jeudi 1 mars 2018

Salvatore Adamo "Si vous saviez..."


Polydor / Universal Music France

Salvatore Adamo est de retour avec Si vous saviez… un album annoncé comme étant son 25ème enregistré en studio. C’est bizarre, j’en compte personnellement une dizaine de plus. Bof, on ne prête qu’aux riches…

Sur la pochette, il pose presque comme un parrain de la Mafia sicilienne. Je dis bien « presque » car s’il est vêtu d’un costume et d’une chemise noirs, deux détails sautent aux yeux : son pied gauche déchaussé dévoile une chaussette d’un rouge écarlate et son pan de veste écarté laisse apparaître une bretelle de la même couleur. Beaucoup de choses sont dites à travers cette superbe photo. Il y a d’abord un mélange recherché de sérieux et de fantaisie. Sur son visage presque impassible, on distingue une lueur espiègle dans le regard et le léger sourire entendu de celui qui n’en pense pas moins. C’est vrai qu’il a l’air de nous dire « Si vous saviez… ». Si vous saviez l’homme que je suis réellement. Longtemps catalogué d’artiste lisse, gentil, poli, bien élevé – rassurez-vous, il est et sera toujours un modèle de courtoisie et de bienveillance – Salvatore Adamo a petit à petit affiché un côté rebelle. Il demande certes parfois la permission, mais cela ne l’empêche pas de dénoncer certains dysfonctionnements, certaines injustices, certaines incohérences dans le monde qu’il entoure. Il y a du reporter en lui ou, plutôt, du rapporteur. Il se veut témoin de son temps. Il a, de plus en plus souvent désormais, eu envie de poser un doigt accusateur là où ça fait mal et de titiller. De même qu’il a de plus en plus souvent montré un sens aigu de l’humour, sa facette facétieuse ? Chez lui, l’autodérision est chronique et il a acquis en vivant en Belgique cette propension à l’absurde si vivace outre-Quiévrain.

Photo Belga/AFP

Beaucoup plus Mister Jekyll que Mister Hyde (heureusement), Salvatore Adamo n’a plus peur d’affirmer sa complexité, ses dualités, ses faiblesses, de même qu’il exprime ses engagements, ses indignations et ses enthousiasmes. Il faut beaucoup de temps pour devenir l’homme que l’on est vraiment. Et quand on est artiste, la route est encore plus longue car distraite par une multitude de chemins de traverse et freinée par l’adulation que l’on vous porte et les multiples tentations. Aujourd’hui, Salvatore a atteint son point d’équilibre. S’il lui faut toujours plaire et séduire (professionnellement s’entend), il n’a plus rien à prouver. Il apparaît comme un homme libéré de toute contrainte, de toute affectation, de toute hypocrisie. Cette libération se retrouve dans son écriture. Il n’a jamais eu autant de mots à dire. Sa plume, au lieu de se tarir avec l’âge, n’a jamais été aussi prolifique. Lisez ses textes. Ils sont si travaillés, si forts, qu’on pourrait aisément occulter la musique. Mais Adamo est chanteur, Italien de surcroît. Comment, pour lui, imaginer une vie sans musique, sans mélodies, sans ces petites touches de couleurs qui habillent ses textes et les renforcent.

Alors, parlons-en de cet album et de ses « ada-mots ».
Je ne veux pas me livrer comme j’en ai l’habitude à une analyse quasi clinique. Je préfère en dessiner les grandes lignes de façon à ménager à l’auditeur à la fois le plaisir de la découverte et un espace pour son imaginaire. Je l’ai écouté au casque cet album. C’est préférable car on peut en saisir toutes les nuances car, si les mots sont forts, les musiques et les arrangements sont subtils, taillé, c’est le cas de le dire, sur mesure(s).

