays. On s’attache d’autant plus à eux qu’ils sont en train de vivre sous nos yeux un moment capital de leur propre existence. S’ils savent en effet que l’un d’entre eux va être sacrifié sur l’autel des représailles, ils ne perdent jamais une once de leur dignité… Unis par un destin qui les dépasse, Emmanuel « Blum » Dechartre et Christophe « Mandel » Barbier nous donnent une belle leçon de confiance en l’Homme. Leur jeu est tellement juste, simple et précis qu’on en oublie qu’ils jouent la comédie. Un beau moment de théâtre !

Gilbert « Critikator » Jouin

samedi 7 septembre 2019

Panayotis "Presque"


Le Point Virgule
7, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie
75004 Paris
Tel : 01 42 78 67 03
Métro : Hôtel de Ville

Seul en scène écrit par Payanotis Pascot
Mis en scène par Fary

Présentation : « Avoue, je suis stylé sur l’affiche. Conquérant sur ma barque, sûr de moi, petite moue genre mec nonchalant et tout…
Alors qu’en vrai la barque était tellement petite que j’étais à deux doigts de tomber dans l’eau vaseuse, l’étiquette du costume me grattait et la photographe me criait dessus en allemand comme si j’étais un animal de cirque en fin de carrière…
On fait tout ça face aux autres, comme si on contrôlait ce qui se passe.
Alors que moi j’arrive pas à contrôler grand-chose. Les seuls trucs que je gère à peu près, c’est mon spectacle et les omelettes… »

Mon avis : En fait, dans sa déclaration liminaire émise ci-dessus, Panayotis nous livre déjà quelques éléments de sa personnalité comme la différence entre l’image et la réalité, la posture et le moi profond ou son incapacité à contrôler quoi que ce soit…

J’avais assisté à son tout premier show case en avril 2018… Hier soir, j’ai eu du mal à reconnaître le post ado hésitant, un peu emprunté avec son corps qui débitait son texte sur un ton parfois monocorde. C’étaient ses tout débuts. Près de dix-huit mois plus tard, j’ai découvert sur la scène du Point Virgule un jeune homme très à l’aise dans l’exercice du one man show. Les cheveux et la barbe ont poussé ; le regard, dans lequel on peut lire son plaisir d’être face au public, est assuré ; sa maîtrise du ton, du débit, des silences, est totale ; mais surtout, il se révèle être un excellent comédien.


En revanche, j’ai retrouvé tout ce que j’avais aimé lors de son show case. D’abord son sourire. Absolument craquant. Plus que du charisme, Panayotis possède un charme irrésistible. Son petit côté Johnny Depp ne devrait pas tarder à attirer les réalisateurs de cinéma. Et puis, si la forme est désormais acquise, c’est le fonds de ses propos qui m’a plu.
Son spectacle ne ressemble à aucun autre. S’il est original, c’est tout simplement parce que Panayotis ne fait que parler de lui. Il se livre à nous sans détours. Très vite, il casse son image en exprimant sa difficulté chronique à montrer l’être humain qu’il rêve de devenir. Tout est contenu dans le titre – explicite – de son spectacle : « Presque »…


Panayotis est presque un séducteur, il arrive presque à embrasser la fille qu’il aime, il parvient presque à dire ce qu’il pense, il a presque coupé le cordon ombilical avec sa mère, il a presque tué le père… Il essaie de grandir avec ou malgré sa grande vulnérabilité et son incapacité à montrer ses sentiments (merci papa). Pour se protéger, pour donner le change, il a trouvé un subterfuge : presque malgré lui, mais il en est conscient, il se complaît à sortir des blagues, de préférence trash, plutôt que de dévoiler ses inclinations et, plus encore, son amour.

Très lucide, il se connaît parfaitement. A 21 ans, il sent qu’à force d’introspection, il est parvenu à devenir « presque lui ». En tout cas, ce spectacle, indéniablement thérapeutique, va certainement contribuer à le gommer bientôt ce « presque » et à l’éradiquer. En attendant, il nous reste un seul en scène très personnel, atypique, joliment interprété par une jeune homme plus que prometteur que sa fragilité et ses doutes, complètement assumés, rendent terriblement attachant... et drôle.
Quand on voit la complicité qui le lie à son public, on peut affirmer que Panayotis est déjà presque une vedette. En tout cas, le plus dur du chemin est presque accompli...

Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 5 septembre 2019

Michel For Ever


Théâtre de Poche Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse
75006 Paris
Tel : 01 45 44 50 21
Métro : Montparnasse-Bienvenüe

Spectacle conçu et mis en scène par Stéphan Druet et Daphné Tesson
Musiques de Michel Legrand
Direction musicale de Stéphane Corbin
Arrangements de Benoît de Mesmay
Costumes de Denis Evrard
Chorégraphies d’Alma Devillalobos
Lumières de Christelle Toussine

Avec Gaëtan Borg ou Vincent Escure, Sébastian Galeota ou Julien Alluguette, Emmanuelle Goizé ou Vanessa Cailhol, Mathilde Hennekinne ou Léovanie Raud.
Au piano, Benoît de Mesmay ou Joël Bouquet
A la contrebasse Jean-Luc Arramy ou Jean-Pierre Rebillard

Présentation : A l’occasion de la commande d’un reportage, un journaliste réunit trois passionnés de l’œuvre de Michel Legrand pour faire revivre son esprit et son univers. Et surtout ses mélodies enchantées et ses orchestrations élégantes. « Il n’y a pas une seule note que je regrette » disait-il. Nous non plus !
Michel Legrand n’est pas mort. Sa musique résonne en chacun de nous. Elle rassemble tous les genres. Elle brasse et rallie une multitude de styles et donne le ton de l’avenir. Elle inspirera encore de nombreuses générations.

Mon avis : Le spectacle se déroule dans une cave. Accueillis en musique par un pianiste et un contrebassiste, on a l’impression de se retrouver dans un club de jazz à la grande époque de Saint-Germain des Prés. Le climat est installé, il va être essentiellement jazzy…
Trois jeunes passionnés, incollables sur la vie et l’œuvre de Michel Legrand accordent un entretien à un journaliste débutant totalement profane. Grâce à leurs connaissances et à leur enthousiasme, nous allons revisiter pendant une heure et demie cette œuvre ô combien magistrale.


Michel « Le Grand »… Il porte vraiment bien son nom.
A entendre s’enchaîner sans aucun temps mort près d’une quarantaine de ses musiques, on réalise combien il est intemporel, donc indémodable et impérissable. Et combien la plupart de ces titres sont gravés d’une manière indélébile dans notre mémoire.
Ce qui est original dans ce spectacle, c’est la façon dynamique et joyeuse de traiter cette œuvre. Les quatre jeunes gens sont tous d’excellents comédiens-chanteurs-danseurs. Leurs voix s’harmonisent à ravir. Mais surtout, ils s’amusent. Ils racontent des anecdotes, rejouent des scènes de films, ils changent à vue de costumes et de décors, ils se taquinent, ils se séduisent, ils roucoulent… A l’image de Michel Legrand, ce sont la légèreté, l’humour et la joie de vivre qui prédominent.


Nous sommes entraînés par les rythmes et le swing. Les tableaux se succèdent. Certains sont de grands moments de comédie pure : un Oum le dauphin à mourir de rire, la très sensuelle partie d’échecs de L’Affaire Thomas Crown, le numéro de claquettes sur Quand on s’aime, la « mise en Cène » inventive et pittoresque de Peau d’Ane… Et j’en passe tant cet hommage est complet (même quand il fait les choses à Demy), varié, éclectique et, surtout, plein de fraîcheur et de fantaisie. Ce qui n’exclut pas de jolis moments de tendresse ou de mélancolie.


Bref, pendant une heure trente, ça mouline dans nos cœurs ; ça va, ça va… ça va très bien !… Il faut également souligner la qualité des textes des différents auteurs qui ont collaboré avec Michel Legrand. Ce ne devait pas être évident de faire coller les mots sur des mélodies aussi riches et aussi rythmées. Michel For Ever est un formidable spectacle en live. La petitesse de la salle autorise l’absence de micros, ce qui nous permet de goûter et d'apprécier au plus juste les notes des musiciens et la qualité vocale des artistes.

Personnellement, vendredi dernier j’étais au Rive-Gauche en compagnie de Chopin ; hier, j’étais au Poche Montparnasse en compagnie de Michel Legrand… Difficile d’être musicalement plus comblé.

