mercredi 30 janvier 2019

SKALD "Le Chant des Vikings"


Decca Records / Universal

En préambule, une recommandation s’impose : il faut écouter ce CD au casque !
Je me suis laissé embarquer à bord de ce drakkar musical dès le premier titre. Avec son atmosphère envoûtante, le ton de l’album est donné. Il suffit de fermer les yeux et les images surgissent. On est emporté dans les grands espaces, qu’ils soient terrestres ou maritimes. Après, il n’y a plus qu’à se laisser porter par les voix et l’ambiance générale.

Le Chant des Vikings est un album concept, une superbe réalisation qui nous fait remonter aux sources de la mythologie. Il s’inspire de la poésie scaldique (d’où le nom du projet, Skald) née au 7ème ou au 8ème siècle. La langue en est le vieux norrois. 


Ainsi que je l’ai formulé en introduction, ce qui frappe le plus dans cet album, ce sont les voix et les arrangements. Il y a un travail hyper méticuleux dans la réalisation. Les voix, étonnantes, sont mises très en avant. Elles s’entrecroisent, s’envolent en canon, et se marient. Acoustiquement, c’est impressionnant de beauté. Les percussions, avec l’utilisation de tambours chamaniques, sont omniprésentes. Et des cordes rares et subtiles, comme la lyre et autres instruments traditionnels, viennent apporter une note de sensualité dans cet univers profondément viril.


Et puis, Le Chant des Vikings nous raconte des histoires. Parfois, l’ambiance est carrément celtique, comme dans Valfreyjudrapa qui s’apparente à une chanson de marins, ou dans Fluga. Qui dit « Vikings », dit « pirates ». On entend ici le ressac des vagues (Niu), là les vents (Gleipnir) ; mais surtout, on distingue le cliquetis des armes (Fluga). On sent que l’on a affaire à des guerriers. Les rythmes sont saccadés, le climat est martial, on s’adresse à Odin et à Thor, dieux de la guerre et du tonnerre.
C’est parfois récitatif (Enn atti loki fleiri börn, Ginnunga), voire carrément mélancolique et intériorisé (Krakumal). Une seule chanson se démarque, Ec man iötna, car elle est exclusivement féminine. C’est un chant choral, a cappella, à la beauté ensorcelante.

En résumé, Skald, Le Chant des Vikings, est un concept original, épique, hors normes, qui ne ressemble à aucun autre. Il est le fruit d’un remarquable travail d’équipe tant sur le plan technique qu’artistique. J’en ai apprécié tous les titres. Bref, je me suis régalé.

dimanche 27 janvier 2019

La Moustâche


Le Splendid
48, rue du Faubourg Saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 21 93
Métro : Strasbourg Saint-Denis / Château d’eau / Jacques Bonsergent


Une pièce de Sacha Judaszko et Fabrice Donnio
Mise en scène de Jean-Luc Moreau
Décors de Charlie Mangel
Costumes de Juliette Chanaud
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Musique de Sylvain Meyniac

Avec Joy Esther, Daniel-Jean Colloredo, Fabrice Donnio, Arnaud Gidoin, Sacha Judaszko

L’histoire : Quand l’homme le plus discret de la terre se retrouve avec la chose la plus voyante et dérangeante au milieu du visage.
Aujourd’hui est un grand jour pour Sylvain Sabourdin : il doit rencontrer son futur beau-père, passer un entretien d’embauche et prendre de grandes décisions. Mais alors qu’il se prépare, une panne d’électricité l’empêche de se raser complètement et le laisse avec une moustache… la moustache d’Hitler…

Mon avis : La Moustâche est une pièce absolument pas barbante où l’on se poile du début à la fin… Certes, ces jeux de mots sont faciles mais, ici, ils prennent tout leur sens et ils s’imposent. J’en ai vu des comédies, mais je pense que celle-ci détient le record absolu des quiproquos. Les deux auteurs, Sacha Judaszko et Fabrice Donnio ont construit leur pièce sur une succession ininterrompue de malentendus. Il y en a certes quelques uns qui sont tirés par les cheveux or, peut-être en raison de ces partis pris, on s’en amuse encore plus.
L’idée de départ, sur laquelle toute la pièce va s’articuler, est magistrale. Suite à une panne de courant intempestive survenue alors qu’il est en train de se raser, Sylvain se retrouve affublé d’une petite moustache identique à celle qu’arborait Adolf Hitler. Comment va-t-il se sortir de cette image désastreuse aux antipodes de ce qu’il est dans la réalité face au gardien de son immeuble et, surtout, face à son futur beau-père et à un hypothétique employeur ?


Tout de suite, le bras tendu en salut romain et la moustache frémissant (car j’en porte une), je tiens à mettre en exergue la performance scénique accomplie par Arnaud Gidoin. Avec un abattage incroyable, une redoutable efficacité dans le moindre geste et la moindre mimique, il campe une sorte d’insecte qui, uniquement mû par la force de sa bonne foi, se bat avec l’énergie du désespoir pour se sortir d’une infernale toile d’araignée. Et Dieu sait combien il en a la phobie de ces arachnides ! Personnage discret, falot, un tantinet timoré même, Sylvain n’est pas équipé psychologiquement pour aller dans l’affrontement. Et pourtant, il va bien falloir qu’à cause de cette sinistre moustache, il y aille s’il veut à la fois sauver son image et son couple.
 J’ai vu Arnaud Gidoin dans sept ou huit de ses précédentes pièces et je garde entre autres un souvenir enthousiaste de ses compositions dans Shakespeare le défi, Les 39 marches ou, plus récemment, dans Le Fusible. S’il peut se permettre de donner libre cours à sa folle inventivité et à son mode d’expression éminemment cartoonesque, c’est parce qu’il peut s’appuyer sur une mise en scène au cordeau imposant un rythme échevelé, et sur des partenaires épatants.


Ce quintette est en effet particulièrement réjouissant. Sacha Judaszko incarne avec un plaisir non dissimulé Monsieur Michaud, le gardien de l’immeuble, un personnage qui cumule les turpitudes ; il est sans gêne, mesquin, malhonnête, rancunier, veule… Il y a en lui un du Jugnot du Père Noël est une ordure… Daniel-Jean Colloredo, qui joue le beau-père potentiel de Sylvain, interprète lui aussi un personnage haut en couleurs. Il est autoritaire, suspicieux, sanguin, susceptible, mais il est également un peu cachottier…

Fabrice Donnio, co-auteur de la pièce, ne s’est pas donné le plus beau rôle, celui du copain de Sylvain. Il le squatte, abuse sans vergogne de sa gentillesse, et se permet même de le critiquer et de lui donner des leçons. Même s’il n’est pas très reluisant, on voit bien que ce n’est pas le mauvais bougre. C’est juste un profiteur… Enfin, il y a Joy Esther dans le rôle de Lisa… Elle est impeccable de bout en bout. Elle est, de loin, la plus normale, la plus équilibrée de la troupe. Son jeu est toujours très juste, elle n’est jamais en porte-à-faux. Et pourtant sa tâche n’est pas aisée, seule femme face à ces quatre énergumènes plutôt gratinés. Transformée par la force des choses en tour de contrôle, elle s’en sort à merveille, parce qu’elle est franche, honnête, sincère et… amoureuse. Très fine prestation de sa part.


La Moustâche n’est pas qu’une simple comédie. Les auteurs y font subtilement passer quelques jolis messages dont le plus significatif est la tolérance. La fin, elle aussi à tiroirs (Judaszko et Donnio, c’est Monsieur Plus au carré), est vraiment parfaite. Quand la salle se rallume, les spectateurs, surpris et attendris par une ultime pirouette, affichent un large sourire satisfait.

Gilbert « Critikator » Jouin

jeudi 27 décembre 2018

Florence Foresti "Epilogue"


Le Zénith Paris-La Villette
211, avenue Jean Jaurès
Parc de la Villette
75019 Paris
Tel : 01 44 52 54 56
Métro : Porte de Pantin / Porte de la Villette

Jusqu’au 31 décembre
Au Paradis Latin du 14 janvier au 16 avril 2019 (lundi et mardi)
Puis en tournée

Mon avis : Le nouveau spectacle de Florence Foresti après trois ans d’absence s’intitule « Epilogue ». Pris dans son sens brut, ce titre alerte. Florence Foresti nous annoncerait-elle « la conclusion » (Petit Larousse) de son histoire d’amour avec son public ? Même en nous proposant elle-même deux définitions, elle s’évertue à nous laisser dans le flou, le flou artistique bien sûr :
Epiloguer : S’ingénier à faire des critiques par le détail, faire des commentaires longs et superflus.
Epilogue : Dernière partie d’une œuvre.
A la fin du spectacle, on est (presque) rassuré. Florence a passé une heure et quart à « épiloguer », c’est-à-dire à « critiquer » et à « commenter », un exercice dans lequel elle excelle… Pourtant, à un moment, elle s’attarde sur ce titre pour le moins inquiétant. En fait, elle l’a choisi en manière d’exorcisme. A plusieurs reprises, elle revient sur son (grand !) âge, 45 ans… C’est quand même loin d’être l’âge de la retraite ! D’autant plus qu’elle se reconnaît « en pleine forme ». En nous faisant craindre une fin, elle se rassure. C’est son côté gentiment parano.


Une chose est certaine : en dépit de son âge "canonique", Florence Foresti est au sommet de son art. Epilogue est d’une efficacité redoutable. Elle occupe la scène avec une formidable maestria. LA Foresti est unique. Que ce soit sur le plan de la gestuelle ou sur celui des expressions, elle n’a pas d’égal(e). La moindre de ses attitudes, la moindre de ses mimiques sont d’une force comique incomparable. Elle est véritablement cartoonesque… Mais Florence, ce n’est pas que cela. Au-delà de la démonstration physique et de sa science de la pantomime, il faut prendre en compte ce qu’elle nous raconte. Sans jamais appuyer le trait, elle aborde des thématiques qui ont du fond, qui nous donnent à réfléchir. Loin de s’ériger en donneuse de leçon, elle se complaît à disséquer et à analyser les petits sujets de société qui ponctuent notre quotidien.

Après avoir effectué une entrée digne des plus grandes divas de la chanson américaine, rien que pour le plaisir de la parodie, elle se lance sans plus de cérémonie dans un stand-up ininterrompu. La boîte à vannes est ouverte. Pas une seconde de répit. Florence est cash. Elle a la franchise impertinente. Elle nous assène en préambule toute une série de vérités sur sa façon d’appréhender sa relation avec son public, son rapport avec l’argent. Une fois cette page tournée, elle attaque les différents thèmes qui l’ont interpellée, nous livrant au gré de sa fantaisie ses états d'âme comme ses états dame.
Sans coup férir, chaque coup fait rire... Elle s’en prend à l’invasion de la « culture » américaine, s’offre une petite parenthèse un tantinet scato, revient malicieusement sur la privation de nos smartphones durant son spectacle, s’attarde sur ses différentes coupes de cheveux, nous narre par le menu sa passion irrépressible pour Ikéa, surtout le dimanche matin… Et puis, elle enfourche un de ses chevaux de bataille favoris : les relations homme-femme et la parité ; ensuite, après avoir abordé les réseaux sociaux, elle se confie sur des sujets bien plus personnels comme la fréquentation de l’Hôpital Américain, l’alcool, la cigarette et… la mort. C’est tout de même gonflé de nous faire rire avec ce thème. Un thème qu’elle développera d’ailleurs en « épilogue » de son spectacle…


Florence Foresti est toujours aussi performante, aussi percutante, aussi audacieuse. Elle traite de lieux communs, de faits banals, mais toutes ses constatations, marquées du sceau du bon sens et de son sens suraigu de l’observation, elle a une façon unique de les raconter. Ses formules sont imparables, incisives, les images qu’elle utilise sont confondantes de drôlerie, elle se moque de tout et de tous, et surtout d’elle-même. Florence est une sacrée performeuse. J’adore comme elle bouge, comme elle occupe l’espace, comme elle joue avec ses deux meilleurs partenaires : son corps et son visage. Bref, ce nouveau seule en scène est un pur régal et je suis convaincu que cet Epilogue aura encore de nombreuses suites…

