lundi 13 septembre 2010

Solness le constructeur


Théâtre Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
Tel : 01 43 87 23 23
Métro : Rome / Villiers

Une pièce d’Henrik Ibsen
Adaptée par Martine Dolleans
Mise en scène par Hans Peter Cloos
Avec Jacques Weber (Halvard Solness), Mélanie Doutey (Hilde Wengel), Edith Scob (Aline Solness), Jacques Marchand (Knut Brovink), Thibault Lacroix (Ragnar Brovink), Nathalie Niel (Kaja Fosli), Sava Lolov (Docteur Herdal)

Ma note : 6/10

L’histoire : Halvard Solness est le plus grand architecte de son pays. Imbu de son statut et de son pouvoir, il règne en tyran sur son petit monde : épouse, collaborateurs, employés… Mais la crise de la cinquantaine, son attirance et sa crainte de la jeunesse, et une ultime rencontre, vont peu à peu le faire basculer dans une irrépressible dépendance.

Mon avis : Dès le début de la pièce, on se dit que le titre eût pu en être plutôt « Solness le destructeur ». Méthodique, il construit des tours et il détruit des vies avec la même absence d’état d’âme. En effet, Halvard Solness se montre tellement odieux et détestable qu’il ne sème que tristesse, rancœur, malaise autour de lui. Bonjour l’abus de pouvoir. Il profite de son statut d’homme-qui-a-réussi dans le monde de l’architecture pour jeter un regard plein d’arrogance sur les personnes qui gravitent dans sa sphère. En fait, sa vie s’arrête à son bureau. Il y règne en maître, en despote. Pour lui, le droit de cuissage est chose banale et naturelle. Et tant pis si on épouse, Aline, le surprend dans ses ébats. Il n’en a cure. Ce mépris chronique rejaillit évidemment sur ses deux principaux collaborateurs, les Brovink père et fils. Il les humilie avec une désinvolture et une indifférence on ne peut plus détestables.
Bref, tout va bien – du moins pour lui – dans le petit monde de Halvard Solness, tyran domestique et professionnel. Pourtant, petit à petit, quelques fissures apparaissent dans ce bel édifice qu’il s’est construit sans scrupules. Sa tour d’ivoire est montée très haut, mais il subsiste quelques faiblesses dans les fondations. Cette fragilité, il faut bien sûr aller la chercher dans le passé, dans un drame qu’il s’est toujours efforcé d’enterrer sous des monceaux de gravats… Autre cause d’effritement : Solness se sent vieillir. Et jamais il ne s’est senti aussi fasciné par la jeunesse. Elle l’aimante et lui fait preuve. Devant un tendron, il peut perdre de sa superbe. Finalement, Solness est un sado-maso. D’une part, il manipule et terrorise son entourage avec une indéniable délectation et, d’autre part, il ne cesse de s’auto-flageller par rapport à ce passé douloureux. Il évoque à demi-mots une « dette morale » qui le ronge.
Et puis surgit dans sa vie ce qu’il désirait et redoutait le plus : la vraie jeunesse. Le rayon de soleil auquel notre Icare va sciemment se brûler les ailes. Le manipulateur va devenir manipulé. Le pervers va se muer en candide. Il s’en rend compte et ça lui plaît.

Voici posés les grands traits de cette pièce d’Henrik Ibsen... Pour incarner « le monstre du Solness » avec autant de véracité, il fallait la puissance dévastatrice d’un Jacques Weber comme toujours superbement inspiré. Il écrase tout autour de lui. Et, au fil de l’histoire, il distille de plus en plus quelques éclairs de doute et de fragilité. C’est du grand art… En face de lui, Mélanie Doutey, vive, pétillante, joyeuse, symbolise parfaitement la jeunesse dans ce qu’elle a de plus frais et de plus désirable. Elle est lumineuse… Leurs échanges font penser à une petite musique de chambre interprétée par une contrebasse (Weber) et un violon (Doutey). Cette opposition est une réussite totale… Edith Scob, frémissante et altière, tire également avec élégance son épingle du jeu. Elle ne cesse de se retrancher sur on obsession du « devoir ». Et si c’était elle la plus forte ? J’ai aussi bien aimé l’émotion que dégage Jacques Marchand dans les débuts de la pièce. Humble et souffreteux, il fait apparaître encore plus impressionnante la force brutale de son patron.

Sur le plan de la comédie pure, ce quatuor est réellement épatant. Le problème, c’est la pièce elle-même. C’est une sorte de puzzle dont les pièces ne s’ajustent pas toujours entre elles. Il y a du mou dans les ressorts, de l’irrationnel dans certaines situations. Ibsen privilégie les échanges forts au détriment d’une construction rigoureuse et cartésienne. Trop d’abstractions et trop d’ellipses. Finalement, cette pièce est très conventionnelle. Elle ne nous ménage guère de surprises. On sent très vite comment va se dévider l’écheveau… Et Ibsen s’est même payé le luxe de faire figurer un personnage qui n’apporte strictement rien à l’histoire, celui du docteur. Il aurait pu et dû nous en apprendre plus sur la psychologie et les pathologies du sieur Solness, mais il ne reste que dans une superficialité souriante et fadasse. Ce n’est pas de la faute du comédien mais en plus, il n’est guère crédible en médecin.

En conclusion, les instruments sont excellents, Le soliste (Weber) – quel régal - est au sommet de son art, le premier violon (Doutey) ne fait que confirmer tout le bien que l’on pense d’elle, mais la partition manque d’originalité et de relief. On ne se laisse pas emporter et il s’avère qu’on s’ennuie un tantinet.

Aucun commentaire: