jeudi 5 septembre 2013

Fin de série

Vingtième Théâtre
7, rue des Plâtrières
75020 Paris
Tel : 01 43 66 01 13
Métro : Ménilmontant

Comédie de et avec Alan Boone, Jean-Claude Cotillard, Zazie Delem
Décors de Charlotte Smoos
Costumes d’Agathe Laemmel
Lumières de Julien Dubuc

L’histoire : Deux vieux sont chez eux. Ils ne sont pas malades, ils ne sont pas isolés, il n’y a pas de canicule. Leur projet : passer le temps.
Ils luttent : contre le corps qui n’est plus aux ordres, contre l’autre parce qu’ils ont besoin de méchanceté pour glorifier la tendresse.
Ils sont sympathiques, odieux, tendres et insupportables. Ils ont gardé de l’enfance l’impatience, la vivacité et le sens de la représentation. En fait, ils n’ont pas encore grandi que déjà ils rétrécissent.
Une troisième personne leur rend visite ; médecin, kiné, agent des Pompes funèbres, représentant-profiteur en toutes catégories qui va prendre soin d’eux…

Mon avis : Cette pièce illustre à merveille la fameuse règle des Trois unités (temps, lieu, action) puisqu’elle se déroule en une seule journée, dans un salon, et qu’elle nous dévoile le quotidien d’un couple de retraités.
On ne connaîtra jamais leurs prénoms. De toute façon, ils ne s’appellent pas. Trop longtemps qu’ils cohabitent. Ils n’ont visiblement plus grand-chose à se dire. Leur vie s’est insensiblement effilochée jusqu’à devenir une routine morne et grise.
Il est évident que, tant qu’ils étaient pris par leurs occupations respectives, ils ont dû vivre en parallèles. Mais lorsque, retraite oblige, ces deux parallèles sont amenées à se rejoindre dans un même espace, leur appartement, les codes ne sont plus les mêmes. Le temps ne se découpe plus en tranches horaires, il s’étire péniblement. Il n’est plus ponctué que par ces rendez-vous rituéliques que sont les repas pris en commun, repas dont ils ont peu à peu métamorphosé le mouvement perpétuel en petits duels mesquins.

Cette pièce ne ressemble à aucune autre. Surtout par la forme. C’est un véritable OVNI (Opposition de Vieux Naturellement Incompatibles). Il n’y a pas trois personnages, mais quatre. Le quatrième étant une bande-son omniprésente et bien plus éloquente qu’eux. Au bout d’un certain temps, certains bruitages nous agacent et nous arrachent des rires nerveux (le gloup de l’aquarium), alors que le tic-tac lancinant de la pendule nous fait furieusement penser à la chanson de Jacques Brel, Les Vieux.
J’ai reçu Fin de série comme un film d’animation muet. La mise en scène (la mise en pièces ?) est millimétrée. Chaque geste est d’une précision extrême. Chez ces gens-là, on n’improvise pas. On calcule, on joue aux échecs. Le concours de vacheries est ouvert en permanence. C’est ce qui met du sel dans la soupe froide de leur existence monotone. Evidemment, lorsqu’on est dans une telle extrémité, il en faut très peu pour basculer dans l’absurde et le burlesque, avec de savoureuses incursions dans le comique de répétition.


Ces deux vieux (Zazie Delem et Jean-Claude Cotillard) sont monstrueusement drôles. Ils ne se livrent pas à « tendre guerre » des Vieux Amants de Brel (toujours lui), mais à un affrontement plus sournois. Pourtant, si on veut bien se montrer attentif, on aperçoit fugitivement en filigranes quelques résidus ce cet amour qu’ils ont dû partager. Il y a de petites attentions, de légères inquiétudes, quelques élans vite réfrénés qui nous rassurent. Mais comme ils n’y mettent vraiment aucune bonne volonté, ils nous offrent le spectacle désolant de leur désastre affectif.

Il faut une sacrée dose d’humilité, d’autodérision et de talent pour incarner ces deux vieux et réussir à nous faire rire aux éclats devant ce qui est une véritable tragédie humaine. Leur cruauté n’est réjouissante que pour nous. Et, en même temps, elle est le ciment qui solidifie leur couple. Ils en ont besoin pour exister l’un par rapport à l’autre. Ils se lèvent chaque jour avec un seul projet : contrarier l’autre. A ce petit jeu, le personnage que joue Zazie Delem, est un peu plus performant. Elle a plus de malice et plus de ressources. Elle a presque toujours un coup d’avance sur lui.
Et puis il y a Alan Boone, qui joue successivement au médecin, au kiné et à l’agent des Pompes funèbres. Il réussit l’exploit de mettre de l’élégance et de la légèreté dans le cynisme et la vénalité. Il ne marche pas, il danse ; ce qui souligne admirablement le mépris qu’il porte à des clients qui ne représentent pour lui que des factures.


Hâtez-vous d’aller voir cette Fin de série jubilatoire et réellement originale avant qu’elle ne soit épuisée. Elle s’arrête en effet le 13 octobre.

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