jeudi 12 novembre 2009

Le voyage de Victor


Théâtre de la Madeleine
19, rue de Surène
75008 Paris
Tel : 01 42 65 06 28
Métro : Madeleine

Une pièce de Nicolas Bedos
Mise en scène de Nicolas Bedos
Musique de Nicolas Bedos
Avec Guy Bedos (Victor), Macha Méril (Elle)

Ma note : 7/10

L’histoire : Suite à un accident de voiture, un homme a perdu la mémoire. Depuis, il erre dans son appartement, vêtu dès l’aube d’un smoking mauve taillé dans les années 70.
Une dame – assez énigmatique – est apparemment là pour prendre soin de lui et l’aider à recouvrer ses souvenirs, car il ne veut rien apprendre sur lui-même, son passé, ses goûts et ses amours. Mais elle voudrait faire la lumière sur les troubles circonstances de l’accident.
Qui est-il ? Qui est-elle ? Que veut-il oublier ? Que veut-elle savoir ?

Mon avis : En fait, ce Voyage de Victor, sorte de retour psychologique vers le futur, ce n’est pas le principal intéressé – Victor – qui l’accomplit, mais le public. En effet par la perversion de l’esprit retors de l’auteur, Nicolas Bedos, c’est nous qui nous faisons balader. Et pas qu’un peu. Bonjour les chemins de traverse !

Suite à un accident de voiture, Victor est devenu amnésique. Une femme, que l’on suppose d’abord comme étant là pour le soigner, essaie de lui raviver la mémoire… En même temps qu’elle nous essayons de reconstituer ce puzzle mental. Avec des habitudes banales du quotidien : prend-il du thé ou du café au petit déjeuner ? Ou avec des questions plus directes sur ce qui a pu amener à ce crash à 100 à l’heure contre un mur. Et lui, il ne joue pas le jeu, mais alors pas du tout. Soit il est réellement amnésique, et il faut tout patiemment reconstruire. Soit il simule, et il faut réussir à le piéger en l’amenant à se trahir.
Toute la pièce repose sur cette énigme. Est-il ou joue t’il ? Construite sur une suite de saynètes, la situation évolue sous nos yeux, du général à l’intime, avec des questions de plus en plus précises à travers lesquelles la femme se dévoile de plus en plus. Qui va sortir gagnant de ce jeu dramatique du chat et de la souris ? Lentement, la personnalité de Victor se dessine. De toute évidence, il est un homme de pouvoir, habitué à ce que les gens se plient à ses volontés. Suite logique, il se révèle bougon, misanthrope et terriblement misogyne. Dans sa bouche, « bonne femme » frise l’insulte.
Et puis, dans notre esprit, certains doutes commencent à affleurer. Et si son attitude revêche n’était pour lui qu’un subterfuge bien masculin pour cacher une profonde souffrance ? La pièce est très marquée à ce sujet. C’est une opposition de sexes dans la façon si personnelle de gérer son chagrin. La femme, elle, ne la masque pas sa souffrance, elle est franche, directe, sensible, compréhensive ; elle est toute entière dans la commisération. Elle veut juste savoir et, vraisemblablement, comprendre et pardonner… Lui, c’est le champion de l’esquive. Il n’a visiblement pas le courage d’affronter sa douleur, il choisit le fuite et il n’a surtout pas envie que l’évocation d’un passé ancien et récent lui écorche de nouveau le cœur. Alors, il préfère poser un couvercle là-dessus en espérant que cette femme qui ne cesse de le cuisiner ne réussisse à le soulever et à en faire sortir des exhalaisons qu’il se refuse de sentir.
A moins qu’il n’ait vraiment tout oublié…

Vous l’aurez compris, cette pièce repose entièrement sur un texte vachement (j’emploie ce terme à bon escient, car il y a du machiavélisme dans le mécano de cette histoire) bien ficelé. Il nous donne quelques indications pour nous les retirer dans la séquence suivante. Nous sommes en permanence dans un labyrinthe duquel on croit régulièrement s’extirper pour se retrouver encore plus perdu au virage suivant…
Le voyage de Victor est un véritable mélange ses genres. Tragédie grecque, histoire d’amour, enquête policière, variation sur le sacrifice d’Abraham (faut-il tuer le fils ?)… Pour nous la rendre attrayante et, surtout, prenant, il fallait que cette écriture très simplement ciselée soit régurgitée par deux comédiens hypersensibles. Guy Bedos est véritablement impressionnant dans un jeu plein de rouerie grâce auquel il floute en permanence la réalité. Alors que c’est elle qui donne l’apparence d’être à la manœuvre, on s’aperçoit bien vite, que c’est lui qui tient la baguette. Il impose que leur relation soit comme deux parallèles et il fait tout pour qu’elles ne puissent jamais se rejoindre. Il faut énormément de finesse pour réussir à jeter autant le trouble dans nos esprits. Quant à Macha Méril, elle est LA femme personnifiée. Elle est pour la vie. Plus que nous encore, elle recherche la vérité et elle est a tellement peur de se faire manipuler. Ça ne fait rien, elle ira au bout de sa quête, avec entêtement, générosité, tolérance. Avec beaucoup d’amour, finalement. Le couple fonctionne parfaitement. C’est un régal pour le spectateur de les voir évoluer ensemble ces deux là.
Maintenant, il est possible sinon probable que cette pièce, très intelligente, ne puisse plaire à tout le monde. Car il faut avoir envie de la suivre au plus près, de jouer le jeu, de se laisser promener et égarer. Il faut avoir aussi une certaine humilité pour accepter de se laisser berner et de quitter le théâtre de la Madeleine avec une intime conviction dont on n’est pas sûr d’être convaincu. Le sourire de Nicolas Bedos en dit long quand on lui pose la question.

1 commentaire:

lucie a dit…

vu jeudi dernier à grenoble j'ai adoré cette pièce.Quel jeu d'acteurs ! Ils sont touchants. Je me suis laissée embarquer par ce texte si riche...
Amnésique ou pas ? il fuit sa vie ? fait payer à Marion ses actes en jouant la carte de l'oubli ? je lirais bien le texte maintenant pour me replonger dans l'atmosphère. Très bon billet en tout cas, merci.