mercredi 17 septembre 2008

Faubourg 36


Un film de Christophe Barratier
Musique originale de Reinhardt Wagner
Textes des chansons de Frank Thomas
Avec Gérard Jugnot (Pigoli), Clovis Cornillac (Milou), Kad Merad (Jacky), Nora Arnezeder (Douce), Pierre Richard (monsieur TSF), Bernard-Pierre Donnadieu (Galapiat), Maxence Perrin (Jojo), François Morel (Célestin), Elisabeth Vitali (Viviane), Eric Prat (commissaire Tortil), Julien Courbey (Mondain), Philippe du Janerand (Triquet)...

Ma note : 8,5/10

L'histoire : C'est bien simple, ce film est tout ce que j'attends du cinéma : une magnifique histoire, de beaux personnages, de superbes décors, des jolis costumes, une photographie d'une extrême qualité, des angles de prises de vues originaux et inattendus, une bonne musique... On n'a qu'à s'installer confortablement dans son fauteuil et se laisser emporter... On est pris et captivé de bout en bout.

C'est qu'on l'attendait au tournant le Barratier après le phénoménal succès des Choristes ! Et bien, à mon goût, Faubourg 36 est encore meilleur. Il est inutile de gloser à l'infini, ce film est parfaitement réussi. Il est largement du même niveau que le somptueux Moulin Rouge de Baz Luhrmann, film auquel il fait immanquablement penser.

A travers les destins entremêlés des quatre principaux personnages, Pigoil (Jugnot), Jacky (Kad), Milou (Cornillac) et Douce (Nora Arnezeder), c'est une fresque tout bonnement humaine qui nous est proposée. Cette époque charnière, magnifiquement restituée, se trouve au carrefour de toutes les passions, de toutes les idéologies. C'est l'hitoire de nos parents et grands parents ; notre histoire. C'est l'exaltante période du Front populaire en même temps que celle, menaçante, de la guerre qui sourd. La camaraderie ouvrière côtoie la xénophobie. Et au milieu de ces importants événements historiques, il y a la simple aventure humaine.
Ce film nous distille un flot de belles et profondes émotions. Il nous tient en haleine tant on s'attache aux personnages. On se projette en eux, on se met à leur place. On rit, on pleure, on tremble, on a peur, on se sent concerné, solidaire. Tous les sentiments y sont exprimés : l'amour, l'amitié, la tendresse, la haine, la violence, la fraternité...
Nous sommes dans la grande tradition du bon cinéma français de l'après-guerre. Inévitablement, on a tendance à transposer : il y a du Chaplin dans Jugnot, du Bourvil dans Kad, du Gabin dans Cornillac, de la Michèle Morgan dans Arnezeder, du Eric Von Stroheim dans Donnadieu... C'est frappant. Le moindre second rôle se révèle épatant (Julien Courbey en Mondain, ou Philippe du Janerand en Triquet, pour ne citer qu'eux...) Ils sont tous tellement naturels qu'on ne peut parler de numéros d'acteurs.

Faubourg 36 est un film sur lequel il est difficile d'écrire. On a beaucoup plus envie d'en parler avec d'autres spectateurs, d'échanger ses impressions, ses émotions, son plaisir. Il faut aller le voir, il nous fait tellement de bien, il nous emmène tellement haut. Et pourtant, il est d'une simplicité confondante. Barratier a l'art de nous raconter des histoires - car il y en a plusieurs qui s'entrecroisent ou qui avancent en parallèle -, il sait nous attraper par le coeur.
Je suis sorti de la salle enchanté, agréablement ému, heureux d'un petit bonheur tout pur, tout simple. Qu'est-ce que ça fait du bien le cinéma quand il nous propose des films de cette qualité. Sacrée lanterne magique !

Le malade imaginaire


Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, boulevard saint-Martin
75010 Paris
Tel : 01 42 08 00 32
Métro : Strasbourg Saint-Denis

Une pièce de Molière
Mise en scène par Georges Werler
Costumes de Pascale Bordet
Avec Michel Bouquet, Juliette Carré, Julie de Bona, Christian Bouillette, Pierre-Alain Chapuis, Olivier Claverie, Clémence Faure, Pierre Forest, Sylvain Machac, Patrick Payet, Sébastien Rognoni, Hélène Seuzaret, Pierre Val.