Photo Belga/AFP

Voici donc, titre par titre, l’écume de mes impressions.
1/ Je te chanterai la chanson. Ce titre est, pour moi, l’équivalent de l’Utile de Julien Clerc. Elle évoque le pouvoir insidieux d’une chanson. Adamo n’est dupe de rien. Il console les gens en répandant de la « poudre aux yeux ». Cette poésie qu’il prône face à la violence agit comme un baume ? C’est que l’on peut appeler « un effet placé beau »…
2/ Un rêve. Cette chanson complète et développe la précédente. Elle exalte la force et le pouvoir du rêve. « I made a dream »… Le rêve est une petite graine qui, un jour, par la volonté d’un être d’exception, peut germer. D’où l’importance du name dropping ou plutôt ici, c’est malin, du first name dropping car Salvatore ne cite que des prénoms de ces personnes qui ont fait de leur rêve une œuvre. Certains rêves sont constructifs mais il ne faut jamais les confondre avec l’utopie.
3/ Sans toucher terre. Elle est diablement finaude cette chanson avec son double niveau de lecture. C’est l’histoire d’un transfert à l’envers. Ou comment une personne a priori défavorisée, une migrante, réussit avec son seul sourire à redonner un sens à la vie d’un nanti.
4/ Juste un « Je t’aime ». D’abord, on constate avec ce duo combien Camille chante bien ! Il y a d’un côté sa voix cristalline, fragile qui s’entrelace à merveille avec celle, chaude et rassurante de Salvatore. Du nectar pour les trompes d’Eustache… Cette chanson exprime combien il est important de se dire « Je t’aime ». Même si c’est éphémère, il faut le dire, ne pas le garder pour soi. Ce doit être une immédiateté.

Photo Philippe de Poulpiquet

5/ Si vous saviez… C’est le contraire des Passantes de Georges Brassens car, ici l’objet de tous les fantasmes est statique. C’est l’histoire d’une non-rencontre. Le désir est non exprimé pour ne pas effaroucher la belle. L’audace n’est qu’intérieure… Cette situation prend tout son sel dans le contexte actuel de la croisade « Balance ton porc ». Là, il n’y a pas de risque de mauvaise interprétation.
6/ Méfie-toi (Y’a pas plus gentil que moi). Il ne faut pas se fier à la bonne réputation, à l’image de l’homme idéal. La musique est aussi espiègle que ce texte en forme d’autocritique. Il en dit beaucoup sur lui : « Je suis multiple », « Je ne suis pas celui qu’on voit »… Il a « brisé des cœurs » malgré lui (!) mais il été « toujours de bonne foi ». Ça sent un peu la schizophrénie, non ?
7/ Le pianola. Quelle jolie historiette empreinte de mélancolie sur la vanité de l’état de pianiste de bar qu’un regard suffit à bouleverser. C’est le bon, la brute et la belle. Imparable cette rime riche entre « bar » et « malabar ». A écouter le désarroi de ce gentil musicien, on a tellement envie que ça se termine bien…
8/ Nu. « Nu » comme Nu… mérique ? Big Brother nous regarde et nous espionne. Tout le monde surveille tout le monde. Big Data est liberticide. On s’achemine inexorablement vers la pensée unique. Le vocabulaire est envahi de nouveaux mots issus de l’informatique. Nous vivons une véritable révolution… A noter la beauté des rythmes africains et des chœurs. C’est peut-être ma chanson préférée.
9/ Tes chaînes.  Confidences d’un homme heureux de sa servitude, qui l’assume et la réclame. Il faudrait inventer le mot masculin pour « odalisque ». Il va même jusqu’à faire acte de contrition. Un abandon de soi qui confine au sacrificiel.


10/ Toujours, forever… Parfum de nostalgie. Le temps « doré » de la jeunesse est idéalisé. La tendresse, l’amour, les délicieux frissons sont magnifiés par le prisme déformant du souvenir. Bien des années plus tard, on sait que ça a existé, mais la « fièvre » est retombée et il ne subsiste qu’une « belle illusion ». « On survit comme on peut »…
11/ Et tant d’amour. Deuxième chanson du triptyque Nostalgie. Elle se rattache à la précédente. Promenade dans le temps passé. Là aussi tout est idéalisé. Les coutumes, les costumes, la courtoisie, les relations simples. Les valeurs, quoi ! Et tellement, tellement d’amour… C’est ma deuxième chanson préférée. Ce doit être une question d’âge, une fraternité dans le vécu…
12/ Ma mère disait. La nostalgie, suite et fin. Une magnifique déclaration d’amour filial. Quand le « rire » est un « soleil » on ne peut qu’être ébloui par tant de tendresse et de bienveillance. Qu’ajouter de plus ? Il n’y a qu’à écouter.
13/ Racines. Tout est dans le titre. Même s’il avoue s’être « perdu dans l’ennui de l’Olympe », Salvatore Adamo est toujours resté fidèle à ses origines siciliennes. Soixante-dix ans se sont écoulés mais l’enfant prodigue jette encore « derrière ses vitres fumées » un regard enamouré sur la terre de ses ancêtres. Le temps lui semble s’être un peu figé, mais la vie est restée simple et saine. Les gens se parlent beaucoup, les hommes pérorent, les femmes s’en amusent et les gosses, qui « n’ont pas changé » ont les mêmes rêves que lui quand il était enfant. Bien rassurant, tout ça…

Gilbert "Critikator" Jouin

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