lundi 26 septembre 2016

MOI, moi & François B.

Théâtre Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 77 74
Métro : Gaîté / Edgar Quinet

Une pièce de Clément Gayet
Mise en scène par Stéphane Hillel
Décor d’Edouard Laug
Costumes de Brigitte Faur-Pérdigou
Lumières de Laurent Béal

Avec François Berléand (François), Sébastien Castro (Vincent), Constance Dollé (Cécile), Inès Valarcher (Cézanne), Clément Gayet (Clément)

L’histoire : François Berléand attend un taxi dans la rue. En retard pour le théâtre, il est de mauvaise humeur. Ce soir, il joue Dom Juan de Molière. Inexplicablement, il se réveille dans une agence de voyage, sans porte ni fenêtre. Il est emmuré aux côtés de Vincent, un jeune auteur farfelu et inculte, qui est otage lui aussi et qui va rendre François complètement fou.
Pour se sortir de cet enfer, François B. va devoir tout à tout menacer, mentir, supplier, séduire. Alors qu’il pense avoir trouvé un moyen de s’échapper, il va découvrir qu’il n’est pas un prisonnier comme les autres…

Mon avis : MOI, moi & François B. est un OTNI (œuvre théâtrale non identifiable). Il n’y a qu’en lorgnant du côté des pièces de Sébastien Thiéry qu’on peut lui trouver une parentèle. Cette comédie, qui repose sur un postulat totalement irréaliste, est redoutablement efficace. C’est du décousu main. Si, pour en découvrir les arcanes, on pouvait effectuer une coupe du cerveau de son auteur, Clément Gayet, je pense qu’on serait halluciné par des méandres d’une complexité labyrinthique tant son esprit est tordu, distordu, hélicoïdal (un Gayet à spirales, quoi !).
Comment peut-on imaginer une histoire aussi surréaliste et réussir à en passionner le public ? A cela, les raisons sont multiples.
On se glisse dans ce théâtre absurde comme on enfile ses vieilles charentaises ; avec délectation. C’est confortablement installé dans son fauteuil que l’on s’embarque pour un voyage surprise en territoire inconnu. Et, très vite, on se met à ronronner d’aise. Inutile de jouer les cartésiens et de chercher une quelconque logique (quoi que…), il suffit de se laisser emporter comme dans un scenic railway dans lequel tout peut arriver, même l’impossible.


Tout de suite, on est en empathie avec François Berléand. On devient nous même ce François B.. On essaie de comprendre ce qui lui/nous arrive. Son angoisse, son affolement, son désarroi, on les partage. Cette pièce est kafkaïenne à souhait. Lui et nous sommes des mouches prises dans une toile d’araignée machiavélique. Une araignée qui aurait le visage débonnaire et lunaire de Sébastien Castro. C’est lui qui tisse, lui qui tire les ficelles. Heureusement, c’est une araignée novice, donc encore maladroite et, surtout, sensible et vulnérable. Mais déterminée.


Petit à petit, à travers certaines confidences extorquées de diverses façons par François B., on commence à acquérir quelques clés. En fait, tout se passe dans la tête de Vincent (l’araignée). Vincent est un « aspirauteur ». A la fois un aspirant auteur et un… aspirateur. Il réussit à convoquer dans son cerveau les personnes qu’il désire pour les y emprisonner. C’est diabolique. Et ses victimes, otages involontaires, ne peuvent qu’être impuissantes. Il n’y a pas d’échappatoire. De même que, au propre comme au figuré, il n’y a pas d’issue. Vincent peut, selon son gré, attirer qui il veut dans sa toile. Y compris un personnage aussi incongru qu’une jolie contorsionniste à qui il va affecter des tâches complètement extravagantes. En tant que deus ex machina, il peut tout se permettre. Voire même mêler au cauchemar de François B. sa propre épouse, Cécile. Lorsqu’elle est à son tour victime de ce kidnapping mental, la pièce gagne encore en rythme et en complications. Nous sommes dans un jeu de Légo démoniaque. Chaque élément qui s’ajoute construit un édifice, certes irrationnel, mais d’une solidité à toute épreuve. Tout s’imbrique et s’élève de plus en plus haut dans un monde où l’imaginaire est roi mais où, paradoxalement, réside une forme de logique implacable.