Ma note : 7/10

Mon avis : Voir Michel Bouquet sur scène, et qui plus est dans un grand rôle du répertoire, est un pur plaisir d'esthète et de gourmet. Quel métier ! A 82 ans, il nous régale pendant deux heures d'un jeu tout en subtilités, en nuances, truffé de trouvailles dignes d'un jeune homme espiègle. Il est habité cet homme-là ! Il EST le théâtre. Il reste, avec Robert Hirsch, un de nos derniers monstres sacrés des planches.
Dans un décor dépouillé à l'extrême, juste habillé de tapisseries orange, d'une immense tenture rouge et éclairé par un superbe lustre, campé dans son fauteuil en plein milieu de la scène, Michel Bouquet focalise toutes les attentions. Si le monologue du début, certes imposé par le texte de Molière, s'avère un peu longuet, il n'empêche que cette petite musique "en sols majeurs" constitue pour lui une sorte d'échauffement comparable à celui d'un coureur de fond. En effet, tout de suite après cette litanie de comptes d'apothicaire, la pièce prend son rythme et ne s'en départira plus durant deux heures.
Il y a sa tenue aussi. Franchement croquignolesque. Avec ses bas composés de bandes aux couleurs vives, sa sorte de grenouillère surmontée d'une collerette qui le fait ressembler à un Pierrot, et ses charentaises, il est tout à fait cocasse.
Il est bon de préciser que le metteur en scène a transposé la pièce au 19è siécle. Ce qui n'altère en rien l'esprit de Molière, mais qui permet en revanche l'emploi de costumes de toute beauté. Les femmes arborent de magnifiques robes et les hommes, en habit, portent vraiment beau. Quant aux médecins, ils sont affublés de tenues blanches du genre de celles que portent les laborantins, ce qui accentue encore leur étrangeté.

Bien sûr la pièce repose essentiellement sur le tandem Michel Bouquet/Juliette Carré (qui campe Toinette). Leur duel est réellement jubilatoire. La mécanique est précise, parfaitement huilée, toute en finesse(s). Et la troupe qui les entoure, aspirée par ces deux phénomènes, ne commet aucune fausse note. On assiste ainsi à de grands moments du théâtre classique, comme le numéro de duettistes des Diafoirus père et fils par exemple.
Enfin, cette pièce à la mise en scène vraiment dynamique se termine par une scène étourdissante à rendre jalouses moult comédies musicales. Un Bouquet final en quelque sorte dont je vous laisse la surprise.
Que ce soit en Harpagon ou en Malade imaginaire, Michel Bouquet est un des plus grands serviteurs de Molière.
En tout cas, le succès de cette pièce ne sera pas imaginaire, car c'est une salle debout qui a fait un triomphe à ce très grand monsieur et à ses complices.
Un grand moment de théâtre...

mardi 16 septembre 2008

Parlez-moi de la pluie


Un film écrit par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri
Réalisé par Agnès Jaoui
Avec Agnès Jaoui (Agathe), Jean-Pierre Bacri (Michel), Jamel Debbouze (Karim), Pascale Arbillot (Florence), Guillaume de Tonquedec (Stéphane), Frédéric Pierrot (Antoine), Mimouna Hadji (Mimouna), Florence Loiret-Caille (Aurélie)...

Ma note : 6,5/10

L'histoire : Agathe Villanova, féministe nouvellement engagée en politique, revient pour dix jours dans la maison de son enfance, dans le sud de la France, aider sa soeur Florence à ranger les affaires de leur mère, décédée il y a un an.
Agathe n'aime pas cette région qu'elle a quittée dès qu'elle l'a pu. Les impératifs de la parité l'ont parachutée ici à l'occasion des prochaines échéances électorales.
Dans cette maison vivent Florence, son mari, et ses enfants. Mais aussi Mimouna, femme de ménage que les Villanova ont ramenée avec eux d'Algérie au moment de l'indépendance.
Le fils de Mimouna, Karim, et son ami Michel Ronsard entreprennent de tourner un documentaire sur Agathe Villanova, dans le cadre d'une collection sur "les femmes qui ont réussi".
On est au mois d'août. Il fait gris. Il pleut. Ce n'est pas normal. Mais rien ne va se passer normalement...