Gilbert « Critikator » Jouin

mercredi 19 décembre 2018

Eric Clapton "Happy Xmas"


Disques Polydor

Un peu de douceur dans ce monde de brutes avec la sortie de Happy Xmas, le 22ème album studio d’Eric Clapton, enregistré en octobre dernier.
Le ton est donné dès l’ouverture avec l’incontournable White Christmas. La guitare de Clapton, particulièrement soyeuse, est d’une douceur évangélique, les chœurs ont des voix d’anges, le rythme est gentiment chaloupé ; il n’y a aucune fioriture. C’est tout en simplicité et donc, redoutablement efficace. Ça ne pourrait pas réveiller un petit Jésus qui dort, juste le bercer… Le climat, gentiment incantatoire, reste le même pour la deuxième chanson, Away In A Manger (Once In Royal David’s City) tout entière dévolue à l’Enfant Roi. Après tout, il est tout à fait légitime que « God » évoque son divin Fiston…


Cet opus contient 14 titres. Clapton y a savamment mélangé des chansons de Noël archi connues comme White Christmas, Jingle Bells ou Silent Night avec des titres moins connus du grand public. Il nous offre également un air de sa composition, For Love On Christmas Day.
« Je me suis dit que ces chansons pouvaient être teintées de blues et j’ai commencé à réfléchir à la façon d’inclure cette touche entre les voix a-t-il déclaré. J’ai réussi et l’une des chansons les plus identifiables de l’album, celle qui en est devenue le pilier fondateur, c’est Have Yourself A Merry Little Christmas ».

Plus « SlowHand » que jamais, Eric Clapton nous régale. Dans Christmas Tears, il fait littéralement pleurer sa guitare. L’arrangement sur le célèbre Jingle Bells est très original. Cet instrumental qui tourne tout le temps avec un tempo légèrement sautillant est d’ailleurs dédié à la mémoire du DJ Avicii. C’est une sorte de parenthèse dans cet album, une petite rupture placée en plein milieu. Après quoi, il reprend sa balade avec le joliment bluesy Christmas In My Hometown. Une friandise de plus avec chœurs délicieusement acidulés.


Dans It’s Christmas, on perçoit les clochettes des rennes. Là, les cervidés semblent un peu pressés d’aller livrer le contenu de la hotte. On ne peut pas somnoler tout le temps !... Comme son nom l’indique, Sentimental Moments, est une chanson qui glisse douillettement sur un tapis immaculé de poudreuse (je parle de neige évidemment). Alors, histoire de secouer les flocons qui ont eu le temps de se déposer sur nos épaules, Eric nous propose un ersatz de Rythm’n’blues avec Lonesome Christmas, un petit bijou pour qui aime les jolis riffs de guitares et les rythmes syncopés. C’est un des meilleurs titres.

Avec comme choristes son épouse Melia et une de leurs filles, Sophie, la version de Silent Night nous fond dans les oreilles comme du sirop. Avec de la ouate pour remplacer les boules de neige, le silence est vraiment d’or. Enfin, après un blues classique, Home For The Holidays (avec solo de guitare très inspiré), Eric Clapton clôture son album avec le fameux « pilier » dont il parle, Have Yourself A Merry Little Christmas. Effectivement, ne serait-ce que pour ce titre, cet album est indispensable. Plus qu’un pilier, c’est un superbe sapin agrémenté de diverses décorations aux tons pastel. Le climat dégouline de tendresse. A la dernière note, on n’a plus qu’une envie : s’exclamer « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ».

jeudi 6 décembre 2018

Francis Renaud "La rage au coeur"


Hugo : Doc
340 pages. 18,50 €

Quel livre ! En fait, tout est annoncé dans le titre. De toute évidence, Francis Renaud est un affectif doublé d’un écorché vif. Son autobiographie est une autopsie à cœur ouvert et sans anesthésie. Lorsque le scalpel ouvre son organe, on y découvre qu’il contient, partagés à parts égales, deux sentiments forts et profonds : l’amour et la rage. Tout au long de cet ouvrage, son cœur palpite et saigne ; mais il continue à battre.