Gilbert « Critikator » Jouin

lundi 2 septembre 2019

Madame Pylinska et le secret de Chopin


Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgard Quinet / Gaîté

Une pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt
Mise en scène par Pascal Faber
Lumière de Sébastien Lanoue

Avec Eric-Emmanuel Schmitt et Nicolas Stavy (piano)

Présentation : Madame Pylinska, aussi accueillante qu’un buisson de ronces, impose une méthode excentrique pour jouer du piano : se coucher sous l’instrument, faire des ronds dans l’eau, écouter le silence, faire lentement l’amour… Au fil de ses cours, de surprise en surprise, le jeune Eric apprend plus que la musique. Il apprend la vie.
Une fable tendre et comique, garnie de chats snobs, d’araignées mélomanes, d’une tante adorée, et surtout de mélodies de Chopin. Les grands compositeurs ne sont pas que des compositeurs, mais des guides spirituels qui nous aident en nous apprennent à vivre…

Mon avis : Si vous aimez ET les mots ET la musique, Madame Pylinska et le secret de Chopin va vous emmener au ciel… Personnellement, j’ai passé au théâtre Rive Gauche une délicieuse soirée. Et quand je dis « délicieux », c’est un euphémisme tant mon plaisir a été total.
Non content d’être un remarquable auteur, Eric-Emmanuel Schmitt est un formidable conteur doublé d’un comédien épatant. Après un « prélude » plein d’humour, il nous embarque dans une histoire intime qui va nous tenir en haleine pendant deux heures. C’est passionnant. Le vocabulaire est d’une richesse et d’une précision rares. Sur le plan descriptif, les images et les métaphores abondent ce qui nous permet de nous projeter et de tout visualiser. Chaque décor est planté, chaque situation est illustrée, le moindre sentiment est traduit… On a l’impression qu’Eric-Emmanuel Schmitt nous prend chacun par la main pour nous emmener en sa chaleureuse compagnie dans son voyage initiatique. On ne peut pas être au plus près de son cheminement.


Le petit Eric-Emmanuel a 10 ans. Le piano qui trône chez lui n’est qu’un meuble pour lequel il ressent une certaine hostilité car il est l’instrument involontaire d’un massacre musical perpétré par sa sœur. Son rejet est total. Jusqu’au jour où intervient la Tante Aimée. Elle s’installe devant l’objet de son aversion, l’ouvre respectueusement, pose ses doigts sur le clavier et se met à jouer… du Chopin. En quelques secondes le garçonnet est foudroyé par la Révélation… Dès lors, en parallèle avec ses études, il va consacrer sa jeunesse à tenter d’apprivoiser et d’interpréter au mieux l’inaccessible Frédéric.

Si la tant aimée Tante Aimée a été l’initiatrice c’est une autre femme qui va prendre le relais, la fantasque Madame Pylinska, une Polonaise (tiens, tiens !) particulièrement radicale et haute en couleurs qui revendique être une « monothéiste ». Son seul Dieu, c’est Chopin. Seuls, mais à l’échelon inférieur, Bach et Mozart trouvent grâce à ses yeux.


Eric-Emmanuel Schmitt incarne les trois rôles : lui, Tante Aimée et Madame Pylinska… Un accessoire - un éventail pour Aimée, une étole pour la professeure - lui suffisent pour nous indiquer qui est en scène. En plus, pour Madame Pylinska, il adopte un savoureux accent d’Europe centrale. Pour illustrer les différentes situations et pour ponctuer ses évolutions psychologique et musicale, il convoque Nicolas Stavy, un époustouflant soliste qui possède son Chopin sur le bout de ses longs doigts agiles et délicats. Quel bonheur !
Dans ce spectacle, les mots nous portent et les notes nous transportent. Il est impossible de dissocier le récitant et le musicien tant ils sont en symbiose.

La partition écrite par Eric-Emmanuel Schmitt présente, comme l’œuvre de Chopin, toute une succession de climats différents. Si on rit beaucoup et souvent, s’il y a de la légèreté, il y a aussi des pages de mélancolie, des plages de tendresse et des mouvements de révolte. Difficile d’être plus exhaustif.

Photo : Fabienne Rappeneau
Finalement, à travers celui de Chopin, c’est son propre secret qu’Eric-Emmanuel Schmitt nous livre. Comment, grâce aux conseils et aux suggestions de Madame Pylinska qui, fine mouche, avait pressenti que sa destinée serait littéraire plus que musicale, il a trouvé sa voie. C’est elle qui, de manière subliminale, l’a guidé vers sa vocation.