Mon avis : Ce film laisse une impression confuse. On s'y sent aimanté par la qualité des têtes d'affiche : Bacri-Debbouze-Jaoui, ça a de la gueule ! On s'installe donc avec cette agréable sensation liminaire que l'on va passer un bon moment de cinéma. Et puis le film commence... En demi-teinte ; en faux rythme. C'est comme une journée qui commence avec de petits nuages gris qui, poussés par un vent malin, vont grossir et s'épaissir. On sent qu'un orage va éclater et que tout le monde sera plus ou moins mouillé. Effectivement, certains seront juste éclaboussés alors que d'autres vont être carrément trempés. Le climat est parfaitement rendu.
Ce film météorologique fonctionne comme un diésel. Il démarre doucement. Le moteur se met à ronronner. A la moitié, il prend son rythme de croisière ; aux trois-quarts, il passe la surmutipliée, pour ralentir doucettement jusqu'à l'arrivée. Résultat, on trouve que la deuxième partie est bien supérieure à la première. Ce qui n'est pas plus mal car on se retire au moins sur une sensation positive.

Que reste-t-il justement de Parlez-moi de la pluie quand les lumières se rallument dans la salle ?
Des dialogues ciselés, percutants, excellents. Un Jean-Pierre Bacri phénoménal dans son personnage de raté magnifique, de loser flamboyant, de doux rêveur sympathique, de bras cassé irritant. Il est tout à fait remarquable. Alors qu'on attendrait logiquement Jamel, c'est Jean-Pierre Bacri qui fait preuve d'une formidable présence comique... Car Jamel, lui, joue tout en demi-teinte. Il est touchant de retenue et de fragilité (quelle jolie scène avec sa maman de cinéma !). Il se cherche, il n'est pas encore mature, il doute. Son personnage joue gros, impliqué qu'il est dans la réussite de ce documentaire... Agnès Jaoui, elle, est à l'image du film : elle ne fait que monter en puissance... Pascale Arbillot est parfaitement à sa place aux côtés de ce glorieux trio. Elle révèle une palette de jeu réellement étendue. Et puis la jolie Florence Loiret-Caille, dans le rôle d'Aurélie, nous enchante par sa spontanéité et sa fraîcheur.

S'il pleut beaucoup à un moment du film, c'est surtout dans les coeurs que le plus gros de l'orage frappe. Personne n'est à l'abri, personne ne sera épargné. Et quand le beau temps reviendra, il éclairera des individus complètement différents de ce qu'ils étaient au début. Car la vie de tous les jours interfère sans cesse dans cette histoire. Ce sont tous des êtres humains avec leurs problèmes. On réalise très vite que personne n'est bien dans sa peau, bien dans sa vie. Un bon lavage de cerveau va leur être salutaire. C'est sans doute là que réside le point fort de ce film, dans la psychologie des personnages. On est les témoins de leur cheminement intellectuel puis de leur métamorphose. C'est très fin, remarquablement dessiné. On s'aperçoit que ce n'est pas avec nos petits égoïsmes, nos "chacun pour soi" que l'on avance et que l'on est heureux. Au contraire, il faut parfois savoir s'arrêter, se regarder en face et se retourner pour voir les autres et leur rendre leur importance.
Bref, c'est un film vachement humain. Qui donne à réfléchir sur nos comportements. Les femmes y voient plus vite et mieux que nous. Elles discernent avec réalisme le moment où il ne faut pas aller trop loin. Alors, elles reprennent leur destin en main, aspirant dans leur soudaine certitude leurs compagnons un peu dépassés.

ce film parle donc de la pluie, de ces petites ou grandes dépressions qui nous affectent à un moment de notre vie, en espérant que l'anticyclone des Açores va revenir s'installer pour un bon bout de temps et nous réchauffer enfin l'âme et le coeur.
Ce n'est pas un grand film, mais c'est un très joli film.
Et puis, il y a Jean-Pierre Bacri ! Avec lui, la pluie fait des claquettes. Alors, ne serait-ce que pour lui...