Dans « Francis » - même s’il porte un prénom qu’il déteste - il y a « franc ». Cette franchise est viscéralement intrinsèque au personnage. Olivier Marchal, son ami, son « frère », qui signe la préface du livre, souligne, en s’adressant directement à lui, cette façon d’être à plusieurs reprises : « Toi, tu ne sais ni ne peux faire semblant ». Et il résume le bonhomme avec une formule aussi lapidaire qu’imparable : « Trop de bruit, trop de gueule, trop de fureur, trop de talent »… Avec une telle introduction, on sait à quoi s’attendre lorsqu’on se plonge dans la lecture de La rage au cœur.


Eh bien, ce que l’on découvre tout au long de ces 340 pages va bien au-delà. Ce livre n’est pas un coup de poing, c’est un enchaînement éprouvant de crochets, de directs, d’uppercuts. Ça arrive de partout ! Les mots sont durs, les chapitres courts, les phrases brèves. Francis ne va qu’à l’essentiel, sans fioritures ni concessions… Le moins qu’on puisse dire, c’est que le destin ne s’est pas montré très tendre à son égard. Le 27 septembre 1967, il a pris un rendez-vous manqué avec la vie. Son « bonheur » aura duré quatre ans ! Passé cette parenthèse, son existence n’aura été jalonnée que de coups, de morts violentes, d’injustices. Quand il connaît une accalmie, quand il découvre que l’on peut recevoir aussi de l’amour (auprès de ses grands-parents), on lui arrache ce bien-être pour le plonger dans un monde de violence et d’indifférence. Du coup, il va grandir comme une mauvaise herbe. Pas le choix. Quand on n’a pas d’autre alternative que la survie, on s’accroche à tout et à n’importe quoi. Et, surtout, on devient tout naturellement un rebelle.
Emporté comme il l’était sur des eaux saumâtres et tumultueuses, il aurait pu se laisser couler à tout moment. Or, il a surnagé. Il s’est appuyé plus ou moins consciemment sur deux bouées salvatrices : le rêve et le cinéma. « Je n’ai fait que rêver pour m’empêcher de voir le pire », annonce-t-il en préambule… Quelle enfance, quelle adolescence !

J’ai été d’autant plus passionné par ce livre que je me suis senti concerné à plusieurs reprises.
D’abord, Francis a grandi dans la même région que moi. Je connais les bourgades vosgiennes dont il parle, Remiremont, Le Thillot, Le Val d’Ajol… Ensuite, il évoque son amitié pour Samy Naceri. Or, il s’avère que j’ai écrit l’autobiographie du héros de Taxi Normal qu’ils aient été attirés l’un vers l’autre. Ce sont deux êtres en recherche chronique d’un père, en quête permanente d’amour et d’un minimum de reconnaissance et qui nourrissent une même aversion pour l’injustice. En plus, ni l’un ni l’autre ne possédait « la carte » pour pénétrer dans ce milieu si particulier qu’est le cinéma. Pourtant, Samy a beaucoup moins de raisons légitimes d’avoir « la rage ». Il est très loin d’avoir connu une enfance aussi cruelle et douloureuse que celle de Francis.

Olivier Marchal, Francis Renaud, Gérard Lanvin
Enfin, j’ai eu l’opportunité de croiser Francis Renaud à plusieurs reprises, le plus souvent en compagnie d’Olivier Marchal. Je l’ai également interviewé en janvier 2002. Il venait de tourner dans La Mentale au côté, justement, de Samy Naceri. J’ai rencontré alors un garçon cordial, sensible, généreux, bref foncièrement attachant… J’ai sélectionné quelques déclarations qu’il m’a faites au cours de cet entretien, déclarations que j’ai retrouvées dans son autobiographie : « J’ai une violence en moi », « J’interprète toujours des personnages en bascule », « J’ai envie de vivre sans rentrer dans le système », « J’ai été un enfant mal aimé. Mon refuge, c’était les cimetières ; je trouvais ça apaisant. Je discutais avec les photos des morts », « J’avais dit à un copain que je voulais faire du cinéma. Il m’a offert une bio de James Dean. J’ai fait une fixation : James Dean est mort à 25 ans et mon père à 26 », « Le monde du cinéma m’a mis tricard pendant huit ans ; c’est un milieu un peu pourri », « J’ai un peu trop parlé. Je dérangeais en disant ce que je pensais », « je ne supporte pas les rumeurs, surtout quand elles sont fausses », « Olivier Marchal est quelqu’un qui me touche énormément. J’aime son mélange de candeur, de générosité et de violence. Il me transperce. Pour moi, c’est le Comte de Monte Cristo ! »…