J’ai passé au Rive Gauche une soirée idyllique. J’étais comme un enfant à qui on raconte une histoire emplie de personnages et d’objets pittoresques ; une histoire magnifiée par les notes de Chopin.
Bref, captivé par l’histoire et enchanté par la musique, j’ai passé avec Madame Pylinska et le secret de Chopin, une de mes plus aimables (dans le sens littéral du terme) soirées théâtrales. Lorsque les lumières se sont rallumées, la salle n’était qu’un immense sourire de bonheur…

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 30 août 2019

J'ai envie de toi


Théâtre Fontaine
10, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 48 74 74 40
Métro : Blanche / Saint-Georges / Pigalle

Une pièce de Sébastien Castro
Mise en scène par José Paul
Décors de Jean-Michel Adam
Costumes de Juliette Chanaud
Lumières de Laurent Béal
Son de Virgile Hilaire

Avec Sébastien Castro (Youssouf), Maud Le Guénédal (Sabine), Guillaume Clérice (Guillaume), Anne-Sophie Germanaz (Christelle), Astrid Roos (Julie), Alexandre Jérôme (Gaël)

Présentation : Il vous est sûrement arrivé de vous tromper de destinataire en envoyant un texto... 
Ce soir, c’est à Guillaume que ça arrive. Alors qu’il pense adresser “j’ai envie de toi” à Julie, sa nouvelle conquête, le texto est envoyé par erreur à Christelle, son ex… La soirée, bien mal partie, dérape définitivement quand son voisin s’invite chez lui après avoir abattu la cloison qui sépare les deux appartements.

Mon avis : On ne va pas ratiociner à l’infini : cette pièce a été écrite pour faire rire, uniquement pour faire rire. Et ce but est largement atteint.
Pour avoir joué dans un grand nombre de (très bonnes) comédies, Sébastien Castro, qui signe avec J’ai envie de toi, sa première pièce, connaît parfaitement tous les ressorts et toutes les subtilités du genre.
Tout part d’une affreuse erreur de manipulation. Au lieu d’adresser son texto à sa Julie, sa nouvelle conquête, une proposition on ne peut plus explicite, “J’ai envie de toi”, Guillaume l’envoie à Christelle, son ex, une jeune femme qu’il ne veut surtout plus revoir… Il faut dire à sa décharge qu’il ne se trouve pas à ce moment-là en pleine possession de tous ses moyens car il est un tantinet perturbé par un voisin fâcheusement intrusif. D’où cette malencontreuse précipitation.

Ce voisin, cet empêcheur de pianoter en rond sur son clavier, c’est Youssouf. Lorsqu’un énergumène de cet acabit fait irruption dans votre vie, c’est l’équivalent d’un tsunami qui vient balayer votre quotidien. Youssouf, c’est un peu le François Pignon du Dîner de con. Mais avec, en plus, une réelle dose de cynisme. C’est à dire que, tout en étant aussi gaffeur et interventionniste que le héros de Francis Weber, il se révèle également totalement dénué de scrupules. Cette double mentalité en fait un personnage à la fois imprévisible et redoutable. Omniprésent, Sébastien Castro s’en donne à coeur joie. Tout son registre, dont l’éventail est très, très large, y passe. Face à ses mimiques, à son timbre de voix “droopyesque” si particulier, sa gestuelle hésitante, ses regards tour à tour effarés ou entendus, ses silences aussi, la salle ne résiste pas. Plus les situations sont folles, plus les rires se mettent au diapason et deviennent fous à leur tour.


Grâce à une mise en scène de José Paul nerveuse et millimétrée, J’ai envie de toi nous emporte comme un tourbillon. Le rythme, effréné, ne faiblit jamais. Les gags, les quiproquos, les malentendus, les imbroglios s’enchaînent. Les scènes entre Youssouf et Guillaume ont parfois un tel niveau de virtuosité absurde qu’elles en deviennent paroxystiques. Comique de répétition, humour parfois trash (je vous laisse découvrir à quels moments), situations improbables… L’appartement lui-même, avec sa fameuse cloison amovible, est un plus qu'un décor, c'est un élément de jeu à part entière. Il y a aussi une inénarrable trouvaille d’écriture avec le personnage de Gaël, l’homme qui ne finit jamais…

Sébastien Castro et José Paul ont su insuffler un authentique esprit de troupe. Chacun des six protagonistes de cette loufoquerie jubilatoire, joue sa partition avec précision et, surtout, avec le plus grand sérieux. Ce qui, pour une comédie, amplifie les effets comiques.
J’avais derrière moi un ado d’une quinzaine d’années, dont les éclats de rire, frais et spontanés ajoutaient à mon amusement. Et dans la rangée devant, c’étaient deux jeunes filles, très complices, accompagnées de leurs parents, qui ne cessaient de se regarder, de se prendre à témoin, et de s’esclaffer en choeur. J’ai envie de toi est une comédie tous publics. Quel que soit son âge, on y trouve son compte. Et un conte à dormir debout même car cette pièce n’est qu’une formidable farce. C’est Feydeau qui aurait bouffé du lion… le lion de Tex Avery ! Il ne faut pas y chercher de crédibilité ; il faut laisser son cartésianisme au vestiaire, et se préparer à souffrir des zygomatiques tant ils vont être sollicités.