vendredi 12 septembre 2008

Le Roi Lion


Théâtre Mogador
25, rue de Mogador
75009 Paris
Tel : 0 820 88 87 86
Métro : Trinité / Chaussée d'Antin / Havre-Caumartin

Musiques et paroles d'Elton John et Tom Rice
Livret de Roger Allers et Irene Mecchi
Mise en scène et création des costumes : Julie Taymor
Adaptation française de Stéphane Laporte

Avec Olivier Breitman (Scar), Jean-Luc Guizonne, alias Jee-L (Mufasa), Zama Magudulela (Rafiki), David Eguren (Zazu), Christian Abart (Timon), Fabrice de La Villehervé (Pumbaa), Jérémy Fontanet (Simba), Léah Vincent (Nala), Céline Languedoc (Shenzi)...

Ma note : 8/10

L'histoire : L'Afrique s'éveille. le jour se lève sur l'immensité de la savane. L'aube rougeoyante voit la gent animale se rassembler. C'est une nouvelle journée qui commence... et une nouvelle vie. Bienvenue au royaume du Roi Lion.
Pour un jeune lionceau qui vient de naître s'ouvre le merveilleux cycle de la vie... Devant un parterre rassemblant tout le monde animal, Simba est fièrement présenté comme le futur successeur de son père, le roi Mufasa. Pourtant, sa jeunesse insouciante prendra brutalement fin par la traîtrise de son oncle Scar, qui veut s'arroger le pouvoir...

Mon avis : Mea culpa, mea maxima culpa... Il me faut humblement battre ma coulpe car je m'étais laissé entraîner par un apriori. Je m'explique :
Lorsqu'il y a un an j'avais vu à la télévision quelques extraits présentés sur différents plateaux par la troupe du Roi Lion, j'avais trouvé que ça criait un peu fort, que les maquillages étaient certes magnifiques, mais ce que je voyais et entendais ne m'incitait guère à me rendre du côté du théâtre Mogador. Pourtant, par expérience, je sais qu'il ne faut pas se fier à un extrait. Mais là, j'ai snobé ce spectacle pour des raisons superfatoires, basant mon jugement sur des impressions par trop succintes.
Et puis, j'ai été invité le 11 septembre dernier à une sorte de soirée portes ouvertes pour une poignée de happy few. Le choc !
D'abord l'enceinte du théâtre Mogador, entièrement refaite et pensée à neuf, est aujourd'hui la plus belle de tous les théâtres parisiens. J'adore l'entrée des Folies Bergère, mais il n'y a que ça. A Mogador, un luxe discret vous entoure de tous côtés et sur plusieurs étages. C'est cosy, élégant, chaleureux, confortable... Quant au spectacle lui-même, il ne m'a pas fallu plus de deux minutes pour tomber sous un charme frisant l'émerveillement.
Il faut bien reconnaître que le premier tableau est proprement hallucinant. Quelle inventivité, quels costumes, quelles couleurs !!! On ne sait plus ou donner de la tête tant c'est foisonnant. Dès le départ, la barre est placée très très haut. Après, totalement conquis, on n'a plus qu'à se laisser porter.
Sur le plan de l'esthétique, j'ai rarement vu quelque chose d'aussi accompli et une mise en scène aussi ingénieuse. Il ne faut rien en dire pour ne pas briser l'effet de surprise de cet énormissime premier tableau. Qu'on soit grand ou petit, nous avons tous dix ans. Moi qui étais venu un peu à reculons, je me suis laissé submerger par un plaisir tout simple, par un enthousiasme juvénile, par un intense grand moment de pure évasion.
Sur le plan strict du visuel, on ne peut que mettre 10 sur 10 à ce spectacle.
Les deux points que j'ai défalqués dans mon appréciation se rapportent à une deuxième partie un peu moins rythmée (mais scénario oblige) parce que plus romantique. C'est aussi de la faute à une première partie qui touche à la perfection dans tous les domaines... Et le deuxième point concerne surtout les paroles françaises que l'on aurait pu faire mieux sonner. C'est un de mes travers, je suis très attentif à la sonorité et à la qualité des mots. Mais je dois admettre que c'est mon côté pinailleur, et que la majorité des spectateurs n'y prête guère attention.

