lundi 2 février 2009
Baby Doll
Théâtre de l'Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
Tel : 01 46 06 49 24
Métro : Anvers
Une pièce de Tennessee Williams
Version scénique de Pierre Laville
Mise en scène par Benoît Lavigne
Avec Mélanie Thierry (Baby Doll), Chick Ortega (Archie), Xavier Gallais (Silva Vaccaro), Monique Chaumette (Tante Rose), Théo Légitimus (Moïse)
Ma note : 8/10
L'histoire : 1939. Sud des Etats-Unis. Archie Lee, exploitant de coton en faillite, est marié à Baby Doll, une femme enfant. Suite à une promesse faite au père de Baby Doll, le mariage ne sera consommé que lorsque celle-ci aura 20 ans. La veille de ce fameux anniversaire, arrive Silva Vaccaro, l'étranger, voisin et concurrent d'Archie. Il soupçonne ce dernier d'être responsable de l'incendie qui a détruit son égreneuse à coton, et il est bien décidé à se venger de lui. Son arme va être Baby Doll...
Mon avis : Tout de suite, le décor nous indique les conditions de vie de la famille Lee : c'est la misère. C'est une sorte de grange que l'on pressent poussiéreuse, dépourvue de meubles (on saura très vite pourquoi) hormis une vieille table en bois et un rocking-chair bien fatigué. Côté jardin, le museau d'une épave de voiture empiète sur la scène. Dans la mezzanine, dans un minuscule lit-cage, une jeune femme dort, roulée en boule. C'est Baby Doll. Elle commence à se réveiller, s'étire comme une chatte, dégageant déjà une sensualité animale de femme-enfant. Derrière la porte, on distingue une forme. Un homme est là, accroupi, qui mate par le trou de serrure. On le devine en train de se livrer à un exercice de travaux manuels... Baby Doll, vraisemblablement accoutumée à ce genre de pratique, ouvre brutalement la porte et se met à l'invectiver. Et pourtant, ce n'est que son mari, Archie, qui joue ainsi les voyeurs enamourés. C'est vrai que, par rapport à elle, il est peu ragoûtant. C'est un homme fruste, bestial et frustré. Il est tellement tenaillé par le désir que son visage est secoué de tics. Le mariage d'Archie et de Baby Doll n'a jamais été consommé suite à une promesse faite au père mourant de la jeune femme. L'échéance a été fixée au soir de son 20è anniversaire. Et nous sommes la veille ! Ce pauvre Archie ne tient plus...
Quant à Baby Doll, parfaitement consciente de l'attirance qu'elle exerce sur son mari, elle appréhende cette soirée fatale. Ce qui ne l'empêche pas de taquiner Archie, de le rabrouer, de le morigéner, de l'humilier même. Elle lui reproche surtout de la faire vivre dans la misère. Mais elle n'est encore qu'une gamine et elle est malgré tout prompte à rire et à s'amuser d'un rien.
Pourtant, Archie, qui a connu un certain confort matériel quand il avait du travail, est prêt à tout pour en retrouver. Hélas, le traitement du coton est passé presque exclusivement aux mains du Syndicat. Et c'est son voisin, un étranger d'origine sicilienne, Silva Vaccero, qui prospère aujourd'hui. Alors, une nuit, il va mettre le feu au bâtiment qui abrite l'égreneuse à coton de son concurrent. Ce dernier, qui croit à un incendie accidentel, surgit chez lui à l'aube pour lui confier le traitement de plusieurs tonnes de coton. Archie se fait un peu prier pour la forme et, évidemment, accepte le marché. Mais, en même temps, Silva fait la connaissance de sa voisine, Baby Doll qui, de son côté, découvre que tous les hommes n'ont pas l'apparence de son Archie...
De fait, Silva Vaccaro présente tous les "ingrédients" du séducteur : il est beau, mince, viril, sûr de lui, charmeur... Bref, c'est le parfait latin lover mâtiné à la sauce louisianaise. Baby Doll en est toute troublée...