Une situation aussi déroutante, lorsqu’elle est jouée avec la plus sincère authenticité, ne peut qu’engendrer de grands numéros d’acteurs. Dans ce domaine, on est servi. Quand l’absurde est ainsi élevé au rang de religion, François Berléand en est le grand prêtre absolu. Dans ce registre où il est en permanence dominé par les éléments, il est comme un poisson dans l’eau. Son jeu est d’une acuité impressionnante. Il n’interprète pas un rôle puisqu’il EST François Berléand. Il fait son miel de la schizophrénie. Pour cela, il faut posséder à la fois une sacrée dose d’autodérision et beaucoup de recul. Il joue avec lui-même, se gausse de son image, introduit dans le scénario des éléments de sa propre vie, et le saupoudre de réflexions cocasses ou acérées sur le milieu des acteurs.

Cette pièce est un gigantesque quiproquo, une mise en abîme. Comme dans un rêve, on a la sensation de tomber dans un puits sans fond. Sauf qu’à y regarder de près, il y en a néanmoins, du fond. On est dans le pirandellien. Ici, ce n’est pas «Six personnages en quête d’auteur », mais plutôt « Un auteur en quête de personnage(s) ». On se sent bien dans ce grand n’importe quoi parfaitement agencé et maîtrisé… Lorsque j’évoquais les multiples raisons qui vont permettre à cette comédie loufoque de réaliser le succès qu’elle mérite, il y a, outre son écriture, sa mise en scène et ses acteurs. La mise en scène est vive, inventive, émaillée de trouvailles originales (Ah, ce combat au ralenti !...). Elle en cultive le non-sens tout en en rendant les actions et les réactions plausibles. Il y a une telle rigueur que l’illogisme nous devient naturel.


Et puis, évidemment, il y a les acteurs. François Berléand, je l’ai déjà souligné, est impeccable de bout en bout. Il s’amuse visiblement à interpréter un personnage, qui est lui-même, confronté à une situation incontrôlable. On ne peut, pour une fois, parler de « rôle de composition » puisqu’il se met lui-même en scène, mais plutôt de rôle de « décomposition ». Il se délecte à se vautrer dans le deuxième et le troisième degré. Cet homme possède un grain de folie très personnel parfaitement en adéquation avec ce type d’écriture. Sa prestation est formidablement accomplie.
Bien sûr, François Berléand ne pourrait pas s’exprimer avec autant de liberté et de créativité qu’il ne disposait pas de partenaires capables de le transcender.
Quelle idée magistrale que de lui avoir adjoint Sébastien Castro pour le rôle du pseudo démiurge. Leur association fonctionne admirablement. Autant Berléand est dans le mouvement, dans l’énergie, dans la volubilité, autant Castro est calme, flegmatique, mystérieux. Dans ce duo, avec son timbre de voix grave et traînant si personnel, il assure un contrepoint idéal. Vincent nous apparaît aussi irritant et énervant qu’attachant. Il est même particulièrement émouvant lorsqu’il évoque son enfance. En résumé, pour rester dans la métaphore musicale, Berléand est un violon frénétique et Castro une contrebasse paisible. En tout cas, quel tandem !

Dans ce mini-orchestre, Constance Dollé joue une partition à part. En joli décalage, elle apporte à l’intrigue une note « boulevardienne ». Elle a l’étonnement, le ravissement puis l’enthousiasme naturels et spontanés. Elle réussit quasiment à s’accommoder des bizarreries qui viennent interférer dans son quotidien. En même temps, c’est peut-être aussi que ça l’arrange en lui évitant de fournir trop d’explications embarrassantes… Constance est une valeur sûre. Elle peut et sait tout jouer. Mais c’est sans doute dans la comédie qu’elle peut le mieux déployer son immense éventail.
Et puis, il y a Inès Valarcher, l’avatar créé par le cerveau foisonnant de Vincent. Je ne veux rien dévoiler de sa prestation pour en préserver tous les effets de surprise. Dans ce mini-orchestre, elle est l’instrument qu’on n’attend pas qui joue une ligne mélodique hors de portée du commun des mortels. Vous verrez bien…

Bref, même si vous ne prisez pas particulièrement l’absurde, vous ne pouvez que prendre un immense plaisir à suivre les péripéties de cette pièce où la jubilation va sans cesse grandissant. On est tenu en haleine jusqu’au bout en se demandant comment tout cela va se terminer. Au risque, jouissif, de rester sur notre fin !!!

Gilbert « Critikator » Jouin

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