Par sa mise en scène, ses costumes, ses maquillages, son message, ses interprètes, Le Roi Lion est un spectacle majeur, majestueux, magnifique. On est souvent ému, on rit énormément grâce à des personnages comme Zazu, Timon et Pumbaa, le bestiaire est bluffant de poésie, les hyènes sont à hurler... de rire ; et Mufasa, Scar et Simba ont une présence forte, un jeu précis et des voix remarquables.
S'il vous plaît, ne faites pas comme moi, n'attendez plus pour aller vous régaler à ce spectacle magique, enchanteur, onirique...

lundi 28 juillet 2008

Arno "Covers Cocktail"


Ma note : 8/10

Arno a décidé de célébrer ses 20 ans de carrière solo (en fait, ça fait déjà 38 ans qu'il sévit dans le milieu de la chanson) en nous offrant une compilation d'une vingtaine de reprises qui ont figuré sur ses albums successifs.
Arno, c'est le seul authentique bluesman belge. Son grain de voix, graillonnant à souhait, est reconaissable entre tous. C'est un artiste habité, unique, hors normes, un marginal absolu, une sorte de poète maudit, un animal à sang chaud égaré dans le monde d'un show business totalement formaté et déshumanisé par l'obsession des enjeux économiques. Passons sur ces considérations bassement triviales pour ne nous concentrer que sur l'aspect émotionnel de Covers Cocktail, album ô combien admirable.

Il a ratissé large, l'Arno. Le mot de "Cocktail" est on ne peut plus adéquat. Il y en a pour tous les goûts : de l'alcool fort à la liqueur douce. Quand un titre est revisité par Arno, il n'en sort pas indemne. Il en est un peu comme de ces jeans que l'on rince à grande eau au milieu de galets. Ils en ressortent différents, délavés. Et régurgitées par lui, certaines chansons nous donnent la sensation qu'elles ont été écrites sur mesure pour lui ; l'exemple le plus évident est sa version de Je suis sous, créée par Claude Nougaro. Mais, excusez de peu, on trouve tout de même au générique de cet album les monstres de la variété rock anglosaxonne (beatles, Stones, Queen...) et francophone (Brel, Gainsbourg, Reggiani, Nougaro, Dutronc...)

