jeudi 21 février 2008

L'antichambre


Théâtre Hébertot
78 bis, boulevard des Batignoles
75017 Paris
Tel : 01 43 87 23 23
Métro : Villiers/Rome

Une pièce de Jean-Claude Brisville
Mise en scène par Christophe Lidon
Avec Danièle Lebrun (madame du Deffand), Roger Dumas (le président Hénault), Sarah Biasini (Julie de Lespinasse)

Ma note : 8/10

L'histoire : Louis XIV est mort depuis longtemps. le soleil est éteint. Maintenant le pouvoir - ou contre-pouvoir, comme on veut - n'est plus à Versailles, mais à Paris, dans les salons. Ce sont quelques femmes parmi les plus fines qui tiennent ces endroits où se rassemblent les meilleurs esprits européens et les plus éclairés.
Madame du Deffand et sa nièce, Julie de Lespinasse, comptent au nombre des plus célèbres de ces femmes.
Leur salon, ouvert dans l'hôtel particulier du président Hénault, est sans doute le plus couru de la capitale puisqu'on y croise des philosophes et des savants de l'envergure de Diderot, Turgot at autres d'Alembert...

Mon avis : Quel bonheur que cette pièce ! Un bonheur de gourmet, s'entend ; car les mots y sont cuisinés avec un raffinement exquis. Dès les premiers échanges entre madame du Deffand et le président Hénault, on est enchanté par tant de vivacité, par une telle précision dans le verbe, qu'on a l'impression de redécouvrir une des plus précieuses (dans le sens noble du terme) langues qui soient : le français. Les dialogues sont absolument étourdissants et ils le seront pendant une heure quarante-cinq.

Pour goûter à ces brillantissimes joutes verbales, mieux vaut ne pas être fatigué par une dure journée de labeur car on est tenu d'être attentif tout du long. C'est un feu d'artifice, aucun mot n'est anodin, chaque phrase est un petit bijou d'intelligence, de finesse, de diplomatie (donc d'hypocrisie), de duplicité, de perfidie.
Pour assumer un tel numéro de haute voltige sémantique, il fallait des comédiens hors pair. le trio qui évolue sur scène devant nous est tout à fait parfait.

Danièle Lebrun nous livre là une prestation exceptionnelle. Elle campe une marquise et femme d'esprit avec une maestria qui nous comble de plaisir. D'ailleurs la salle, composée en majeure partie d'un public d'esthète, apprécie et le fait savoir par de discrets ronronnements de délectation. Tour à tour pétillante, caustique, impertinente, Danièle Lebrun sait faire passer toutes les nuances avec une réjouissante virtuosité. Son personnage, servi par une abondance de sentences péremptoires et de mots d'auteur fulgurants est un esprit libre. C'est une femme éclairée, une pionnière qui pose les prémices de ce qu'on appellera le Siècle des Lumières. D'une intelligence et d'une culture remarquables, elle est féministe, profondément athée et violemment anticléricale. Une de ses phrases peut la définir en grande partie : "Je suis amie des philosophes, mais ennemie de la philosophie"...
Son complice dans ce tournoi oral est Roger Dumas. Tout en rondeur, son langage est à l'image de son physique. Il est facétieux, malin, apaisant, il a l'art d'arrondir les angles sans être jamais dupe, ce qui ne l'empêche toutefois pas de se laisser emporter quand l'orgueil de sa fonction est titillé. Il est aussi parfois victime cde certaines faiblesses typiquement masculines... Chacune de ses interventions apporte un supplément de fantaisie dans cette pièce qui n'est légère qu'en apparence.
N'oublions jamais que c'est une élite qui évolue devant nous, que l'esprit de Voltaire y est omniprésent et que les premières de l'Encyclopédie sont en train d'être échafaudées.
Quant à Sarah Biasini, elle est épatante dans un rôle pas évident. Ses partenaires, eux, comme leurs personnages, ont forcèment un vécu. Leur caractère est déjà dessiné. Elle, en revanche, ne cesse de grandir tout au long de la pièce et nous suivons sa métamorphose avec le plus grand intérêt. Au tout début, elle est fraîche, exaltée, romantique, avide de culture. Peu à peu, elle se révèle ambitieuse, intrigante, pleine d'idées avant-gardistes. Elle est tout le temps juste. C'est courageux de sa part de se confronter à de tels partenaires. Mais ce doit être tellement enrichissant !

Cette Antichambre est donc un pur bonheur. On s'y trouve comme dans une bulle, entre privilégiés, dans une rare sensation de partage. Quand les lumières se rallument dans la salle, les gens se sourient, complices, tenant à communiquer sur ce moment précieux qu'ils viennent de vivre. C'est une pièce intemporelle, brillante et piquante, un modèle de cet esprit français que toutes les cours européennes de l'époque nous enviaient et cherchaient à s'approprier.

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