En relisant ces lignes, en pensant à Francis Renaud, il m’est revenu du fond de ma mémoire une expression que j’avais entendue dans ma jeunesse : « Il n’a pas de porte de derrière ». Cela signifie que la personne dont on parle est directe, franche du collier. Dans l’absolu, c’est une qualité rare ; qui devrait être universelle. Or, il s’avère que c’est une pratique à haut risque. Encore plus dans un microcosme comme celui du cinéma où l’on cultive jalousement son entre-soi. Et c’est encore pire lorsque celui qui dit les choses ne fait pas partie du sérail. Guy Béart l’a très bien chanté : « Celui qui dit la vérité, il doit être exécuté »… Là, la sanction est professionnelle. Au sein des réseaux, le bouche-à-oreille fonctionne à la vitesse de la lumière. Du jour au lendemain, on n’existe plus, on ne travaille plus.


Tout acteur qu’il soit, pas question pour lui de se donner le beau rôle. De la première à la dernière page Francis Renaud est honnête. Il ne se lamente pas sur son sort, il ne se victimise pas. Il ne cache rien de ses forfaits, de ses turpitudes et de ses dérives. Rien non plus de ses emballements, de ses amours et de ses succès. Il aurait pu facilement basculer dans le pathos mais il est trop avide de justice et de justesse pour cela. Il raconte, c’est tout. Il livre des faits. A nous de nous faire notre opinion. Il n’élude rien et, pourtant, je suis quasiment convaincu qu’il n’a pas chargé la mule, qu’il a occulté pas mal de choses.

La rage au cœur est un livre fort, âpre, dérangeant. L’instinct de survie est d’une puissance incroyable. Le petit Francis aurait dû être écrasé, broyé par tout ce qui lui est tombé sur la gueule. Il aurait dû être haineux et revanchard avec son pauvre cœur en manque d’amour. Il a comblé les vides avec la rage. Et il a grandi et avancé comme ça, un coup de cœur, un coup de rage. Il a adapté tous ses handicaps en « fureur de vivre » (coucou James Dean). Malgré tous les obstacles qu’on a dressés sur sa route, à 51 ans, il a tourné dans une trentaine de films et dans une cinquantaine de téléfilms, et il a écrit et réalisé son propre long métrage, Marie, Nonna, la Vierge et moi. Imaginez la carrière qu’il aurait faite s’il avait tenu sa langue et s’était montré un tantinet hypocrite ! Mais il n’aurait sans doute pas été raccord avec ses principes et n’aurait pas apprécié son reflet dans la glace.
La rage au cœur est un livre fort, âpre, dérangeant… Quoi ? Je l’ai déjà dit ? Eh bien tant pis, je le redis !

Gilbert « Critikator » Jouin

vendredi 23 novembre 2018

Etude notariale

Séverine Autenzio
36, rue Etienne Dolet
94230 Cachan
Tel : 01 58 07 00 45
www.autenzio-cachan-94.notaires.fr

Une fois n'est pas coutume : Critikator ne conseille pas une pièce, un disque, un livre, un spectacle.
J'ai envie exceptionnellement de faire l'éloge... d'une étude notariale... Ayant besoin des services d'un notaire, la proximité géographique m'a amené à ouvrir la porte du bureau de Séverine Autenzio.
Je n'ai eu qu'à me louer de la qualité et de son accueil et de ses conseils. Humaine, pédagogue, compétente, elle allie avec naturel la rigueur professionnelle et le sens de l'écoute.
En sortant de son étude, parfaitement informé, j'avais la sensation confuse de quitter une amie...
C'est la raison pour laquelle, n'ayant aucun intérêt dans ses affaires, il m'est facile de recommander chaudement ses services.