Inventaire :
1/ Ils ont changé ma chanson : C'est l'introduction idéale à cet album. De ce titre un peu sirupeux d'une gentille chanteuse hippie oubliée, Mélanie, Arno et son complice d'un jour, Stéphane Eicher, font une complainte virile et véhémente à l'arrangement subtil, redoutablement efficace. C'est d'ailleurs une des constantes de cet opus : les arrangements, variés, fouillés, originaux, ciselés, sont remarquables...
2/ Ubu : la chanson-farce de Dick Annegarn prend tout son sel dans cette version malicieuse et primesautière.
3/ Mother's Little Helper : Ce bijou aux éclats sombres, emprunté aux Stones, présenté sur l'écrin d'un arrangement hyper dépouillé, met en avant l'interprétation pleine de sensibilité.
4/ Knowing Me, Knowing You : Alors là, c'est carrément du détournement, de l'absolue appropriation d'une bluette d'Abba. Sur un arrangement ethéré, aérien, Arno nous propose une autre chanson, une pure merveille de douceur, un bonbon acidulé, plein de finesse et de grâce. Etonnant et tellement agréable à écouter !
5/ Trouble in Mind : Arrangement un tantinet baroque et tout à fait mélodieux, Arno nous livre une sorte de ballade bluesy mélancolique qui monte lentement en puissance pour finir en mélopée plaintive, en cri de souffrance. Superbe !
6/ I Want to Break Free : Gonflée cette reprise de Queen qui frise le gospel. Très éloignée de l'esprit de l'original, elle en devient tourmentée, quasi mystique. Et Arno en chef de choeur n'est pas la moindre des surprises.
7/ Walkin' the Dog : Intro électro inattendue et déconcertante, puis vraies guitares rock'n'roll font de cette reprise de Rufus Thomas énergique et particulièrement bien enlevée LE rock de l'album.
8/ Voir un ami pleurer : Difficile d'ajouter un commentaire quand on se trouve confronté à un tel monument. On ne peut pas comparer à Brel, c'est autre chose du même très très haut niveau. Là où Brel avait choisi la véhémence, la rébellion, Arno préfère l'option du désespoir partagé.
9/ Elisa : Arno a invité la plus légitime des interprètes pour cet hommage à Gainsbourg en la personne de Jane Birkin. Ensemble, ils nous distillent une version délicate et indolente comme s'ils voulaient en goûter chaque mot avec gourmandise et profiter d'un tendre instant de communion artistique.
10/ Gimme That Hart Boy : Emmenée par un harmonica frénétique, cette reprise de Captain Beefhart n'est pas le titre que je préfère...
11/ Rollin' and Tumblin' : Dès l'introduction, on se laisse emporter la gratte et les percus de ce blues créé par Muddy Waters, un blues qui va à Arno comme un gant maculé et lacéré. Un instant magique.
12/ Mirza : Une version que cet iconoclaste magnifique qu'était Nino Ferrer n'aurait certes pas désavouée. Arno a l'art d'y mettre exactement les mêmes intentions. Seulement, il le traite de façon moins énervée, carrément en blues, ce qui convient parfaitement. Et là encore, quel arrngement somptueux !
13/ All the Young Dudes : Arno s'accapare avec élégance cette chanson écrite par David Bowie et créée par Mott the Hoople. Il se fond langoureusement dans les choeurs et, à un moment, il s'amuse même à y friser le rap. C'est très réussi.
14/ See-Line Woman : Version bluesy envoûtante de ce titre de Nina Simone. On se laisse emporter comme dans un vaudou, la tête se met à hocher d'avant en arrière et on n'est pas très loin de l'état de transes. Un des titres les plus originaux de cet album.
15/ Drive My Car : Sur un superbe travail aux percussions, bientôt complété par une grosse basse, Arno nous livre une chanson aux antipodes avec la création des Beatles. Là où les quatre de Liverpool conduisaient une jolie décapotable légère et colorée, notre Belge déjanté nous a concocté un véhicule tous terrains qui, au lieu de filer cheveux au vent sur un asphalte impeccablement goudronné, emprunte des chemins forestiers boueux, tortueux et dévastés. C'est un choix, il est d'autant plus respectable que c'est réussi.
16/ Sarah : Là, Arno nous prend directement aux tripes avec cette déclaration d'amour pleine de pudeur. On n'en sort pas indemne. Et puis, quelle partie de piano ! Quel climat ! La tendresse est palpable.
17/ Jean Baltazaarrr : C'est peut-être la chanson la plus "arnotesque" de cet album. Sa propension chronique au second degré y fait merveille. Mais là où cette chanson atteint des sommets c'est quand intervient la plus inattendue des partenaires : Beverly jo Scott. C'est tout simplement fantastique. Ils sont tous les deux à fond dans la dérision, mais dans le cadre hyper rigide d'un arrangement hyper méticuleux. LE grand moment de cet album pourtant riche en rencontres et en étonnements. Dutronc a dû jubiler de plaisir avec cette version.
18/ Hot Head : Guitares électriques et harmonica habillent ce rock signé Don Van Vliet (Captain Beefhart). J'ose la comparaison : il y a du Mick Jagger dans cette composition d'Arno. Si, si, écoutez bien.
19/ Je suis sous : Qu'ajouter à cette chanson écrite sur mesure par un Claude Nougaro qui aurait trouvé plus imbibé que lui... L'interprétation véritablement pathétique, est terriblement émouvante. Le poète n'était pas un imbécile qui a dit que "les chants désespérés..."
20/ Death of a Clown : Cette superbe interprétation tourmentée de ce titre de Ray Davies termine noblement cet album magistral. Soulignée par des guitares déchirées la souffrance, tangible, suinte dans chaque note et dans chaque mot.