Gilbert "Critikator" Jouin




lundi 5 août 2019

Les Petites Canailles chantent "Salut les Copains"


Disques MCA
Sortie le 9 août 2019

Carla, Ermonia, Hindy, Lilian et Madison sont tous les cinq issus de l’édition 2018 (saison 5) de l’émission The Voice Kids. Ils sont également tous musiciens. Ils ont été réunis pour former le groupe des Petites Canailles qui reprend une douzaine de tubes qui ont enchanté et fait danser les baby-boomers pendant les fameuses années « Salut les Copains ».
Quand, soixante après, la Génération Z rencontre celle des Yé-yés, l’idée est maline… Il est amusant de penser que leurs parents eux-mêmes n’ont vraisemblablement pas connu cette époque.


Cet album est un véritable bain de jouvence ! Tout du moins pour les plus anciens ; dont je fais partie. Mais, que l’on se rassure, le résultat est tellement probant que cet opus est à mettre entre toutes les oreilles de 7 à 97 ans.
Personnellement, j’ai été bluffé. Et par la qualité vocale de ces ados et par l’efficacité des arrangements. Cet album est superbement réalisé. Les voix, fraîches et juvéniles, pleines d’énergie, s’entrecroisent, se doublent ou se triplent, se muent en chœurs. Leur jeune âge leur permet de passer avec une facilité naturelle en voix de tête. En plus les cinq timbres, aisément identifiables, sont tout à fait complémentaires… C’est un véritable régal acoustique.
Et puis, il faut le souligner, grâce à une parfaite compréhension des textes, leur interprétation est intelligente. Ce qui, en corollaire, est la preuve chantante de la totale intemporalité de certains titres.

Au générique de cet album, à tous seigneurs tout honneur, clin d’œil des Petites Canailles en hommage à leurs glorieux aînés, les trois Vieilles Canailles Eddy Mitchell, Jacques Dutronc et Johnny Hallyday avec les reprises de Be Bop A Lula, Fais pas ci, fais pas ça et Pour moi la vie va commencer.


Pour ce qui me concerne, il y a deux versions 2019 que je trouve meilleures que leurs modèles : Je t’attendrai (le fait d’avoir ralenti la mélodie la rend plus en phase avec son intention. C’est moins trépidant, donc plus fidèle au sens du texte) et Da Dou Ron Ron dont je n’ai jamais aimé les interprétations qu’elles soient de Sylvie Vartan ou de Johnny Hallyday. Les Petites Canailles lui apportent la légèreté et une forme d’esplièglerie qui conviennent mieux à ce titre. Et quel solo de sax !

Sinon, en vrac, j’ai vraiment apprécié les interprétations et les arrangements des Marionnettes de Christophe ; la version pleine de sensibilité de Bang Bang (Sheila), habilement traitée sous forme de dialogue ; la reprise impeccable de Loco Motion (Little Eva) avec ce jeu avec les chœurs et sa partie de saxo ; la superbe réalisation de J’entends siffler le train (Richard Anthony) délicatement agrémentée d’une ambiance country soft, ce qui la rend très agréable à écouter ; la version de Be Bop A Lula (Eddy Mitchell) façon big band, elle aussi judicieusement ralentie et qui monte progressivement en puissance sous l’impulsion des cuivres.


La seule adaptation qui, à mon goût, n’apporte pas grand chose, c’est Pour moi la vie va commencer (Johnny Hallyday). Bien sûr, ce titre fait référence au jeune âge des Petites Canailles pour qui, effectivement, la vie, et personnelle et artistique, en est à ses tout débuts… Je comprends donc aisément ce choix. Mais, et ceci n’engage que moi : puisque le texte de Pour moi la vie va commencer a été écrit par Jean-Jacques Debout, j’aurais aimé trouver au générique de cet album les émouvants Boutons dorés dont cette année marque le 60ème anniversaire. Je suis certain que ces cinq jeunes gens auraient pu en faire quelque chose de fort. Ceci dit, il y aura peut-être un second album…

En tout cas « Les Petites canailles chantent Salut les Copains » est une absolue réussite, un quasi sans-faute.

Gilbert « Critikator » Jouin