Un Picasso


Studio Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tel : 01 42 93 13 04
Métro : Villiers / Rome

Une pièce de Jeffrey Hatcher
Adaptée par Véronique Kientzy
Mise en scène par Anne Bouvier
Décor de Charlie Mangel
Lumières de Denis Koransky
Costumes de Mine Vergez
Musique de Raphaël Sanchez

Avec Sylvia Roux (Mademoiselle Fischer), Jean-Pierre Bouvier (Pablo Picasso)

Synopsis : 1941. Paris est occupé.
Pablo Picasso est convoqué par Mademoiselle Fischer, attachée culturelle allemande, dans un dépôt où sont entreposées des œuvres d’art volées aux Juifs par les Nazis… Il doit identifier parmi elles trois de ses propres tableaux pour permettre à la propagande allemande d’organiser une exposition d’« Art Dégénéré » dont le point d’orgue sera un autodafé. Telle est la terrible mission confiée à la jeune femme dans le face à face qui l’oppose à l’artiste.
Comment Picasso va-t-il empêcher la destruction de ses tableaux ? Quels arguments peut-il employer pour faire échec à cette entreprise honteuse ? Certes, Mademoiselle Fischer est acquise à la cause nazie, mais pour autant elle a du mal à cacher la fascination qu’exerce sur elle la beauté des œuvres du maître.
Débute alors un affrontement tout en séduction, ruse, violence et ambiguïté dans lequel le peintre sait, qu’au-delà de lui-même, se joue un combat essentiel : la défense de la liberté de l’artiste face à la barbarie totalitaire qui, toujours, cherche à la détruire…

Mon avis : Cette pièce est un superbe mano a mano entre deux grands fauves, Madame Fischer et Pablo Picasso. Elle, c’est un animal à sang froid ; lui, c’est un buffle bouillonnant… En clair, nous assistons à un affrontement entre le feu ibère et la glace teutonne. L’opposition va être âpre et tendue.

Tous les éléments sont réunis pour qu’il y ait conflit. Madame Fischer est allemande. N’oublions pas que nous sommes en 1941. Le pouvoir nazi est à son apogée. Madame Fischer est Allemande. Elle se sent investie des pleins pouvoirs. Elle a la force avec elle. D’ailleurs, la Gestapo monte la garde à l’entrée de l’entrepôt. Pour arriver à ses fins, elle peut ainsi se montrer cassante, abrupte, autoritaire. Le problème, c’est qu’on ne peut imposer quoi que ce soit à un individu comme Picasso.
Lui, la guerre, il s’en fout. D’abord, il n’est même pas Français. C’est un exilé espagnol. Il n’est donc pas directement impliqué. Il ne réagit qu’en artiste et… en homme qui ne veut pas se laisser dicter sa conduite par une femme. C’est un des ressorts de la pièce. Le Pablo est non seulement très imbu de sa personne et de son immense talent, mais c’est aussi un sacré misogyne. C’est un taureau. Il ne cherche pas à esquiver, il fonce droit vers la muleta que cette torera fasciste agite devant son mufle fumant. Il n’est pas question pour lui de se laisser dominer par une représentante du sexe faible, fût-elle protégée par son statut d’occupante.

Ce face-à-face est passionnant. Il repose essentiellement sur des dialogues mordants, incisifs, drôles parfois, et sur deux comportements et deux mentalités diamétralement opposés. Autant Madame Fischer est rigide, cassante, sûre d’elle et de ce qu’elle représente, autant Picasso est rebelle, bougon et fougueux. S’appuyant sur un fonds historique solide (le texte est émaillé de nombreuses anecdotes et informations passionnantes), cette pièce, intelligente, est vraiment prenante. La bagarre est aussi intense sur le plan physique que psychologique. La tension va croissant. Un Picasso est un véritable suspense, un savoureux poker menteur qui nous tient en haleine jusqu’à la fin.

Gilbert "Critikator" Jouin