Un seul regret, l'absence de la reprise des Filles du bord de mer, de Salvatore Adamo. Mais ne boudons pas notre plaisir, Covers Cocktail est un album à posséder, à écouter, et à réécouter...

jeudi 17 juillet 2008

La Perruche et le Poulet


Théâtre Déjazet
41, boulevard du temple
75003 Paris
Tel : 01 48 87 52 55
Métro : République

Une pièce de Robert Thomas
D'après l'oeuvre de Jack Popplewell
Mise en scène par Luq Hamett
Avec Claude Gensac (Alice Postic), Jean-Pierre Castaldi (l'inspecteur Henri Grandin), Michel Feder (Maître Rocher), Bénédicte Bailby (Clara Rocher), Hélène Bizot (Suzanne), Laure Mathurier (Virginie), Malcolm Conrath (Mr de Charente), Stéphane Foulogne (l'agent Maximin)

Ma note : 7/10

L'histoire : L'action se déroule dans l'étude de maître Rocher, notaire à Paris. Mademoiselle Alice Postic, standardiste de son état et perruche invétérée, est un personnage haut en couleurs. Un soir, alors que les employés sont partis, elle découvre le cadavre de son patron avec un poignard dans le dos. Elle a juste le temps de prévenir la police avant de s'évanouir. Quand elle se réveille, au moment où l'agent de police Maximin fait son apparition, le corps a disparu... Arrive alors l'inspecteur Henri Grandin, un type plutôt mal embouché dont le sale caractère lui a valu le surnom de "Tête de fer" par ses propres collègues. Or, Alice reconnaît en ce poulet fortement enrhumé et d'humeur massacrante un ami d'enfance...

Mon avis : En dépit de ses presque 40 ans d'âge, cette pièce est tellement fraîche qu'elle pourrait être un des beaux succès de cet été. Elle a en effet été créée en 1969 avec le fameux tandem de l'émission de radio "Sur la banc", Raymond Souplex et Jeanne Sourza, couple mythique s'il en fut.
Pour les personnes éprises de comédie pure, suivre pendant près de deux heures le jeu tout en nuances de Claude Gensac est un réel bonheur. Quelle subtilité dans une pièce qui n'est tout de même pas un monument de finesse. A 81 ans, en dépit d'une mobilité réduite, elle campe une perruche désopilante de drôlerie. Servie par des répliques plutôt percutantes, elle est omniprésente et focalise toutes les attentions. Il arrive même parfois à ses partenaires de la regarder jouer avec des yeux pleins de tendresse...
Bon, c'est un gentil boulevard dont ses producteur et metteur en scène ont eu le bon goût de maintenir l'action dans les années 60. Du coup, ce gentil petit côté suranné et bon enfant est très plaisant. On n'est pas là pour se prendre la tête, mais pour passer un vrai moment de détente au milieu de comédiens qui démontrent un authentique plaisir de jouer ensemble. Il y a là un petit côté troupe vraiment sympathique.

Bien sûr cette enquête policière riche en rebondissements plus ou moins plausibles repose entièrement sur la confrontation entre Alice Postic, la perruche, et l'inspecteur Grandin, le poulet. Face à cette adorable vieille demoiselle qui se mêle de tout, maligne, manipulatrice et provocatrice, il fallait la carrure d'un Jean-Pierre Castaldi. Il est parfait en flic enrhumé, limite psychorigide, peu enclin à la plaisanterie et aux attendrissements. Son ton bourru et ses mimiques excédées constituent le pendant idéal à l'espièglerie taquine de son "amie d'enfance" qui se complaît à l'appeler Riri alors qu'il attend du monsieur l'inspecteur. De la perruche ou du poulet, lequel va y laisser le plus de plumes ?

La mise en scène est efficace, ne ménageant aucun temps mort. Chacun des comédiens est bien à sa place avec une petite mention pour Hélène Bizot, qui joue Suzanne, la vieille fille dévouée et enamourée de son patron. Elle n'a pas hésité à s'enlaidir et à s'affubler de tenues vestimentaires dignes du Père Noël est une ordure.

