lundi 19 septembre 2016

Renata

Comédie Bastille
5, rue Nicolas Appert
75011 paris
Tel : 01 48 07 52 07
Métro : Richard Lenoir / Chemin Vert

D’après la pièce argentine « Renée » de Javier Ulises Maestro
Adaptation de Stéphan Druet et Sebastian Galeota
Mise en scène de Stéphan Druet
Décor d’Olivier Prost
Lumières de Christelle Toussine
Costumes de Denis Evrard
Musique de Maxime Richelme
Chorégraphies de Christophe Ségura

Avec Sophie Mounicot (Monique, la gouvernante), Sebastian Galeota (Jean, le fils / Renata, la veuve), Philippe Saïd (Philippe, le jardinier), Emma Fallet (Blanche, la bonne), Antoine Berry Roger (Alexandre, le notaire)

L’histoire : Un richissime patron juif argentin demeurant à Paris dans une maison bourgeoise, vient de mourir. Un couple de domestiques, la belle-sœur et le fils s’y retrouvent seuls. Renata, la veuve de ce patron, disparue des années auparavant, n’a jamais été retrouvée.
Ce terrible quatuor va faire tout ce qui est en son pouvoir pour toucher l’héritage. Mais quand le jeune notaire arrive pour régler leurs affaires, leurs plans vont basculer…

Mon avis : La chanson de Nana Mouskouri, L’amour en héritage, ne pourrait absolument pas servir de générique à cette pièce. En effet, s’il y est question d’héritage, d’amour il n’y en a point. Ou très peu. Ou il est malheureux.
Renata est une pièce terrible. Sa construction est implacable. Dès le lever du rideau, on est dans le ton. Il y a deux méchants, une gentille et un mal-aimé. Les deux méchants, Monique (« Momo ») et Philippe forment un couple à filer des complexes aux Thénardier. Elle, c’est la gouvernante. Ça, pour gouverner, elle gouverne ! Autoritaire, acariâtre, vindicative, elle dirige la maisonnée avec un gant de fer dans une main du même métal et un cœur en acier trempé. Son mari, Philippe, est moins carré, plus ambigu. Une chose est sûre, c’est un sale type. Il est sournois, atrabilaire, intolérant, homophobe et pervers. C’est beaucoup pour un seul homme. Alors, quand on additionne les deux mentalités, on obtient un couple digne du film Affreux, sales et méchants, sauf que s’ils sont sales, c’est à l’intérieur.

Evidemment, face à deux tels prédateurs, il est préférable de courber l’échine et de filer doux. C’est ce que fait, d’ailleurs très habilement, Blanche, la sœur de « Momo ». C’est une vraie gentille qui est protégée par sa profonde bigoterie. Tout glisse sur elle. Je suis pratiquement sûr qu’elle aime sincèrement sa sœur et son beau-frère. Quant à son neveu, Jean, elle l’adore !
Jean ! Parlons-en de Jean. Au début, il m’a fait penser à l’enfant incompris et rudoyé des Deschiens qu’incarne Olivier Broche. Jean est un poète. Il rêve de s’élever, de s’instruire. Il est dans sa bulle et ses parents ne cessent de le critiquer et de l’invectiver.

Photo Bruno Perroud
Voici donc, en quelques lignes l’état des lieux que nous propose la pièce en son début. La décision machiavélique prise par Monique et Philippe de ressusciter Renata, la veuve disparue du richissime patron défunt, va tout faire basculer. Ce qui n’aurait pu rester somme toute qu’une farce sordide va peu en peu se muer en tragédie. En tragi-comédie plutôt, car avec des comportements aussi extrêmes, voire extrémistes, l’angle choisi est de nous en faire rire. C’est tout le talent de la mise en scène, remarquablement épaulée en cela par les lumières et la musique.
L’intrigue a ceci de très fort qu’elle va crescendo. A partir du moment où Jean va imposer sa métamorphose en Renata, tout va échapper au contrôle de Monique et Philippe. Ce ne sont plus eux qui tirent leurs ficelles pourries. Il leur faut d’adapter. Mais l’appât du gain est tellement fort, qu’ils vont bien devoir s’y résigner. Bien sûr, tout au long de l’année que va durer l’histoire, ils vont se laisser quand même aller à quelques turpitudes (n’est-ce pas Philippe ?).