On devine bien sûr la suite et on sait quel va être le maillon faible de ce trio bien classique...
Mélanie Thierry n'incarne pas Baby Doll, elle EST Baby Doll ! Toute la pièce repose sur elle. Terriblement expressive, elle nous livre spontanément tous ses états d'âme. Dans la première partie de la pièce, elle a conscience de n'être qu'une proie quasiment impuissante face à son prédateur de mari dont, hélas, les appétits sexuels sont tout à fait légitimes. Elle le sait, elle elle est prête au "sacrifice", par respect à la parole donnée à son défunt père. Si, par moment, dans l'appréhension de ce répugnant rendez-vous, elle passe de la crainte à la révolte, elle redevient parfois une toute jeune fille encore candide et insouciante. Et elle rit. Un bonheur de rire, frais et limpide comme une cascade. Un rire qui jaillit, magnifiquement pur, éclair lumineux et juvénile qui apporte quelques secondes de grâce dans ce décor et cette existence sordides.
Et puis, dès l'arrivée de Silva Vaccaro, on assiste à sa croissante métamorphose psychologique. En une nuit, elle mesure la force de son pouvoir, de sa séduction. Et, surtout, elle n'a plus peur. Une fois maîtrisé le trouble qu'elle éprouve face à cet étalon fougueux de Silva, assurée de devenir à son tour la manipulatrice, elle se libère totalement. Elle devient adulte.
Baby Doll est une pièce extrêmement charnelle. Nous sommes dans le Sud. Les sens sont exacerbés. Baby Doll dégage une sensualité naturelle, ensorceleuse, qui est en fait celle d'une Mélanie Thierry totalement habitée par ce personnage. Je l'avais déjà trouvée époustouflante dans Le vieux Juif blonde, avec sa capacité de passer sans transition du rire aux larmes, de la fantaisie au drame. Elle semble imprévisible alors que tout est sans doute parfaitement maîtrisé. Elle est vivante, frémissante, espiègle, violente, fragile, mais insubmersible. Impossible, quand on la voit, d'imaginer une autre Baby Doll...
Si elle peut exprimer aussi brillamment une telle palette de sentiments et de comportements, c'est qu'elle possède en Chick Ortega (Archie) et Xavier Gallais (Silva) deux partenaires qui la servent magistralement. Autant, dans la première partie, on ressent une véritable aversion pour Archie, autant on en arrive presque à le plaindre sur la fin. Chick Ortega se livre là à une sacrée prestation, révélant un éventail de jeu(x) très complet. Il ne campe pas qu'une brute épaisse, il est aussi un mari éperdument épris de sa jeune compagne, d'autant qu'il est dans son droit. C'est aussi un homme aux abois, ruiné, qui va jusqu'à se muer en incendiaire pour obtenir un travail qui lui permettra d'apporter à sa bien aimée le confort qu'elle lui réclame. Et, à la fin, c'est un taureau blessé, humilié, qui prend soudain conscience que sa mise à mort est imminente. Chick Ortega joue tout cela d'une façon entière, très physique...
Très physique est également le jeu de Xavier Gallais. Si Chick Ortega nous la sert dans un registre plutôt bourrin, Xavier suinte par tous ses pores de la fougue d'un jeune étalon nerveux et sûr de lui. C'est un chef né, un patron. Mais son assurance va être singulièrement ébranlée par le charme d'une poupée...
En fait, nous sommes les témoins de l'affrontement de trois animaux (le taureau, le mustang et la biche) pour qui l'instinct et la sensualité sont prédominants au détriment des sentiments (l'épisode de la balançoire est une scène d'une incroyable puissance érotique).
L'esprit de Tennessee Williams est tout à fait contenu et fidèlement restitué dans cette remarquable adaptation. Un véritable petit bijou !
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