Rencontré à l'issue de la pièce, Jean-Pierre Castaldi me confiait tout le bonheur qu'il avait à donner la réplique à cette "grande dame" qu'est Claude Gensac. Plein de respect pour la partenaire préférée de Louis de Funès, il se disait bluffé par sa performance car elle est la seule qui soit en permanence sur la scène pendant les deux heures que dure cette pièce.

lundi 7 juillet 2008

ToiZémoi "Noces de plomb"


Comédie de Paris
42, rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Tel : 01 42 81 00 11
Métro : Blanche

Un one-couple show écrit par Alain Chapuis
Mis en scène par Marie-Blanche
Avec Marie Blanche et Alain Chapuis

Ma note : 7,5/10

L'histoire : Camille et Simon donnent une réception avec traiteur, orchestre et confettis, pour célébrer... leur séparation !
Touchés par la crise des 7 ans, la fameuse "septénite", ils ont décidé, en adultes, de mettre fin avec grâce à ce septennat d'harmonie conjugale. Leurs parents, leurs amis sont là pour immortaliser ce grand jour.
Au fil de la soirée, de révélations inattendues en témoignages surprenants, les masques vont tomber...

Mon avis : Un peu moins de cinq ans après leur tout premier spectacle, Marie Blanche et Alain Chapuis, les ToiZémoi, reviennent faire le point sur leur couple. Cette fois, ils abordent la fameuse crise des sept ans qui, soi-disant, met la plupart des couples en danger.
En tout cas, leur union à eux apparaît sévèrement "plombée" car, dès le départ, chacun égrène avec une froideur clinique tous ses coups de canif dans le contrat de mariage et ses écarts de conduite. Et il y en a ! Et des deux côtés !

Pas de décor. Côté jardin, un simple guéridon sur lequel trône un seau à champagne, deux coupes... Ce qui laisse déjà à supposer que certains vont trinquer ! Ce qui nous en met plein la vue en revanche, c'est la couleur orange pétante de sa robe à elle et de sa chemise à lui. Sans doute plus pour qu'on les voie bien que pour afficher une quelconque appartenance nostalgique au Modem.
Après en avoir fini avec leur litanie de turpitudes, ils annoncent tout de go la raison de leur présence et le pourquoi des invitations qu'ils ont lancées à la famille et aux amis : Camille et Simon fêtent leur séparation !

Pendant une heure et demie, ils vont se livrer à une trépidante succession de saynètes au cours desquelles ils endossent la personnalité des principaux protagonistes de cette soirée. Ce qui, à travers eux, leur permet d'aborder des thèmes ou des événements de leur histoire complètement différents comme les religions, le football via l'épopée des Verts de Saint-Etienne, le couple considéré comme une SARL, leurs aventures extra-conjugales (ah "Foufoune" et ses quiproquos !) ou le baptême de Jennifer... Mais c'est surtout leur galerie de portraits qui nous confirme toutes les facettes de leur foisonnant talent de comédiens. Le traiteur, le défilé de compliments teintés d'une réjouissante mauvaise foi, le conseiller conjugal, les "G.G.", Ghislaine et Geoffroy, un duo plutôt gratiné, la femme de ménage, sont autant de tableaux qui leurs permettent de jouer et d'entrer de plain-pied dans la caricature : accents, chorégraphies approximatives, gestuelle outrée... Ils savent tout faire et ils le font remarquablement bien. Tout cela avec une réelle distance qui donne encore plus de force au sel et au piment de leurs propos. Parce que ça balance grave du côté des ToiZémoi ! Ils en dénoncent des comportements dont on ne saurait être fiers, pauvres humains que nous sommes ; des petites bassesses, des grosses lâchetés, de l'hypocrisie chronique. Avec eux les choses sont dites, les vacheries - qui sont autant de vérités - sont débitées avec cette désarmante légèreté qui leur donne encore plus d'impact.
Et tout cela avec une constatation, un leitmotiv qui revient comme une espèce de fil rouge : l'essentiel des problèmes vient du fait que les gens ne se parlent pas. Si on dialoguait plus entre nous, que ce soit au sein du couple, en famille ou dans notre quotidien, il est probable que les choses seraient bien plus simples à gérer.

Ce spectacle est un pur régal car, outre la roborative fantaisie dont il déborde, il nous renvoie sans cesse à notre propre image. En fait, comme dans le théâtre de Molière, ils nous font rire de nous. Osons le dire, Avec ce nouveau "One-couple show", les ToiZémoi, alchimistes élégants et truculents, changent le plomb de nos petits soucis en or. Car rire de bon coeur comme nous le faisons pendant une heure et demie, ça n'a pas de prix !