On comprend a posteriori l’utilité de quelques scènes que, sur le moment, on a trouvées un peu superflues (quand Blanche revêt la robe de mariée, par exemple). En fait, ce que l’on considère comme du remplissage prépare des événements à venir. Un peu comme dans un polar, l’auteur livre quelques indices matériels ou psychologiques. A nous de les percevoir. C’est très habile, très intelligent. Résultat, on est de plus en plus happé par ce qui devient une sorte de feuilleton découpé en saynètes et tableaux successifs.
C’est qu’un nouveau personnage a fait son entrée dans le cercle familial : le notaire chargé de régler la succession.
Je n’en dirai pas plus. Notre intérêt pour le destin des cinq protagonistes va grandissant. Nous sommes les témoins à la fois réjouis par les péripéties qui se déroulent sous nos yeux, et inquiets par leur évolution, par la direction qu’elles prennent. C’est ce qui s’appelle être captivés.

Photo Bruno Perroud
Cette pièce mérite d’être un succès. Elle le mérite pour son histoire, pour sa construction, pour sa mise en scène inventive, son parti pris de nous faire rire avec les bassesses dont peut être capable l’être humain, mais aussi de nous montrer la force de l’amour… Et elle le mérite aussi pour les prestations des cinq comédiens. Ils sont tous impeccables. Sans une telle justesse de jeu, on tomberait ou dans le grand guignol, ou dans le pathos. Or, ils réussissent à nous rendre cette fable crédible.
J’ai été profondément séduit par le jeu d’Emma Fallet dans le rôle de Blanche. Elle campe à merveille une ravie de la crèche, empathique et conciliante. Elle est le seul élément positif, sinon normal, de cette famille… Dans le rôle austère et violent de Monique, Sophie Mounicot s’en donne à cœur joie. Elle nous livre un sans faute dans ces figures imposées. Mieux encore, alors que son personnage est la méchanceté incarnée, elle réussit parfois à nous dévoiler très subtilement quelques failles, quelque faiblesse. C’est une femme malheureuse, quoi !...

Philippe Saïd fait de Philippe une sorte de personnage issu dune bande dessinée de Reiser ou de Vuillemin. Un « gros dégueulasse » certes, mais qui avance masqué sous une apparence de monsieur tout le monde. Il en est d’autant plus redoutable et il ne nous inspire aucune sympathie. Il est donc parfait… Dans le rôle du notaire, Antoine Berry Roger apporte une note de fraîcheur, de fantaisie, de légèreté et de candeur. Chacune de ses interventions est de plus en plus attendue. Surtout que, psychologiquement, son personnage ne cesse d’évoluer. Il faut une grande finesse pour rendre réaliste cette progression. Il est un des rouages indispensables à la bonne architecture de la pièce.
Enfin, il y a la magistrale composition toute en sensibilité de Sebastian Galeota. Ce qu’il réalise tient de la performance d’acteur. Jamais il ne tombe dans la caricature ou dans la démonstration. Notre proximité avec la scène dans ce théâtre de la Comédie Bastille nous permet de scruter à la loupe le jeu des comédiens. Le sien est époustouflant. Il EST Renata. On est subjugué, séduit même. Sa fascinante prestation hisse à des niveaux égaux le rire et l’émotion.

Renata est une pièce originale, cynique à ravir (parce qu’elle est profondément humaine), une pièce qui ne peut laisser insensible.


Gilbert « Critikator » Jouin

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