lundi 22 septembre 2008
Les deux canards
Théâtre Antoine
14, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 01 42 08 77 71
Métro : Strasbourg Saint-Denis
Une pièce de Tristan Bernard
Adaptation et mise en scène d'Alain Sachs
Avec Isabelle Nanty (Léontine Béjun), Yvan Le Bolloc'h (Lucien Gélidon), Urbain Cancelier (Béjun), Pierre-Olivier Mornas (Larnois), Gérard Chaillou (baron Saint-Amour), Jean-Marie Lecoq (commandant Mouflon), Catherine Chevalier (Amélie Flache), Jean-Pierre Lazzerni (Honoré Flache), Jean-Louis Barcelona (La Chevillette), Michel Lagueyrie (Moreau), Cassandre Vittu de Kerraoul (Madeleine Saint-Amour)
Ma note : 8/10
L'histoire : Lors d'un voyage en province, Lucien Gélidon, écrivain parisien et raffiné, tombe sous le charme de Léontine Béjun, la voluptueuse et impétueuse épouse d'un imprimeur.
Par amour pour lui, elle décide de fonder un journal de gauche dont elel le nomme rédacteur en chef. Mais voilà que Gélidon tombe amoureux de la fraîche et irrésistible Madeleine Sain-Amour, la jeune fille du château. Afin de pouvoir l'approcher en toute liberté, il devient aussi sur-le-champ rédacteur en chef du journal de droite que lance son baron de père. Notre journaliste écrit donc le matin sous son vrai nom, et le soir sous un pseudonyme, dans les deux "canards" concurrents et politiquement opposés. Jusqu'au jour où...
Mon avis : Lorsque les lumières s'éteignent, une valse légère et entraînante nous met déjà en condition. Et puis le rideau se lève sur le décor inhabituel d'une imprimerie du tout début du 20è siécle. C'est le siège de La Torche, un journal très marqué à gauche...
Les deux canards est une pièce âgée de 95 ans ! Mais elle ne les fait absolument pas tant elle est alerte, fringante et pleine de verdeur. Alors que Feydeau, voire Labiche, ne cessent d'être à l'affiche dans les salles parisiennes, on peut s'étonner de l'absence dans les programmations depuis près d'un siècle de cet excellent "boulevard". C'est du Tristan Bernard tout de même ! Si on y retrouve le même rythme endiablé que les meilleurs Feydeau, il y a en effet cette plus-value que constitue l'écriture de cet auteur renommé entre autre pour ses bons mots et ses définitions de mots croisés. On se délecte effectivement de quelques savoureuses saillies.
Ce qui est le plus bluffant dans le scénario de cette pièce, c'est la faculté de l'auteur à rebondir. On se demande à chaque fois comment ses personnages vont se sortir de l'inextricable cannevas de mensonges qu'ils ont eux-même tricoté. Surtout ce cher Lucien Gélidon, obligé qu'il est de faire le grand écart entre deux relations amoureuses, deux employeurs aux idées diamétralement opposées, deux bureaux, deux patronymes. La sauce ne fait que monter. On pressent qu'il court immanquablement à la catastrophe jusqu'à ce bouquet final totalement farfelu : se provoquer lui-même en duel. Bonjour la schizophrénie ! C'est énorme, c'est tout fou, bien déjanté, mais on se prend au jeu tant c'est enlevé, habile et gentiment tordu.
Si la mayonnaise prend si bien, c'est aussi et surtout grâce au jeu des comédiens. Il y a sur la scène du théâtre Antoine une belle brochette de "branquignols" un tantinet caricaturaux, de vraies "gueules", de vrais personnages. Ils sont tous très bons. Et personne ne tire la couverture à soi. Sous la houlette facétieuse et hyper précise d'Alain Sachs, ils se conduisent avec un esprit de troupe et une complicité qui passent la rampe. Il est délicat, presque incorrect, d'en mettre certains plus en évidence que d'autres, mais Urbain Cancelier (Béjun) et Pierre-Olivier Mornas (Larnois) nous livrent chacun une prestation absoluiment savoureuse dans des rôles plutôt exigents.
Et puis il y a le couple Isabelle Nanty-Yvan Le Bolloc'h... Très rare au théâtre (elle s'est beaucoup consacrée à la mise en scène), Isabelle est réellement épatante dans son double rôle d'épouse autoritaire et dominatrice et de maîtresse amoureuse et dévouée corps et âme. Tour à tour drôle et émouvante, elle possède un registre comique des plus affinés. Quelle présence !
Quant à Yvan Le Bolloc'h, il va être une véritable découverte pour la majorité des spectateurs qui ne connaîtraient de lui que ses (excellentes) prestations dans Caméra Café. Il nous révèle un éventail de jeu très étendu. En fait, la pièce repose sur son personnage. Au propre comme au figuré, il en est le noeud... Il a tous les défauts que quelques féministes malveillantes (pléonasme) prêtent aux hommes : il est lâche, versatile, menteur, pusillanime, opportuniste, bref c'est une vraie girouette. Mais il ne nous est jamais antipathique, bien au contraire. C'est un garçon plein de charme(s) à la libido exacerbée, qui se laisse guider et submerger par ses élans amoureux. Il lui est donc beaucoup pardonné... Depuis quelques années, YLB se construit patiemment. Il gravit tranquillement tous les échelons, il apprend, il prend de l'épaisseur, de la légitimité. Et comme il peut tout jouer - et pas uniquement dans la fantaisie - on peut affirmer qu'il est à l'orée d'une emballante carrière d'acteur.
Enfin, il faut souligner l'originalité des trois décors successifs ainsi que l'élégance et la qualité des costumes. Ces dames et ces messieurs portent vraiment beau. Très respectueux du public, Alain Sachs et ses complices décorateurs et costumiers nous offrent là un fort beau spectacle. Chapeau et merci...
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire